Intervention de Julien Dive

Séance en hémicycle du 18 janvier 2017 à 21h30
Lutte contre l'accaparement des terres agricoles et développement du biocontrôle — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Dive :

Entre navigation et agriculture, quel rapport, me direz-vous ? C’est pourtant évident ! Avec la multitude des contraintes et des décisions qui sont prises pour définir leur avenir, nos agriculteurs apprennent aujourd’hui à naviguer en eaux troubles ; avec vous, ils naviguent même parfois à vue !

L’année 2016 qui vient de se clore résonne comme un black-out dans les comptabilités de nos agriculteurs français. Il s’agit sans doute du pire exercice de ces trente dernières années pour l’ensemble de la filière, et ce quelle que soit la production – élevage, grandes cultures, légumes… Pour tous, c’est la triple peine : moins de rendement, moins bonne qualité, baisse des prix. Dans mon département de l’Aisne, ce sont plus de 200 millions d’euros de chiffre d’affaires qui se sont envolés, et je ne vous parle que de la moisson 2016.

Dans ce contexte difficile pour l’agriculture française, nous examinons ce soir une proposition de loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle.

Il s’agit tout d’abord d’étendre le droit de préemption des SAFER. Bien que la réflexion sur la protection de nos terres agricoles devant l’arrivée massive de capitaux étrangers soit tout à fait légitime, j’appelle votre attention sur le principe de précaution, dont nous faisons trop souvent la boussole des décisions et des lois votées ici et dont l’effet irréversible peut paralyser certains pans de notre activité économique. Il serait dommage de glisser vers une nouvelle génération de sovkhozes du XXIe siècle avec des dispositifs qui n’empêcheraient de toute façon pas un investisseur étranger de créer une structure sur notre sol via le droit des sociétés, et donc d’investir. L’effet collatéral serait en revanche d’empêcher un agriculteur français moderne, ambitieux et ayant les moyens d’agrandir son exploitation de pouvoir le faire ; mais je ne m’étendrai pas plus longtemps sur ce sujet déjà très justement détaillé par notre collègue Antoine Herth.

C’est sur la seconde partie de ce texte que je souhaite m’attarder. Je pense en particulier à cet amendement du Gouvernement qui m’inquiète et définit ce que je pense être un risque pour notre agriculture. Il s’agit du dispositif des certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques, les fameux CEPP, et de la taxe dont ils feront l’objet.

Inciter les professionnels à adopter de nouvelles pratiques et à utiliser des solutions de biocontrôle en remplacement de produits phytosanitaires me semble tout à fait pertinent, et nous sommes d’accord sur l’objectif d’aider à l’émergence et à l’essor d’une agriculture française plus durable, plus respectueuse de l’environnement et qui présente moins de risques pour la santé des agriculteurs comme des consommateurs. Mais accompagner n’est pas obliger ; car c’est là que vous retombez dans vos travers classiques, la punition et la taxation.

Un CEPP prévoit que si l’agriculteur ne parvient pas à baisser sa consommation de produits phytopharmaceutiques et à atteindre un certain objectif de réduction, une pénalité financière s’applique au distributeur, qui devient le seul acteur jugé responsable. Mais les professionnels ne font pas toujours ce qu’ils veulent, et la principale limite de votre dispositif est une donnée avec laquelle tous les agriculteurs doivent composer depuis que l’agriculture existe : le climat.

Supposons qu’à la suite d’un temps capricieux, exceptionnellement pluvieux, aidant au développement de maladies et de nuisibles, une moisson soit catastrophique, tant en termes de quantité que de qualité de la récolte. Toute ressemblance avec une situation existante est bien sûr purement fortuite…

Supposons encore que dans cette situation, et pour beaucoup d’agriculteurs, l’utilisation de produits phytopharmaceutiques soit la seule solution pour limiter au maximum les dégâts. Si l’on suit votre raisonnement, à la perte induite par la baisse des ventes s’ajoute une sanction financière pour les distributeurs, lesquels, rappelons-le, ne jouent aucun rôle dans la détermination du climat.

Je vous interroge donc. Réalisez-vous que les CEPP sanctionnent des professionnels pour un tort qu’ils n’ont pas causé ? Pour une situation sur laquelle ils n’ont absolument aucun contrôle ? En matière d’écologie punitive, on peut dire que vous n’y allez pas avec le dos de la cuillère !

L’expérimentation, qui fixe des objectifs inatteignables, est un boulet pour l’agriculture française, puisqu’elle introduit une concurrence déloyale, évidemment favorable à nos voisins européens. En effet, le calcul de la taxe sur les CEPP prend pour base la redevance pour pollutions diffuses, qui ne s’applique qu’aux distributeurs français et dont le surcoût sera répercuté sur les agriculteurs français. Et, à ce stade, je ne parle même pas de la création d’une usine à gaz supplémentaire dans notre pays, qui nous ferait exceller dans ce sport national qu’est l’emmerdement administratif de nos entreprises, quel que soit leur secteur d’activité. Il ne s’agit pas de critiquer les nouvelles pratiques écoresponsables, ni même de boycotter de nouveaux produits, encore moins de nier la nécessité de repenser notre agriculture, mais, sur les moyens à mettre en oeuvre, une fois de plus, nous divergeons.

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