Intervention de Jean Arthuis

Réunion du 20 décembre 2016 à 17h00
Commission des affaires européennes

Jean Arthuis, président de la commission des budgets du Parlement européen :

Ce sont en effet de vraies questions. Tous ceux qui vous disent qu'ils vont régler les problèmes nationaux tout seuls, sans l'Europe, vous racontent des histoires. C'est vrai en tout cas pour l'immigration, pour le développement de l'Afrique. Chaque pays, en Afrique, continue à travailler avec ses anciennes colonies, mais ce n'est pas ainsi que nous allons y arriver. Nous avons un fonds européen de développement, distinct du budget européen – on peut se demander pourquoi –, mais chacun persiste à faire du bilatéral…

Je suis allé en mission en Turquie, à Gaziantep, en Jordanie, au Liban… À chaque fois, la délégation européenne était flanquée de celles des États membres, et la coordination n'était pas simple. Qu'est-ce qui peut bien justifier une telle pratique ? En matière diplomatique, j'ai vu, au cours de l'examen du budget, qu'on allait acheter un immeuble à Pékin et un autre à Tokyo. Pourquoi ? Pour y installer des représentants du service européen des affaires extérieures, autrement dit pour ajouter une vingt-neuvième ambassade aux vingt-huit ambassades européennes déjà présentes. Qu'est-ce qui peut justifier cela ? Ne pourrait-on créer des consulats généraux communs aux pays de l'Union européenne ? Vos électeurs ont compris tout cela et si vous leur dites autre chose, ils auront l'impression que vous leur racontez des salades. Je préfère donc dialoguer avec eux afin de partager une analyse, établir un diagnostic et débattre avec eux de solutions dignes du XXIe siècle.

Pour ce qui est des ressources propres, monsieur Gollnisch, elles se réduisent à pas grand-chose : ce sont les droits de douane. Or, comme ils proviennent essentiellement des Pays-Bas, ce dernier pays en garde une partie pour ses bons et loyaux services – ils sont hyper-compétitifs le domaine du dédouanement… et évidemment partisans de l'ouverture au monde !

Vous m'avez également interrogé sur les traités de libre-échange. Mes convictions sont libérales mais je ne veux pas d'un dogme de libre-échange. La signature d'un traité de libre-échange doit en effet correspondre à une vision stratégique. Cela a-t-il du sens, par exemple, de prévoir, dans le cadre du CETA négocié avec le Canada, des importations de boeuf, même modestes, alors que le marché européen est saturé de viande de boeuf ? Même sur le plan écologique, le fait que de la viande soit transportée d'un bout à l'autre du monde n'est pas convenable – or le libre-échange est très avantageux d'un point de vue fiscal puisque tout le carburant maritime et aérien est totalement exonéré de taxes, à l'inverse du transport sur notre territoire, lourdement taxé.

Quant au TTIP tel qu'envisagé, comment y serais-je favorable avant que ne soit achevé le marché intérieur ? Commençons par employer notre énergie à cette dernière tâche : un ensemble de 500 millions de consommateurs a tout de même les moyens de négocier la dragée haute. Aussi, avant de discuter de traités de libre-échange, notre préoccupation première devrait être de renforcer la gouvernance de l'Union européenne et, j'y insiste, d'achever la constitution du marché intérieur. Notre secteur du téléphone compte vingt-huit autorités de régulation, vingt-huit autorités de la concurrence. On veut relancer l'investissement mais qui peut bien en avoir envie, sachant que, dans la perspective d'une nécessaire harmonisation, les règles vont devoir changer ? Le Fonds européen pour les investissements stratégiques (European Fund for Strategic Investments – EFSI), promu par M. Juncker, c'est très bien, mais il faudrait commencer par sécuriser l'euro afin de dissiper les doutes des investisseurs internationaux et, je le répète encore une fois, par achever un marché intérieur encore marqué par une très forte fragmentation dans de nombreux domaines.

Quant à l'amende infligée par la justice américaine à BNP-Paribas, elle a été négociée entre les parties : la banque n'a pas eu d'autre choix que de la payer si elle voulait garder sa licence aux États-Unis.

J'ai fait part de mon indignation quand M. Cameron a demandé qu'on cesse de considérer l'euro comme la monnaie de l'Union européenne. Il écartait en effet par-là l'idée que les Européens puissent nourrir l'ambition, comme l'ont les Américains, de se servir de leur monnaie en tant que de besoin pour éventuellement infliger des amendes à des opérateurs économiques qui n'auraient pas respecté un embargo ou d'autres dispositions.

Pour ce qui est du Brexit, monsieur Herbillon, j'espère que les Européens vont trouver une position commune car il est vrai qu'il ne doit pas être très difficile d'opposer un membre de l'UE à un autre – toujours à cause de l'absence de gouvernance. Il faut savoir que nos chefs d'État et de gouvernement, quand ils se rendent pour une journée à Bruxelles, sont accompagnés, dans l'avion ou dans le train, par quatre ou cinq journalistes pour parler d'autre chose que de l'UE ; c'est que l'Europe est gouvernée par les diplomates, par le Comité des représentants permanents (COREPER) ; or ces représentants de chacun des États membres ne sont pas là pour faire des embardées ; tout se passe gentiment et donc ne bouge pas beaucoup.

Il va bien falloir que les parlements nationaux s'emparent politiquement de ces questions.

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