Intervention de Matthias Fekl

Réunion du 24 janvier 2017 à 16h45
Commission des affaires européennes

Matthias Fekl, secrétaire d'état auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger :

Je vous remercie, Mesdames et Messieurs les députés, de votre invitation à m'exprimer devant vous, je vous remercie d'être venus si nombreux m'écouter. Effectivement, c'est la deuxième présentation qui vous est faite de ce rapport sur la stratégie du commerce extérieur et la politique commerciale européenne. En tout, depuis que j'ai eu l'honneur d'être nommé au Gouvernement il y a un peu plus de deux ans, le Parlement aura procédé à plus de vingt auditions sur les sujets commerciaux internationaux, notamment à l'occasion des conseils européens « commerce » et les grandes échéances des négociations internationales. Je vous en remercie, comme je vous remercie de votre travail approfondi sur ces sujets dont nos concitoyens se préoccupent encore plus qu'il y a quelques années. Avant d'entrer dans le vif du sujet, je remercie tous ceux qui ont contribué à l'élaboration de ce rapport : mon cabinet, bien sûr, et les services de Bercy et du Quai d'Orsay, notamment la direction générale du Trésor et la direction des entreprises et de l'économie internationale. Ils ont consacré du temps à ce rapport qui vise à faire la transparence totale sur l'ensemble des sujets et à soumettre au débat public, à travers votre contrôle, les décisions du Gouvernement. Quel que soit le résultat des prochaines élections, j'espère que cet exercice pourra être pérennisé ; ces échanges, ce contrôle parlementaire me paraissent importants.

Je m'exprimerai sur les résultats du commerce extérieur au début du mois de février, lorsque les chiffres officiels auront été établis, de manière indépendante. Je ne peux pour l'instant m'avancer, si ce n'est pour dire que l'année 2016 aura été très difficile. Depuis 2011, nous assistons à une amélioration continue de la situation de notre solde extérieur. Notre déficit commercial était supérieur à 70 milliards d'euros en 2011 ; en 2015, il était de plus de 40 milliards d'euros. C'est bien sûr, trop élevé, mais l'évolution est favorable. Une part substantielle et prépondérante de cette amélioration est cependant le fait, je l'ai toujours dit, de facteurs indépendants des décisions gouvernementales : l'évolution du cours de l'euro et celle des cours de l'énergie ; il faut être extrêmement clair et honnête. D'après les études indépendantes, les décisions gouvernementales, notamment en matière de compétitivité, expliquent tout de même 20 % à 25 % de l'amélioration de notre solde commercial. L'année 2016 sera beaucoup plus compliquée. En ce qui concerne les biens, le déficit se creusera sans doute, en partie pour des raisons conjoncturelles, notamment dans l'aéronautique, avec des différés de livraison. En matière de services, si nous sommes massivement excédentaires, et ce sur une longue période, l'évolution devrait être défavorable, notamment à la suite des attentats.

Par ailleurs, le contexte international évolue. Pour la première fois depuis 2009, la croissance du commerce international sera moins rapide que la croissance mondiale : celle-ci progressera de 3,1 % et celle-là seulement de 1,7 %. Plusieurs raisons l'expliquent : la crise dans les pays émergents, à la fois en Asie et en Amérique latine, et aussi l'arrivée à maturité de ce qu'on appelle les chaînes de valeur mondiales. Un certain nombre de très grandes entreprises et de grandes industries ont fait le choix de localiser dans des parties différentes de la planète leurs différents sites de production, ce qui entraîne un commerce intra-entreprise extrêmement élevé, mais nous sommes arrivés à un seuil au-delà duquel la croissance du volume de ces échanges ralentit. Tout cela explique en partie ce ralentissement du commerce mondial et sa moindre contribution à la croissance internationale.

Le contexte géopolitique est, lui aussi, complètement différent, et affecte, bien sûr, la situation économique. Il est encore trop tôt, après l'élection présidentielle américaine, pour que nous puissions déduire des conséquences précises des nominations et annonces du président Donald Trump – quelles décisions seront prises ? D'ailleurs, les membres de l'administration en charge du commerce extérieur n'ont pas encore tous été confirmés par le Congrès. Cependant, une certaine tonalité générale et la philosophie qui semble guider le nouveau président montrent bien quelles seront les orientations.

En ce qui concerne le TTIP, il semble que la messe soit dite. La Commission européenne semble ne l'avoir pas encore analysé ainsi – pour dire les choses poliment. Une de ses toutes premières réactions a effectivement été de dire qu'elle y croyait encore, qu'il fallait continuer, etc. Pour nous, cela ne change rien à la position de la France, qui est constante et a été rappelée par le Premier ministre, M. Bernard Cazeneuve, dans son discours de politique générale, après avoir été énoncée de manière extrêmement claire par le Premier ministre Manuel Valls comme par le Président de la République François Hollande. Considérant que le compte n'y était pas et qu'il n'y avait, en l'état, rien à en attendre, nous avons demandé la fin de ces négociations. La réciprocité n'est effectivement pas au rendez-vous. Or nous souhaitons une négociation commerciale équilibrée, gagnant-gagnant. Et nous souhaitons que cesse préalablement l'application extraterritoriale du droit américain.

