La séance est ouverte à dix huit heures.
Nous avons le plaisir d'accueillir M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international pour une audition fermée à la presse.
Nous sommes convenus, monsieur le ministre, que vous consacreriez votre propos introductif à trois sujets : la conférence pour la paix au Proche Orient, qui s'est tenue dimanche dernier ; l'Irak et la Syrie ; enfin, les attentes vis-à-vis de la nouvelle administration américaine.
À propos de la conférence pour la paix au Proche Orient, un certain nombre de réserves ont pu être formulées à l'égard de cette rencontre, portant notamment sur l'absence des parties au conflit. Je ne partage pas ces critiques. Vous avez en effet constamment précisé, monsieur le ministre, à l'instar de votre prédécesseur, qu'il ne s'agissait pas de se substituer aux acteurs de cette crise, auxquels il reviendra évidemment in fine de faire la paix. Mais il faut admettre que le face-à-face entre Israéliens et Palestiniens arbitré par les seuls États-Unis a montré ses limites – nous l'avons vu ces derniers mois – et qu'il serait irresponsable de notre part de sous-estimer la menace que fait peser sur la stabilité de la région le pourrissement de ce conflit ou sa transformation en affrontement religieux. Enfin, si nous n'agissons pas, le temps jouera contre nous et la solution des deux États deviendra bientôt impossible ; or elle n'a d'autre alternative, j'en suis convaincue, que le chaos et la guerre civile.
J'ai cependant quelques questions sur l'état d'esprit de nos partenaires et sur les suites à donner à cette rencontre.
L'interrogation principale porte évidemment sur l'attitude des États-Unis. Benjamin Netanyahou, qui a qualifié cette conférence de « futile », a fait référence à l'entrée en fonction imminente de Donald Trump qui signerait la fin d'un « monde ancien ». Il est en réalité très difficile de prévoir la position du président élu, entre volonté de médiation affichée et déclarations intempestives sur l'installation de l'ambassade américaine à Jérusalem.
Le Royaume-Uni a quant à lui émis des réserves quant au communiqué final : est-ce par souci d'alignement sur les futures positions américaines, réelles ou supposées ? Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?
Ensuite, quel rôle la Russie entend-elle jouer, elle qui entretient de bonnes relations avec les deux parties, et semble s'inquiéter du rôle joué par le Quartet ?
Enfin, quelle suite entendez-vous donner à cette conférence pour renforcer le camp de la paix, en particulier en s'appuyant sur les sociétés civiles ?
Deuxième sujet, en Irak, l'armée irakienne progresse à Mossoul alors qu'en Syrie, Daech a repris Palmyre et semble bien résister à l'opération turque « Bouclier de l'Euphrate » ; les opérations à Raqqa, essentielles pour notre propre sécurité, se poursuivent.
Depuis la reprise d'Alep par le régime syrien, la Russie et la Turquie ont pris en main la gestion de la crise. Un accord de cessez-le-feu a été conclu et une réunion devrait se tenir le 23 janvier à Astana à laquelle le haut comité de l'opposition syrienne pourrait participer. Vous nous direz quelle est la position française sur ces échéances. Outre les interrogations sur le respect du cessez-le-feu et sur la probabilité que la réunion d'Astana puisse déboucher sur un nouveau cycle de négociation à Genève dans le cadre onusien, différentes questions se posent. Comment interpréter le duo joué par la Russie et la Turquie ? Quelle autre partie risque-t-elle d'en faire les frais, l'opposition syrienne se trouvant en position de faiblesse depuis sa défaite à Alep ? Qu'en est-il du régime syrien, totalement dépendant de ses soutiens extérieurs alors que la Russie a intérêt à trouver un règlement avec la Turquie, laquelle pourrait être contrainte d'accepter une partition de fait de la Syrie ? Quelle est la marge de manoeuvre de l'Iran ? Quid, enfin, des incertitudes sur la future politique américaine ?
Ces incertitudes sont en effet loin d'être levées. Nous avons noté que, lors de leurs auditions par le Congrès, les responsables désignés par le président Trump se sont déjà fortement démarqués des déclarations de ce dernier. En particulier, le futur secrétaire d'État, Rex Tillerson, a laissé entendre que la politique américaine pourrait être beaucoup moins iconoclaste qu'attendu ; mais, dans le même temps, M. Trump a déclaré ce qu'il a déclaré avant-hier…
Apparaît tout de même une constante dans les déclarations du président élu : le protectionnisme et la lutte contre les migrations, qui sont sans doute les thèmes de politique étrangère qui intéressent le plus son électorat. En revanche, sur les autres sujets, tout est encore flou, notamment s'agissant des relations avec la Russie.
Pour finir, l'un des dossiers que nous devrons vraiment aborder, dans ce contexte, est la question de l'extraterritorialité des lois américaines sur laquelle, vous le savez, notre commission et la commission des finances ont produit un rapport. J'ai vu que vos services avaient demandé aux postes européens des éléments sur cette question qui suppose en effet une forte coordination des Européens.
Je vous remercie de m'accueillir à nouveau et d'avoir abordé avec toujours autant de précision les différents points que vous souhaitez que nous traitions.
