Intervention de Jacques Krabal

Séance en hémicycle du 31 janvier 2017 à 15h00
Adaptation des territoires littoraux au changement climatique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Krabal :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, chers collègues, la proposition de loi que nous allons examiner en deuxième lecture dans notre hémicycle cet après-midi concerne un sujet particulièrement technique et mouvant : la régulation juridique du « trait de côte ».

Pour ceux qui, comme moi, ne sont pas des spécialistes du littoral, je précise que le « trait de côte » est qu’on pourrait définir en termes courants comme la limite entre la terre et la mer dans des conditions de marée et météorologiques habituelles. Pour notre valeureuse rapporteure, Pascale Got, ce sujet n’a plus aucun secret et je tiens, au nom des députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, à la féliciter chaleureusement pour son travail législatif remarquable, en amont comme au cours des deux lectures du texte à l’Assemblée.

Si nous sommes perpétuellement confrontés, dans notre mission de législateur, à de nombreux écueils, celui de la rédaction des normes visant à encadrer juridiquement des sujets qui évoluent rapidement dans un monde qui ne cesse lui-même de se transformer est probablement celui qui prend le plus d’ampleur. Pour n’en prendre qu’un seul exemple, la révolution numérique pourrait être comparée à un torrent qui emporte tout sur son passage et que le législateur tente d’endiguer. Toutes les lois qui ont tenté d’édifier des barrages à ce torrent ont été débordées et ont pris la marée. La loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information– DADVSI – et la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet– HADOPI – ont ainsi été qualifiées de « lois Titanic » : elles ont sombré, elles ont pris la marée, car elles tentaient d’imposer des normes fixes et immuables à un torrent numérique qu’il conviendrait de tenter de réguler et de canaliser avec plus d’humilité et de fluidité.

Pour ce qui est de l’édiction de normes sur le trait de côte, nous sommes dans une situation similaire : il s’agit de réguler ce qui ne cesse de fluctuer. Comme le disent les juristes, le trait de côte n’est régulier ni dans sa forme, ni dans sa structure. On peut du reste différencier deux types de côtes : les côtes d’érosion – par exemple les falaises rocheuses – et les côtes d’accumulation, fruit de la sédimentation ou de l’activité d’organismes vivants, telles que les plages, dunes ou récifs coralliens. Si les côtes d’érosion ne peuvent que reculer sous l’effet des phénomènes d’érosion, les côtes d’accumulation peuvent aussi avancer du fait de phénomènes d’accumulation ou d’« accrétion ».

Côtes, dunes, plages, récifs coralliens, séparation ou frontière entre la terre et la mer : voilà des images qui inspirent des rêveries et des promenades mentales, des thèmes et des images que les poètes explorent. Avant d’aborder une analyse plus juridique – rassurez-vous ! – des enjeux de la proposition de loi que nous examinons, permettez-moi de profiter de cette tribune pour citer quelques vers qui, pour l’instant, ne doivent rien à La Fontaine :

« Homme libre, toujours tu chériras la mer.

La mer est ton miroir, tu contemples ton âme

Dans le déroulement infini de sa lame

Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer. »

Ces vers sont, bien sûr, de Baudelaire : le poète invite l’Homme libre à chérir la mer – la mer fascinante par son infinitude, la mer à notre image, miroir où l’Homme regarde son double, comme un frère à la fois jumeau et ennemi, comme l’infini toujours possible de sa liberté.

Pourtant, aussi transcendants que soient la musicalité ou le symbole, la science, les variations climatiques, le développement des transports et l’exploitation des ressources nous inciteraient aujourd’hui à contredire le poète. « La mer, la mer toujours recommencée » de Paul Valéry n’est probablement plus. L’infini, la richesse inépuisable des ressources et la pérennité des libertés maritimes ont pu être justes au temps, pas si lointain, de Baudelaire ou de Valéry, mais elles sont désormais dépassées. La mer n’est plus recommencée, les ressources halieutiques s’amenuisent, les pollutions s’aggravent et les changements climatiques bouleversent les frontières connues ou reconnues.

