Madame la présidente, mes chers collègues, je vous remercie de m'accueillir au sein de cette commission pour vous présenter une proposition de résolution européenne, déposée par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, qui vise à créer les conditions d'un débat véritablement démocratique sur le CETA. Nous considérons que cet accord peut être lourd de menaces, tant pour les économies européennes que pour la démocratie même.
Cette proposition de résolution intervient alors que la procédure d'approbation est en cours, dans une phase du processus qui nous paraît propice à l'expression des représentants du peuple, tant au niveau du Parlement européen que des parlements nationaux, après une phase de négociation dont il faut bien reconnaître qu'elle n'a pas été placée sous le signe de la démocratie et qu'elle a même été particulièrement opaque. L'accord a été signé le 30 octobre dernier et l'approbation de l'accord par le Parlement européen devrait être examinée lors de sa séance du 2 février prochain.
Le CETA est un accord mixte, ce qui signifie que sa conclusion ne pourra intervenir qu'après ratification par chacun des États membres. Toutefois, le Conseil européen a la possibilité de décider – ce qu'il a fait le 28 octobre dernier – son application provisoire sous réserve de l'approbation du Parlement européen et d'une limitation aux seules dispositions relevant de la compétence exclusive de l'Union – ce qui représente grosso modo 90 % d'entre elles. À l'exception, donc, des dispositions exclues du champ de l'application provisoire, relatives en particulier à l'investissement et au mécanisme de règlement des différends entre les États et les investisseurs, c'est la quasi-totalité de l'accord qui pourrait ainsi entrer en vigueur dès le vote du Parlement européen, le 2 février prochain.
Nous voulons placer cette proposition de résolution sous le signe du débat démocratique, compte tenu des problèmes de fond que l'accord, selon nous, continue de poser.
Matthias Fekl a considéré tout à l'heure, lors de la réunion que nous avons tenue avec la commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes, que cet accord était globalement équilibré et que les conséquences susceptibles d'en résulter n'étaient peut-être si importantes, le Canada n'étant, selon sa propre expression, « pas un partenaire de premier plan ». Je dois dire que nous ne partageons pas cette vision des choses et que, sur le fond, il reste bien des questions et des interrogations.
Force est de constater, tout d'abord, qu'il n'existe aucune étude d'impact sérieuse. Non seulement le surplus de croissance espéré est sujet à caution, mais ses conséquences seraient, à coup sûr, négatives sur les standards de protection sociale.
C'est ce qui a conduit, le 8 décembre dernier, la commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen à proposer le rejet de l'accord. Sa position s'appuie en particulier sur une étude indépendante, émanant de l'université américaine Tufts, qui a dressé un tableau noir des conséquences économiques et sociales d'une éventuelle entrée en vigueur du CETA. Selon cette étude, près de 230 000 emplois pourraient disparaître d'ici à 2023 du fait de l'entrée en vigueur de l'accord, dont un peu plus de 200 000 dans la seule Union et de 45 000 en France. On ne peut pas écarter d'un revers de main ses conclusions, qui méritent à coup sûr d'être considérées de plus près.
Mais, au-delà même de la création d'une vaste zone de libre-échange, cet accord, dit « de nouvelle génération », vise surtout à supprimer les normes permettant de réguler les secteurs fondamentaux de notre vie économique et sociale et à instituer un mécanisme de règlement des différends entre les États et les investisseurs.
Dès lors, en cas de désaccord avec la politique publique menée par un État, une multinationale pourrait déposer plainte contre, non pas devant les juridictions nationales de cet État, mais devant une instance internationale. Certes, ce qui est positif, c'est que cette plainte ne serait plus transmise à des tribunaux arbitraux privés, ceux-ci ayant été remplacés in extremis par un système de « cour des investissements ». Toutefois, les juges seront autorisés à exercer des activités lucratives d'avocat avant et après leur mandat. Surtout, le problème de principe demeure car, même composée de juges nommés par les États, cette cour internationale est susceptible de remettre en cause l'exclusivité des juridictions de l'Union européenne dans l'interprétation du droit européen. C'est pourquoi nous pensons judicieux de demander la saisine par la France de la Cour de justice de l'Union européenne, afin de s'assurer de la conformité du CETA au droit européen.
Ce traité représente aussi une menace pour l'agriculture et les producteurs européens. Le principe de précaution n'existant pas au Canada, il n'y a pas d'obligation d'étiquetage des organismes génétiquement modifiés (OGM). Nos agriculteurs soulignent en outre le manque de reconnaissance des produits certifiés français : seule une centaine d'appellations d'origine contrôlée (AOC) est reconnue, sur les 561 que compte notre pays. L'accord prévoit bien la protection de 173 indications géographiques protégées (IGP) européennes au Canada, dont 42 françaises, mais le nombre des IGP actuellement reconnues par l'Union européenne ou enregistrées et en voie de l'être est supérieur à 1 400 ! C'est pourquoi nous demandons des informations plus précises sur l'effet de ces mesures en France.
Il faudrait également évaluer l'impact du système des indications géographiques protégées sur la qualité des produits, ainsi que sur la structuration des filières de production et de commercialisation, compte tenu de la coexistence autorisée d'une partie des marques déposées canadiennes.
Le CETA représente également une menace majeure pour notre élevage. Je vous renvoie en particulier au rapport présenté dès octobre 2014 par la présidente de notre commission des affaires européennes. Aujourd'hui, le Canada exporte vers l'Union européenne 3 000 tonnes de boeuf et 4 000 tonnes de porc. Avec le CETA, il pourra en exporter respectivement 65 000 et 75 000 tonnes.
En matière d'environnement et de développement durable, le dispositif général de l'accord est susceptible d'aller à l'encontre des objectifs de développement durable, s'agissant en particulier des enjeux climatiques et environnementaux. La Commission nationale consultative des droits de l'homme a publié, le 15 décembre dernier, un avis des plus critiques sur le sujet.
Même s'il y a entre nous des divergences d'appréciation sur les conséquences possibles du CETA, chacun conviendra sans doute que ces conséquences méritent d'être débattues dans un cadre public, ouvert et contradictoire. Or, cette transparence a fait défaut durant les négociations, pour lesquelles le peuple français a été représenté par les technocrates de la Commission européenne. L'exclusion de toute participation des peuples, des parlements et de la société civile porte à s'interroger sur la légitimité de ces négociations tenues à huis clos, dans une opacité et un silence qui ne font qu'entretenir la défiance des peuples.
C'est pourquoi il me semble essentiel de susciter le débat en toute transparence sur cet accord, comme l'avait fait, le 22 mai 2014, l'Assemblée nationale en adoptant une proposition de résolution européenne déposée par notre groupe sur le traité de libre-échange transatlantique. La présente proposition de résolution contient deux demandes principales.
Premièrement, nous souhaitons que le Parlement français soit consulté avant toute mise en oeuvre provisoire du CETA, qui pourrait avoir lieu dès le 1er mars si l'accord du Parlement européen était donné. Certes, il aurait mieux valu qu'il soit consulté avant l'adoption par le Conseil, le 28 octobre dernier, de la décision relative à la signature de l'accord. Mais, compte tenu de la perspective d'une application provisoire de ce dernier, cette demande me semble demeurer d'une particulière pertinence.
Deuxièmement, nous invitons le Gouvernement à proposer au Président de la République, en application de l'article 11 de la Constitution, d'organiser un référendum sur le projet de ratification, tant il nous semble important de donner, en dernier ressort, la parole au peuple sur un accord qui peut avoir les conséquences que j'ai brièvement rappelées.