Je commencerai par le processus de paix au Proche Orient. Comme je l'ai déclaré aussi bien aux députés qu'aux sénateurs, le chemin sera encore long pour que nous parvenions à réunir des conditions pour que les parties recommencent à négocier. Mais, la conférence de dimanche dernier est un succès diplomatique et politique. Il n'était pas évident, en effet, de réunir autant de participants – beaucoup plus nombreux que lors de la réunion du 3 juin dernier, sorte de préalable à celle-ci. En soi, cette conférence constitue un signe fort dans un contexte politique précis, celui d'une dégradation de la situation – je songe au récent attentat perpétré à Jérusalem, qui a causé la mort de nombreuses personnes et que nous avons évidemment condamné ; je pense également à des violences réciproques qui enveniment le climat et se révèlent particulièrement préjudiciables à la paix dans la région. Derrière l'attentat de Jérusalem, les autorités israéliennes voient la main de Daech ; or il faut être bien conscient que cette organisation est susceptible de mener un travail de propagande très intense, aussi bien en Cisjordanie que dans les pays voisins où se trouvent des camps palestiniens, cherchant à exploiter la frustration des populations causée par l'absence de perspectives du projet de créer deux États – projet qui pour nous reste la seule voie possible, comme l'a d'ailleurs réaffirmé avec force la communauté internationale, dimanche dernier.
Le Moyen Orient se trouve d'une manière générale dans une situation dramatique – vous avez évoqué la Syrie, l'Irak, auxquels on peut ajouter la Libye, le Yémen voire le Liban où, malgré une amélioration, subsistent des risques d'instabilité politique. Nombreux sont ceux qui considèrent que les questions liées à ces pays sont prioritaires et que le traitement du conflit israélo-palestinien pourrait être renvoyé à plus tard. Or le règlement de ce dernier est indispensable à la paix dans la région. Le ministre des affaires étrangères de Mauritanie, lors de la conférence de dimanche dernier, a prononcé des mots très mesurés et très justes pour décrire la frustration née du report constant de la création d'un État palestinien, frustration ressentie profondément, j'y insiste, au sein des pays de la région. Quoi qu'il arrive, a-t-il précisé, même si nous en venions à nous désintéresser de cette question, les populations arabes la rappelleraient sans cesse à notre souvenir.
Je viens d'évoquer la mesure des propos du ministre des affaires étrangères de Mauritanie. J'ai été frappé, précisément, lors de cette conférence, par l'absence de paroles excessives notamment à l'encontre d'Israël, à l'inverse de ce qui avait été annoncé. Cela ne sert à rien de créer un climat de tension et, du côté du gouvernement français, il n'y a aucune agressivité vis-à-vis d'Israël – idée absente de nos pensées et de nos intentions – : la France est un pays ami de l'État d'Israël depuis son origine et est attachée à sa sécurité. J'ai noté que le Hamas avait condamné la conférence, la qualifiant d' « absurdité », montrant par là qu'il y a ceux qui veulent la paix et ceux qui ne feront rien pour y parvenir.
Le 23 décembre 2016, le Conseil de sécurité des Nations unie a adopté la résolution 2334, demandant l'arrêt de la colonisation israélienne, condamnant les violences et rappelant par conséquent les positions historiques de l'ONU. D'ailleurs, tous les pays membres du Conseil de sécurité étaient présents à la conférence de dimanche dernier et se retrouvent sur les mêmes positions – je reviendrai ultérieurement sur le cas du Royaume-Uni. Pour avoir longuement discuté avec John Kerry depuis un peu moins d'un an que j'ai pris mes fonctions, j'ai constaté chez lui une grande sincérité et décelé son angoisse à la vu des cartes qui montrent que la poursuite de la colonisation, y compris en en zone C, réduit d'autant la possibilité de la créer un État palestinien viable.
Beaucoup se sont employés à nous reprocher d'organiser la conférence cinq jours avant la cérémonie d'inauguration du nouveau président américain. Je tiens tout de même à rappeler que l'action de la France s'inscrit dans la durée et que la conférence, annoncée n'était pas une manifestation d'hostilité au futur président. Poursuivant donc notre action, nous attendons simplement de la part des États-Unis une clarification, c'est-à-dire la réaffirmation des positions habituelles, au-delà des désaccords qui peuvent exister. Et, parmi les points très sensibles que nous avons évoqués, figure celui relatif aux ambassades. Jusqu'à présent, aucun pays ne s'est engagé à déplacer son ambassade de Tel Aviv à Jérusalem ; y procéder de façon unilatérale serait vécu comme un geste négatif – j'ai même parlé de « provocation ».
Il faut y prêter une grande attention car le règlement du conflit passe par la négociation entre les parties. Jamais nous n'avons voulu négocier à la place des Israéliens et des Palestiniens. En revanche, il s'agit pour nous de créer un contexte favorable au dialogue, de montrer l'intérêt que la communauté internationale porte à la solution des deux États et donc à leur sécurité et à leur prospérité. L'Union européenne est un grand partenaire économique d'Israël, mais aussi le premier bailleur de fonds des territoires palestiniens. Nous sommes donc concernés. Aussi la question du déplacement éventuel de l'ambassade des Etats-Unis, qui renvoie à la question de la capitale des deux Etats, est-elle extrêmement sensible et ne peut être envisagée indépendamment d'un règlement du conflit. Quant aux territoires palestiniens, les frontières de 1967 constituent le cadre de référence et, ici aussi, tout éventuel échange de territoires doit résulter de négociations.
