Je voudrais m’attacher à exposer les trois raisons pour lesquelles nous allons nous opposer aux deux amendements présentés à cet article.
Tout d’abord, l’adoption de ces amendements ferait tomber la proposition de loi, ni plus ni moins. En l’absence de vote conforme, il ne sera pas possible de voter ce texte pendant cette législature et tout devra être repris ab initio au cours de la prochaine, sans savoir quand car cela pourra prendre beaucoup de temps.
Deuxième raison, juridique cette fois. J’ai eu la surprise d’entendre citer le Conseil constitutionnel. Or, la décision dont il est question va à l’encontre de ce que l’on annonce. Après avoir constaté la jurisprudence constante en vertu de laquelle le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que des règles différentes s’appliquent à des situations différentes, le Conseil constitutionnel, à propos d’une affaire concernant un délai de prescription variable selon le cas d’une publication dans la presse ou d’une publication sur internet, énonce qu’« il était loisible au législateur de prévoir un aménagement approprié des règles de prescription dans le second cas » – c’est-à-dire celui d’internet.
Simplement, dans l’affaire dont le Conseil a eu à connaître, la durée de la prescription était soit de trois mois, soit reportée à l’infini, puisqu’il s’agissait de la faire commencer au moment où la publication cesse d’être accessible sur internet, c’est-à-dire, comme l’a fait remarquer Pierre Lellouche, jamais. Celui qui parviendrait à démontrer qu’une publication a cessé d’être présente sur l’internet se retrouverait en effet sur-le-champ à la tête de l’internet mondial : personne n’y est jamais arrivé !
En matière de prescription, certes, « rien ne sert de courir, il faut partir à point », mais lorsque l’on n’arrête pas de courir, cela peut durer longtemps…
Enfin, soutenir qu’il n’y a pas de différence entre l’écrit publié et l’écrit digital témoigne d’une totale méconnaissance. Du temps du manuscrit, il n’y avait par définition pas d’imprimatur. Puis vint l’âge de Gutenberg, où nous sommes encore quoique de moins en moins, et maintenant l’âge digital. Ces âges sont fondamentalement différents, même s’ils reposent toujours sur vingt-quatre lettres. Les cavaliers ne sont plus ceux de Gutenberg mais ceux de l’électronique…