Intervention de Laure de La Raudière

Réunion du 10 janvier 2017 à 16h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaure de La Raudière, rapporteure :

Je rebondis sur les propos de ma collègue sur l'impact social de l'internet des objets : si nous avons axé une large partie de notre analyse sur les conséquences économiques des objets connectés, nous voulions également vous rappeler que l'internet des objets dépasse largement les seuls aspects économiques, puisqu'il va conduire à s'interroger sur la place des décisions humaines dans un monde où les objets vont être programmés pour prendre des décisions à la place des hommes.

Le rapport contient de nombreux exemples du potentiel de l'intelligence artificielle dans notre société de demain, par exemple en matière de voiture autonome. Il faudra sans doute, dans les mois à venir, compléter ce rapport par une analyse sociétale et politique de la place de l'homme dans la société numérique de demain. Le transhumanisme semble désormais à nos portes et, même si Mme Corinne Erhel et moi-même appelons à une régulation européenne en la matière afin que la France ne se trouve pas isolée, il nous semble nécessaire que notre pays s'empare de la réflexion sur les enjeux que comportent les immenses potentialités de l'intelligence artificielle.

En matière économique, deux enjeux doivent être présentés en priorité : d'une part, le potentiel de création de valeur des objets connectés, d'autre part, la plus-value que présentent les données collectées par les objets connectés eux-mêmes.

Pour ce qui est du potentiel de création de valeur des objets connectés, les différentes études sur lesquelles nous nous sommes appuyées montrent que l'Union européenne gagnerait jusqu'à 7 points de PIB, soit 1 000 milliards d'euros d'ici à 2025 grâce à l'essor de l'internet des objets. Cette estimation est fondée sur les ventes d'objets connectés – du simple bracelet connecté au compteur électrique intelligent ou au capteur placé sur une chaîne de production –, mais aussi de services fournis via des objets connectés – surveillance, gestion d'équipement à distance, pilotage de lignes industrielles, etc. Mais la création de valeur serait surtout indirecte, sous la forme de gains de temps – par exemple grâce à une meilleure gestion des flux de circulation permettant une réduction des embouteillages – ou de pouvoir d'achat – grâce aux économies d'énergie permises par la domotique ou aux économies de dépenses de santé entraînées par l'utilisation d'appareils de mesure favorisant une médecine plus préventive que curative.

Les acteurs que nous avons rencontrés pendant nos auditions font un constat très largement partagé : si l'internet des objets offre des potentialités inouïes, il n'en est qu'à ses balbutiements. De ce point de vue, notre rapport est d'une nature essentiellement prospective : il vise à faire oeuvre de pédagogie sur les enjeux en matière d'objets connectés.

Un exemple mérite d'être développé, celui de la maintenance prédictive. Les entreprises industrielles mettaient en oeuvre, jusqu'à présent, une maintenance qualifiée de préventive : face aux coûts prohibitifs d'arrêt d'une chaîne de production en cas de panne d'équipements, la maintenance préventive prévoit, en amont et généralement dès la livraison des outils, un plan fixe d'interventions, parfois réalisées de façon superflue lorsque les équipements sont en bon état de marche. Au contraire, la maintenance prédictive s'appuie sur la production de données par les équipements, en temps réel, afin de cibler les besoins de maintenance.

Nous avons ainsi auditionné des représentants de la filiale SNCF Digital, qui a développé une stratégie dite d'« internet des objets industriel ». En plaçant des capteurs sensoriels de mesure de la pression, de température des rails, ou de mouvements de caténaires sur des points stratégiques, et en connectant les trains qui empruntent ces voies, les agents de la SNCF sont en capacité de déterminer, à l'avance, les équipements qui menacent d'être défaillants. Certes, ce programme est loin d'être pleinement opérationnel, comme le montrent les problèmes – notamment dus aux caténaires – actuellement rencontrés sur certaines lignes.

