Intervention de Christophe Premat

Séance en hémicycle du 12 janvier 2017 à 15h00
Respect de l'animal en abattoir — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Premat :

« Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es » : ce célèbre aphorisme de Brillat-Savarin, qui interroge nos origines sociales, notre culture et nos pratiques alimentaires en société, pose la question de notre rapport individuel et collectif à l’alimentation.

Cette relation, voire cette ambivalence, vis-à-vis des aliments est plus forte que jamais. Il en découle un lien de plus en plus problématique et complexe à la nourriture, qui s’explique sans doute par l’abandon des normes et des valeurs collectives issues du milieu social d’origine au profit de valeurs individuelles. Le mode d’alimentation et les choix symboliques et affectifs qu’il implique sont, comme nombre de nos comportements sociaux et sociétaux, en libre-service. Dans son livre Les Radis d’Ouzbékistan. Tour du monde des habitudes alimentaires, le géographe Gilles Fumey montre que notre assiette s’est mondialisée, mais que de plus en plus de contestations touchent au comportement alimentaire. Si bien qu’en choisissant nos aliments et la façon dont nous les consommons, nous devons répondre aux interrogations : « Qui suis-je ? » et « Qu’ai-je envie de devenir ? »

Nous souhaitons promouvoir un label pour la viande afin de soutenir l’exportation de cette filière mais, dans le même temps, nous ne sommes pas à l’abri d’un scandale qui porte atteinte à l’ensemble de la filière. Depuis le 1er janvier 2017, l’étiquetage de l’origine des viandes dans les plats préparés, du lait dans les produits laitiers, dans les bouteilles et les briques de lait est devenu obligatoire. Cette mesure est mise en place à titre expérimental pour deux ans, à la suite des discussions que le ministre de l’agriculture a conduites avec succès avec la Commission européenne.

Tout au long de ce quinquennat, une politique volontariste a été menée pour rapprocher les producteurs des consommateurs. À cette même date l’an dernier, nous nous félicitions d’avoir adopté une proposition de loi sur les circuits alimentaires courts. Nos concitoyens ne savent plus vraiment comment la viande est conçue et ils sont de plus en plus sensibles au bien-être des animaux d’élevage et ce, à tous les stades de la filière, qu’il s’agisse de l’élevage, du transport ou, évidemment, de l’abattage.

Alors que Fernand Braudel montrait dans L’Identité de la France que l’évolution française a longtemps reposé sur une diversité agricole et sur l’élevage, le secteur dit « primaire » a quasiment disparu de nos sociétés, cédant le pas à une industrie agroalimentaire. Souvenons-nous que le ministre de l’agriculture, comme d’autres avant lui, à l’image de Jean Glavany, n’a pas ménagé sa peine lorsque les crises agricoles sont survenues ces dernières années.

Cette exigence de respect du bien-être animal dans la production des denrées alimentaires se traduit aussi bien par un engagement citoyen plus fort – nous avons pu le constater ces dernières années au travers des nombreux ouvrages, documentaires et reportages sur la question – que par des comportements de consommation qui évoluent à mesure que les modes de production semblent nous échapper. Nous ne sommes pas loin de toucher au débat philosophique de l’animalité, celui d’un droit des animaux avec une humanité élargie, parce que solidaire. Il s’agit de respecter l’écosystème qui est le socle de notre « Terre-matrie », comme le dirait le sociologue Edgar Morin.

Il s’agit non pas de glisser vers ce débat, mais de souligner que l’éthique intervient dans la normalisation d’un comportement alimentaire. Il s’agit de respecter la mort de l’animal, de lui éviter des souffrances inutiles et de ne pas se livrer à un massacre, ainsi que l’ont révélé les vidéos. Il est évident que nos modes de vie au sein d’une surconsommation n’en sortent pas indemnes ; la remise en question doit être possible.

S’agissant de la production de viande, la situation des abattoirs français a été dénoncée par des associations de protection animale qui, en médiatisant les atteintes au bien-être animal, ont joué le rôle de lanceurs d’alerte auprès de l’opinion publique. Cette proposition de loi répond à ces préoccupations.

Permettez-moi de saluer, dans un premier temps, le travail mené par Jean-Yves Caullet et Olivier Falorni, ainsi que par l’ensemble des collègues qui ont participé à l’élaboration du rapport de la commission d’enquête sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français.

Ce texte reprend certaines des propositions de la commission d’enquête. Je pense bien sûr à la mise en place du Comité national d’éthique des abattoirs, qui sera chargé d’assurer le suivi des règles et de proposer des évolutions. Ce besoin fondamental de transparence doit évidemment associer l’ensemble des acteurs concernés : éleveurs, associations de protection animale, vétérinaires, chercheurs, représentants des cultes, élus et, tout naturellement, les représentants des associations de consommateurs.

Deux amendements adoptés en commission permettent de renforcer les sanctions prévues contre la maltraitance animale dans les lieux de commerce en lien avec les animaux de compagnie, les fourrières, refuges ou élevages ainsi que dans les abattoirs et lors des transports d’animaux.

Monsieur le ministre, chers collègues, je conclurai mon propos en évoquant à nouveau Brillat-Savarin, pour qui la destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent. Si, comme nous nous en persuadons aujourd’hui, nous sommes ce que nous décidons d’être, totalement responsables de nous-mêmes et du bien-être animal, il nous faut alors produire notre alimentation de façon adéquate.

Le repas à la française fait partie du patrimoine de l’UNESCO. Faisons en sorte que les circuits alimentaires ne soient entachés d’aucun acte barbare. Les travaux de Catherine Rémy, qui a publié Des Bêtes et des Tueurs. Ethnographies de la mise à mort des animaux, mettent en évidence une autre problématique, celle du partage des rôles entre tueurs et non-tueurs. Comment insensibiliser la mort de l’animal, comment éviter une mort mécanisée, elle-même insupportable ?

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