Dans ce contexte, la protection de l’environnement maritime apparaît comme un moyen relativement accessible, pour un pays comme le nôtre, de protéger notre bien tout en affirmant notre droit. Une grande partie de nos espaces maritimes se situe dans nos outre-mers et je salue les députés élus de ces territoires qui sont présents aujourd’hui.

Cette proposition de loi, dont l’examen touche à sa fin, est le fruit d’une longue réflexion, qui s’est cristallisée en 2009 lors du Grenelle de la mer avant de se prolonger par des rapports, dont celui qu’a rendu le député Alain Cousin, en 2011, intitulé Propositions pour une stratégie nationale de gestion du trait de côte, du recul stratégique et de la défense contre la mer, partagée entre l’État et les collectivités territoriales.

Ensuite, depuis 2012, le Gouvernement a beaucoup travaillé, les parlementaires se sont mobilisés et, en janvier 2015, a été installé le comité national de suivi pour la mise en oeuvre de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte, dit « comité stratégique », présidé par notre rapporteure et par Chantal Berthelot, que je salue.

Des obstacles s’opposant à la mise en oeuvre du repli stratégique par ou pour les communes ont été identifiés. On compte en effet parmi les principaux objectifs poursuivis par cette proposition de loi la levée des obstacles qui s’opposent à la prise en considération du recul du trait de côte, ainsi que l’étude de la temporalité propre au phénomène et des risques et conséquences qu’il comporte pour l’aménagement du territoire.

La proposition de loi vise ensuite à donner de premières orientations législatives afin de déterminer un cadre opérationnel à l’intention des collectivités locales. Il s’agit de premiers outils, qui devront être complétés par la suite.

Le recul du trait de côte a des implications multiples pour les problématiques d’urbanisme littoral, d’aménagement du territoire, de gestion des écosystèmes côtiers, de prévention des risques et de gestion du domaine public maritime.

Il s’agit aussi d’un sujet politique significatif, sur lequel nous devons avancer ensemble de façon pragmatique, sans multiplier les contraintes juridiques pour les collectivités et les acteurs socio-professionnels, mais pour prévenir un risque réel. Je pense à cet égard à la fable Le Torrent et la Rivière, de Jean de la Fontaine, dont la morale est finalement qu’il faut se méfier de l’eau qui dort : l’enjeu de l’érosion des littoraux nous est souvent invisible.

Nous avons tous en mémoire, et ils ont été rappelés tout à l’heure, les drames provoqués par la tempête Xynthia, en février 2010, à La Faute-sur-Mer et dans d’autres communes. Il est de notre devoir de prévenir autant que faire se peut de tels phénomènes.

Il ne faut pas oublier non plus qu’en un siècle, le niveau des mers pourrait augmenter, selon les estimations, de 26 à 55 centimètres. À ce jour, 24 % du littoral métropolitain subit une érosion et 23 % des terres urbanisées sont situées à moins de 250 mètres des côtes.

Dans l’hypothèse catastrophique d’une fonte des banquises, l’augmentation pourrait même atteindre sept mètres. Nous savons donc que nous allons devoir nous adapter en permanence.

Pour cette deuxième lecture, nous soutenons le rétablissement des avancées que le Sénat n’avait pas retenues, notamment la reconnaissance des stratégies locales et l’information du public : ce sont des outils indispensables. Tout comme la loi Littoral de janvier 1986 – non modifiée par le présent texte –, il s’agit d’une proposition de loi de compromis, que les députés du groupe RRDP soutiendront. Comme le disait déjà en 1986 un des plus grands experts français du littoral, au nom prédestiné, Alain Miossec, il est quasiment impossible de graver dans le marbre de la loi les éléments par définition mobiles – les plages, les dunes, les vasières.

Nous voterons donc cette proposition de loi avec l’humilité qu’il convient d’avoir lorsque l’on légifère sur ce type de sujet, c’est-à-dire en gardant à l’esprit que cette législation est, comme la mer de Paul Valéry, nécessairement appelée à être toujours recommencée.

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