Nous avons travaillé, depuis le 3 juin, avec l'aide de plusieurs pays que j'ai tenu à remercier pour leur engagement, sur le volet économique – comment l'Union européenne peut-elle créerr un contexte incitateur ? –, sur le renforcement des capacités du futur État palestinien, enfin sur le rapprochement des sociétés civiles. Certains ministres ont fait état d'initiatives bilatérales – que nous encourageons –, comme le ministre belge des affaires étrangères, Didier Reynders, qui a organisé une conférence à Bruxelles avec des petites et moyennes entreprises (PME) d'Israël et de Palestine, afin de contribuer à un dialogue le plus constructif possible.
Pour ce qui est de la position américaine, nous attendons de voir si les propos de campagne auront une traduction concrète. Nous allons également entrer en contact avec la nouvelle administration, le plus vite possible.
Je reviendrai sur les relations avec les États-Unis.
Que pouvons-nous faire au niveau européen ? Hier, au Conseil des affaires étrangères, les ministres sont tombés d'accord pour rappeler les positions préalablement définies qui engagent l'Union européenne, positions rappelées devant la presse par la haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
Tous les pays de l'UE étaient représentés à la conférence de dimanche dernier, ce qui m'amène à évoquer le problème du Royaume-Uni dont la position a changé en quelques jours. Le 23 décembre, ce pays votait la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, résolution à la rédaction de laquelle ils avaient contribué ! A la veille de notre conférence, il exprimait des doutes sur son opportunité. Ce revirement s'explique manifestement par la volonté de s'attirer le soutien de la nouvelle administration des États-Unis dans l'espoir de négocier un traité de libre-échange dans le contexte du Brexit. Cette attitude ne sera pas forcément sans conséquences pour le Royaume-Uni dans ses rapports avec les pays de la région. Je le regrette, mais nous allons poursuivre dans la voie empruntée et nous allons tâcher de définir au niveau européen la meilleure manière de nous rendre utiles pour faire avancer la cause de la paix.
Pour ce qui concerne la Russie, j'ai eu un échange la semaine dernière avec Sergueï Lavrov sur le sujet et je lui ai dit que si son pays voulait poursuivre des initiatives déjà engagées, en prendre de nouvelles, comme du reste l'Égypte l'a fait de son côté, nous ne pourrions que le soutenir dans sa démarche. Nous apportons notre soutien à tous ceux qui veulent contribuer à la paix : nous n'avons pas l'exclusivité de l'initiative que nous avons partagée avec plus de 70 pays, dont les membres du Conseil de Sécurité, du G20, sans compter les représentants des Nations Unies - António Guterres n'avait pu venir personnellement alors qu'il vient d'entamer son mandat de secrétaire général de l'ONU – de la Ligue arabe et de l'Organisation de la Conférence islamique.
J'en viens à la Syrie dont nous avons déjà eu l'occasion de parler ici à plusieurs reprises. Après le drame d'Alep, les Turcs et les Russes ont contribué à la recherche d'un cessez-le-feu. Ce dernier est-il effectif partout ? À l'évidence, non. Une réunion à Astana est envisagée le 23 janvier prochain, sous l'égide de la Russie et de la Turquie. Nous considérons que toutes les initiatives de nature à favoriser le dialogue et la reprise du processus politique doivent être soutenues, la priorité étant l'application du cessez-le-feu. Pour peu qu'on avance sur ce dernier point, on pourra alors progresser aussi sur le plan politique mais avec une exigence – que j'ai rappelée hier encore à mon homologue turc – : c'est dans le cadre des Nations unies que la négociation doit avoir lieu ; Staffan de Mistura a d'ores et déjà proposé la date du 8 février prochain pour une réunion à Genève. Tous mes interlocuteurs, les Russes, les Turcs… se disent d'accord.
Je leur ai rappelé qu'il fallait veiller à ce que la délégation représentant l'opposition au régime soit la plus représentative possible. À ce stade, les Russes et les Turcs ont souhaité que l'opposition à la table des négociations, avec les représentants du régime syrien, soit présente par le biais des groupes armés combattants non terroristes. Le Haut comité des négociations (HCN), qui semble avoir donné son accord à cette approche, apportera des conseils techniques et juridiques aux délégations.
Je reste en tout cas prudent. Je rappelle que nous ne sommes pas partie belligérante et que notre priorité est la lutte contre le terrorisme et en particulier contre Daech.
Après Mossoul, va se poser la question de Raqqa. Vous savez par exemple, élément qui ajoute à la complexité de la situation, que certaines forces militaires, sur le terrain, kurdes, sont combattues par les Turcs.
J'ai dit à Sergueï Lavrov qu'il était très important pour moi que la future Syrie préserve son unité et donc que nous évitions sa partition. À cette fin, toutes les minorités doivent pouvoir trouver une place dans la Syrie de demain, y compris les chrétiens et les kurdes. Pour en revenir à Raqqa, il faudra faire en sorte que les forces militaires qui libéreront la ville de Daech soient majoritairement arabes.
