Intervention de Stéphane le Foll

Séance en hémicycle du 18 janvier 2017 à 21h30
Lutte contre l'accaparement des terres agricoles et développement du biocontrôle — Présentation

Stéphane le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nous nous retrouvons ce soir pour un débat différent mais, comme à chaque fois, important. La proposition de loi que vient de nous présenter Dominique Potier porte sur deux sujets. Le premier est celui du foncier, le second celui du phytosanitaire et plus particulièrement d’un outil, les certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques, qui ouvre des perspectives alternatives à l’utilisation de ces produits, en particulier par le recours au biocontrôle.

Le foncier fait l’objet d’un titre entier de la loi d’avenir pour l’agriculture. Au cours des longues séances que nous avons consacrées à l’examen de ce texte important, nous nous sommes efforcés de garantir l’accès au foncier pour les jeunes. Dès le projet initial, je proposais de donner aux SAFER tous les moyens d’agir pour réguler les échanges – nécessaires, bien entendu – afin de permettre cet accès au foncier et d’éviter des agrandissements préjudiciables à l’installation des jeunes agriculteurs. On est donc revenu au contrôle des structures, on a renforcé le droit de préemption des SAFER et l’on a créé les commissions départementales des espaces naturels, agricoles et forestiers, les fameuses CEDEPENAF, qui existent maintenant dans tous les départements et qui fonctionnent. Leurs avis en matière d’urbanisme, de consommation de terres naturelles, agricoles et forestières sont opposables dans le cas de terres consacrées à des productions agricoles de haute qualité, en particulier en AOP – appellation d’origine protégée. Ces progrès importants, nous les avons accomplis lors de nos débats ici même, à l’Assemblée.

Mais, comme souvent, l’actualité nous rattrape. Le rachat de 1 700 hectares de terre dans le centre de la France par des opérateurs « venus de loin » – ainsi je ne désignerai personne ! – nous a contraints à revoir un point, du reste parfaitement identifié et débattu lors de l’examen de la loi d’avenir pour l’agriculture, celui des formes sociétaires de foncier à l’intérieur desquelles les échanges échappent aux SAFER. Dans le cas d’espèce, ce sont bien des échanges internes à une société qui avaient été occultés, ce qui a permis à un opérateur extérieur d’acheter une telle surface.

Il fallait remédier à cette situation. La proposition que nous avions faite dans la loi Sapin II avait recueilli une large adhésion à l’Assemblée et au Sénat, mais un recours a été déposé devant le Conseil constitutionnel, lequel a considéré que cette partie consacrée au foncier était un « cavalier », c’est-à-dire qu’elle n’avait rien à faire dans ce texte. Voilà pourquoi nous examinons aujourd’hui cette proposition de loi qui vise à revenir à ce qui avait été voté précédemment. Dominique Potier en a rappelé les objectifs : établir une transparence en matière de foncier, en particulier s’agissant du foncier acquis par les sociétés.

En dépit de l’obstacle sur lequel nous avons buté une première fois, l’outil est le même, à savoir des structures spécifiques dédiées au portage du foncier qui permettront aux SAFER de repérer les mouvements et d’intervenir en cas de dépassement du seuil régional de déclenchement du contrôle des structures. Ce moyen juridique garantit le droit de propriété mais donne aux SAFER la capacité d’agir concrètement lorsque des regroupements de foncier se font au sein d’une société. Il vient compléter les dispositions, que j’évoquais à l’instant, de la loi d’avenir pour l’agriculture consacrées aux SAFER. Cette gestion efficace du foncier évitera ce que l’on appelle communément l’accaparement des terres, phénomène lourd de conséquences pour les futures installations. Les terres ne sont pas extensibles. Avec le réchauffement climatique, une partie des côtes françaises est grignotée par la montée des eaux. Il est donc de notre devoir de porter la plus grande attention à la préservation du foncier agricole. Tel est bien l’objectif de ce texte, que je soutiens pleinement et dont le Gouvernement a appuyé l’inscription à l’ordre du jour du Parlement.

Le deuxième volet de la proposition de loi porte sur le biocontrôle et les certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques. J’avoue ne pas avoir été très content – j’ai même été très fâché ! – du recours déposé devant le Conseil d’État par certains vendeurs de ces produits, recours qui a conduit à remettre en cause l’outil que constituent ces certificats pour une raison de forme et non de fond. En effet, l’enquête publique aurait dû être menée non pas au stade du décret mais à celui de l’ordonnance. Nous avions pourtant cherché à vérifier la procédure auprès du Conseil d’État, mais pas dans la même section. J’ai toujours été rigoureux et je respecte les injonctions de droit. Les services juridiques de mon ministère sont toujours mis à contribution pour déterminer comment procéder.

