Intervention de Rémi Maréchaux

Réunion du 26 octobre 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Rémi Maréchaux, directeur Afrique au ministère des affaires étrangères et du développement international (MAEDI), sur la situation au Gabon, au Mali et en République démocratique du Congo :

Au Gabon, lors de l'élection présidentielle du 27 août dernier, le président sortant, M. Ali Bongo, a affronté, événement inédit, un seul candidat. Comme il n'y a qu'un tour de scrutin, M. Bongo avait été élu avec une majorité relative en 2009 du fait de la division de l'opposition. Cette année, les résultats provisoires ont placé en tête M. Bongo avec une marge extrêmement réduite, la mission d'observation électorale de l'Union européenne ayant relevé une « évidente anomalie » lors du scrutin. Cette anomalie, dont la presse s'est fait l'écho, s'est produite dans le fief de M. Bongo, la province du Haut-Ogooué, où la participation s'est élevée à 99,96 % et où le président sortant a recueilli 95 % des voix ; ce résultat ne correspondait pas à la moyenne observée dans le reste du pays.

Les protestations des partisans de M. Jean Ping ont été sévèrement réprimées, ce qui constitue une nouveauté au Gabon. L'armée a pris le quartier général de l'opposition avec des tirs à balles réelles qui ont fait des morts, et de nombreuses personnes furent arrêtées. La France, l'UE, l'Union africaine (UA) et les autres partenaires du Gabon ont incité M. Ping à recourir aux procédures constitutionnelles de contestation du résultat de l'élection. Saisie par le candidat de l'opposition, la Cour constitutionnelle a proclamé, le 24 septembre, des résultats qui renforcent la victoire d'Ali Bongo, qui franchit le seuil symbolique de 50 % des voix. Le travail de la Cour constitutionnelle n'a pas permis de « lever tous les doutes », selon l'expression employée par M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international. Le pouvoir a efficacement maîtrisé l'ordre, l'annonce du résultat par la Cour constitutionnelle ayant eu lieu à une heure du matin, après que les réseaux sociaux furent coupés et les forces de l'ordre déployées dans 200 points stratégiques à Libreville. Depuis cette date, la situation est calme, mais, de notre point de vue, ce calme en encore fragile..

Le président Bongo a appelé au dialogue et a nommé un gouvernement d'ouverture.Les forces les plus représentatives de l'opposition n'y siègent pas. L'opposition a par ailleurs rejeté cette offre de dialogue pour ne pas reconnaître la légitimité du président et M. Ping a également appelé de son coté à un dialogue. On se trouve face à deux initiatives qui n'ont trouvé aucun début de mise en oeuvre, mais leur rapprochement est indispensable pour obtenir une stabilisation à long terme. La phase de l'élection n'est pas totalement terminée. Le pouvoir gabonais souhaite tourner la page et affirme que le plus dur est passé, mais la mission d'observation électorale de l'Union européenne publiera de dures conclusions pour le gouvernement au mois de novembre. S'ensuivront les procédures classiques de la convention de Cotonou avec l'ouverture d'un dialogue politique prévue par son article 8 ou la mise en oeuvre de son article 96 pouvant déboucher sur la prise de sanctions.

Les velléités d'intervention de l'UA ont disparu depuis l'installation d'un calme apparent, alors que son président, M. Idriss Déby, avait affiché à deux reprises son intention d'envoyer une délégation de chefs d'État pour initier un dialogue et trouver des solutions. En revanche, le nouveau représentant du secrétaire général des Nations unies pour l'Afrique centrale, M. François Fall, ancien premier ministre guinéen, doit prendre ses fonctions au début du mois de novembre et a fait part de sa volonté d'agir pour tenter de rapprocher les points de vue.

Un éventuel dialogue devrait porter sur la préparation des élections législatives. Prévues en décembre, le gouvernement a annoncé leur report tant qu'un accord préalable ne serait pas trouvé. Celui-ci devra régler la question du cadre électoral, qui englobe le fonctionnement de la commission électorale et de la Cour constitutionnelle, ainsi que la définition de la carte électorale.

En République démocratique du Congo (RDC), deux journées de violence, les 19 et 20 septembre derniers, ont provoqué plus de cinquante morts, selon les Nations unies. La commission électorale devait convoquer les électeurs le 19 septembre, la constitution prévoyant l'organisation d'une élection présidentielle le 26 octobre et la prise de fonctions du nouveau président le 19 novembre prochain. Ce processus n'a pu être respecté, et le gouvernement a engagé un dialogue avec l'opposition, grâce à la médiation de l'UA menée par l'ancien premier ministre togolais, M. Edem Kodjo ; néanmoins, les forces les plus représentatives de l'opposition, unies dans un mouvement, le Rassemblement, dirigé par M. Étienne Tshisekedi, opposant historique, et M. Moïse Katumbi, ancien gouverneur du Katanga et ancien allié de M. Joseph Kabila, ont boycotté les discussions. Ce dialogue a été conclu formellement le 18 octobre dernier par un accord prévoyant l'organisation d'une élection au plus tôt en avril 2018 et le maintien au pouvoir du président Kabila jusqu'à ce scrutin. De nombreux partenaires de la RDC, à commencer par la France, n'ont pas jugé ce dialogue satisfaisant car les forces de l'opposition en étaient absentes et l'Eglise catholique a suspendu sa participation. Or l'Eglise joue un rôle particulièrement important dans ce pays, étant la seule organisation de la société civile implantée dans l'ensemble du territoire et présentant la plus grande représentativité. Elle ne s'est pas associée aux conclusions du dialogue et vient d'appeler à la reprise de discussions plus inclusives.