Vous venez de recevoir le Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés ; j'ignore s'il a évoqué Mossoul et, plus généralement, l'Irak…
A Mossoul, la situation des réfugiés a été l'une des premières inquiétudes. Il semble qu'il y ait eu, en fin de compte, moins de personnes déplacées qu'on ne l'avait imaginé. Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a réalisé un travail extraordinaire et vous avez pu constater que le Haut-commissaire était quelqu'un de remarquable..
Pour ce qui concerne la reconquête de Mossoul, nous ne sommes pas loin d'aboutir à Mossoul-Est, ce qui sera beaucoup plus difficile et plus long à Mossoul-Ouest, compte tenu de la capacité de résistance et à se redéployer de Daech. Ensuite se posera la question de la gouvernance, qui est fondamentale si on veut un retour durable de la stabilité dans cette ville. Il semblerait que la prise de conscience des autorités irakiennes soit sincère, mais nous devons rester très vigilants. Gagner une bataille est une chose, gagner la paix en est une autre.
Vous m'avez ensuite interrogé sur la future administration Trump. Comme vous, j'ai lu les entretiens accordés hier par le nouveau président des États-Unis à Bild Zeitung et au Times : s'il ne fait pas dans la nuance, reste à voir quelle sera la traduction concrète de ses propos. Prenons l'exemple de ce qu'il dit de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) qu'il déclare dépassée pour, dans la même phrase, souhaiter son renforcement. Un conseiller a donné une interprétation : l'OTAN n'est pas dépassée mais n'est plus adaptée à la nouvelle donne mondiale qui ne correspond plus à la guerre froide. Si c'est bien cela, il y a longtemps que l'OTAN a évolué et le dernier sommet de Varsovie a déjà montré que nous avions franchi une étape historique ! Reste que les Européens, en particulier d'Europe orientale, sont inquiets de telles déclarations.
Ces déclarations sont toutefois de nature, c'est leur effet positif, à faire avancer un peu plus la défense européenne.
Une réponse du président élu me heurte, en particulier dans le contexte du Brexit. Quand on l'interroge sur le fait de savoir s'il préfère une Union européenne forte ou des États forts, il déclare que cela lui est complètement égal, mais que le Brexit n'a pas été pour lui une surprise et qu'il y en aura d'ailleurs d'autres.
Je ne savais pas que Donald Trump avait ici un représentant en la personne de Jacques Myard. (Sourires.)
Sérieusement, nous devons faire attention, notamment lors de la négociation avec le Royaume-Uni une fois que sera activée la procédure de l'article 50 du Traité sur l'Union européenne : nous devrons agir dans la clarté et dans la cohésion. L'Europe doit réagir et défendre son projet. Jusqu'à présent, les États-Unis avaient toujours soutenu la construction européenne, avec certes plus ou moins d'enthousiasme. Nous verrons bien si cette attitude va changer.
Il conviendra, dans ce contexte, de voir ce que les Etats-Unis vont faire sur d'autres sujets comme l'Ukraine, le nucléaire iranien, le multilatéralisme des relations commerciales…
Ma position est claire. Le président élu prend ses fonctions le 20 janvier et il viendra sans doute en Europe à l'occasion de la prochaine réunion du G20. Une fois mon homologue, Rex Tillerson, nommé, je prendrai contact avec lui pour discuter. La France est autonome, indépendante, a sa propre vision, mais n'éprouve pas d'hostilité vis-à-vis des États-Unis qui sont un partenaire, un allié et dont nous souhaitons qu'ils jouent leur rôle. Cependant de très nombreuses questions restent posées.
J'évoquerai ensuite le Brexit. La question n'est pas vraiment de savoir s'il sera « dur » ou « mou » mais de connaître la date à laquelle Theresa May va transmettre la notification de sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Il faut parallèlement que les 27 se dotent d'un mandat de négociation, sur la base d'une proposition de la Commission, afin d'aborder au mieux les discussions sur les conditions du « divorce ». En effet les questions à résoudre, notamment financières, seront difficiles.
Ensuite, et il ne faudra pas confondre les deux étapes, il s'agira de négocier les relations à venir du Royaume Uni avec l'Union européenne.
Tout cela demandera du temps, de la méthode et, j'y insiste, de la cohésion. Or, en la matière, l'axe franco-allemand sera déterminant. Il faudra éviter de céder à la tentation de négociations parallèles, branche économique par branche économique. L'ambassadeur d'Allemagne m'a bien confirmé, ce matin-même, que son gouvernement indiquait aux industriels allemands de n'en rien faire, sauf à prendre le risque de précipiter la fin de l'Europe. Nous abordons une phase nouvelle de la construction européenne et qui n'est pas sans susciter une inquiétude. En même temps, de cette crise existentielle sans précédent peut naître une nouvelle avancée. La France, en tout cas, restera très vigilante et cherchera à se rendre utile sur des sujets précis plutôt que de se contenter de propos généraux sur ce que devrait être l'Europe pour les vingt ans à venir. Nous devons nous montrer opérationnels, pragmatiques. Donc, encore une fois, je crois à la nécessité d'entretenir la cohésion et la relation franco-allemande.
Votre dernière interrogation, madame la présidente, portait sur l'extraterritorialité des lois américaines. Vous avez fait allusion à ma rencontre avec Pierre Lellouche et Karine Berger – que je remercie pour leur travail, très utile. J'ai demandé aux services du Quai d'Orsay et du Trésor d'accélérer les travaux en la matière.
