Intervention de Jean-Marc Ayrault

Réunion du 17 janvier 2017 à 18h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international :

Je vous remercie de m'accueillir à nouveau et d'avoir abordé avec toujours autant de précision les différents points que vous souhaitez que nous traitions.

Je commencerai par le processus de paix au Proche Orient. Comme je l'ai déclaré aussi bien aux députés qu'aux sénateurs, le chemin sera encore long pour que nous parvenions à réunir des conditions pour que les parties recommencent à négocier. Mais, la conférence de dimanche dernier est un succès diplomatique et politique. Il n'était pas évident, en effet, de réunir autant de participants – beaucoup plus nombreux que lors de la réunion du 3 juin dernier, sorte de préalable à celle-ci. En soi, cette conférence constitue un signe fort dans un contexte politique précis, celui d'une dégradation de la situation – je songe au récent attentat perpétré à Jérusalem, qui a causé la mort de nombreuses personnes et que nous avons évidemment condamné ; je pense également à des violences réciproques qui enveniment le climat et se révèlent particulièrement préjudiciables à la paix dans la région. Derrière l'attentat de Jérusalem, les autorités israéliennes voient la main de Daech ; or il faut être bien conscient que cette organisation est susceptible de mener un travail de propagande très intense, aussi bien en Cisjordanie que dans les pays voisins où se trouvent des camps palestiniens, cherchant à exploiter la frustration des populations causée par l'absence de perspectives du projet de créer deux États – projet qui pour nous reste la seule voie possible, comme l'a d'ailleurs réaffirmé avec force la communauté internationale, dimanche dernier.

Le Moyen Orient se trouve d'une manière générale dans une situation dramatique – vous avez évoqué la Syrie, l'Irak, auxquels on peut ajouter la Libye, le Yémen voire le Liban où, malgré une amélioration, subsistent des risques d'instabilité politique. Nombreux sont ceux qui considèrent que les questions liées à ces pays sont prioritaires et que le traitement du conflit israélo-palestinien pourrait être renvoyé à plus tard. Or le règlement de ce dernier est indispensable à la paix dans la région. Le ministre des affaires étrangères de Mauritanie, lors de la conférence de dimanche dernier, a prononcé des mots très mesurés et très justes pour décrire la frustration née du report constant de la création d'un État palestinien, frustration ressentie profondément, j'y insiste, au sein des pays de la région. Quoi qu'il arrive, a-t-il précisé, même si nous en venions à nous désintéresser de cette question, les populations arabes la rappelleraient sans cesse à notre souvenir.

Je viens d'évoquer la mesure des propos du ministre des affaires étrangères de Mauritanie. J'ai été frappé, précisément, lors de cette conférence, par l'absence de paroles excessives notamment à l'encontre d'Israël, à l'inverse de ce qui avait été annoncé. Cela ne sert à rien de créer un climat de tension et, du côté du gouvernement français, il n'y a aucune agressivité vis-à-vis d'Israël – idée absente de nos pensées et de nos intentions – : la France est un pays ami de l'État d'Israël depuis son origine et est attachée à sa sécurité. J'ai noté que le Hamas avait condamné la conférence, la qualifiant d' « absurdité », montrant par là qu'il y a ceux qui veulent la paix et ceux qui ne feront rien pour y parvenir.

Le 23 décembre 2016, le Conseil de sécurité des Nations unie a adopté la résolution 2334, demandant l'arrêt de la colonisation israélienne, condamnant les violences et rappelant par conséquent les positions historiques de l'ONU. D'ailleurs, tous les pays membres du Conseil de sécurité étaient présents à la conférence de dimanche dernier et se retrouvent sur les mêmes positions – je reviendrai ultérieurement sur le cas du Royaume-Uni. Pour avoir longuement discuté avec John Kerry depuis un peu moins d'un an que j'ai pris mes fonctions, j'ai constaté chez lui une grande sincérité et décelé son angoisse à la vu des cartes qui montrent que la poursuite de la colonisation, y compris en en zone C, réduit d'autant la possibilité de la créer un État palestinien viable.

Beaucoup se sont employés à nous reprocher d'organiser la conférence cinq jours avant la cérémonie d'inauguration du nouveau président américain. Je tiens tout de même à rappeler que l'action de la France s'inscrit dans la durée et que la conférence, annoncée n'était pas une manifestation d'hostilité au futur président. Poursuivant donc notre action, nous attendons simplement de la part des États-Unis une clarification, c'est-à-dire la réaffirmation des positions habituelles, au-delà des désaccords qui peuvent exister. Et, parmi les points très sensibles que nous avons évoqués, figure celui relatif aux ambassades. Jusqu'à présent, aucun pays ne s'est engagé à déplacer son ambassade de Tel Aviv à Jérusalem ; y procéder de façon unilatérale serait vécu comme un geste négatif – j'ai même parlé de « provocation ».

Il faut y prêter une grande attention car le règlement du conflit passe par la négociation entre les parties. Jamais nous n'avons voulu négocier à la place des Israéliens et des Palestiniens. En revanche, il s'agit pour nous de créer un contexte favorable au dialogue, de montrer l'intérêt que la communauté internationale porte à la solution des deux États et donc à leur sécurité et à leur prospérité. L'Union européenne est un grand partenaire économique d'Israël, mais aussi le premier bailleur de fonds des territoires palestiniens. Nous sommes donc concernés. Aussi la question du déplacement éventuel de l'ambassade des Etats-Unis, qui renvoie à la question de la capitale des deux Etats, est-elle extrêmement sensible et ne peut être envisagée indépendamment d'un règlement du conflit. Quant aux territoires palestiniens, les frontières de 1967 constituent le cadre de référence et, ici aussi, tout éventuel échange de territoires doit résulter de négociations.

Nous avons travaillé, depuis le 3 juin, avec l'aide de plusieurs pays que j'ai tenu à remercier pour leur engagement, sur le volet économique – comment l'Union européenne peut-elle créerr un contexte incitateur ? –, sur le renforcement des capacités du futur État palestinien, enfin sur le rapprochement des sociétés civiles. Certains ministres ont fait état d'initiatives bilatérales – que nous encourageons –, comme le ministre belge des affaires étrangères, Didier Reynders, qui a organisé une conférence à Bruxelles avec des petites et moyennes entreprises (PME) d'Israël et de Palestine, afin de contribuer à un dialogue le plus constructif possible.

Pour ce qui est de la position américaine, nous attendons de voir si les propos de campagne auront une traduction concrète. Nous allons également entrer en contact avec la nouvelle administration, le plus vite possible.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion