Intervention de Michel Theys

Réunion du 21 décembre 2016 à 8h30
Commission des affaires européennes

Michel Theys, journaliste :

M. Savary a parlé avec raison d'une équivoque originelle. Nous sommes aujourd'hui dans une Union européenne dont les compétences n'ont plus rien à voir avec celles de la CECA, tandis que l'état d'esprit de la population a changé. Pendant des dizaines d'années, la population a donné un accord tacite à la construction européenne, un consensus permissif. Pour différentes raisons, nous sommes sortis de ce cadre, et apparaît maintenant un nouvel acteur, certes dérangeant : le citoyen européen, qui dit que cette Europe ne lui plaît pas du tout. Et la seule manière qu'il a de se faire entendre, c'est de dire « non » lors d'un référendum ou de voter pour des formations protestataires. C'est le fond du problème, du moins l'un des problèmes majeurs auxquels est confrontée l'Union européenne aujourd'hui.

Je ne crois pas, monsieur Savary, que les institutions européennes soient plus impopulaires que les institutions nationales. La plupart des eurobaromètres font apparaître que les citoyens ont plus confiance dans les institutions européennes que dans les institutions nationales. D'un point de vue démocratique, c'est d'ailleurs catastrophique, mais c'est une constante relevée dans la plupart des États membres.

Vous craignez que l'Europe ne soit rejetée si l'on demandait aux citoyens européens de s'exprimer. C'est une épreuve de vérité que l'on doit affronter. Continuer dans le non-dit citoyen, laisser les gouvernements et les autorités politiques nationales gérer la boutique « Europe » sans l'assentiment des citoyens, c'est courir à la catastrophe.

Il faut trouver une formule nouvelle, sortir du cadre ancien. J'ai avancé quelques idées, qui ne sont pas totalement les miennes. La convention européenne qui a donné naissance au projet de constitution européenne rejeté par la France avait probablement réalisé un bon travail. Mais, encore une fois, n'y siégeaient que des politiques, dont beaucoup de parlementaires européens et nationaux – l'influence de ces derniers a été énorme. En définitive, ce fut une conférence intergouvernementale d'une autre forme qui a abouti à un accord qui n'était pas pleinement satisfaisant.

Vous avez raison, madame Chabanne, le traité constitutionnel n'était pas plus lisible que le traité de Lisbonne. Demander aux citoyens de prendre position, dans le cadre d'un référendum, sur un texte illisible, c'est un non-sens ! Ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre, une Constitution doit tenir en quelques pages exprimant les grands principes. Avoir imaginé que l'on pouvait demander aux citoyens français de s'exprimer sur le traité constitutionnel était une grande erreur.

Quel est le bon usage du référendum au sein de l'Union européenne ? Dans une Europe à vingt-huit, les Français et les Néerlandais avaient dit « non » au traité constitutionnel, alors que, quelques semaines auparavant, les citoyens espagnols, par la même voie du référendum, avaient dit « oui ». Pourquoi le « non » devrait-il l'emporter sur le « oui » ? D'un point de vue démocratique, c'est inacceptable, du moins cela pose un problème énorme de légitimité. Je rêve d'un référendum européen – je ne sais pas si c'est techniquement possible, car certaines constitutions nationales ne prévoient pas le référendum – par exemple, pour approuver la prochaine constitution européenne sans que l'unanimité des États soit forcément requise. Pour approuver la Constitution de Philadelphie, il fallait l'approbation des trois-quarts des États américains ; un quart aurait pu dire « non » que cela n'aurait pas prêté à conséquence. Demain, si un certain nombre de pays disait « non » à une constitution européenne, dans le cadre pleinement démocratique d'un appel aux citoyens à s'exprimer, cela clarifierait au moins la situation.

Je pense que permettre à un État d'organiser un référendum sur un sujet de dimension européenne est un travestissement du droit de veto sous les habits du vote populaire, mais il est tout aussi illégitime au regard de l'intégration que nous connaissons dans l'Union européenne aujourd'hui.

Monsieur Gollnisch, vous parlez de la dérive d'une organisation internationale axée sur la coopération. Je ne vous ferai pas l'injure de rappeler ce qui est écrit noir sur blanc dans la déclaration Schuman : le ministre français des affaires étrangères de l'époque avait bien déclaré qu'il s'agissait des premiers pas vers une fédération européenne. Je sais qu'en France, on n'aime pas trop se souvenir de Monnet et de Schuman, et que l'on préfère se référer à Charles de Gaulle, à qui l'on fait dire bien des choses. Dans la situation actuelle, je ne suis pas certain qu'il aurait souhaité continuer à travailler uniquement sur la base de la coopération. Gardons-nous de prêter des propos à des personnes qui ne sont plus là pour les contester.

Madame Chabanne, pouvions-nous faire autrement que d'élargir ? Je crois que, politiquement, notre responsabilité était d'ouvrir, d'une manière ou d'une autre, le cercle de l'Union européenne. Sans doute aurait-il fallu le faire par étapes, de manière beaucoup plus progressive. Mais fondamentalement, la responsabilité première incombe aux États membres de l'époque, qui n'ont pas voulu ou pu s'accorder sur la nécessité ou les modalités de l'approfondissement. Et la France porte une part de responsabilité.

Avec l'Allemagne, la France a une énorme responsabilité dans la construction européenne. Sans ces deux pays, rien ne peut se faire. Or, dans les moments décisifs de la construction européenne, la France a souvent eu tendance à freiner un maximum. Un des moments historiquement les plus forts, qui nous aurait permis de sortir par le haut ou du moins d'éviter les problèmes que nous connaissons aujourd'hui, s'est situé au début des années quatre-vingt-dix, lorsque l'Allemagne a proposé le passage vers une Europe plus intégrée. La France a refusé.

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