Intervention de Matthias Fekl

Réunion du 24 janvier 2017 à 16h45
Commission des affaires européennes

Matthias Fekl, secrétaire d'état auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger :

S'agissant du Partenariat transpacifique, évoqué par plusieurs d'entre vous, la décision du président des États-Unis, hors de toute intervention du Congrès, conformément à ce qui avait été annoncé lors de la campagne, était constitutionnellement possible, le traité n'étant pas entré dans sa phase de ratification.

Quant aux études ex ante relatives aux accords de libre-échange négociés par l'Union européenne, je les considère, moi aussi, insuffisantes. C'est pourquoi, dans mes propositions pour refonder la politique commerciale de la France, je suggère de les développer et d'en réaliser au moins trois, confiées à des écoles de pensée économique différentes. Il ne faut pas solliciter uniquement l'école de pensée libérale ou néolibérale, qui fait tourner les mêmes modèles depuis des décennies sans parvenir à prévoir aucune crise majeure, et qui vient ensuite faire la morale aux uns et aux autres sur la manière dont il faudrait conduire les réformes. Il faut réhabiliter le débat au sein même de la science économique, afin d'arriver à discuter de ces sujets en se fondant sur des études sérieuses.

Il conviendrait également d'adopter une approche secteur par secteur, et territoire par territoire. Aujourd'hui, trop souvent, les études considèrent l'économie dans sa globalité en prétendant déterminer la somme – à l'euro près ! – qui aboutira dans la poche des ménages européens. Cela n'a aucun sens, pas plus que les études prédisant à l'unité près les destructions d'emplois. En cas d'accord commercial, par définition, des filières sont perdantes et d'autres sont gagnantes. Nous devons être capables d'assumer ces pertes, et le développement d'autres filières en contrepartie. Ainsi nous pourrons juger du bilan, quitte à prévoir des mesures d'accompagnement et de restructuration des filières, de formation, ou de réindustrialisation des territoires affectés. Une politique d'avenir consiste à identifier précisément les effets et de les assumer, pas de masquer les choses ou de rester à un niveau de généralité qui interdit toute analyse utile. Nous devons donc progresser de manière importante sur ce point, en France et en Europe.

S'agissant de la ratification du CETA, je confirme que, si un seul État la refuse, l'accord tombe. Ce fut précisé lors du dernier conseil des ministres européens du commerce, et il est vrai que cette procédure pose des problèmes. Nous avons demandé la ratification par les parlements parce qu'on ne peut pas changer les règles du jeu en cours de route. Aujourd'hui, cette compétence mixte est indispensable pour que vous puissiez vous prononcer. Mais cela n'interdit pas de réfléchir, pour l'avenir, à d'autres processus de ratification, qui ne tiennent pas à l'écart les parlements nationaux. Vous devez être associé en amont, en permanence, et il faut inventer de nouvelles solutions. Il est en tout cas impossible d'imaginer, en l'état de la construction européenne, que les parlements nationaux soient absents des débats et des décisions sur des sujets aussi importants.

Je remercie M. Pierre Lellouche pour ses propos aimables. Je suis d'accord avec lui sur le fait que l'accompagnement des filières doit se faire en interne comme à l'international, car les deux sont liés. C'est un travail de long terme qui ne peut pas être remis en cause du jour au lendemain. Nous avons essayé de le poursuivre avec les « familles » prioritaires à l'export, mises en place par Mme Nicole Bricq. Cela impose de structurer notre territoire et d'aider les PME à devenir des entreprises de taille intermédiaire (ETI). C'est le sens des mesures prises pour simplifier l'activité des PME et unifier un certain nombre de seuils pour ne pas compliquer leur croissance.

Je suis très critique sur le mandat de négociation du TTIP, et surtout sur la manière dont ces discussions ont été menées, sans aucune avancée. Quoi qu'on en dise, les Américains ne souhaitent pas ouvrir leurs marchés publics. Ils ne souhaitent pas davantage reconnaître nos indications géographiques. Et ils ne souhaitent pas non plus ouvrir certains domaines stratégiques. C'est d'autant plus ennuyeux que ce sont nos principaux intérêts « offensifs ».

De plus, il ne peut pas y avoir de discussions tant que l'extraterritorialité s'applique. Un préalable, selon moi, à la reprise de ces discussions est la fin de l'application extraterritoriale du droit américain. L'extraterritorialité est un terme de technique juridique pour dire impérialisme. Cela doit cesser. L'Union européenne doit se doter d'outils, car elle est la seule à avoir la force de frappe suffisante pour répondre. Elle doit être capable de faire la même chose en quelques heures ou en quelques jours lorsque les États-Unis prennent ce type de décisions. Le débat progresse, et je suis convaincu qu'une des manières de répondre à l'élection du président Donald Trump est d'affirmer que l'Union européenne est une puissance commerciale et économique à part entière. Il faut en finir avec la naïveté et les dogmes benoîtement prêchés et jamais vérifiés. Nous devons nous doter d'outils volontaristes pour nous protéger et défendre un certain nombre de valeurs et d'intérêts.