L'élément rassurant de la situation congolaise tient à l'identification par toutes les parties des termes d'un compromis. Les experts se partagent sur la date à laquelle des élections pourraient être organisées, et nous doutons du calendrier proposé par la commission électorale. En effet, cette dernière affirmait il y a trois mois que la date la plus rapprochée était novembre 2018, mais la fixe aujourd'hui à avril 2018 ; la mission d'experts de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) estimait possible d'organiser des élections avant la fin de l'année 2017. Au total, quatre entités ont procédé à une évaluation technique du calendrier électoral : l'OIF, l'UA, les Nations unies et la commission électorale congolaise. Il faut rapprocher les différents points de vue pour parvenir à un compromis sur le calendrier auquel se rallieraient les forces politiques les plus représentatives. Cette perspective nous semble atteignable.

Les forces de l'opposition sont prêtes à accepter que le président Kabila reste en fonction jusqu'à l'organisation des élections. Elles sont également disposées à lui accorder toutes les garanties de nature à le rassurer sur son avenir. Nous ne considérons pas que le dialogue qui vient de se clore n'existe pas, nous le voyons comme une base de départ, et il a d'ailleurs été entériné par l'UA, et salué par les Nations unies et par les chefs d'État de la région. Il convient de compléter et d'approfondir ce processus en engageant des discussions avec les forces politiques qui n'y ont pas participé, afin de déterminer les conditions auxquelles elles pourraient s'y associer. Cela permettrait de rouvrir le dialogue pour compléter l'accord..

Au Mali, tous nos efforts portent sur la mise en oeuvre de l'accord de paix et de réconciliation, qui a été signé au mois de mai 2015 et porte sur quatre thèmes principaux. Le premier, de nature politique et symbolique, repose sur le concept de l'Azawad, reconnu comme une réalité socioculturelle et symbolique. Le deuxième tient à la décentralisation, de nouvelles collectivités fonctionnant avec des assemblées élues étant créées. Ces structures doivent exécuter 30 % de la dépense publique, et les nouvelles régions peuvent choisir leur appellation ; en outre, une deuxième chambre doit être instaurée. Le troisième chapitre, le plus sensible, concerne la sécurité. L'objectif est de permettre à l'Etat malien de se redéployer dans le Nord et d'y installer ses différentes forces de sécurité – police, gendarmerie et armée. Ce processus complexe nécessite le cantonnement et la démobilisation des forces non gouvernementales, puis l'organisation de patrouilles mixtes entre les trois signataires de l'accord – le gouvernement malien et les deux regroupements de forces du Nord du Mali, la Coordination, à l'origine en faveur de l'indépendance, et la Plateforme, partisane de l'autonomie. Enfin, le dernier point, relatif au développement et à la conférence des bailleurs de fonds, est celui qui avance le mieux, et un effort particulier sera consenti pour le Nord du pays.

La mise en oeuvre de l'accord s'avère très difficile et lente. Le document renvoyait à des décisions du Parlement malien pour sa mise en oeuvre et prévoyait également une réforme de la constitution. Il y a donc un travail législatif à réaliser, et cette tâche ne s'accomplit que lentement. On a progressé sur les lois électorales pour les scrutins locaux, et le gouvernement a annoncé la tenue d'élections communales le 20 novembre prochain, rendez-vous qui sera important pour restaurer l'autorité de l'État dans le Nord du pays. Le gouvernement a créé deux régions dans le Nord, et les trois régions de l'Azawad sont dorénavant cinq ; il a mis en place les commissions de démobilisation et a achevé la construction de sites de cantonnement pour les forces. Le président Ibrahim Boubacar Keïta a annoncé le mois dernier la tenue d'une conférence d'entente nationale avant la fin de l'année. La préparation de la révision constitutionnelle avance, et, pour la première fois depuis des années, le gouverneur de Kidal a pu venir dans le Nord assister à la rentrée des classes, l'ensemble des symboles de l'État malien ayant pu être restaurés, certes de manière temporaire, pour l'occasion.

En revanche, les autorités intérimaires se mettent difficilement en place, et il en va de même pour le processus d'intégration des combattants et le retour des réfugiés, tout cela étant contrarié par la reprise d'affrontements dans le Nord. En juillet dernier, la Coordination et la Plateforme se sont battues à Kidal, et nous assistons à un mouvement, que nous pensons organisé et volontaire, de démembrement de la Coordination, composante de la rébellion constituée de Touaregs et d'Arabes favorables à l'indépendance mais signataires de l'accord de paix et de réconciliation. Les dissidences ont donné lieu à l'apparition de nouveaux groupes, le Mouvement pour le salut de l'Azawad (MSA) et le Congrès pour la justice dans l'Azawad (CJA), rassemblant des clans touaregs. Ces organisations ne valident pas la liste des membres des autorités intérimaires remise par la Coordination à laquelle elles appartenaient, ce qui nourrit de nouvelles menaces pour la mise en oeuvre de l'accord.

Dans la crise malienne, nos partenaires de l'UE ont consenti une mobilisation sans précédent. Depuis des années, les Nations unies se plaignent de l'absence des pays développés dans les opérations de maintien de la paix ; au Mali, plus de 850 militaires européens participent à la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). En réponse à l'invocation par la France de l'article 42-7 du traité sur l'Union européenne (TUE) relatif à la solidarité entre les États membres de l'Union en cas d'attaque, l'Allemagne a dépêché plus de 535 soldats au Mali et s'apprête à en envoyer bien davantage à l'occasion de la prochaine relève. La presse allemande s'est fait l'écho du prochain déploiement d'hélicoptères, appareils indispensables pour opérer dans une région comme celle du Nord du Mali. Les Pays-Bas avaient mis des hélicoptères à la disposition de la mission, mais ont annoncé leur rappel, d'où l'importance de la décision allemande.

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