Un mot, pour finir, sur l'accord-cadre signé avec la République de Maurice, qui semble provoquer de nombreux malentendus. Cet accord bilatéral, négocié par la majorité précédente, porte sur l'île de Tromelin et ne remet pas en cause notre souveraineté mais, pour éviter que le débat ne s'envenime, le Gouvernement a souhaité retirer cette question de l'ordre du jour de l'Assemblée ; il appartiendra donc à la prochaine législature de la traiter.
Je commencerai, monsieur le ministre, par ce qui me semble prioritaire : la nouvelle donne des rapports entre les alliés – j'espère qu'on peut toujours les appeler ainsi –, à savoir les États-Unis et, notamment, un certain nombre de pays de l'Union européenne. M. Trump n'est pas encore officiellement investi et ses propos ne sont peut-être pas ceux qu'il tiendra ensuite en tant que président une fois qu'il aura prêté serment – je pense qu'il ferait bien de réfléchir auparavant. (Soutires.)
Il peut encore renoncer.
Vous connaissez le mot de Cocteau : « Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images. »
Y a-t-il une stratégie à définir au niveau européen – je pense d'abord à l'axe franco-allemand, au moteur franco-allemand – pour commencer à préparer la présidence Trump ?
Vous avez évoqué la réunion du G20 ; quand est-elle programmée ?
Vous êtes également revenu sur l'OTAN : peut-on encore en parler ? Y a-t-il encore un commandement intégré ? À quoi sert cette organisation ? Qui paie ?
Enfin, dans ce contexte, comment la diplomatie européenne, mue par le moteur franco-allemand,…
…va-t-elle s'adapter non seulement à l'évolution des États-Unis, que j'ai évoqués au début de mon intervention, mais à celle d'autres pays qui comptent dans le monde comme la Russie ? Nous devons en effet appréhender la réalité de façon globale en faisant jouer à l'Europe tout son rôle et ne pas accepter que les négociations, quelles qu'elles soient, se fassent sans nous.
Monsieur le ministre, nous savons, l'un et l'autre, que nous ne sommes pas d'accord sur certains points, et nous ne le serons toujours pas après mon intervention. Il n'y a pas, d'un côté, le camp de la paix et, de l'autre, le camp de la guerre. Tout le monde veut la paix, mais les façons d'y parvenir peuvent être différentes. En tout état de cause, il serait temps pour nous, Français, de nous demander si nous n'avons pas commis des erreurs. Nous avons eu 250 morts sur notre sol et, comme je l'ai dit tout à l'heure lors des questions au Gouvernement, on n'a qu'un seul mot à la bouche : « Colonisation ».
Je peux vous dire, pour avoir parlé avec de nombreux membres de son administration, que Trump compte bien transférer l'ambassade américaine à Jérusalem. Il n'y a là rien d'extraordinaire, du reste : Jérusalem est la capitale du peuple juif depuis 2 000 ans, la capitale de l'État d'Israël. Vous estimez qu'il s'agit d'une provocation, mais ne pensez-vous pas que les Israéliens ou les amis d'Israël peuvent également voir comme une provocation le fait que la France se soit abstenue, après avoir voté contre, sur la résolution de l'UNESCO ?
Noëlle Lenoir, ancien membre du Conseil constitutionnel, ancienne ministre des affaires européennes et ancienne déontologue de l'Assemblée nationale, n'estime-t-elle pas, dans une tribune que je vous invite à lire, que la conférence de Paris va attiser la haine ? Je suis profondément convaincu que vous vous trompez. Bien entendu, des concessions seront nécessaires : Israël devra quitter une partie des territoires. Mais qui peut imaginer qu'il se retirera de Jérusalem-Est ? Cela n'arrivera jamais !
Je sais que nos positions sur la Syrie sont globalement proches, car je suis beaucoup plus sceptique que certains de mes collègues Républicains sur l'attitude à adopter vis-à-vis de Bachar el-Assad qui, selon moi, ne fait pas partie de la solution. Mais je me souviens d'Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, m'assurant, après en avoir parlé avec notre ancien ambassadeur à Damas, qu'il n'y avait pas de massacres en Syrie. Depuis, la situation a évolué…
J'ai, hélas ! le sentiment que, pour les Israéliens, nos votes nous ont mis hors-jeu. Beaucoup d'entre eux pensent, en effet, que le Gouvernement, notamment le Quai d'Orsay sont hostiles à Israël. Je sais que tel n'est pas le cas ; je suis certain, madame la présidente, monsieur le ministre, que vous êtes des amis d'Israël. Mais j'estime que la solution que vous prônez, et que prône la gauche en général, n'est pas la bonne. C'est mon droit et, en lisant la tribune de Noëlle Lenoir ce matin, je me suis dit que d'autres personnes sensées partageaient peut-être mon avis.
Il ne s'agit pas d'une guerre de territoires. Tous les premiers ministres israéliens, notamment socialistes, qui ont essayé – Barak, Olmert, Rabin, Peres – se sont trompés. En face, on ne veut pas d'un État à côté d'Israël ; on revendique le droit au retour et on refuse de céder sur Jérusalem. Or, ce n'est pas favoriser une résolution du conflit que d'être ainsi arc-bouté sur ses positions. Les uns et les autres doivent s'asseoir à la table des négociations et faire des concessions. Israël devra certainement se retirer de certains territoires, mais il ne sortira jamais de Jérusalem.
