Vous me remerciez d'avoir accepté de venir : mais sur des sujets tels que ceux-ci, je suis à l'entière disposition du Parlement. Et ce d'autant plus que je ne viens pas seulement pour vous informer, mais aussi pour rechercher votre soutien afin que nous puissions faire bouger les choses au niveau européen plus rapidement grâce à vos contacts avec les autres parlements nationaux et le Parlement européen.
J'ai pris mes fonctions le 6 décembre et me suis rendu à Bruxelles le 9 décembre pour le Conseil JAI. La présidence slovaque se terminant et la présidence maltaise commençant, dans quelques jours se tiendra un sommet informel pour essayer d'avancer, car aucun des sujets que vous venez d'évoquer n'est aujourd'hui totalement réglé. J'ai l'intention de trouver des éléments de coalition avec d'autres pays européens afin de progresser le plus rapidement possible.
Chaque pays doit décider d'aller vite car il y va de notre capacité de résistance à ceux qui veulent nous attaquer. Beaucoup des projets que je vais aborder sont des projets de structuration de notre capacité de résistance, et en particulier des mesures visant à nous protéger contre les actes terroristes, sur lesquels j'observe parfois un trop grand attentisme de la part de ceux qui ne se rendent pas compte que n'importe qui peut être frappé. C'est l'Europe qui est touchée, et pas seulement elle, d'ailleurs : la Turquie est régulièrement frappée, et Daech vise explicitement d'autres pays, la Russie ou l'Iran, dans ses dernières publications. Mais ce n'est pas parce que le champ s'élargit et que les autres sont visés que nous serions protégés : la menace est toujours particulièrement forte sur la France et l'Europe, et elle appelle des réponses adaptées.
En partageant avec vous la volonté du Gouvernement, je ferai bien attention de distinguer le sujet des migrations et celui de la lutte contre le terrorisme, même s'ils doivent tous les deux être appréhendés sous le prisme du contrôle.
S'agissant des migrations, nous sommes aujourd'hui soumis à des mouvements d'une ampleur sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 2015, plus d'un million de personnes sont entrées dans l'espace Schengen, fuyant la guerre, la violence et les persécutions dans leurs pays d'origine, notamment la Syrie et l'Irak, tandis que d'autres fuient la misère, en provenance de pays pourtant considérés comme des pays sûrs. Le traitement des cas de ces derniers doit être rapide car ils ne sauraient mobiliser les moyens que nous mettons en oeuvre pour venir en aide et mettre à l'abri les réfugiés fuyant les théâtres de guerre où leur vie est en danger.
Nous vivons des temps historiques qui exigent fermeté dans l'action et responsabilité dans la décision, ainsi qu'une solidarité européenne, alors que l'Europe manque de solidarité en la matière. C'est pourquoi la France continuera de se battre pour mobiliser l'ensemble de nos partenaires sur les défis que je viens d'évoquer. Depuis dix-huit mois, des avancées significatives ont eu lieu, la notion d'urgence a finalement été intégrée par l'Europe : je rends à cet égard hommage à l'action et au volontarisme de mon prédécesseur Bernard Cazeneuve.
La première urgence martelée au Conseil du 9 décembre dernier a été la sécurisation effective des frontières extérieures de l'Union européenne. C'est un objectif qu'il est absolument indispensable d'atteindre, à la fois pour mieux nous protéger de la menace terroriste et mieux maîtriser les effets de la crise migratoire. Toutefois, au-delà de l'urgence, hors même la situation que nous connaissons, le contrôle des frontières est un enjeu crucial pour un continent qui souhaite être identifié en tant que tel : quand il n'y a pas de frontières, il n'y a pas de continent ni d'identité qui puisse se développer sur ces espaces. Cette question, qui doit être réglée dans l'urgence face aux flux migratoires et à la menace terroriste, aurait dû être prise à bras-le-corps par l'Europe bien avant. Une partie du problème qui se pose aujourd'hui aux Européens vient du manque de frontières pour leur continent et de la façon dont ils le perçoivent.
C'est à condition de rétablir des frontières extérieures que nous serons en mesure de rétablir à terme un espace de libre circulation des personnes, l'un des principaux acquis de la construction européenne, aujourd'hui remis en cause par une partie de nos opinions publiques. La liberté de circuler ne peut exister pleinement que dans un espace de sécurité. Sans espace de sécurité, il y aura toujours la nécessité et l'envie de restreindre la liberté de circulation.
