Intervention de Bruno le Roux

Réunion du 11 janvier 2017 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Bruno le Roux, ministre de l'Intérieur :

Je vous remercie. Mesdames, messieurs les députés, je constate que vos questions excèdent très largement le Conseil « Justice et affaires Intérieures ». N'étant pas ministre des affaires étrangères, je me garderai d'aller sur un terrain qui n'est pas le mien. Je vais cependant m'efforcer de vous répondre, sachant que, si j'élude certains points, nous vous transmettrons les éléments correspondants par écrit.

Tout d'abord, je crois, comme Pierre Lequiller, que, sur les questions qui relèvent d'une action européenne, il nous faut bâtir des coalitions pour avancer rapidement. Ainsi, dès le 6 décembre dernier, j'ai rencontré mon homologue allemand Thomas de Maizière avec Bernard Cazeneuve, car ce dernier avait souhaité, dès sa nomination au poste de Premier ministre, que nous organisions ensemble la transition afin d'assurer une continuité dans le suivi des dossiers. Je me suis rendu à Berlin une dizaine de jours plus tard, quelques heures avant l'attentat du 19 décembre, pour discuter avec mon homologue allemand. Il se trouve en effet que nous avons, l'un et l'autre, de nombreuses préoccupations communes, mais qu'il a parfois quelques difficultés à se faire entendre par l'autre partie de la coalition à laquelle il appartient, qui est composée de personnes qui peuvent être mes amis… Nous avons donc étudié la manière dont nous pouvions débloquer un certain nombre de choses, notamment par l'action politique que je peux mener auprès de mes amis allemands. C'est d'une importance capitale. J'ai également rencontré, il y a quelques jours, le ministre de l'Intérieur espagnol, à qui j'ai demandé de participer à la coalition que nous voulons mettre sur pied avec l'Allemagne pour faire avancer, au plan européen, des dossiers dramatiquement importants. De fait, si nous ne nous donnons pas la peine d'organiser, entre chaque Conseil, des rencontres bilatérales, ces dossiers ne pourront pas avancer rapidement. Je consacre donc une partie de mon temps à discuter avec mes homologues européens, à les rencontrer lorsque cela est possible, pour les convaincre que les Conseils doivent être, non pas une succession de réunions qui apparaissent comme autant de jeux de rôles, mais l'occasion d'entériner très précisément des avancées concrètes. Si nous n'agissions pas de la sorte, nous ne serions pas à la hauteur de ce qu'exige la situation actuelle de l'Europe. L'Allemagne et la France jouent bien entendu un rôle d'entraînement, mais nous nous efforçons de créer des coalitions avec d'autres gouvernements : je pense en particulier à l'Italie et à l'Espagne, dont nous sommes les plus proches sur bien des aspects de nos politiques.

J'en viens à la question des personnes, françaises ou vivant en France, parties combattre en Irak et en Syrie. Le nombre de ces personnes est actuellement supérieur à 800, dont des femmes et des mineurs combattants, le nombre de ces derniers étant évalué à une vingtaine. Se pose donc le problème du retour de ceux qui décident de rentrer en France, qu'ils estiment – ou prétendent – s'être trompés et veuillent fuir ou qu'ils aient l'intention de commettre sur notre sol les attentats dont ils ont appris les techniques dans des camps d'entraînement. Nous avons, avec nos partenaires et leurs services de renseignement, des échanges d'informations qui doivent nous permettre d'identifier très précisément chacun de ces individus sur zone et de comptabiliser les combattants, ceux qui sont sur le retour et ceux qui meurent sur place – ils sont un certain nombre. Nous avons d'ailleurs parfois des surprises dans ce domaine, car les informations que nous donnent les services ne sont pas toujours avérées. Ainsi, nous ne considérons pas que tous ceux dont on nous annonce qu'ils sont décédés sur zone le sont véritablement ; un certain nombre de cas nous ont donné raison sur ce point.

