Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé du développement et de la francophonie, mes chers collègues, cette proposition de résolution européenne porte sur l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada, plus connu sous son acronyme anglais, le CETA. Cet accord s’inscrit dans la longue liste de ces traités de libre-échange animés par des dogmes néolibéraux à l’origine d’une « mondialisation malheureuse » pour les peuples. C’est donc la nature et l’objet même du CETA que nous rejetons sur le principe.
Comme l’ensemble de ceux qui l’ont précédé, cet accord de libre-échange vise à supprimer les barrières tarifaires dans les échanges de biens et de services. Il inclut également de nombreuses dispositions relatives à la libéralisation des marchés publics et des investissements, à la protection de la propriété intellectuelle – dont les indications géographiques protégées –, ainsi qu’à l’harmonisation des normes, sans oublier la création d’un mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États. Sa portée est si large qu’il peut être comparé au partenariat transatlantique de commerce et d’investissement avec les États-Unis, appelé plus couramment TAFTA.
Très logiquement, cette portée du CETA a suscité de nombreuses inquiétudes et critiques, à la fois dans la société civile et au sein des institutions politiques, tant au niveau national qu’au niveau européen.
La première critique porte sur le caractère antidémocratique du traité. En effet, il a été négocié pendant de longues années dans la plus totale opacité, sans aucune consultation ni information des parlements et de la société civile, sous l’influence évidente des lobbies, ce qui explique son orientation très libérale.
De plus, le Conseil européen a décidé le 28 octobre dernier d’autoriser non seulement sa signature, mais aussi son entrée en vigueur provisoire. Cela signifie que, sous réserve d’une approbation par le Parlement européen, la quasi-totalité des dispositions du traité pourront entrer en vigueur sans que les parlements nationaux aient pu se prononcer. Le CETA étant un accord mixte, c’est-à-dire comportant des dispositions relevant à la fois des compétences exclusives de l’Union européenne et des compétences nationales, il devra certes être ratifié par les parlements nationaux mais probablement pas avant plusieurs années.
Enfin, comme je l’ai indiqué, le CETA comprend un mécanisme de règlement des différends entre les États et les investisseurs, sous la forme d’une cour internationale d’investissement. Certes, il n’est plus question désormais des scandaleux tribunaux d’arbitrage privés qui figuraient dans le projet initial. Cependant, les risques pour le droit des États à réguler sont les mêmes : des investisseurs pourront attaquer des décisions de politique publique, par exemple l’interdiction des OGM, et, s’ils gagnent, contraindre les États à leur verser des millions d’euros à titre de compensation.
La deuxième inquiétude porte sur le coût social du CETA. Une étude indépendante réalisée par l’université américaine Tufts, qui s’appuie sur le modèle des politiques mondiales des Nations unies, a conclu à la disparition, d’ici à 2023, de près de 230 000 emplois cumulés au Canada et dans l’Union européenne, dont un peu plus de 200 000 dans l’Union et près de 45 000 emplois en France. Le secteur agricole français, notamment ses filières d’élevage, dont on connaît la fragilité, serait particulièrement touché par l’augmentation des quotas d’importations à 50 000 tonnes de viande bovine et 75 000 tonnes de viande porcine par an.
Les inquiétudes sont également très vives quant à l’impact du CETA sur les services publics. Pour la première fois dans un accord de libre-échange signé par l’Union européenne figure une liste négative des services exclus de la libéralisation. Bien qu’elle se donne comme protectrice des services publics, cette liste, par son existence même, hypothèque largement l’avenir en interdisant de transformer en service public des activités économiques encore en devenir, voire les services publics déjà libéralisés.
Enfin, comme l’a relevé la Commission nationale consultative des droits de l’homme dans un avis rendu public le 15 décembre dernier, le CETA est susceptible d’avoir des conséquences qui vont à l’encontre des objectifs du développement durable, en particulier s’agissant des enjeux climatiques et environnementaux. En effet, il promeut l’investissement européen au Canada, y compris dans l’exploitation des sables bitumineux dont on sait l’impact désastreux sur l’environnement. Le mécanisme de règlement des différents permettrait également aux investisseurs d’attaquer des réglementations environnementales adoptées par les États, y compris les dispositions prises en application des accords de Paris. Au reste, le CETA ne comporte aucune référence au principe de précaution, pourtant inscrit en tant que tel dans le droit européen à l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Les risques pour l’économie européenne apparaissent suffisamment réels et sérieux pour que la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen recommande, le 8 décembre dernier, de rejeter l’accord. Ce rejet est également exigé par les 3,5 millions de citoyens qui ont signé la pétition contre le CETA et son équivalent états-unien, le TAFTA. Par ailleurs, 2 100 communes européennes se sont déclarées « hors TAFTA et CETA », refusant symboliquement d’être soumises à ces deux accords. Enfin, une plainte à laquelle se sont jointes plus de 100 000 personnes a été déposée contre le CETA devant la Cour constitutionnelle allemande. Les plaignants considèrent que cet accord est de nature à menacer les droits des travailleurs et des consommateurs ainsi que la protection de l’environnement, lesquels sont garantis par la loi fondamentale allemande.
Malgré cette large mobilisation des citoyens, des partenaires sociaux et même d’une commission du Parlement européen, sans oublier la résistance de la Wallonie, qui a réussi à faire reporter quelque temps la signature de l’accord, le CETA a été signé le 30 octobre 2016 et entrera très prochainement en vigueur, sous réserve que le Parlement européen l’approuve lors du vote prévu le 15 février prochain. Par conséquent, cette proposition de résolution n’arrive pas « trop tard », ainsi que j’ai pu l’entendre durant son examen en commission. Bien au contraire, elle est débattue au bon moment, parce que tout est en train de se jouer au Parlement européen et que, d’une manière générale, il n’est jamais trop tard pour débattre, surtout lorsque les enjeux sont aussi considérables. Je rappelle à ce propos que c’est grâce à une autre proposition de résolution européenne déposée par le groupe GDR que notre assemblée a pu débattre, le 22 mai 2014, des négociations du TAFTA.
À vrai dire, la catastrophe économique, sociale et environnementale que nous promet le CETA n’est rendue possible que par le mépris avec lequel les Parlements nationaux et l’opinion publique ont été traités depuis l’ouverture des négociations. Une telle situation exige plus que jamais que les implications de cet accord soient débattues publiquement, de manière transparente et contradictoire.
C’est pourquoi la proposition de résolution invite le Gouvernement à consulter le Parlement avant toute mise en oeuvre provisoire…