À cet égard, plusieurs mesures essentielles ont été prises. En avril dernier, nous avons abouti à un accord afin d'adopter la directive établissant un registre d'enregistrement des noms des passagers des compagnies aériennes : le Passenger name record (PNR) européen. Un esprit constructif, même s'il a été tardif, a prévalu entre les États membres, et je m'en réjouis, pour que puisse être adoptée cette mesure importante qui contribuera à renforcer significativement la sécurité de nos frontières aériennes.
L'Europe doit désormais redoubler d'efforts pour que cette directive trouve une traduction concrète dans chaque État membre. La France, comme vous le savez, est entièrement mobilisée en ce sens. Nous pouvons nous féliciter de faire partie des rares États membres à avoir anticipé l'entrée en vigueur de la directive en lançant, dès janvier 2016, un PNR français. Notre unité d'information sur les passagers est en phase de déploiement et sera très prochainement pleinement opérationnelle. De plus, nous avons décidé d'affirmer notre ambition en appliquant toutes les clauses facultatives de la directive et en y intégrant les vols intra-européens ainsi que les vols charters. Je vais moi-même continuer à sensibiliser nos partenaires et à les encourager à faire preuve du même esprit de responsabilité en respectant l'intégralité de leurs engagements.
Pour sécuriser nos frontières extérieures, nous avons obtenu un autre résultat majeur avec l'adoption du règlement qui a fait de l'agence FRONTEX une agence rénovée et renforcée des gardes-frontières et gardes-côtes européens. C'est là une évolution qui répondait à une demande que la France défendait depuis longtemps au sein du Conseil. FRONTEX est ainsi dotée de moyens humains et financiers supplémentaires. Je pense notamment à la réserve permanente de 1 500 agents mobilisable à tout moment, à laquelle la France contribuera à hauteur de 170 effectifs. Ce résultat concret, obtenu en un temps record – six mois –, est bien la preuve que l'Europe est capable de se mobiliser dès lors que sa sécurité et celle de ses citoyens sont en jeu.
Une autre étape importante a été franchie au début du mois de décembre avec la révision du code frontières Schengen afin d'instaurer des contrôles systématiques aux frontières extérieures de l'Europe. Pour la France, il s'agissait, et il s'agit toujours, d'une priorité absolue au regard du niveau de la menace pesant sur notre territoire.
Comme vous le savez, cette situation nous a conduits, il y a maintenant plus d'un an, à rétablir les contrôles à nos frontières Intérieures. C'est là une mesure indispensable dans le contexte actuel et nous la maintiendrons aussi longtemps que la situation sécuritaire le justifiera. Nous approchons aujourd'hui 86 millions de contrôles opérés depuis novembre 2015 à nos frontières intérieures, avec quelque 62 000 non-admissions ; ces chiffres n'incluent pas les démantèlements de filières de passeurs, qui font l'objet d'une comptabilité à part.
D'autres États membres, l'Allemagne, l'Autriche, la Slovaquie, la Suède et le Danemark, ont dû prendre les mêmes mesures pour essayer de se protéger.
Néanmoins, à moyen terme, nous devrons être en mesure de garantir à nouveau pleinement la libre circulation des personnes à l'Intérieur de l'espace Schengen, en dépit du contexte migratoire. À cet égard, les contrôles systématiques aux frontières extérieures constituent l'une des conditions nécessaires d'un tel rétablissement.
À la demande de la France, la Commission européenne a soumis au Conseil européen du 18 novembre, une proposition de règlement établissant un système européen d'information et d'autorisation des voyageurs exemptés de visas, l'ETIAS, sur le modèle de l'ESTA (Electronic System for Travel Authorization) américain. Ce dispositif permet d'enregistrer les voyageurs dispensés de visas en amont de leur départ, afin de s'assurer qu'ils remplissent toutes les conditions requises pour se rendre sur le territoire de l'Union européenne et notamment qu'ils ne représentent pas une menace pour la sécurité collective. Nous veillerons à ce que cette proposition aboutisse le plus rapidement possible.
Dans ce contexte, le renforcement des systèmes d'information et des bases de données visant à accroître la sécurité des frontières constitue un autre chantier indispensable pour compléter les mesures de sécurisation des frontières extérieures. L'objectif est d'assurer une totale interopérabilité entre les systèmes d'information chaque fois qu'un agent aura besoin de consulter une base de données. Nous continuerons donc de soutenir l'avancée des travaux du Groupe des experts à haut niveau (High Level Expert Group, HLEG), mis en place à cet effet par le Conseil, afin d'aboutir à des résultats ambitieux, au plus tard au début du second semestre 2017.