Quant à Trump, je l'apprécie, même si je désapprouve notamment son attitude vis-à-vis des femmes. Quoi qu'il en soit, il a été élu par la majorité des Américains et nous devons respecter notre allié, même s'il sort du moule.
Monsieur Habib, je vous ai laissé vous exprimer longuement car nous connaissons vos engagements et votre fougue. Nous vous écoutons toujours avec attention, même si les désaccords existent, et ils sont profonds.
Je me demande parfois si nous ne sommes pas revenus au xve siècle, lorsqu'à Constantinople, les clercs discutaient du sexe des anges pendant que les barbares étaient aux portes de la ville. De fait, personne n'y pense, mais des décisions révolutionnaires sont sur le point d'être prises : M. Trump a annoncé qu'il baisserait le taux de l'impôt sur les sociétés de 39 % à 15 % et Mme May a indiqué qu'elle prendrait une mesure analogue en Grande-Bretagne, en ramenant le taux de cet impôt de 27 % à 12 %. Or, je le rappelle, en France, il est de 33 %. Même s'il devait être ramené à 28 %, comme le propose le candidat Les Républicains, les effets du dumping fiscal que la Grande-Bretagne et les États-Unis s'apprêtent à mettre en oeuvre seront terribles. M. Trump et Mme May vont créer une véritable pompe aspirante qui attirera sur leurs territoires les activités industrielles et les services de la pauvre Europe, assommée par les impôts. Et dire que certains candidats à la primaire socialiste proposent maintenant la création d'un revenu universel qui coûtera 400 milliards !
Je ne dors plus, monsieur le ministre ! Le monde est en train de connaître de grands bouleversements. Vous sourirez moins, mes chers collègues, lorsque les entreprises françaises, grandes et petites, s'installeront aux États-Unis. Je peux vous assurer que ce risque est autrement plus important que celui que représente Daech. Monsieur le ministre, cette question fait-elle l'objet d'une réflexion du Gouvernement ? Je suppose que non. La réflexion n'existe même pas de notre côté – et je compte bien, du reste, en parler à M. Fillon. Pourtant, ce sera, pour nos nations, le problème n° 1.
J'espère, mon cher collègue, que vous nous direz ce que M. Fillon en pense, car nous n'avons plus le bonheur de le voir à la commission des affaires étrangères – mais on peut le comprendre.
Ce qui est certain, c'est que l'investissement est primordial pour l'économie européenne. Il est indispensable que nous prenions toutes les mesures nécessaires en ce sens, qu'il s'agisse de la baisse de l'IS ou du retour aux avances directes des banques centrales aux États pour l'investissement. Il va nous falloir changer de logiciel économique – nous sommes d'accord sur ce point.
Je souhaitais revenir sur la conférence qui s'est tenue à Paris le week-end dernier. Je ne suis pas de ceux qui vous feront le reproche de l'avoir organisée, monsieur le ministre, bien au contraire. Le conflit est actuellement gelé. Or, il va bien falloir en sortir. Certes, cela ne plaît pas à tout le monde – et je comprends la position de Meyer Habib –, mais, dans l'opinion du monde arabo-musulman, c'est une question lancinante, qui bloque tout. Notre intérêt, en tant que Français et en tant qu'Européens, est de ne pas oublier la nécessité de résoudre ce conflit. Il faut donc inciter les deux parties au dialogue et mettre des solutions sur la table.
Juste un mot sur Trump, monsieur le ministre. Si je peux vous donner un conseil, ce serait celui de ne pas vous précipiter à Washington. Les Américains traversent à nouveau une phase d'hubris. C'est à eux de venir. On peut leur transmettre le message que nous les recevrons, mais il ne faut pas se précipiter car, au plan diplomatique, nous devons leur montrer qu'au-delà des discours, il y a la réalité des faits.
Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier pour les conférences que vous avez organisées le 3 juin et le week-end dernier sur la question israélo-palestinienne. On peut être en désaccord sur cette question, la considérer uniquement sous son aspect international ou régional, mais elle est également, en France et dans un certain nombre d'autres pays européens, une question de politique intérieure, car l'absence de solution induit certains comportements dans nos banlieues, dans nos villes et nos campagnes. Tant que la question ne sera pas résolue, les tensions iront en s'amplifiant.
Je ne partage pas l'avis de Meyer Habib – il le sait. J'estime qu'il y a, depuis longtemps, un manque de volonté politique de la part, non pas d'Israël en tant que pays, mais de la majorité et du gouvernement actuels. Du reste, si l'on regarde la carte de la région, l'idée même de deux États peut être remise en cause, car ce que pourrait être le futur État palestinien ressemblerait plutôt à un ensemble de bantoustans.
J'en viens à mes questions. Tout d'abord, si jamais l'administration Trump décidait de transférer l'ambassade américaine à Jérusalem, quelle serait notre capacité de contrecarrer son initiative ?