Il en va de même pour la Chine. Le Gouvernement se bat depuis longtemps pour clarifier le protocole d'accession de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Ce protocole de 2001 prévoit qu'au terme de quinze ans, le statut d'économie de marché sera délivré à la Chine. Le faire tel quel, comme certains l'envisageaient, aurait signifié la perte de centaines de milliers d'emplois en quelques mois au niveau français et européen. Les termes du débat se sont modifiés au Royaume-Uni et en Allemagne, et les choses ont progressé. La Commission européenne a finalement fait une proposition, qui doit encore être précisée et analysée, mais qui est bien loin de ce qui était initialement envisagé. Des discussions sont prévues avec le Parlement européen, mais nous progressons pour faire accepter l'idée qu'il faut continuer à mettre en oeuvre des instruments de défense commerciale lorsque la Chine pratique le dumping, et que ce n'est pas aux entreprises d'apporter la preuve de ces pratiques, mais à l'autre partie de démontrer qu'elle respecte les règles. Nous restons très vigilants sur ce sujet, qui constitue un enjeu fondamental à un moment où la Chine reste une puissance commerciale extrêmement volontariste. Il est d'ailleurs paradoxal de voir le président Donald Trump adopter des positions de repli et d'égoïsme national tandis que le président chinois se pose comme le défenseur du libre-échange international. C'est assez savoureux sur le plan intellectuel, mais inquiétant. Les Européens doivent cesser d'être naïfs s'ils veulent continuer de porter un projet.

S'agissant des PME, il reste beaucoup à faire pour simplifier le parcours, qui n'est pas encore limpide. Mais la complexité est moindre ; en mars 2015, pour la première fois, les opérateurs ont accepté de s'entendre sur un processus cohérent. Ils se réunissent régulièrement au sein du conseil stratégique de l'export, il faut continuer pour maintenir la cohérence de l'action des acteurs publics et privés de l'export.

Le parcours commun simplifié avec Business France et les chambres de commerce et d'industrie, qui offre un accompagnement personnalisé à des entreprises, concerne 1 400 entreprises aujourd'hui, et elles seront 3 000 à la fin de 2017. Nous accompagnons spécifiquement 1 000 PME et ETI « de croissance », et 1 300 ont d'ores et déjà été accompagnées en ce sens. Nous avons également rénové les financements à l'exportation pour les petites et moyennes entreprises, avec la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur (COFACE) et Bpifrance, en offrant des crédits à l'export portant sur de plus petits montants, plus adaptés aux PME.

Je me suis déjà exprimé à de nombreuses reprises sur l'application anticipée du CETA. Seul ce qui relève de la compétence européenne est concerné, pas ce qui est sujet à ratification nationale. Et l'application anticipée n'est possible que si le Parlement européen se prononce favorablement. Cette dernière précaution n'était pas obligatoire, nous l'avons demandée pour que le processus soit démocratique au niveau européen. Le vote du Parlement européen devra donc être respecté.

S'agissant des indications géographiques protégées (IGP), il est exact que, pour notre pays, 42 ont été retenues. Ce sont celles qui connaissent des problèmes de concurrence, de fraude ou d'usurpation ; il n'est pas utile de se battre pour la reconnaissance d'appellations lorsqu'il n'y a pas de problème. Mais un mécanisme permet d'en ajouter à la liste si un problème apparaît. Si vous constatez un problème, comme pour la noix de Grenoble, Madame Michèle Bonneton, nous pourrons activer l'article 20.22 du CETA. Par ailleurs, l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) continue son travail de lutte contre les fraudes. Par le passé, nous avons déjà eu des exemples d'indications qui n'étaient pas protégées au niveau international mais dont les problèmes ont été réglés à l'amiable ou par voie contentieuse, avec un soutien très fort de l'INAO.

L'e-commerce est une priorité très importante. Nous avons consacré le deuxième forum des PME à l'international, qui s'est tenu au Quai d'Orsay en 2016, à la question de l'« e-export » et du numérique. Un travail est en cours pour sécuriser les paiements, en lien avec le ministère des finances, pour lutter contre la contrefaçon, et nous cherchons à offrir des outils simples à nos PME pour l'e-export. Business France est en train de préparer un plan de référencement de toutes les PME, dans le commerce interentreprises ou à destination des consommateurs.

Par ailleurs, une initiative très importante a été signalée par Mme Annick Le Loch pour offrir une plateforme aux PME : Gourming. Il s'agit d'un groupe privé, d'une taille suffisante, qui offre à de plus petites structures de s'allier à elles en prenant en charge la logistique. Cette initiative rejoint totalement la diplomatie des terroirs et tout le travail sur la gastronomie accompli par M. Laurent Fabius, par exemple avec l'opération « Goût de France – Good France ». Nous restons extrêmement mobilisés sur ce sujet.