Toujours est-il que ce recours remet en cause un dispositif qui a nécessité près de deux ans de travaux et d’un an et demi de discussions pour trouver un accord sur la mise en oeuvre des certificats. Vous savez tous, dans cette assemblée, que les produits phytosanitaires sont un sujet de société qui reviendra de manière régulière si l’on ne s’engage pas à réduire leur utilisation. Et une telle réduction passe par l’ouverture d’alternatives : il ne s’agit pas simplement d’interdire, il s’agit d’offrir aux agriculteurs la capacité de s’adapter. Le but de ces certificats, c’est que chacun se sente responsable, aussi bien l’agriculteur, qui achète les phytosanitaires, que ceux qui les vendent.

Si, dans l’évolution des modèles de production agricole, on ne partage pas la responsabilité de l’utilisation et de la vente de ces produits, l’agriculteur restera celui vers lequel on se tourne, celui que l’on montre du doigt. Cela, nous ne pouvons plus l’accepter ! C’est pourquoi le dispositif des certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques vise à ce que les vendeurs assument leur part de responsabilité en réduisant leurs ventes de 20 % en cinq ans, période au bout de laquelle ils pourront se voir infliger une sanction. C’est une manière de responsabiliser tout le monde : les vendeurs peuvent obtenir des certificats dès lors qu’ils proposent des solutions alternatives, en particulier celles qui sont liées au biocontrôle. Ces certificats ont un poids et permettent d’avancer dans des voies nouvelles pour gérer la question des phytosanitaires.

Voilà pourquoi, je l’ai dit, j’ai été très fâché de ce qui est arrivé, et voilà pourquoi je suis très heureux que nous nous retrouvions ensemble ce soir pour en rediscuter. Il s’agit d’une approche globale. Les agriculteurs ne doivent pas être les seuls à devoir faire des efforts. La logique n’est pas de les dissuader d’acheter des phytosanitaires en augmentant les taxes sur ces produits, donc leur coût. Non : tout le monde doit être responsable. Il est très important d’affirmer devant la société, et au regard de ce que nous disent les agriculteurs, que tout le monde a sa part de responsabilité.

Les certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques existent déjà, ils ont été mis en oeuvre. À preuve, comme l’indiquait Dominique Potier, l’association du colza et d’une légumineuse, la féverole, testée sur près de 100 000 hectares, a donné des résultats extrêmement positifs en termes de baisse du recours aux phytosanitaires, aux herbicides, mais aussi à l’azote minéral puisque les légumineuses le fixent naturellement. Tout le monde gagne à cette intégration de la dimension environnementale et de la dimension économique. Dans ce dispositif, les uns et les autres pourront justifier des efforts qu’ils auront faits. Le premier certificat d’économie de produits phytopharmaceutiques a d’ailleurs été attribué à l’institut technique Terres Inovia, qui a proposé cette méthode recourant aux protéagineux et qui, après l’avoir testée pendant trois ou quatre ans, va l’étendre, excusez du peu, sur 1,5 million d’hectares. On y fera à la fois du colza, comme c’est déjà le cas, et de la féverole. En d’autres termes, la France gagnera 1,5 million d’hectares de féverole tout en y réduisant de plus de 20 % l’utilisation des phytosanitaires. Tout cela est extrêmement positif !

Je suis donc très attaché à ce que ces certificats soient actés par la loi et à ce que s’engage un processus qui suivra son cours dans les années qui viennent, permettant à tous, agriculteurs comme vendeurs, de montrer comment ils ont engagé leur responsabilité pour réduire la consommation de phytosanitaires. Il ne s’agit pas de normes : ce qui est instauré, c’est un principe, une méthode et un outil. Marion Guillou l’avait préconisé au tout début de l’année 2013 dans son premier rapport sur l’agroécologie. Nous l’avons voté dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture. Nous l’avons mis en place. Puis, malheureusement, le recours a abouti.

J’espère vraiment que notre débat apportera la réponse que les agriculteurs attendent sur ces sujets, à savoir une méthode et des outils qui ne soient pas des taxes et des contraintes, mais un processus dynamique et concerté de prise en compte de l’intérêt général de l’agriculture dans son ensemble. Tel est l’objet des certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques ; tel est aussi l’objet des alternatives proposées dans le cadre de ce dispositif, en particulier en matière de biocontrôle et d’utilisation de mécanismes naturels pour lutter contre les parasites des végétaux.

L’enjeu de ce texte – contrôle du foncier et accès au foncier, responsabilité de tous s’agissant des produits phytosanitaires – est déterminant pour l’agriculture française. Avec ces mesures, nous serons enfin à même de tenir un discours alliant la dimension économique et la dimension écologique. Voilà pourquoi, je le répète, je suis très heureux d’être ici ce soir avec vous pour ce débat.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion