Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du 18 janvier 2017 à 21h30
Lutte contre l'accaparement des terres agricoles et développement du biocontrôle — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier, rapporteur de la commission des affaires économiques :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, chers collègues, nous sommes réunis pour examiner une proposition de loi qui traite des deux sujets de la promotion de l’agroécologie et de la maîtrise du foncier agricole dans notre pays, deux combats qui nous tiennent à coeur.

Vous connaissez tous le parcours législatif des dispositions en question. Il s’agit tout d’abord de donner réellement leur chance aux certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques – CEPP – en renforçant leur sécurité juridique. Le Gouvernement a déposé un amendement pour donner un coup d’accélérateur à l’agroécologie et confirmer ainsi une dynamique déjà bien enclenchée sur notre territoire, sur laquelle le consensus est quasi acquis. L’annulation par le Conseil d’État de l’ordonnance établissant le dispositif expérimental de ces certificats m’apparaît surtout comme un accident juridique, un malentendu. Nous allons aujourd’hui inscrire dans la loi ces certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques, qui seront l’un des principaux leviers du plan Ecophyto 2.

Par ailleurs, nous reviendrons sur des dispositions foncières, largement développées et débattues au cours de l’examen de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin II. Nous pourrons donc économiser nos paroles, d’autant que la commission des affaires économiques avait introduit, au cours de l’examen de ce texte, des dispositions relatives au foncier qui complétaient utilement celles inscrites dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, adoptée en 2014.

Le Conseil constitutionnel, saisi par des sénateurs du groupe Les Républicains, a considéré que ces dispositions étaient des cavaliers législatifs. Dont acte. Nous les avons donc reprises au travers de cette proposition de loi. J’en rappelle brièvement la philosophie : renforcer le pouvoir des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les SAFER, afin d’instaurer une meilleure transparence des acquisitions foncières et leur permettre d’exercer complètement le contrôle des transactions. Nous voulons étendre à toutes les cessions de parts de société, y compris partielles, les dispositifs de contrôle, de transparence et d’intervention publique qui existent pour d’autres sociétés agricoles, comme les groupements fonciers agricoles, ou les propriétaires exploitants en nom individuel. Il s’agit de sortir de la logique du deux poids deux mesures afin de soumettre l’ensemble des opérateurs sur le marché foncier aux mêmes règles de contrôle et aux mêmes limites, en vue de maintenir la régulation du foncier.

Nous tenons là notre dernière chance de faire aboutir deux dispositions, débattues et adoptées à une très large majorité, comme les mesures du volet économique de la loi Sapin II, qui avaient fait la quasi-unanimité sur nos rangs. Je pense à la régulation du marché laitier, aux dispositions relatives à l’éthique et à un nouvel équilibre dans les filières. À force de médiation et de dialogue au sein du groupe majoritaire, avec l’opposition, avec le Sénat, nous avions réussi, comme nous y étions parvenus pour sauvegarder le statut des artisans, à faire reculer la tentation libérale et à obtenir un accord qui a permis à la commission mixte paritaire réunie sur ce texte d’aboutir partiellement.

Les sujets qui nous occupent ce soir ont rassemblé sur tous les bancs. C’est le cas sur l’agroécologie. Le dialogue avec la profession, même s’il fut parfois vif, a permis d’amender le projet initial du Gouvernement. Fruit d’un dialogue avec toutes les parties prenantes, le CEPP, tel que prévu dans l’amendement déposé par le Gouvernement, recueille un très large consensus au sein de la profession, ce qui n’allait pas de soi. Encore fallait-il qu’il soit consolidé sur le plan juridique, ce qui sera chose faite dans un instant.

Je voudrais vous dire ma particulière fierté de porter ce soir ces combats qui ont été ceux de tout un mandat ; d’avoir participé à l’élaboration du plan Ecophyto 2 au travers d’une mission que m’avaient confiée M. le ministre Stéphane Le Foll et la ministre de l’environnement sous l’autorité des Premier ministres successifs, Jean-Marc Ayrault puis Manuel Valls ; d’avoir déposé dès 2013 une proposition de loi ayant inspiré le volet foncier de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

Avant de parvenir à un consensus, nous avons mené près de quatre années de combats persévérants pour convaincre les uns et les autres que nous avions raison, que le danger était réel, et qu’il fallait prendre des mesures législatives. Et je suis heureux de voir aujourd’hui que la quasi-totalité des organisations professionnelles nous soutiennent, à l’exception de la Coordination rurale qui émet quelques réserves sur le sujet de la propriété agricole.

Je le répète, il n’était pas évident qu’un large consensus se dégage autour du CEPP, pour mettre en mouvement ce qui est déjà engagé aujourd’hui, puisque dès le 1er juillet 2016, certaines coopératives et certains premiers opérateurs privés ont commencé d’actionner ce puissant levier.