Par ailleurs, je partage l'inquiétude exprimée par certains face au risque de voir l'administration Trump préférer la multiplication des accords bilatéraux – théorisée par certains penseurs américains sous le concept de « bol de nouilles » –, au détriment du multilatéralisme. Dans cette optique, et sans remettre en cause la commissaire en charge de ces questions, pensez-vous que la diplomatie européenne peut être un peu plus puissante qu'elle ne l'est aujourd'hui ?
Si vous le permettez, monsieur le ministre, je souhaiterais vous interroger sur la Libye. Nous savons que le chef de l'ex-gouvernement de Tripoli a tenté de prendre le contrôle de différents ministères. Avez-vous le sentiment que M. Sarraj maîtrise encore la situation ? Par ailleurs, un accord militaire aurait été conclu entre le général Haftar et la Russie. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce sujet ?
Le dossier libyen est un dossier à risque. Il me semble qu'actuellement, la situation se délite. Lorsque j'ai rencontré récemment M. Sarraj à Bamako, je n'ai pas eu le sentiment que sa position était solide. Il y a des jeux troubles, en effet. En tout état de cause, aucun des pays voisins de la Libye ne suggère d'arrêter de soutenir le gouvernement d'entente nationale de M. Sarraj, mais ils souhaitent un élargissement de sa base politique afin qu'y soient inclus d'autres partenaires, tels que le général Haftar ou le président du parlement de Tobrouk. Cependant, c'est extrêmement difficile compte tenu des divisions en Libye. Nous nous efforçons donc, avec nos partenaires régionaux et internationaux, de faire passer des messages.
Vous avez fait allusion au jeu russe, madame la présidente. Le général Haftar prétend pouvoir sauver la Libye, mais il ne faut pas jouer avec le feu. Il convient qu'il puisse trouver une place, un rôle, mais sans aller jusqu'à penser qu'il pourrait conquérir Tripoli et gouverner seul la Libye. C'est le message que même ses alliés dans la région lui font passer. On a vu un maréchal russe en grand uniforme signer un accord avec le général Haftar sur le porte-avions Amiral-Kouznetsov. L'initiative russe et sa mise en scène impressionnent, mais qu'y a-t-il vraiment dans cet accord ?
Par ailleurs, je rappelle que les flux migratoires africains passent par la Libye. Ces migrants se retrouvent ainsi en Méditerranée centrale où, avec l'aide de passeurs, ils gagnent, parfois au péril de leur vie, l'Italie, qui s'en trouve déstabilisée. La situation libyenne nous préoccupe donc grandement, et vous avez eu raison, madame la présidente, de l'évoquer – mais nous aurons l'occasion d'y revenir.
Monsieur Habib, en ce qui concerne l'ambassade américaine, il faut faire très attention. Les pays responsables ne jouent pas avec cette question, laquelle ne pourra être traitée que dans le cadre d'une négociation et d'un accord de paix incluant le sujet de la capitale. En effet, Jérusalem est revendiquée comme la capitale des deux États ; c'est ce que disent toutes les résolutions du Conseil de sécurité. Je n'ai fait, quant à moi, que rappeler le droit. On peut faire des déclarations incantatoires mais, sur cette question comme sur les autres, il faut partir du droit international et des résolutions des Nations unies. Toutes traitent le sujet de façon responsable et elles ont été approuvées par la communauté internationale.
Je suis très inquiet de l'espèce de fuite en avant actuelle. Je ne dis pas que M. Trump transférera effectivement l'ambassade américaine à Jérusalem, car il sera confronté au principe de réalité et son entourage compte peut-être des personnes suffisamment raisonnables pour lui dire que ce transfert peut être une perspective, mais dans le cadre d'un accord de paix.
Quant aux tribunes des uns et des autres, j'ai lu votre blog et je ne veux pas y revenir. Mais des phrases excessives ont été prononcées qui finissent par se retourner contre leurs auteurs. Notre conférence n'a pas été agressive. Déclarer dans une tribune, qui a du reste été lue par peu de monde, que c'est la conférence de la haine…
Non, je parle de l'auteure de la tribune – qui n'avait, du reste, jamais évoqué ces questions auparavant. En tout état de cause, je peux vous dire qu'elle a laissé froids les participants, lesquels sont, en revanche, très sensibles au fait que des personnalités telles que Kofi Annan, Martti Ahtisaari, Lakhdar Brahimi, Mme Brutland, Fernando Cardoso, Jimmy Carter, Ricardo Lagos, Graça Machel, Mary Robinson, Desmond Tutu ou Ernesto Zedillo jugent la conférence de Paris utile. Il ne s'agit ni d'irresponsables ni de provocateurs : ces personnalités sont passionnées par la paix.
Israël est une démocratie, dites-vous. Bien sûr ! Je ne le conteste pas. Mais plusieurs points de vue s'expriment au sein de la démocratie israélienne. Ne nous dites donc pas que celui que nous défendons est hostile à Israël. C'est un point de vue parmi d'autres que certains, inquiets de la situation actuelle, approuvent. Nous agissons, je le répète, en amis sincères d'Israël.
Monsieur Marsaud, l'Europe – Jacques Myard a raison sur ce point – a besoin de beaucoup plus d'investissements. C'est sans doute l'un de ses points faibles, parmi beaucoup d'autres. À cet égard, le plan Juncker est un début, mais nous sommes loin du compte ; il faut donc absolument l'amplifier. C'est l'une des priorités qui ont été identifiées à Bratislava, et nous y reviendrons à La Valette. Nous progresserons, je l'espère, d'ici au 25 mars, date à laquelle nous célébrerons le soixantième anniversaire du traité de Rome. En tout cas, nous sommes à l'initiative dans ce domaine.
