Ce débat, que nous avons souhaité, mon groupe parlementaire et moi-même, s’inscrit dans le prolongement des travaux de la commission d’enquête dont j’ai été l’initiateur et le rapporteur. Cette commission d’enquête avait été constituée le 24 mai 2016 et son rapport a été adopté, à l’unanimité de ses membres, le 12 octobre dernier. À l’issue de ses travaux, je crois pouvoir dire que la fibromyalgie est devenue une question de santé publique majeure, exigeant des mesures de reconnaissance et de prise en charge des patients qui ne peuvent plus être différées.
La commission d’enquête avait pour vocation non pas de se substituer aux médecins et aux chercheurs – que nous avons auditionnés – mais de mettre en évidence les insuffisances de notre système de santé dans le traitement de cette souffrance et de formuler des propositions susceptibles de répondre au calvaire vécu par un grand nombre de patients.
Le Pr Serge Perrot nous a donné une définition de la fibromyalgie : « une perturbation de la modulation des voies de la douleur, système complexe : le cerveau, hypersensible à toutes les stimulations, ne parvient pas à inhiber la douleur, qui se diffuse ». Les causes de ces dérèglements restent l’objet de débats et d’études mais la réalité est là : entre 1,5 et 2 millions de nos concitoyens sont atteints et, de ce fait, confrontés à un état douloureux musculaire chronique, une fatigue continue et une souffrance psychologique, avec des nuits noires. Les formes et les degrés de la pathologie sont variables, allant de la simple gêne à un handicap invalidant, avec des impacts lourds sur la vie quotidienne, sociale, professionnelle et personnelle.
Dans le cadre de la commission d’enquête, j’avais mis en ligne un questionnaire destiné à recueillir les témoignages des patients – nous ne pouvions pas auditionner tout le monde – et 570 réponses me sont parvenues. Ces témoignages sont souvent terribles : ils attestent de l’intensité de la douleur endurée, de la non-reconnaissance du mal, de l’errance médicale, de l’absence de traitement adapté, de l’insuffisance de la prise en charge.
Madame la secrétaire d’État, je vous le dis comme je le pense et sans esprit polémique : sur ce sujet, la France n’est pas à la hauteur de ce que l’on attend d’elle en matière de santé publique et de protection sociale. L’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, a reconnu, en 1992, la fibromyalgie comme maladie rhumatismale, puis elle l’a considérée, en 2006, comme une maladie indépendante et lui a accordé un code spécifique, M79.7, dans la classification internationale des maladies. À la suite de l’OMS, plusieurs pays ont reconnu cette pathologie : par exemple la Belgique, qui l’a classée en 2011 parmi les maladies handicapantes, ou encore le Portugal ; ce n’est toujours pas le cas de la France.
Cette situation a des conséquences pour les malades, qui ne savent pas vers quel médecin se tourner : rhumatologue, psychologue, neurologue ? Le temps qui s’écoule entre la manifestation des premiers symptômes et le diagnostic final est en moyenne de six ans, six longues années sans que le patient sache de quoi il est atteint et sans qu’il ait aucune perspective. Dès lors, la solitude s’installe et les maux du corps envahissent l’esprit, ajoutant aux douleurs physiques des symptômes dépressifs ; certains malades se suicident.
En ce qui concerne les traitements, les prescriptions tendent à essayer d’endiguer les symptômes par le recours à des antidouleurs, des antidépresseurs, des antiépileptiques, accompagnés souvent d’effets secondaires qui complètent les douleurs initiales sans les supprimer. D’autres thérapies, non médicamenteuses, sont pratiquées : la kinésithérapie, la balnéothérapie, la psychothérapie, la relaxation, l’acupuncture, etc.
Le corps médical est, par ailleurs, peu formé à ce type de maladie chronique. Certains praticiens sont encore sceptiques sur la nature de la fibromyalgie ; ils la considèrent comme une maladie psychologique ou psychosomatique.