À terme, l'internet des objets devrait permettre une augmentation de la compétitivité de notre industrie, ce qui constitue un enjeu majeur pour l'industrie du futur et pour la réindustrialisation de la France, grâce à la maîtrise de la mise en place de la maintenance prédictive, mais aussi grâce à la possibilité de développer une offre qui ne sera plus limitée aux produits industriels, mais étendue aux services.

En matière de création de valeur, les politiques publiques devraient être les prochaines grandes bénéficiaires de l'internet des objets : la ville connectée va permettre de résoudre des problèmes sociaux et environnementaux – lutte contre la pollution, décongestion des villes, gestion des ressources grâce à des réseaux intelligents. Quant aux politiques de santé publique et de protection sociale, elles vont pouvoir se reconfigurer autour des données que les individus mesureront en temps réel et mettront à la disposition des personnes publiques et des professionnels de santé pour analyser et suivre leur état de santé ; cela devrait permettre de mieux anticiper la propagation de maladies et d'encourager la lutte contre les comportements à risques.

Pour ce qui est des données, le rapport d'information sur le développement de l'économie numérique française que Mme Corinne Erhel et moi-même avons rédigé en 2014 imaginait déjà le potentiel du big data, qui commençait à se mettre en place. Dans ce nouveau rapport, nous souhaitons montrer que le potentiel économique et social des données du big data est encore plus important avec le développement exponentiel des objets connectés et alors que nous assistons à un essor exponentiel du volume de données disponibles, mais aussi des services pouvant être fournis sur la base de l'exploitation de ces données – des services dont les consommateurs sont très demandeurs.

Nous nous sommes concentrées sur la façon dont les données des objets connectés pouvaient constituer un levier de réindustrialisation du pays. En effet, la plupart des analyses économiques montrent que l'intégration d'une offre de services dans la production industrielle est le moyen le plus sûr de réindustrialiser de façon opportune le pays. D'une part, les entreprises industrielles vont pouvoir, grâce aux données, bénéficier de substantiels gains de productivité – Airbus a ainsi mis en place des lunettes connectées permettant d'analyser les actions des techniciens pour améliorer leur précision, augmenter leur rapidité d'exécution ou déceler des malfaçons. D'autre part, les données vont permettre de concentrer le modèle économique des industries vers les services, qui sont au coeur de l'industrie du futur.

La vision d'un mode de production où l'industrie et les services sont deux secteurs bien distincts est maintenant dépassée. L'industrie automobile, par exemple, est aujourd'hui confrontée à la menace de voir le marché se détourner de produits sortis d'usine, où les constructeurs restent les grands donneurs d'ordres, pour préférer des « solutions de mobilité » vendues par de grandes entreprises de services comme Google, et cherche à adapter en conséquence son offre de services aux consommateurs.

Ce recentrage de la valeur économique sur les services suppose que les entreprises industrielles s'approprient les données que leurs objets industriels permettent de collecter, ce qui constitue une véritable révolution culturelle pour les industries françaises. Il s'agit de gérer, à l'aide de capteurs communicants, l'optimisation de l'utilisation du produit, sa logistique et sa maintenance. Il s'agit également, grâce aux données d'utilisation, de mieux connaître les besoins des clients et de s'y adapter, voire d'anticiper leurs demandes.

Sur ce point, nous formulons deux recommandations. L'une consiste à renforcer substantiellement les moyens alloués au plan de l'Industrie du futur dénommé « Économie de la donnée » via le lancement de plusieurs appels à manifestation d'intérêt dans ce domaine. Nous sommes en effet convaincues que la donnée sera, demain, la principale source de valeur économique : la France pourrait, grâce à ses compétences mondialement reconnues dans le domaine des mathématiques et de l'analyse de données, bénéficier d'un avantage concurrentiel durable à l'échelle européenne, voire mondiale.

L'autre recommandation consiste à inciter les universités à développer des formations de sciences de la donnée, aujourd'hui cantonnées aux grandes écoles d'ingénieurs alors qu'elles auraient vocation à être démocratisées sur l'ensemble du territoire, afin de répondre aux besoins futurs des industries.

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