Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est un oral de rattrapage, qui intervient à la suite de l’annulation par le Conseil constitutionnel de six articles de la loi Sapin II.
Il n’est pas inutile de rappeler l’origine de ce texte. En effet, à peine l’encre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt est-elle sèche qu’un coup de tonnerre éclate dans le département de l’Indre. Un investisseur chinois vient d’y acheter 1 700 hectares de terres agricoles sans que la SAFER ait eu la possibilité de s’y opposer. Interrogée, celle-ci affirme que, dès la parution des décrets de la loi d’avenir pour l’agriculture, les SAFER auront les moyens de préempter. Vous-même, monsieur le ministre, faites la même réponse dans cet hémicycle. Mais, dans le même temps, nos collègues du Sénat travaillaient sur une modification de la loi afin d’élargir les possibilités données aux SAFER en matière de rachat de parts de sociétés.
C’est ce que rappelle sobrement l’exposé des motifs de la proposition de loi no 249 : « Le Sénat a mené un travail de fond en faveur d’une meilleure transparence des acquisitions foncières dans l’objectif d’éviter l’accaparement et la financiarisation des terres agricoles par des sociétés d’investissement, au détriment, notamment, du renouvellement des générations en agriculture, des enjeux de sécurité alimentaire, d’aménagement des territoires et d’organisation des productions agricoles. » Point. Je signe.
À présent, mes chers collègues, relisez l’introduction de la proposition de loi no 4344 Faure-Potier. Vous y verrez ceci : « Depuis une décennie, une « libéralisation » du marché foncier est à l’oeuvre dans notre pays. Elle est fondée sur la dérive individualiste de la course à l’agrandissement, un relâchement du contrôle des structures, des brèches législatives ouvertes en 2006 et l’arrivée de fonds spéculatifs à partir de 2008. » Et ainsi de suite, avec au passage une exécution sommaire des formes sociétaires, une dénonciation des choix professionnels, l’annonce d’une réforme radicale de la politique agricole commune avant d’en appeler à l’enjeu universel de la renaissance rurale et de la COP21. Bref, c’est une harangue pour le futur congrès de la réconciliation des gauches !
Remarquez, la manoeuvre est habile pour faire patienter le public en attendant que les candidats à la primaire de gauche annoncent leur programme agricole, et je suis sûr que ceux-ci, ou du moins certains d’entre eux, nous écoutent ce soir avec intérêt. Quant à M. Macron, il veut avant tout simplifier les normes : pas sûr que cette proposition de loi lui plaise vraiment !
Alors, monsieur le rapporteur, ne soyez pas surpris par ma position. Vous feignez l’étonnement face à l’absence de consensus, mais, ce consensus, vous ne l’avez ni cherché ni même voulu. Au contraire, vous êtes dans une grossière manoeuvre de récupération politicienne où l’essentiel est de cliver. Voilà pour la forme.
Sur le fond de votre proposition de loi, il reste largement matière à débat. En effet, ce texte écrit sous le coup de l’émotion semble refléter une posture défensive dans le but de garantir la souveraineté nationale – thème intéressant – sur les terres à blé de nos campagnes. Bien !
Mais je continue de croire que cette ambition, commune à tous les groupes de notre hémicycle, est un costume trop large pour être porté par les seules SAFER. La menace que constitue le renforcement de la possibilité de préempter peut avoir une fonction dissuasive, mais l’expérience montre que son effet est de courte durée.
Je note au passage que votre indignation est à géométrie variable. Le rachat récent du prestigieux château de Pommard par une fortune américaine ne suscite aucun commentaire de votre part, sinon que vous jugez le sujet « singulier » ! Ce qui est singulier, c’est que la SAFER semble servir d’intermédiaire pour trouver de tels investisseurs…