Nous sommes là pour consacrer des dispositifs législatifs innovants, tant dans le domaine de l’agroécologie que de la maîtrise du foncier. Ils ont fait l’objet d’une très large concertation avec la société civile et n’attendent plus que l’onction du Parlement pour avoir force de loi et s’appliquer sur nos territoires.

Je voudrais profiter des minutes qui me restent pour vous convaincre de la cohérence des leviers que nous actionnons. J’ai eu le plaisir de présider un colloque, il y a un peu plus d’un mois, à la Fondation Jean-Jaurès, conclu par Stéphane Le Foll et Nicolas Hulot, intitulé « Nourrir toute la terre : cinq leviers». La réflexion a porté sur la production d’une nourriture réunissant toutes les qualités, notamment au regard des impératifs de santé publique ; sur la promotion d’un commerce juste à l’échelle du monde par le biais de traités internationaux dans lesquels une exception agriculturelle soit envisageable – car les produits de l’agriculture ne sont pas une marchandise comme les autres ; sur l’établissement de nouveaux rapports entre la ville et la campagne ; sur le moyen de produire autrement grâce à l’agroécologie ; et surtout, c’était le premier levier, celui que nous avions mis en avant, sur le partage et la protection du foncier car c’est une politique mère. En agriculture, ce qui est fondamental, c’est le foncier. Nos agriculteurs ont prouvé qu’ils étaient capables, en une génération, de changer de filière, de production, de mode de production et de manière de produire, soit pour produire davantage, soit pour produire autrement. En revanche, lorsque la structure foncière est désorganisée ou accaparée par quelques-uns au détriment des autres, ce n’est qu’au bout d’un temps très long et parfois au prix d’une forme de violence, que l’on peut y remédier.

Cet ordre a été établi dans un pacte républicain datant de l’après-guerre, au travers des lois de l’un des grands ministres de l’agriculture de notre pays – en sus bien sûr de l’actuel (Sourires) –, Edgard Pisani. Ses lois foncières ont scellé un pacte important entre la propriété et le travail, entre le fermier et le propriétaire, et ont permis, avec la création des SAFER, de donner à la puissance publique la capacité d’intervenir pour réguler le marché en cas de démesure.

Nous connaissons les causes du désordre actuel. La compétition individualiste, la course à l’agrandissement à laquelle se livrent les agriculteurs eux-mêmes, un certain désengagement législatif et la déréglementation qui a été préférée au cours des mandats précédents, puis l’arrivée à partir de 2008 en France, comme dans d’autres pays, de fonds spéculatifs sur le marché du foncier ont créé une nouvelle donne qui devait nous alerter.

Nous avons très tôt, dès 2012 et 2013, appelé à prendre des mesures législatives pour remettre de l’ordre et retrouver l’équilibre qui avait prévalu jusqu’à présent. Nous avons agi progressivement tout d’abord au travers du volet foncier de la loi d’avenir pour l’agriculture, puis celui de la loi Sapin II. Nous allons ce soir peaufiner ces dispositions.

Nous ne serons pas au bout de nos peines. Les forces en présence, celles qui spéculent sur l’augmentation du prix du foncier en France, celles qui investissent dans notre pays mais également en Roumanie ou en Pologne, dans des buts purement spéculatifs ou pour accaparer des terres et spolier les paysanneries locales de leurs biens, sont à l’oeuvre à Madagascar, au Mozambique, un peu partout en Afrique. En France, 28 millions d’hectares sont consacrés à l’agriculture. Plus de 30 millions d’hectares seraient accaparés au préjudice des paysanneries du Sud. Les tribunaux internationaux, les instances de l’ONU ont décrété que l’accaparement des terres à l’échelle du monde constituait une cause de misère et de violence équivalente aux guerres.

Ce sujet nécessitera de nouvelles lois et de nouvelles réglementations, de nouvelles règles dans la mondialisation.

Quelques mots, pour conclure, des CEPP. J’ai découvert par le hasard des calendriers, au détour d’un rendez-vous ce matin à l’INRA – Institut national de la recherche agronomique –, à quel point le génie du monde agricole était à l’oeuvre dans ce domaine. Un seul exemple : pour la culture du colza, la mise en place d’un couvert végétal, par exemple d’un bouquet de légumineuses, concomitante au semis, permet d’économiser environ 200 000 NODU – nombre de doses unités – d’insecticide sur les 20 millions qui doivent être atteints. Sur une seule culture, on a déjà 1 % de la solution, et ce simplement par la mise en place d’un couvert de légumineuses qui permet aux producteurs non seulement d’économiser un insecticide visant les altises et de se passer de désherbant quatre années sur cinq, mais aussi d’économiser cinquante unités d’azote.

Cette idée, née à l’INRA, élaborée par une coopérative agricole et mise en oeuvre dans tout le centre ouest de la France est typiquement le fruit de cette dynamique d’agroécologie que viennent garantir les certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques. C’est cette dynamique que nous allons consacrer ce soir autour du ministre de l’agriculture.

Chers collègues, merci pour votre mobilisation !

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