Je vous rejoins, Madame la présidente de la commission des affaires étrangères, sur la très grande qualité du rapport de M. Pierre Lellouche et de Mme Karine Berger, un travail parlementaire bipartisan qui comporte des propositions extrêmement précises. D'ailleurs, le ministre des affaires étrangères, M. Jean-Marc Ayrault, a reçu en votre présence, Madame la présidente, et en la mienne, les auteurs de ce rapport, qui doit vraiment faire partie de la doctrine française en la matière – et demain, je l'espère, de la doctrine européenne. Cela n'a aucun sens de demander des négociations entre partenaires et, en même temps, de se faire des coups pareils et d'agir de cette manière. Cela ne peut pas fonctionner.

L'Union européenne doit absolument s'affirmer sur ce plan et se doter d'outils. Nous avons commencé, avec la modernisation des instruments de défense commerciale, à laquelle la France et l'Allemagne n'ont cessé d'oeuvrer, mais il faut continuer ce travail. Nous devons nous doter de capacités de rétorsion efficaces et rapides pour réagir lorsque sont prises de telles décisions qui affectent considérablement les entreprises françaises – le rapport présente d'ailleurs un certain nombre d'exemples édifiants.

Si l'élection américaine ne change rien à la position de la France, elle doit en revanche changer beaucoup à l'attitude de l'Union européenne en matière de négociations commerciales – et c'est ici un Européen convaincu qui s'exprime, un Européen viscéralement convaincu, du fait que nous avons besoin de l'Union européenne pour construire notre avenir. Avec l'élection présidentielle américaine, l'Europe a une occasion unique de s'affirmer comme la première puissance commerciale internationale. En termes de richesse cumulée et de richesse par habitant, nous sommes le premier ensemble économique au monde, devant les États-Unis. Notre poids dans les échanges internationaux doit être à la mesure de cette réalité. Encore faut-il sortir de sa servitude volontaire et s'affirmer comme un acteur majeur sur ces thèmes-là.

Tel est le sens de notre proposition de refondation de la politique commerciale européenne. Au nom du Gouvernement, j'ai eu l'occasion de faire dix-sept propositions, autour de plusieurs grands thèmes : la démocratie, l'environnement et le social.

Par démocratie, il faut notamment entendre la transparence et le contrôle parlementaire. La présence, selon des modalités à étudier, de parlementaires à la table des négociations doit être envisagée – évidemment, pas tous les parlementaires ; sinon il n'y a plus de négociations. Aux États-Unis, les membres du Congrès peuvent participer aux négociations et jouissent d'un droit de regard. Il n'y a aucune raison pour que ce ne soit pas possible en Europe.

Quant à l'environnement, l'intégration des nouveaux défis environnementaux aux négociations commerciales s'impose. Nous devons pouvoir conclure des accords modernes, qui contribuent aux objectifs de la COP21, avec des règles environnementales qui n'aient pas moins de pouvoir contraignant que les règles commerciales, leur non-respect étant sanctionné.

De même, sur le plan social, il faut une articulation avec ce qui se passe à l'Organisation internationale du travail (OIT) pour fixer des règles dans l'économie mondiale et pour que la puissance publique retrouve sa place dans l'économie internationale. Les flux économiques sont mondiaux, il faut aussi être capables de poser des règles mondiales, c'est un combat de la France. C'est d'ailleurs le message que relaie la diplomatie française, au-delà des alternances. Nous continuerons donc à agir au niveau de l'Union européenne, pour que cette conception intègre la doctrine européenne, nous n'y sommes pas encore, mais il y a évidemment des initiatives à prendre au niveau européen, et nous les prendrons.

Ces propositions, qui couvrent un champ très large, sont évidemment à votre disposition, elles figurent d'ailleurs dans le rapport pour que vous puissiez en discuter. Il s'agit de sortir, au niveau européen, de routines en vertu desquelles on ouvre négociations après négociations sans s'interroger sur la réalité de la valeur ajoutée de ces négociations, sans faire d'études d'impact contradictoires précises, secteur par secteur, branche par branche, territoire par territoire, notamment en termes d'emploi. Il revient, certes, aux responsables politiques d'assumer les arbitrages, mais qu'ils le fassent sur une base extrêmement précise. De même, il faut arrêter de négocier sur le fondement de mandats d'une durée indéfinie qui restent valables malgré les changements ; il faut des clauses de réactualisation précises. Ces réflexions ont vocation à nourrir réflexions et travaux européens, et c'est encore plus vrai compte tenu des changements en cours aux États-Unis.

