Intervention de Corinne Erhel

Réunion du 10 janvier 2017 à 16h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCorinne Erhel, rapporteure :

Madame la présidente, mes chers collègues, pour la sixième fois, Mme Laure de La Raudière et moi-même allons vous présenter un rapport sur le thème du numérique. Ce rapport, que nous avons corédigé au cours de l'année 2016, est intitulé « L'internet des objets : le numérique à l'ère de la prédiction ». Il contient vingt recommandations, dont deux sur lesquelles chacune de nous porte une appréciation distincte.

Internet connaît aujourd'hui une extension inédite, puisque l'infrastructure mondiale des réseaux ne connecte désormais plus seulement les personnes, mais aussi les objets. Autrefois inertes et isolés, les objets, qu'il s'agisse des serrures, des montres ou des voitures, sont aujourd'hui dotés de capteurs, de puces, ou encore de caméras embarquées permettant de fournir de nouveaux services ou de générer des données afin de rendre notre environnement plus intelligent.

Nos domiciles, nos moyens de transport, mais aussi nos espaces publics et nos lieux de travail, peuvent être quantifiés et rendus plus efficaces ; ils peuvent rendre de nouveaux services, améliorer notre sécurité ou nos comportements grâce à la collecte et au traitement des données émises par les objets connectés.

Internet connaît donc, avec les objets connectés, ce que nous avons qualifié de « changement de paradigme ». Le nombre d'objets connectés qu'il y aura dans les années à venir en témoigne. En 2016, on estime à 6,4 milliards le nombre d'objets connectés dans le monde et, dès 2020, il pourrait y en avoir entre 30 et 50 milliards selon les différentes estimations. Plusieurs facteurs expliquent l'apparition de cet « internet des objets » (en anglais internet of things ou IoT).

Premièrement, les avancées technologiques récentes ont permis de miniaturiser encore davantage les microprocesseurs, les semi-conducteurs et autres composants électroniques à la base de la technologie des objets connectés. En outre, le développement massif de l'informatique en nuage – le cloud computing –, associé à une puissance de calcul et de traitement des données inégalée – le big data –, participe de cette nouvelle donne technologique.

Deuxièmement, l'accessibilité financière progresse, en particulier auprès du grand public, de plus en plus friand de ces objets connectés. Une demande est apparue autour d'objets au design élégant, qui prolongent l'utilisation courante du smartphone et qui améliorent notre confort au quotidien. Une catégorie spécifique d'objets connectés portables est ainsi apparue : les wearables, c'est-à-dire les montres, bracelets et lunettes connectés.

Troisièmement, enfin, les marchés des objets connectés, qu'il s'agisse de ceux des entreprises ou de ceux des consommateurs finaux, gagnent en maturité. Mme Laure de La Raudière présentera dans un instant, de façon plus précise, les perspectives économiques de ces deux types de marché.

Les auditions que nous avons menées ont permis d'illustrer à quel point l'internet des objets allait, dans les années à venir, transformer notre quotidien. Nous nous sommes donc attachées à mener une analyse de l'impact social des objets connectés.

Il nous a paru clair que l'internet des objets allait influer de façon positive sur notre vie sociale. En contribuant à relier des personnes entre elles au travers de leurs objets connectés, il crée du lien social, notamment pour les plus jeunes générations marquées par le développement des réseaux sociaux. L'application Waze, de plus en plus utilisée, en constitue une bonne illustration. Grâce à elle, les utilisateurs-automobilistes sont connectés entre eux et peuvent s'échanger des informations sur les conditions de circulation. Les utilisateurs sont au coeur du système puisque les contributions de chacun assurent l'utilité collective et ce faisant, permettent la viabilité du système. De même, l'entreprise française Plume Labs, qui se spécialise dans la mesure de la pollution en ville, a franchi une nouvelle étape de croissance grâce à l'internet des objets, qui a permis de développer des capteurs connectés portables, les air sensors, qui doivent permettre une mesure collaborative de la pollution subie, en complément des modèles de prévision, reposant sur des algorithmes. L'application Plume Air Report connaît déjà un franc succès dans de nombreuses villes du monde, en permettant de détailler les niveaux de pollution dans les 24 heures ou encore de notifier des alertes en cas de pic de pollution.

Du côté de la vie collective, les objets connectés peuvent être réappropriés par les citoyens, les services publics ou les collectivités locales. C'est toute la logique des smart cities, ces villes dites intelligentes car ultraconnectées. Dans ce domaine, nous formulons une recommandation consistant à mieux associer les citoyens à chaque étape du déploiement des services publics connectés.

Toutefois, l'impact social de l'internet des objets n'est pas univoque. Si nous n'y prenons pas garde, les objets connectés peuvent porter en germe des risques d'exclusion creusant davantage une fracture numérique déjà présente dans certains de nos territoires. Trois risques principaux peuvent être recensés.

Premièrement, il existe un risque de dépendance technologique : les objets connectés les plus populaires à ce jour portent sur la quantification de l'activité quotidienne des individus. C'est le cas des montres connectées qui permettent de connaître le nombre de pas et, partant, la distance parcourue à pied chaque jour. Or, l'importance de la mesure dans notre quotidien augmentant drastiquement, la pratique régulière de l'auto-mesure pourrait, si l'on n'y prend garde, se traduire par un enfermement dans une représentation statistique de soi, voire conduire à une addiction à la mesure.

Deuxièmement, le respect de la vie privée peut se trouver remis en question face à la captation et au partage massifs des données personnelles par les objets connectés sans que l'utilisateur n'exprime clairement son consentement.

Troisièmement, enfin, une couverture numérique du territoire insatisfaisante empêchera le développement équilibré de l'internet des objets sur notre territoire. Alors que certaines zones n'ont encore accès qu'au bas débit, le défi à venir de la 5G sera d'assurer rapidement le maillage complet du territoire afin de ne pas aggraver la fracture numérique. Nous formulons également une recommandation sur ce point.

Les risques et les craintes légitimes que suscitent les objets connectés ne doivent pas être sous-estimés, mais évalués avec tout le recul nécessaire. C'est pourquoi il faut apporter une réponse proportionnée et adaptée à ces enjeux, et mettre en oeuvre une régulation politique axée sur la responsabilité personnelle des utilisateurs – qui doivent bénéficier de mesures pédagogiques spécifiques –, ainsi que sur une régulation souple et évolutive introduite par les pouvoirs publics notamment les autorités indépendantes comme la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Sur ce point, notre recommandation n° 11 consiste à inventer les termes d'une régulation politique basée sur les compétences des autorités indépendantes compétentes, mais aussi sur l'expertise d'organisations spécialisées, tel le Conseil national du numérique.

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