Le travail sur le halal répond à une demande des professionnels à la suite des différentes crises des filières viandes dans notre pays. M. Stéphane Le Foll a suivi cela de très près, avec la plateforme « France Viande Export » notamment. Nous n'en sommes encore qu'à un stade exploratoire, mais nous souhaitons adopter des normes qui permettent ensuite l'exportation, et apporter une garantie à nos agriculteurs, qui sont demandeurs.

Monsieur Laurent Furst, vous avez raison : pour être fort à l'export, il faut être fort sur les marchés locaux. C'est notre discours à l'égard des PME qui se lancent avec enthousiasme à l'export : analysez bien votre marché, et consolidez votre pré carré pour obtenir la taille critique nécessaire. C'est le sens du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et de l'allégement important des cotisations. La revalorisation des marges était un enjeu important.

Sur les questions d'éthique, un travail a été réalisé au Parlement, comprenant en particulier la proposition de loi de M. Dominique Potier sur la traçabilité des productions. Il est difficile de parler de ces sujets tant que la justice n'a pas établi les faits, et il ne faut pas jeter injustement l'opprobre sur des entreprises ou des personnes. Nous sommes vigilants quant au respect total des règles de l'OCDE en la matière : il est important de rester dans des référencements internationaux, et nous souhaitons lutter contre la corruption. Celle-ci est un fléau pour les pays qui la subissent, mais aussi, à long terme, pour les entreprises elles-mêmes, car celles qui sont obligées d'en passer par là s'en trouvent fragilisées et deviennent dépendantes. Nous n'avons aucune naïveté sur ce sujet, et les entreprises nous signalent les pays dans lesquels le niveau de corruption est extrêmement élevé. Notre diplomatie économique met tout en oeuvre pour dialoguer avec les pays concernés et faire état des graves problèmes moraux et pratiques rencontrés. Lors de plusieurs de mes déplacements, la délégation d'entrepreneurs qui m'accompagnait a été sensibilisée avant le départ aux difficultés existantes et à la bonne manière d'y répondre, car le but n'est pas d'exposer nos entreprises à des situations qui pourraient leur valoir des ennuis devant la justice française.

J'ai déjà répondu à certaines questions de M. Hervé Pellois. Il est intéressant de noter que 225 contrats de plus de 10 millions d'euros ont été conclus par les entreprises françaises avec l'intervention de notre réseau diplomatique et économique dans le monde entier. Les sommes sont parfois largement supérieures à 10 millions d'euros, et encore n'est-il ici question que des contrats civils. Un travail très important est réalisé sur les sujets de défense, mais ce n'est pas moi qui en ai la charge. Notre réseau est mobilisé de manière absolue, comme l'avait souhaité M. Laurent Fabius, et comme l'a confirmé M. Jean-Marc Ayrault. Nous sommes attentifs à ce que la culture économique reste présente dans notre réseau.

S'agissant de « France Viande Export », le dispositif doit, à ce stade, monter en puissance. Il faut que cette plateforme puisse se développer et trouver sa place sur le marché. Des réflexions sont en cours sur un changement de gouvernance pour avoir une approche plus cohérente. Le Gouvernement travaille en ce sens et M. Stéphane Le Foll pilote les travaux.

Nous nous sommes attachés à ouvrir des marchés agricoles à l'export. La viande française bénéficie du meilleur statut épidémiologique possible à l'Organisation mondiale de la santé animale. Les pays doivent donc en tirer les conséquences. J'ai invité, à plusieurs reprises, les ambassadeurs des pays concernés et j'y ai aussi fait des déplacements. Nous avons obtenu la levée des embargos sur la viande en Afrique du Sud et à Singapour notamment, et Mme Martine Pinville a pu confirmer la levée de l'embargo sur les pommes lors de son déplacement au Vietnam. C'est un travail qui se fait pays par pays.

Monsieur Jacques Myard, je suis d'accord avec vous sur le fait que nous sommes à la fin d'un cycle. C'est la fin des grands accords tels que nous les connaissons aujourd'hui et il faut en tirer les conséquences, sans chercher à s'accrocher à tout prix au passé. Mes propositions de refonte de la politique commerciale européenne vont dans ce sens. L'ancien système ne fonctionne plus et ne nous permet plus d'avancer, et il y a, souvent à juste titre, une grande défiance de l'opinion publique. Il faut tout reprendre à la base, et c'est le rôle de l'Union européenne, qui doit être beaucoup plus offensive qu'aujourd'hui.

Quant à la question de l'antidumping, l'Allemagne a évolué durant l'année 2016 parce que la situation de l'économie allemande l'exigeait.

Concernant le TTIP, nous n'avons pas de droit de veto pour les négociations. Une fois que le mandat est confié, il est valable jusqu'à la fin des temps. Je souhaite que cela change, que les mandats soient soumis…

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