Intervention de Marc Dolez

Réunion du 18 janvier 2017 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Dolez, rapporteur :

Je vous remercie de m'accueillir au sein de la commission des Affaires européennes afin de rapporter cette proposition de résolution déposée par le groupe de la Gauche Démocratique et Républicaine (GDR) pour un débat démocratique sur l'accord économique et commercial global (CETA) entre l'Union européenne et le Canada.

Le CETA est un accord mixte, c'est-à-dire qu'il comporte des dispositions relevant à la fois de la compétence exclusive de l'Union européenne et des compétences des Etats-membres. Cette qualification a deux conséquences procédurales. La première, c'est que l'unanimité est nécessaire au Conseil pour autoriser la signature de l'accord, ce qui fut fait le 28 octobre dernier et, mais elle est également requise pour sa conclusion, laquelle ne peut par ailleurs intervenir qu'après la ratification de cet accord par l'ensemble des Etats-membres. La deuxième, c'est la possibilité d'une entrée en vigueur provisoire de l'accord, sous réserve de son approbation par le Parlement européen, entrée en vigueur provisoire limitée aux seules dispositions relevant exclusivement de la compétence de l'Union européenne, lesquelles constituent cependant l'essentiel de l'accord. Dans le cas du CETA, c'est ainsi la quasi-totalité de l'accord qui serait ainsi très prochainement appliquée provisoirement, les seules exceptions concernant pour l'essentiel l'investissement et le mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États (RDIE).

Je n'ignore pas, Mme la Présidente, que le 5 octobre dernier, la commission des Affaires européennes a rejeté, dans des conditions un peu particulières – m'a-t-on dit – la proposition de résolution européenne de notre collègue M. Jean-Noël Carpentier, laquelle avait pour objet de demander au gouvernement de s'opposer à cette mise en oeuvre provisoire du CETA.

Depuis ce rejet, les choses ont bougé au niveau européen puisque la procédure d'approbation est en cours au Parlement européen qui devrait a priori examiner le CETA le 2 février prochain. Notre proposition de résolution intervient donc à un moment qui nous apparaît propice à l'expression du peuple. Je tiens à ce propos à rappeler que la commission de l'Emploi et des affaires sociales du Parlement européen a adopté, le 8 décembre dernier, un avis recommandant le rejet l'accord en raison de son coût social.

En effet, force est de constater qu'aucune étude d'impact sérieuse des effets du CETA n'a été réalisée. Non seulement le surcroît de croissance espéré de la mise en oeuvre de cet accord est incertain mais ses conséquences seraient très certainement négatives s'agissant des standards de protection sociale. C'est d'ailleurs ce qui a conduit, comme je le disais, la commission de l'Emploi et des Affaires sociales du Parlement européen à émettre un avis négatif à l'approbation de cet accord. Elle s'est notamment appuyée sur une étude indépendante réalisée par l'Université de Tufts qui a dressé un tableau noir des conséquences économiques et sociales d'une éventuelle entrée en vigueur du CETA, prévoyant notamment la disparition de plus de 200.000 emplois dans l'Union européenne d'ici à 2023, dont près de 45 000 emplois en France par rapport au scénario « sans CETA ».

Au-delà de la création d'une vaste zone de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada, le CETA vise surtout à supprimer les normes permettant de réguler des secteurs fondamentaux de notre vie économique et sociale et à instituer un mécanisme de règlement des différends entre les États et les investisseurs. En effet cet accord prévoit qu'en cas de désaccord avec la politique publique menée par un État, une entreprise multinationale pourra porter plainte contre cet État, non pas devant les juridictions nationales de ce dernier, comme actuellement, mais devant une instance internationale. Certes, cette plainte ne serait plus transmise à des tribunaux arbitraux privés, ceux-ci ayant été remplacés in extremis, dans la version finale du CETA, par un système de « Cour internationale d'investissement». Toutefois, les juges de celles-ci seront autorisés à faire des va-et-vient vers des activités lucratives d'avocat d'ISDS avant et après leur mandat de juge. Ce mécanisme, même sous cette forme de Cour, est une menace pour la souveraineté des États et la liberté des peuples de choisir leurs propres politiques publiques, tout comme il pose un problème juridique en remettant en cause l'exclusivité de la Cour de justice de l'UE quant à l'interprétation du droit européen. Ce problème de compatibilité entre le RDIE et le droit européen est d'ailleurs l'objet d'un des amendements que j'ai déposés.

