Intervention de Colette Capdevielle

Séance en hémicycle du 12 janvier 2017 à 9h30
Réforme de la prescription en matière pénale — Article 1er

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaColette Capdevielle :

Le groupe SER partage le diagnostic dressé par Mme Sage à propos des victimes, qui le sont en effet à vie et n’oublient jamais ce qui s’est passé. J’insiste néanmoins sur les deux risques auxquels nous les exposerions si nous devions voter cet amendement, ce que nous ne ferons pas.

Le premier consisterait à faire croire aux victimes qu’il est possible de juger des faits relevant de l’intime et qui se sont produits il y a plus de quarante ans, des faits terribles à répéter à l’envi lors de confrontations et qui seraient jetés dans le broyeur judiciaire. Il faudra expliquer non seulement les faits, mais surtout d’avoir gardé le silence pendant plus de quarante ans. On fouillera tout et, comme il s’agit de faits très particuliers, on fouillera l’intimité de la vie privée, on interrogera le conjoint présent et les précédents, par exemple sur les pratiques sexuelles de la victime.

Voilà ce dont il faut aussi informer les victimes, qui ne sont pas toujours prêtes à subir ce travail sur leur intimité ! J’ajouterai une autre réalité : les certificats médicaux les plus éloquents, les plus précis et les plus détaillés, les déclarations les plus sincères et les plus crédibles ne feront jamais condamner, quarante ans après les faits, un auteur clamant haut et fort son innocence. Je n’ai jamais rien vu de tel et aucune étude n’existe sur ce point. Si le procureur classe la plainte sans suite, je puis vous assurer, chers collègues, que la victime ressentira le rejet de sa plainte comme une terrible injustice.

Si le juge, à l’issue d’une instruction criminelle ou délictuelle, prononce un non-lieu, ce sera vécu comme une insulte par la victime. Et si la cour d’assises acquitte le bourreau, qui deviendra alors victime et pourra même demander à être indemnisé, quelle deviendra la place de la victime de départ ? Elle sera, comme je l’ai dit tout à l’heure, soit menteuse soit coupable de diffamation, ce qui sera pour elle un anéantissement. Il importe donc, dans l’intérêt des victimes, d’intégrer cette dimension au débat, fût-elle moins médiatique que d’autres.

Par ailleurs, il existe un risque juridique. Il ne faut pas perdre de vue la nécessaire proportionnalité entre la gravité des infractions et leur délai de prescription. Il faut également maintenir l’égalité entre victimes mineures et victimes majeures. En effet, on ne peut pas complètement délaisser une victime âgée de 18 ans passés de quelques jours au moment des faits, qui ne serait plus protégée comme une victime mineure ayant fait l’objet du même délit.

Enfin, comment expliquer qu’un assassinat, qui est un meurtre aggravé puni de la réclusion criminelle à perpétuité, présente un délai de prescription inférieur à celui applicable à ce crime ? Il me semble que nous devons cette lecture du débat à toutes les victimes, car si nous ne devons pas demeurer dans la posture à leur endroit, nous ne devons pas non plus leur donner de faux espoirs et leur cacher la vérité.

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