Intervention de Laure de La Raudière

Réunion du 10 janvier 2017 à 16h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaure de La Raudière, rapporteure :

En ce qui concerne les enjeux éthiques, évoqués par la plupart d'entre vous, deux éléments sont à prendre en considération.

Premièrement, les données elles-mêmes. À cet égard, nous avons besoin d'un cadre européen très exigeant. Le marché européen est suffisamment important pour que nous puissions imposer nos normes et nos valeurs aux acteurs étrangers. Mais cela nécessite une diplomatie numérique spécifique et de très haut niveau. En d'autres termes, il faut une prise de conscience de cet enjeu au plus haut niveau de l'État, si nous ne voulons pas perdre de notre souveraineté ou de nos valeurs.

Cette diplomatie doit d'abord s'élaborer au niveau bilatéral, en direction de pays avec lesquels nous sommes très habitués à travailler. La personne qui sera chargée de ce dossier devra être à un très bon niveau dans la hiérarchie des ambassadeurs. Celle qui le fait aujourd'hui est quelqu'un de très bien, mais ce sujet n'est pas la préoccupation première de nos ambassades en Allemagne, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas alors qu'il est essentiel de lui consacrer beaucoup de temps et d'énergie, car il y va de la construction de notre avenir européen. Je suis personnellement favorable à ce que nous placions ces enjeux au coeur du projet européen en réécrivant celui-ci pour l'adapter à l'ère du numérique.

Deuxièmement, l'utilisation des algorithmes d'intelligence artificielle soulève des interrogations. Quelle sera demain la place de l'homme dans la prise de décision ? L'intelligence artificielle est-elle une aide à la décision ou se substitue-t-elle au décideur ?

Sans même qu'il s'agisse d'intelligence artificielle, dès à présent, la majorité d'entre vous s'en remet au GPS pour choisir son itinéraire : vous ne faites plus de vous-mêmes un détour pour voir au passage une église, un monument, un site qui vous intéresse. Mais le GPS ne vous fait-il pas passer par des endroits qui ont fait l'objet d'une négociation avec des partenaires commerciaux ? De telles pratiques ne mériteraient-elles pas d'être encadrées, pour plus de liberté, ou du moins de neutralité des outils que nous utilisons ?

Demain, la question se posera dans des domaines bien plus cruciaux, dont la santé. Nous devons donc mener une réflexion politique sur ces enjeux. Il n'en faut pas moins miser au maximum sur les secteurs dont nous parlons, porteurs de croissance économique et de bénéfices pour la santé. L'utilisation des données collectées – notamment, en France, grâce à la base de la sécurité sociale – pour appuyer la décision du médecin permettra d'améliorer le traitement des patients et de le rendre plus égalitaire, quel que soit l'endroit du territoire où les patients se trouvent : un médecin qui devra soigner un cancer dans une zone reculée aura accès aux mêmes données que l'Institut Gustave-Roussy et pourra pareillement leur appliquer des algorithmes d'intelligence artificielle afin de formuler des préconisations – comme nous le faisons nous-mêmes, à ceci près que notre cerveau ne peut pas ingurgiter le même nombre incalculable de données qu'une intelligence artificielle.

Le problème – cela a été dit – est que les grands acteurs qui se sont positionnés dans ce secteur sont IBM, avec Watson, et Google. Nous devons donc développer et promouvoir une solution européenne en la matière. Nous avons, en France, la capacité et les moyens de le faire. Le problème est réel, mais freiner le développement de l'e-santé et de l'utilisation des données personnelles serait une erreur du point de vue économique comme en ce qui concerne nos citoyens.

Les enjeux de sécurité sont tout aussi réels. Toutefois, je suis assez confiante. Nous n'en sommes qu'à la première phase de développement des objets connectés et le problème est bien identifié ; il sera traité, même s'il ne l'est pas encore. Il est inconcevable que nous nous mettions à utiliser des voitures connectées aussi facilement piratables qu'elles le sont aujourd'hui. Naturellement, il faut alerter à ce sujet l'ensemble des acteurs qui développent des objets connectés.

En ce qui concerne les enjeux de formation, abordés par M. Yves Blein, nous devons créer des formations de code et de développement informatique dans tous les territoires, au nom de l'exigence de transmission des connaissances au plus près de chaque territoire. Je milite donc pour que l'on fonde une école par département, voire par arrondissement dans quelques années. N'existe-t-il pas des écoles d'infirmiers dans chaque arrondissement ou presque ? Le numérique va se généraliser et nous aurons besoin de compétences disponibles partout pour moderniser et numériser l'ensemble de nos PME.

Il faut aussi développer les formations de data scientists, d'analystes de données. Il en existe en France de très bon niveau, mais très peu nombreuses. Il importe de les généraliser, au côté des filières scientifiques, dans toutes les universités de sciences.

Les enjeux pédagogiques concernent aussi la numérisation de nos PME, très en retard sur leurs homologues européennes s'agissant de la prise de conscience de l'importance du numérique pour leur compétitivité, le développement de leur chiffre d'affaires et même, parfois, la survie de leur activité. Nous devons donc fournir des formations aux chefs de PME et de TPE sur la numérisation, l'intégration d'objets connectés au système de production, l'installation de systèmes de domotique par les artisans, sans quoi ces entreprises subiront des pertes d'activité, car les consommateurs vont être demandeurs de ces prestations.

Dans l'agriculture, Madame Marie-Hélène Fabre, la viticulture est sans doute, en effet, la filière la plus avancée dans l'intégration de l'internet des objets et dans la numérisation de l'activité, alors même que les exploitations ne sont pas toujours de grosses entreprises. Mais c'est aussi le cas de l'agriculture en général, comparée à l'artisanat ou au commerce qui concernent des entreprises de taille comparable, des TPE. Les agriculteurs sont depuis longtemps habitués à s'équiper : on voit des robots dans les exploitations d'élevage et, dans les exploitations céréalières, l'utilisation de pluviomètres connectés ou de drones se développe. Ce secteur globalement très dynamique peut servir d'exemple à d'autres secteurs industriels ou artisanaux.

S'agissant enfin du rôle désormais pivot des plateformes dans l'économie évoqué par M. Lionel Tardy, nous pensons qu'il y a une réflexion à mener sur la création de plateformes industrielles collaboratives au niveau européen et qu'une telle démarche mérite d'être encouragée. Si les constructeurs automobiles ne travaillent pas ensemble, la voiture connectée Renault ne parlera qu'à Renault, et non à Peugeot, par exemple. Il faudra aussi associer à cette réflexion les sociétés d'autoroutes et d'autres acteurs du domaine du transport. Le but est d'éviter que, cette fois, les plateformes ne soient préemptées par les géants américains. Ce n'est pas encore le cas dans cette filière, contrairement à ce qui s'est passé pour les moteurs de recherche, les réseaux sociaux ou dans le domaine hôtelier : la bataille n'est pas perdue et nous devons la livrer. Voilà pourquoi nous donnons aujourd'hui l'alarme, afin que ces enjeux soient signalés au plus haut niveau.

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