Intervention de Georges Fenech

Séance en hémicycle du 12 janvier 2017 à 9h30
Réforme de la prescription en matière pénale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeorges Fenech :

Je précise cependant que cet allongement du délai ne s’appliquerait pas si la mise en ligne faisait suite à la diffusion papier, le délai de prescription restant en ce cas de trois mois. De même, le point de départ de la prescription restera celui du jour de la mise en ligne, et non celui de sa cessation, ce qui évitera une forme d’imprescriptibilité non souhaitable.

Par cette modification, mes chers collègues, la protection sera renforcée à l’égard des quelque 40 millions d’internautes non soumis aux règles déontologiques de la presse, et la liberté d’expression, consubstantielle à la liberté de la presse, sera préservée.

Monsieur le ministre, je souhaiterais vous faire part d’une réflexion personnelle. Je crois que ce sujet mériterait que la Chancellerie s’en empare une fois pour toutes, afin d’envisager éventuellement une dépénalisation de ces délits de diffamation. Tel est, en tout cas, le voeu que je formule. De fait, comme chacun le sait ici, on constate quotidiennement l’instrumentalisation pénale de débats politiques, que ce soit devant la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris, ou devant les cabinets d’instruction. On dépose une plainte devant le doyen des juges d’instruction pour allumer des contre-feux ; cela se termine généralement, plusieurs mois ou plusieurs années après, par des relaxes. Faisons-en sorte que la diffamation relève de la juridiction civile : nous aurons ainsi contourné tous ces obstacles.

J’en reviens au coeur des dispositions de notre loi. À l’époque des rédacteurs du code d’instruction criminelle, il n’y avait pas, non plus, de police scientifique. On ne connaissait pas l’empreinte papillaire, et encore moins la trace génétique. Ce deuxième fondement des courtes prescriptions – la disparition ou le dépérissement des preuves – ne tient plus aujourd’hui, à l’heure des formidables progrès de la preuve scientifique : expertise génétique, balistique, expertise des voix et même des odeurs, nous a-t-on expliqué. Dès lors, que reste-t-il aujourd’hui de ces fondements – l’oubli et le dépérissement des preuves – pour justifier une prescription bien trop courte – de dix ans en matière criminelle et de trois ans en matière délictuelle ? Il n’aura échappé à personne, d’ailleurs, que les magistrats cherchent, sans le dire ouvertement, tous les moyens pour éviter la prescription, notamment en cas de crime grave. Dans l’affaire des disparues de l’Yonne, que chacun a en mémoire, pour éviter de constater l’extinction de l’action publique, les juges ont utilisé – disons-le tout net – un subterfuge juridique, en considérant qu’un simple soit-transmis du parquet adressé à la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, soit un acte administratif, avait interrompu la prescription. C’est ainsi qu’Émile Louis avait été appelé à répondre de ses actes monstrueux.

Soyons-en convaincus, la grande loi de l’oubli a perdu de sa force dans une société de la mémoire, qui plus est lorsque celle-ci est entretenue par de nombreuses associations de victimes, relayées par les médias, prompts à dénoncer, parfois à juste titre, une forme de déni de justice par incapacité ou, plus grave, inaction de l’institution judiciaire. Il était donc devenu urgent que le législateur intervienne dans le cadre d’une réforme d’ensemble pour mettre fin à l’insécurité juridique et aux incohérences.

Nous nous félicitons également de la consécration législative de l’ancienne jurisprudence de la Cour de cassation sur le report du point de départ de la prescription de l’action publique en matière d’infractions occultes ou dissimulées. C’était un point sensible, à l’origine de l’échec de toutes les précédentes tentatives de réforme des prescriptions pénales. L’alternative était simple : soit nous intervenions pour mettre un terme à cette jurisprudence qui remonte à 1935, soit nous consacrions la jurisprudence de la Cour de cassation, option que nous avons choisie en conscience et conformément au souhait de la grande majorité des acteurs judiciaires.

C’est pourquoi nous vous proposons de consacrer l’arrêt de principe rendu le 10 août 1981 par la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui énonce que le point de départ de la prescription est fixé « au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique ». Cependant, il ne fallait pas non plus rendre ces infractions imprescriptibles ; nous avons donc rallié la position du Sénat, qui consiste à fixer un délai butoir de douze ans en matière d’infractions occultes ou dissimulées et de trente ans en matière criminelle. L’imprescriptibilité est préservée, comme l’a parfaitement dit Alain Tourret, pour le crime le plus grave, celui commis contre l’humanité.

Voilà, mes chers collègues, l’aboutissement d’une belle et grande réforme, qui a l’ambition non seulement de rendre cohérent, harmonieux et moderne notre régime de prescription pénale, mais également, d’une certaine manière, de redonner confiance à nos concitoyens envers une justice qui a sans doute trop tardé à entrer dans le XXIe siècle

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