Toujours est-il que ces personnes font l'objet d'un suivi de nos services de renseignement et d'une prise en charge judiciaire dès leur arrivée en France. Chaque semaine, nous assistons à des retours, opérés le plus souvent via des pays tiers, et je suis régulièrement tenu informé des procédures judiciaires dont les personnes concernées vont faire l'objet. Nous avons pour objectif un suivi total de ceux qui sont sur zone.

En ce qui concerne la situation particulière des mineurs – qui fera l'objet d'une réunion d'une partie du Gouvernement et dont je discuterai avec mes homologues européens – il sera sans doute nécessaire de mener une réflexion sur l'adaptation de notre droit. Un film de propagande de Daech circule actuellement dans lequel apparaissent une dizaine de combattants, tous mineurs et très certainement âgés de moins de treize ans. Aucun d'entre eux n'est Français ou n'avait résidé sur le territoire national, mais ce fut le cas d'autres mineurs combattants. Or, dans l'état actuel de notre droit, ces jeunes sont pénalement irresponsables. Ils ont pourtant appris toutes les techniques de combat. Nous devons donc mener une réflexion sur l'adaptation de notre appareil législatif et, plus largement, sur la prise en charge globale de ces mineurs, car nous serons immanquablement confrontés, dans les prochains mois ou les prochaines années, à cette situation particulièrement préoccupante.

Pour ce qui est des combattants étrangers, qu'il s'agisse du renforcement des échanges et du partage des bonnes pratiques entre États membres, du dialogue entre l'Union européenne et les pays tiers – Turquie, Irak, Liban, Jordanie, Tunisie et pays des Balkans occidentaux – pour améliorer le suivi et bâtir un discours de contre-terrorisme, je suis à la disposition des différentes commissions si celles-ci souhaitent aborder ces sujets de façon spécifique.

J'en viens à la question européenne et à la situation « post-Berlin ». Nous avons renforcé l'ensemble des contrôles aux frontières entre le 19 décembre et le moment où l'auteur de l'attentat a été mis hors d'état de nuire en Italie. Le trajet de celui-ci reste à établir précisément, mais nous connaissons d'ores et déjà certains des endroits par lesquels il est passé pour se rendre de Berlin en Italie. Cela soulève la question du contrôle des flux terrestres dans de telles circonstances, car ce n'est pas la première fois que des cars sont utilisés pour traverser les frontières. L'expérience doit donc nous conduire à prendre des mesures nouvelles, dans l'hypothèse où une personne serait inscrite, en période d'alerte, sur le fichier européen des personnes recherchées du Système d'information Schengen (SIS). Là encore, des évolutions de notre droit seront très certainement nécessaires. J'ai souhaité, par exemple, que l'on étudie les conditions dans lesquelles les caméras de vidéosurveillance installées dans les gares, notamment aux guichets, pourraient être couplées à des logiciels de reconnaissance et à la photo de la personne recherchée ; or cette seule mesure exige que nous soyons prudents sur le plan législatif. En tout état de cause, lorsque l'on soupçonne l'auteur d'un acte terroriste de vouloir s'échapper du pays où cet acte a été commis, les moyens, notamment de vidéosurveillance, dont sont équipés les lieux où sont délivrés des titres de transport doivent nous aider à rechercher le suspect. C'est un objectif que nous devons poursuivre et il nous faut donc étudier les bases légales qui permettront de l'atteindre.

À Jean-Pierre Decool qui pose toujours les questions de manière limpide, j'apporterai une réponse plus précise sur l'engorgement du camp de Grande-Synthe qui compte aujourd'hui plus d'un millier d'hommes et de femmes en situation d'attente. Là comme ailleurs, il nous faut traiter individuellement chacun des cas. Aujourd'hui, nous devons résoudre des problèmes de transfert vers des centres d'accueil et d'orientation et de prise en charge de ceux qui sont présents. J'ai l'espoir, avec des moyens supplémentaires, de pouvoir amorcer le plus rapidement possible le désengorgement du camp de Grande-Synthe. J'aurai l'occasion de revenir sur cette question et de vous préciser les moyens que j'entends mobiliser pour parvenir à cette fin.