Enfin, un accord politique a été trouvé, à la fin du mois de décembre, sur la révision de la directive « armes à feu ». Les négociations, bien que longues et difficiles, nous ont permis d'aboutir à un accord qui correspond dans l'ensemble aux positions de la France. L'objectif est de réduire le plus rapidement possible les sources de trafic et de limiter l'accès aux armes les plus dangereuses. Il permettra également d'assurer une meilleure traçabilité de l'ensemble des armes – dans le temps et sur l'ensemble du territoire européen – pour toutes les autorités administratives et judiciaires compétentes. Je me félicite de cette avancée majeure.
D'autres chantiers, tout aussi prioritaires, sont en cours et nous occuperont dans les semaines et les mois qui viennent. Ils seront évidemment repris par la nouvelle présidence maltaise, avec laquelle nous travaillons étroitement.
Pour compléter notre dispositif de sécurisation des frontières extérieures, nous demandons ainsi la révision du futur règlement établissant un système d'enregistrement des entrées et des sorties (EES) aux frontières extérieures de l'Union européenne. La France est très attachée à ce que des objectifs ambitieux soient assignés à ce système pour qu'il soit totalement efficace ; or le texte en fin de négociation ne répond toujours pas à nos attentes. C'est pourquoi je continuerai à plaider pour l'intégration dans l'EES des ressortissants européens et des ressortissants de pays tiers en long séjour dans l'Union européenne. Nous ne pouvons pas nous contenter d'enregistrer les franchissements des ressortissants de pays tiers en court séjour. Il faut garder la mémoire de tous les mouvements ; les contrôles ne remplacent pas cet enregistrement.
Par ailleurs, la question du chiffrement est plus que jamais d'actualité dans le cadre d'enquêtes judiciaires portant sur des faits de terrorisme. Nous sommes actuellement dans une situation de blocage en ce qui concerne le déchiffrement des contenus en ligne, et ce n'est pas acceptable. Nous avons donc lancé avec l'Allemagne une initiative pour demander à la Commission européenne de faire une proposition législative. L'idée est de soumettre les opérateurs de services de communications électroniques aux mêmes obligations que les opérateurs téléphoniques. D'autres États membres sont prêts à y réfléchir avec nous ; une réunion aura lieu avec la Commission dès janvier. Je tiens toutefois à vous assurer que je veillerai à ce que la garantie du droit à la vie privée numérique de chacun des citoyens soit respectée. Mais aujourd'hui, ceux qui veulent commettre des crimes sur notre continent utilisent des messageries comme Telegram auxquelles on nous refuse l'accès : il n'est pas acceptable qu'il soit possible d'utiliser ces canaux pour, par exemple, donner des ordres pour attaquer nos pays ! Nous ne rognons aucune liberté individuelle en exigeant des conventions avec les opérateurs.
Notre seconde priorité réside dans la mise en oeuvre des mesures adoptées afin d'apporter une réponse efficace et coordonnée à la crise migratoire.
La France est le premier pays d'accueil des demandeurs d'asile au titre du programme européen de relocalisation. À ce jour, nous avons ainsi accueilli, depuis la Grèce et l'Italie, 2 696 personnes en besoin de protection, dont 1 911 Syriens. Cela représente plus de 30 % de l'effort européen. Chaque mois, nous notifions à la Grèce et à l'Italie que nous sommes en mesure d'accueillir 400 personnes supplémentaires. Ce processus va donc se poursuivre. La France tient ses engagements.
De même, dans le cadre du programme de réinstallation, nous avons, à ce jour, accueilli sur notre sol, en lien avec le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), un peu plus de 3 000 Syriens, depuis le Liban, la Jordanie et la Turquie. Là aussi, nous allons continuer notre effort pour respecter nos engagements.
Par conséquent, au titre de la relocalisation et de la réinstallation, nous avons d'ores et déjà accueilli 5 700 personnes fuyant la guerre civile en Syrie et la barbarie de Daech.
