Intervention de Antoine Herth

Séance en hémicycle du 18 janvier 2017 à 21h30
Lutte contre l'accaparement des terres agricoles et développement du biocontrôle — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAntoine Herth :

En réalité, si l’on s’attaque à la question de l’accaparement des terres par des fortunes étrangères, il faut d’abord regarder la réalité du marché foncier. Dans le rapport d’application de la loi d’avenir pour l’agriculture, que j’ai présenté avec mon collègue Germinal Peiro, nous dressons un état des lieux de l’année 2015.

Cette année-là, le marché a enregistré 232 000 transactions portant sur 570 000 hectares pour une valeur de 18 milliards d’euros.

Les SAFER, selon le droit en vigueur, avaient la possibilité d’intervenir sur 302 000 hectares. Elles ont acquis 10 300 biens pour une surface totale de 83 900 hectares et une valeur de plus d’1 milliard d’euros. La part des préemptions est minime : on compte 1 260 préemptions pour seulement 6 000 hectares.

Dans le même temps, les SAFER ont procédé à la rétrocession de 12 180 biens dont 31 % pour l’installation, 56 % pour l’agrandissement et 13 % destinés à l’aménagement du territoire.

J’en retire trois enseignements.

Premièrement, la préemption ne touche que 1 % des surfaces vendues : c’est un outil marginal de l’action des SAFER.

Deuxièmement, l’essentiel des achats est en fin de compte supporté par les exploitations agricoles soit directement, soit à la suite de rétrocessions.

Troisièmement, en moyenne, les transactions représentent 1,3 hectare par exploitation et par an pour un montant de 41 000 euros, cette moyenne cachant évidemment de fortes disparités, une prairie, monsieur Chassaigne, n’ayant pas la même valeur qu’un vignoble de grand cru.

Il faut donc se rendre à l’évidence : nos exploitations agricoles, face à une conjoncture exécrable, doivent trouver des moyens financiers pour assurer leurs dépenses courantes, rembourser leurs dettes, réinvestir pour moderniser qui son étable, qui son train de culture, et dans le même temps elles sont obligées d’acheter, pièce par pièce, année après année, le foncier qu’elles exploitent.

En réalité, ce sont nos agriculteurs qui portent seuls la charge de garantir notre souveraineté à tous sur les terres de France, parce que nous nous obstinons à répondre aux défis du XXIe siècle avec des outils hérités du siècle précédent.

La création des SAFER, du temps d’Edgar Pisani, a été une grande avancée, tout comme celle des groupements fonciers agricoles, les GFA, mais elle n’a été possible que parce que le ministre de l’agriculture était face à des responsables professionnels de la trempe de Michel Debatisse ou Hubert Buchou, qui portaient un projet réaliste et une vision pour l’agriculture française des années soixante.

Or, depuis ce temps, le monde a changé : les exploitations sont de moins en moins nombreuses, plus grandes, plus difficiles à transmettre, et majoritairement structurées sous forme sociétaire.

Peut-être serait-il temps de revisiter les GFA, de leur redonner un nouvel élan et pourquoi pas d’inventer des outils nouveaux qui permettront de soulager nos paysans à travers le portage d’une partie du foncier. Est-il absurde d’imaginer que les Français mobilisent une part de leur épargne dans du foncier ? La terre est aussi sûre qu’un livret A et certainement plus rémunératrice à terme.

En combinant un support d’investissement innovant avec une garantie absolue de l’usage des sols par les agriculteurs, telle qu’elle est permise par bail cessible, en assurant un cadre fiscal adapté, en redonnant de la fluidité au marché foncier, je suis certain que nous serions moins à la merci d’investisseurs exotiques ou de spéculateurs locaux. De plus, notre souveraineté sur ce bien partagé qu’est la terre reposerait sur un socle solide, celui de l’épargne de nos concitoyens.

C’est au fond le principal reproche que je formule à l’encontre de cette proposition de loi : son absence d’imagination. Elle prétend nous protéger des spéculateurs étrangers, mais ce sont les propriétaires fonciers et les exploitants français qui seront les premières victimes de vos chicayas.

En traitant les propriétaires fonciers, comme vous l’avez fait, monsieur le rapporteur, de « réactionnaires dignes de Zola », vous privez les agriculteurs d’un soutien précieux dans leurs efforts de modernisation.

De loi d’avenir en propositions de loi, votre majorité n’a eu de cesse de rendre plus complexe une réglementation touffue du contrôle des structures et des transactions foncières. De formalités déclaratives en comités Théodule, vous dressez, comme dirait Marguerite Duras, des barrages contre le Pacifique. Ceux-ci ne résisteront pas au temps, car vous avez omis l’essentiel : il vaut mieux canaliser les énergies que de tenter de les contraindre.

Aussi, vous l’aurez compris, je reste plus que sceptique sur l’intention politique et sur la portée opérationnelle de ce texte.

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