Je rencontrerai M. Julian King le 20 janvier pour évoquer les différents sujets sur lesquels il peut être d'un soutien précieux. Évidemment, compte tenu des décisions prises par le Royaume-Uni en ce qui concerne son appartenance à l'Union européenne, nous nous demandons toujours si nous allons encore travailler longtemps ensemble… Mais je vais faire comme si j'allais travailler longtemps avec lui et il fera de même, ce qui nous permettra de nous abstraire de tout calendrier.

Concernant le Mali, je sais, monsieur Loncle, que vos contacts avec ce pays ami sont très réguliers. Au mois de décembre a eu lieu à Paris une mission d'identification, financée par FRONTEX. Sur les 22 étrangers rencontrés, neuf ont été reconnus comme Maliens – ce sont des petits chiffres mais qui permettent de vérifier si les choses fonctionnent. Pourtant, aucun laissez-passer consulaire n'a été délivré. Il n'y a plus de délivrance de laissez-passer aujourd'hui ; il n'y a d'ailleurs plus de consul général du Mali à Paris, ce qui pose un problème dans la situation actuelle. Les discussions européennes sur place sont bloquées. J'espère que les contacts qui pourront être noués à l'occasion du sommet Afrique-France de Bamako vont permettre d'avancer. Je vois un grand intérêt à renouer une relation de confiance. Pendant que nous ne discutons plus et que nous ne reconduisons plus, les problèmes continuent à s'accumuler et je ne peux m'en satisfaire.

Madame Chantal Guittet, l'action de FRONTEX s'inscrit bien entendu dans le cadre des règles européennes, notamment de la liste des pays sûrs qui est établie par l'Union européenne. FRONTEX n'a pas à se substituer aux États européens pour prendre les décisions mais à faire en sorte que les ressortissants de pays sûrs puissent être débarqués, lorsqu'ils sont identifiés, dans les ports pour permettre leur reconduite dans leur pays d'origine. FRONTEX a aussi un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre les réseaux de passeurs, là aussi dans le respect du droit existant.

J'accepte volontiers de débattre avec François Fillon des quotas. Le quota de 200 000 étrangers qu'il propose correspond peu ou prou au nombre d'étrangers entrant dans notre pays chaque année... La campagne électorale sera l'occasion de préciser les modalités de ces quotas auxquels je ne suis pas favorable. Toutefois, il me semble important d'assurer la plus grande transparence sur les chiffres. Dans quelques jours, la direction générale des étrangers en France rendra publiques les statistiques pour 2016 de l'immigration, de l'asile et de l'acquisition de la nationalité française. Je suis à la disposition du Parlement pour venir m'expliquer sur ces chiffres et sur la politique que le Gouvernement entend mener en 2017.

S'agissant du Maroc, du Sénégal et de l'Espagne, nous avons décidé, avec le ministre de l'Intérieur espagnol, de nous rendre tous deux en Afrique pour montrer la volonté de plusieurs pays européens d'agir ensemble. J'ai retenu de notre discussion que la relation dépassait largement la question potentiellement conflictuelle de l'immigration pour englober les dimensions économiques et diplomatiques permettant ainsi d'aboutir à des procédures plus fluides, reposant sur une confiance très forte, voire absolue entre ces pays. Je crois que nous devons nous inspirer de ce modèle.

Pour ce qui est des mineurs isolés, je préférerais consacrer une séance spécifique devant les commissions à cette question particulièrement lourde. En outre, je dois dans quelques minutes m'entretenir avec Mme Amber Rudd, la secrétaire d'État à l'Intérieur britannique, au sujet précisément des mineurs isolés qui souhaitent rejoindre l'Angleterre et qui en sont pour l'instant empêchés. Je ne voudrais pas rater ce rendez-vous…

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