Par-delà cet effort de solidarité européenne, la France a également souhaité tenir compte du contexte de crise migratoire en matière de libéralisation des visas vers l'espace Schengen. Afin d'éviter que l'espace de libre circulation ne soit fragilisé, nous avons en effet travaillé, en étroite concertation avec l'Allemagne, pour encadrer le processus par une clause de sauvegarde permettant de suspendre, sous certaines conditions, la libéralisation des visas. Un accord est intervenu le 8 décembre entre le Conseil et le Parlement européen ; il est, pour l'essentiel, très proche des demandes que nous avions formulées et renforce considérablement l'actuel mécanisme de sauvegarde, lequel, datant de 2013, a démontré son inefficacité dans la période actuelle.
La clause de sauvegarde pourra ainsi être déclenchée plus rapidement, tandis que les modalités et les critères justifiant son déclenchement sont assouplis et étendus. Cette mesure constitue donc un outil dissuasif plus efficace pour lutter contre les abus liés aux libéralisations, notamment celles qui vont concerner la Géorgie et l'Ukraine.
Toutes ces mesures constituent de véritables progrès, mais sont encore, j'en suis bien conscient, loin d'être suffisantes dans le contexte que nous connaissons. Nous devons aujourd'hui aller plus loin.
Je pense au paquet législatif en matière d'asile qu'a présenté la Commission et dont la France soutient les grandes lignes. Cette réforme d'ensemble doit nous permettre d'accroître l'efficacité et la convergence des systèmes nationaux d'asile, de lutter plus efficacement contre les mouvements secondaires et d'assurer une gestion équilibrée des flux de demandeurs d'asile au sein de l'Union.
La refonte du règlement « Dublin III » constitue le point le plus délicat de nos discussions. Elle soulève une question politique majeure : quel degré de solidarité les États membres de l'Union européenne sont-ils prêts à accepter en matière de gestion des flux migratoires ? La France défend une position ferme et équilibrée, qui repose sur les principes de responsabilité et de solidarité.
La responsabilité, c'est celle des pays de première entrée, chargés de la gestion des frontières extérieures de l'UE : il leur incombe, avec le total soutien des autres États membres et des agences compétentes de l'Union européenne, d'en assurer la sécurisation pleine et entière, mais aussi de moderniser leurs propres systèmes de traitement de la demande d'asile et de faire en sorte que les migrants qui ne peuvent accéder à l'asile en Europe fassent l'objet de mesures de retour systématiques. C'est donc au nom de ce principe de responsabilité que la France s'oppose à tout mécanisme de relocalisation automatique et permanente des demandeurs d'asile, dans la mesure où une telle mesure aurait des effets inverses de ceux que nous recherchons en encourageant les États de première entrée à ne pas prendre les mesures qui s'imposent et que je viens d'évoquer.
Par ailleurs, la solidarité, c'est celle qui doit s'appliquer entre tous les États membres de façon équitable. Il n'est pas acceptable que certains États s'en dispensent unilatéralement en dressant des murs à leurs frontières. C'est là une question de justice élémentaire : chacun doit assumer sa participation aux mécanismes de solidarité de l'Union européenne, avec les coûts et les bénéfices que cela implique. C'est là également un devoir moral et humanitaire face à la détresse des personnes en besoin de protection qui fuient la guerre et la barbarie pour trouver la paix et la sécurité sur le territoire européen. Voilà pourquoi la France considère que tout mécanisme de relocalisation des migrants en cas de crise devra jouer de façon obligatoire pour tous les pays de l'Union, sauf circonstances exceptionnelles dûment justifiées.
Parallèlement, nous devons continuer à oeuvrer pour que la crise migratoire soit traitée à sa source, c'est-à-dire dans les pays d'origine et de transit des migrants. C'est là tout le sens du dispositif des pactes migratoires que la France soutient pleinement.
Hier encore mon homologue espagnol et moi-même discutions de nos contacts en Afrique : je me félicite pour ma part de la relation que nous avons su nouer avec le Niger, lui de sa relation avec le Sénégal. Je suis en revanche mécontent de la tournure de notre travail avec le Mali pour prévenir et contrôler les départs. Dans ce domaine, une évaluation quotidienne est nécessaire, et l'attention doit être sans relâche.
La France demeurera donc extrêmement vigilante quant à la bonne mise en oeuvre de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie. Cet accord a permis une inflexion très sensible des entrées en Méditerranée orientale ; c'est pourquoi nous continuerons de défendre son application. Cela n'empêche certes pas de faire preuve de la plus grande vigilance par rapport à l'évolution de la situation intérieure en Turquie.
Je suis prêt à répondre à toutes vos questions.