Ensuite, ce traité représente une menace pour l'agriculture et les producteurs européens. Le principe de précaution n'existant pas au Canada, aucune obligation d'étiquetage des OGM n'y est applicable. Nos agriculteurs soulignent le manque de reconnaissance des produits certifiés français - seule une centaine d'AOC reconnue sur les 561 que compte le territoire français. Le CETA prévoit la protection de 173 indications géographiques protégées (IGP) agroalimentaires européennes au Canada, dont 42 dénominations françaises, devant faire l'objet d'une protection totale, assortie de la possibilité d'un recours administratif. Or, ce sont plus de 1 400 indications géographiques protégées qui sont actuellement reconnues par l'Union européenne, ou enregistrées et en voie de l'être. Des informations plus précises sur l'impact de ces mesures en France doivent être données. Il faudra également évaluer l'impact du système des IGP sur la qualité des produits ainsi que sur la structuration des filières de production et de commercialisation, compte tenu de la coexistence autorisée d'une partie des marques déposées canadiennes.

Le CETA représente aussi une menace majeure pour nos filières d'élevage, comme vous l'aviez d'ailleurs identifiée, Mme la Présidente, dans votre rapport sur le CETA publié en octobre 2014. Aujourd'hui, le Canada n'exporte vers l'Union européenne que 3 000 tonnes de boeuf et 4 000 tonnes de porc mais avec le CETA, les quotas d'exportations hors droits de douane seront respectivement portés à 50 000 et 75 000 tonnes par an.

Enfin, en matière d'environnement et de développement durable, le dispositif général de l'accord s'avère en contradiction avec les objectifs fixés par l'accord de Paris sur le climat en 2015. Je précise à ce propos que la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a publié, le 15 décembre dernier, un rapport particulièrement critique sur le CETA.

Les risques de catastrophe économique, sociale et environnementale que comporte cet accord avec le Canada sont rendus possibles par le caractère antidémocratique de ce type d'accord de libre-échange, qu'illustre parfaitement le processus de négociation, comme l'idée incongrue de l'entrée en vigueur provisoire du CETA, laquelle réduirait à sa plus simple expression le débat dans les États-membres. Or, même s'il peut y avoir des divergences sur l'appréciation des conséquences du CETA, chacun peut convenir que celles-ci méritent, par leur ampleur potentielle, d'être débattues dans un cadre public, ouvert et contradictoire. Cette transparence a fait défaut durant les négociations au cours desquelles le peuple français a été représenté par les technocrates de la Commission européenne, à l'exclusion de toute participation des peuples, des parlements nationaux et de la société civile, ce qui interroge sur la légitimité même de ces négociations dont l'opacité entretient la méfiance des peuples.

C'est pourquoi il nous paraît essentiel de susciter aujourd'hui le débat en toute transparence sur cet accord, comme le groupe GDR l'avait fait en déposant une proposition de résolution sur le TAFTA, adoptée par l'Assemblée nationale le 22 mai 2014. Ce texte comporte deux demandes principales adressées au gouvernement : qu'il consulte et informe le Parlement avant toute application provisoire du CETA, même si, j'en suis conscient, le gouvernement a donné son accord à cette application provisoire lors du Conseil du 28 octobre dernier et, en application de l'article 11 de la constitution, qu'il propose au Président de la République l'organisation d'un référendum sur le projet de loi de ratification. Sur un sujet aussi lourd de conséquences que le CETA, il nous semble en effet nécessaire de donner directement la parole au peuple.

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