Vous m'avez également interrogé sur l'accord avec le Canada. Lorsque j'ai été nommé, en 2014, les négociations étaient terminées, l'accord était finalisé, avec un équilibre global que la Commission européenne souhaitait proposer. La France, avec d'autres, notamment l'Allemagne, a demandé et obtenu la réouverture des négociations pour qu'un certain nombre de points soient substantiellement modifiés. Le précédent gouvernement canadien le refusait, mais le gouvernement de M. Justin Trudeau l'a accepté – c'est Mme Chrystia Freeland qui était alors son ministre du commerce international ; elle est aujourd'hui ministre des affaires étrangères. Nous voulions notamment intégrer dans ce traité la nouvelle cour de justice commerciale internationale proposée par la France. Elle a vocation à remplacer les mécanismes d'arbitrage privé dont vous savez qu'ils permettent à des entreprises d'attaquer les choix des États. Nous remplaçons donc, pour la première fois, l'arbitrage privé par une cour publique, avec des juges payés par les États et non par les entreprises – c'est plus qu'une nuance –, soumis à des règles extrêmement précises de déontologie, et interdiction est faite – c'est également inédit dans un traité commercial – d'attaquer des choix de politique publique, des choix démocratiques, notamment des choix validés par les parlements. C'est une avancée importante, obtenue lors de la réouverture des négociations. De même, le Canada a accepté, à la demande de l'Union européenne, notamment de la France, une référence à la COP21 et à l'accord de Paris sur le réchauffement climatique, dans une déclaration qui est jointe à l'accord. Le CETA intègre donc ces enjeux, les Canadiens l'ont accepté.

La Wallonie ne dit pas autre chose – il suffit de se reporter aux déclarations de son ministre-président, M. Paul Magnette, pour constater que nous nous rejoignons parfaitement. M. Paul Magnette a lui-même indiqué que l'accord n'avait pas été modifié après les débats en Wallonie, il avait été modifié auparavant, mais la Wallonie a obtenu des garanties du gouvernement belge, qui a confirmé qu'il était bien lié, lui aussi, par les stipulations relatives à cette nouvelle cour de justice commerciale internationale et par la référence à l'accord de Paris. M. Paul Magnette parle lui-même de « déclaration belgo-belge ». Il n'a jamais prétendu que le CETA avait été transformé – je le dis pour que ce soit versé au débat. La question est de savoir si nous voulons cette cour, dont l'Union européenne préconise qu'elle devienne une cour multilatérale, ouverte à d'autres, comme nous l'avons souhaité, et qui puisse progressivement remplacer les autres mécanismes d'arbitrage. Et souhaitons-nous un accord globalement équilibré, avec un partenaire important mais pas non plus de tout premier plan, loin de là, puisque c'est un partenaire comparable au Nigeria ou à la Roumanie en termes d'échanges commerciaux ? Nous exportons quatre fois plus vers le Canada que nous n'importons du Canada. Je verse l'ensemble de ces éléments au débat.

Je m'étais engagé devant vous à ce que la France demande que le CETA ait le statut d'un accord mixte, donnant la possibilité aux parlements de se prononcer sur ce traité. Après maints combats au niveau européen, menés avec l'Allemagne et d'autres, nous avons obtenu gain de cause, alors même que la Commission européenne souhaitait à un moment donné « zapper » purement et simplement les parlements nationaux du processus de ratification. Je ne lui fais pas là un procès d'intention : cela a été dit publiquement. L'engagement pris devant vous a donc été tenu, et il vous appartiendra, une fois que le Parlement européen se sera prononcé, de valider ou non cet accord. C'est une question de démocratie.

La politique commerciale est aujourd'hui au coeur des préoccupations des opinions publiques. Elle constitue un enjeu essentiel pour l'avenir de l'Union européenne, confrontée à l'élection du président Donald Trump, aux États-Unis, et au Brexit, sur son propre territoire. À l'occasion de la sortie du Royaume-Uni de l'Union, cette dernière doit mener avec les Britanniques une négociation globale guidée par une idée simple : la situation d'un pays extérieur ne peut pas être plus avantageuse au regard de l'Union que celle d'un État membre. On ne peut pas bénéficier des avantages d'une position extérieure sans en subir inconvénients. Sans entrer dans une logique punitive, une grande attention sera portée à ce point. La France et l'ensemble de l'Europe doivent rester extrêmement réactifs et attentifs, à un moment où la stratégie de Londres commence à se mettre en place et où les choses se précisent sans être encore toutes clarifiées, loin de là.

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