À cela s’ajoutent des rapports conflictuels avec les administrations – caisses primaires d’assurance maladie, maisons départementales des personnes handicapées, médecins du travail –, dès lors que les diagnostics sont établis par défaut de reconnaissance d’autres pathologies et que la Sécurité sociale ne reconnaît pas la fibromyalgie comme maladie. Il en résulte la non-reconnaissance de l’invalidité provoquée par cette maladie, la non-prise en charge des patients au titre d’une affection de longue durée – en l’espèce, l’ALD 31, pour les fibromyalgies non accompagnées d’autres maladies – et la rupture du versement des indemnités journalières en cas d’arrêt maladie prolongé.
La France n’est pourtant pas démunie dans la réflexion sur le sujet. L’Académie nationale de médecine, en janvier 2007, a rendu un rapport dans les conclusions duquel on pouvait lire : « Un large consensus existe cependant aujourd’hui pour considérer que […] le syndrome fibromyalgique est une réalité clinique qu’il faut admettre comme autonome ». Dans le prolongement de ces travaux, la Haute autorité de santé, saisie par le ministère de la santé, a rendu, en janvier 2010, un rapport d’orientation qui concluait : « Même si des controverses subsistent au sein même du monde médical […], une prise en charge doit être accessible aux patients. » À présent, l’INSERM – l’Institut national de la santé et de la recherche médicale – est chargé de réaliser une vaste étude sur le sujet. Nous avons auditionné son président-directeur général et ses responsables de l’expertise collective : il nous a été indiqué que l’INSERM produira une analyse exhaustive de la situation et formulera des recommandations mais que celles-ci ne seront publiées qu’au début de l’année 2018.
Les patients ne peuvent plus attendre. Notre commission d’enquête a formulé vingt préconisations, dont quelques-unes pourraient être mises en oeuvre immédiatement. J’appelle donc votre attention sur quatre d’entre elles.
La proposition no 5 suggère de diffuser les tests de diagnostic existants – le Pr Perrot les a évoqués – auprès des médecins généralistes, via le site ameli de la Caisse nationale d’assurance maladie, la CNAM, et les logiciels d’aide à la prescription. Cela permettrait d’effectuer des diagnostics plus rapides, sur la base d’une meilleure connaissance par les praticiens généralistes, et ainsi d’éviter l’errance médicale – il faut savoir, madame la secrétaire d’État, que certains médecins ne savent même pas ce qu’est la fibromyalgie.
La proposition n° 6, qui complète la précédente, invite à diffuser l’annuaire national qui recense les structures d’étude et de traitement de la douleur chronique – SDC – sur le territoire et de faire connaître aux médecins les expériences conduites avec succès dans un certain nombre de centres dédiés.
La proposition n° 13 a pour objet la mise en place d’un parcours de soins et de prise en charge de la douleur, notamment pour les patients atteints de fibromyalgie, sur la base d’un référentiel élaboré par la Haute autorité de santé. De ce point de vue, madame la secrétaire d’État, je rappelle que nous avons voté un amendement au PLFSS pour 2017 afin d’autoriser l’État à financer, via le fonds d’intervention régional, des parcours de soins adaptés aux patients concernés et un forfait de coordination pour leur médecin traitant. Vous nous direz où nous en sommes dans la mise en oeuvre de cette disposition.
Enfin, la proposition no 17 vise à assurer l’égalité de traitement des patients fibromyalgiques sur l’ensemble du territoire et à leur permettre d’accéder, sur la base d’un diagnostic clairement établi, au régime de l’ALD, par la diffusion de recommandations de prise en charge de la Haute autorité de santé auprès des médecins-conseils de la CNAM.
Voilà, madame la secrétaire d’État, ce que je souhaitais dire en introduction à notre discussion. De premières mesures rapides et concrètes peuvent être prises. Les patients en souffrance les attendent. La France et ce gouvernement s’honoreraient de leur apporter les premières réponses d’urgence qui s’imposent.