Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ne perdons jamais de vue que nous écrivons la loi pour assurer une protection réelle, efficace et durable à l’ensemble de nos concitoyens.
Réformer le droit de la prescription en matière pénale était un très vaste chantier, dont nous commençons enfin à voir l’issue. Pour mémoire, nous sommes à ce jour sous l’empire de délais fixés sous Napoléon Ier. Je tiens à renouveler mes félicitations à M. le rapporteur, ainsi qu’à M. Fenech, pour leur combativité, leur constance et leur opiniâtreté. Mes remerciements et ceux du groupe socialiste, écologiste et républicain que je représente vont aussi à M. le garde des sceaux qui, conscient de l’urgence qui s’attache à l’aboutissement de cette réforme, a incontestablement joué dans l’examen de cette proposition de loi un rôle très positif de médiateur, qui nous aura finalement permis de concilier les positions de l’Assemblée nationale et du Sénat.
La réforme clarifie et modernise le droit de la prescription sans toucher à sa logique originelle ni à ses deux piliers : le premier, puisque la durée des délais respecte bien la répartition tripartite des infractions – contraventions, délits et crimes – en ce qui concerne tant la prescription de l’action publique que celle de la peine ; le deuxième, puisque le point de départ du délai de la prescription reste fixé au jour de la commission de l’infraction, et à la date de la condamnation définitive pour la prescription des peines.
Au fil des ans, ces règles de base sont devenues de plus en plus illisibles et ont été bousculées par des interventions législatives et jurisprudentielles qui ont fait du droit de la prescription un ensemble normatif particulièrement complexe et totalement illisible. Dans sa frénésie coutumière, le législateur a multiplié les délais de prescriptions dérogatoires au droit commun, qu’il s’agisse de délais très allongés ou de délais très abrégés. Les règles de computation se sont diversifiées par rapport au point de départ et aux conditions d’interruption et de suspension des prescriptions, qui ont aussi considérablement évolué.
Mais la prescription reste toujours un régulateur de l’action publique, même si – j’emploie des guillemets – ce « pardon légal » est de moins en moins bien accepté par le corps social. Il y a vraiment urgence à ce que ce texte soit adopté avant la fin de la législature. Urgence face à l’inadaptation des règles légales et, surtout, jurisprudentielles – je rappelle que nous sommes en matière pénale et que c’est bien la loi qui doit fixer les règles applicables, et non la jurisprudence. Urgence, donc, face à des incohérences jurisprudentielles. Urgence également, je viens de le dire, face à une demande sociale très forte. Urgence, surtout, car notre devoir de législateurs est tout de même, fondamentalement, d’assurer la sécurité juridique, qu’il s’agisse des victimes mais aussi des auteurs d’infractions. Je rappelle que l’on parle ici – excusez du peu – d’engagement de poursuites et d’exécution des peines. Les acteurs judiciaires – nous l’avons tous dit, nous allons tous le dire – attendent ce texte depuis bien trop longtemps. Deux missions parlementaires ont été conduites, la première en 2007, la seconde en 2014 : nous arrivons au terme d’une décennie de réflexion.
Permettez-moi de rappeler les principales avancées de ce texte : multiplication par deux des délais de prescription de l’action publique, qui passent de trois ans à six ans pour les délits, et de dix à vingt ans pour les crimes ; clarification – enfin ! – des modalités de computation des délais ; allongement de cinq à six ans du délai de prescription des peines délictuelles ; et, surtout, ce qui va simplifier les choses pour nous tous, harmonisation de la durée des délais de prescription, tant de l’action publique que des peines, en matière criminelle et délictuelle.
Deux points méritent d’être approfondis dans cette discussion générale.
Premièrement, le Sénat a fait l’effort de présenter une énumération limitative des actes qui sont susceptibles d’interrompre le cours de la prescription. C’était nécessaire, tant la jurisprudence est fournie et disparate en la matière. Là encore, la sécurité juridique est réellement à ce prix. Je préfère ne pas rappeler ici certaines affaires très célèbres, dans lesquelles ce sont bien des approximations juridiques qui ont permis, et d’engager des poursuites, et d’obtenir des condamnations. Ainsi, grâce à ce travail, il n’y aura plus d’incertitude, tant pour les auteurs que pour les victimes et, surtout, les acteurs judiciaires pourront travailler en toute sécurité. Gagnant en lisibilité, ils gagneront en efficacité. Il me paraît ensuite tout à fait logique d’avoir supprimé de la liste des actes interruptifs les plaintes simples, car elles seules ne permettent pas d’engager l’action publique. Un autre point très positif tient aussi à l’information par écrit de la victime des règles de prescription de l’action publique, ce qui va vraiment dans le bon sens.
Deuxièmement, je souhaiterais revenir sur l’étrange amendement, porté par les sénateurs, qui a pour objet l’allongement du délai de prescription de l’action publique concernant les infractions de presse commises exclusivement – j’insiste sur ce mot – par internet. Ces dispositions sont de nature à introduire un certain déséquilibre dans la loi de 1881 sur la presse. Elles instituent une différence, pour ne pas dire une discrimination, entre la presse écrite et la presse en ligne, entre l’éditeur ne travaillant que sur un support papier et l’éditeur numérique. Cela pourrait créer une réelle insécurité juridique, voire une forme d’inégalité. À cet égard, je tiens à rappeler que, dans une décision du 10 juin 2004 sur la loi pour la confiance dans l’économie numérique, le Conseil constitutionnel a indiqué qu’il ne peut y avoir une trop grande différence de régime entre la presse papier et la presse numérique en matière de délais de prescription.
Reste, ensuite, l’amendement porté par Mme Maina Sage, visant à modifier le délai de prescription de l’action publique pour certains crimes. Autant, sur le fond, madame, j’entends votre intention – je juge d’ailleurs, comme vous, cette question primordiale – autant je pense que ce que vous proposez ne peut pas être la solution. Nous nous en sommes déjà très longuement expliqués. Je préfère, en tant que praticien du droit, qu’une victime reste victime, plutôt que, par l’effet d’une sorte de rouleau compresseur, plus de trente ans après les faits, elle ne passe de victime à menteuse – si ce n’est pire – et se trouve elle-même poursuivie, tandis que l’auteur des faits pourrait acquérir un statut de victime.