En revanche, la stratégie du dumping fiscal qu'au fond, vous souhaitez…
Mais, selon vous, la solution consisterait à faire plus ou moins la même chose.
Si nous voulons, conformément aux traités, que la concurrence soit libre et non faussée à l'intérieur de l'Europe, il faut aller vers une harmonisation fiscale. La France est prête à jouer le jeu, y compris en ce qui concerne l'impôt sur des sociétés. Mais, pour cela, certains pays appartenant au marché unique doivent cesser de jouer le jeu qui consiste à attirer les investissements en pratiquant une politique fiscale qui s'apparente à du dumping.
Je ne sais pas ce que feront les États-Unis. Nous verrons bien, car tant de choses ont été annoncées qu'il faut prendre son temps – Jacques Myard a raison à cet égard. Quant à la Grande-Bretagne, j'ai lu qu'elle menaçait de mener une politique de dumping fiscal si elle n'obtenait pas ce qu'elle voulait. Attention ! N'oublions pas que si, lors de la crise des subprimes, nous ne sommes pas retombés dans les errements de la crise de 1929, c'est parce que les États et les grands ensembles, notamment l'Union européenne, ont évité de fermer les frontières et ont privilégié le principe de régulation. Le monde actuel, à cause des dérives de la finance et de la révolution technologique, a plus que jamais besoin de régulation. Or, les avancées en ce sens n'ont jamais été aussi nombreuses, notamment au niveau du G20. Jean-Pierre Dufau a eu raison d'évoquer le prochain sommet, car il sera important. Peut-être sera-t-il, du reste, un moment d'éclaircissement dans la relation avec les États-Unis.
Quel est le calendrier ? Une première réunion ministérielle doit se tenir à Bonn les 15 et 16 février – nous verrons sans doute à cette occasion le nouveau ministre américain. Puis les chefs d'État et de gouvernement se réuniront au mois de juillet, en Allemagne également – ce sera sans doute la première visite en Europe du nouveau président américain. D'ici là, lorsque Rex Tillerson sera nommé, je l'inviterai. S'il veut venir, il viendra, et nous parlerons.
En tout cas, je le répète, cette réunion du G20 est importante car, si nous voulons lutter contre la fraude fiscale, les paradis fiscaux et tous les facteurs de dérégulation et de déstabilisation, les instances internationales doivent fonctionner. Cela vaut également pour les Nations unies et pour l'OTAN. À cet égard, le sommet de Varsovie, qui avait été minutieusement préparé, a permis de prendre en compte les inquiétudes venant de l'Est mais sans provocations, notamment vis-à-vis de la Russie, et en jouant la transparence. La comité conjoint OTAN-Russie fonctionne ; nous ne sommes pas dans la menace, mais nous agissons dans la clarté. Cependant, nous prenons en compte les nouveaux risques, notamment les cyber-menaces et le terrorisme.
Ces organisations internationales existent, et la France est attachée au multilatéralisme ainsi qu'à tous les outils qui permettent de le faire fonctionner. C'est plus que jamais essentiel. Le multilatéralisme ne relève pas d'une conception du passé. C'est bien dans un cadre multilatéral que nous avons pu aboutir à un accord sur le nucléaire iranien. Bien entendu, il faut être vigilant, mais ces négociations ont permis de progresser. De même, s'agissant du défi climatique, qui est le défi du siècle, c'est bien dans un cadre multilatéral que l'accord de Paris a été préparé, négocié, signé puis ratifié plus vite que bien d'autres accords antérieurs. Certes, nous traversons une période d'incertitude et de risque, mais il existe des points positifs.
Merci, beaucoup, monsieur le ministre. Permettez-moi d'ajouter un mot sur le « Brexit », car nous travaillons beaucoup sur ce sujet dans le cadre d'une mission d'information. Un débat aura lieu au parlement britannique, dont on ne peut pas attendre qu'il désavoue le peuple. Mais si, aux États-Unis, la politique de dumping fiscal risque de mieux passer, en raison de la résilience du peuple américain, le débat sur la baisse des impôts fera rage en Grande-Bretagne, où la mise à mal des services publics provoque déjà un ras-le-bol. Du reste, Boris Johnson n'avait-il pas pour argument, lors de la campagne référendaire, que le « Brexit » permettrait de consacrer le montant des cotisations versées à l'Union européenne au National health service ? Je leur souhaite donc bien du plaisir, s'ils veulent mettre en oeuvre un dumping fiscal. Peut-être le feront-ils, mais pendant combien de temps ? À ce propos, le ministre a raison, nous aurions dû être beaucoup plus fermes vis-à-vis de l'Irlande. Je n'ai jamais compris que, sous la précédente législature, on ait pu donner à ce pays près de 80 milliards d'euros pour sauver ses banques, sans même penser à lui demander de revenir sur sa politique de dumping fiscal.
L'aide est venue du Royaume-Uni, madame la présidente : ce sont les Anglais quoi ont sauvé l'Irlande.
La séance est levée à dix-neuf heures dix.