Intervention de Patrice Carvalho

Séance en hémicycle du 2 février 2017 à 15h00
Pour un débat démocratique sur l'accord économique et commercial global — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrice Carvalho :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, coupés des réalités et sourds aux attentes des peuples, certains se plaisent aujourd’hui à entretenir le mirage de la mondialisation heureuse. La libéralisation des biens et des services et le règne de la concurrence, censés, d’après eux, garantir la paix, la prospérité et l’harmonie sociale, provoquent pourtant des ravages sociaux et environnementaux chaque jour plus graves. La guerre économique continue ainsi à nous être présentée comme l’unique horizon des rapports entre les peuples.

Notre refus de ce monde-là commande notre rejet du traité négocié entre l’Union européenne et le Canada, le fameux CETA. Conformément aux accords-types de libre-échange, ce traité a pour objectif de réduire drastiquement les barrières tarifaires et non-tarifaires et de déréglementer le commerce de biens et de services. Il est à ce titre un nouveau symbole d’une mondialisation bâtie dans le dos des peuples et sans leur assentiment.

Nos peuples ont tout à craindre d’un tel traité. Comme le soulignait le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, la libéralisation ne promeut pas la croissance économique, mais elle amène plus d’instabilité et d’inégalités. Pour lui, tant la mondialisation du commerce des biens et des services que la globalisation des marchés des capitaux ont contribué à l’augmentation des inégalités, mais de manière différente. Il estimait en outre que dans cette globalisation, les droits du capital prennent largement le pas sur les droits des travailleurs, et notait que la compétition entre les pays pour l’investissement prend de nombreuses formes – pas seulement la baisse des salaires et l’affaiblissement de la protection des travailleurs. C’est une course globale vers le bas qui assure que les réglementations sont faibles et les impôts bas.

Les peuples eux-mêmes ne cessent d’exprimer leur rejet des vagues successives de libéralisation sectorielle, qui ne font qu’aggraver les inégalités dans des sociétés déjà fracturées par les inégalités sociales et économiques. Ils ne sont pas passifs pour autant, comme l’atteste leur contribution dans la mise en échec des accords qui devaient conclure le cycle de Doha, mais aussi de l’accord commercial anti-contrefaçon, ou encore de l’accord général sur le commerce des services. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les grandes puissances économiques ont imaginé la rédaction de traités d’un nouveau genre. Ces traités, dits de nouvelle génération, ont pour particularité saillante d’être désormais discutés dans l’ombre, dans le plus grand secret, à l’abri de la lumière et du débat public.

Il en fut ainsi du TAFTA, le traité de libre-échange transatlantique, qui a été mis sous le feu des projecteurs grâce à la mobilisation citoyenne. Lorsque nous avions choisi de discuter de ce traité transatlantique en mai 2014, lors de la journée réservée à l’ordre du jour de notre groupe, les négociations se menaient dans une totale opacité, selon un principe de secret foncièrement antidémocratique. Nous avions donc demandé qu’il fût mis un terme à ces pratiques et que s’ouvrît un débat public et transparent sur la légitimité de ce processus.

En septembre 2015, le Gouvernement se décida à lancer un pavé dans la mare : il évoqua la possibilité de mettre fin aux négociations en raison de leur absence de transparence. Au début de l’année 2016, il était enfin possible pour les parlementaires d’avoir accès aux comptes rendus exhaustifs et aux documents consolidés des négociations. Cependant, les conditions ubuesques et drastiques posées pour l’examen de ces documents sont telles qu’il serait audacieux de qualifier les négociations de réellement transparentes.

Quoi qu’il en soit, le Gouvernement demande aujourd’hui la fin pure et simple des négociations. Placé au coeur du débat public, le sort du TAFTA est désormais incertain. Il est cependant loin d’être enterré, puisqu’il reste intimement lié au sort que connaîtra le traité entre l’Europe et le Canada dont il est aujourd’hui question.

Ce dernier traité, tout aussi inacceptable que le premier, tant sur le fond que sur la forme, entre aujourd’hui dans sa phase de ratification. Tout comme le TAFTA, ce texte de 1 600 pages tend à niveler par le bas les normes sociales, environnementales et alimentaires. Cette caractéristique témoigne de l’intervention et de l’influence des lobbies des multinationales durant les négociations.

Officiellement, nous dit-on, ce grand marché transatlantique ouvrirait de nouvelles perspectives pour la croissance et l’emploi. Ce discours lénifiant traduit une forme d’aveuglement idéologique. Une étude indépendante de l’université Tufts dresse, au contraire, un tableau assez sombre des conséquences économiques et sociales d’une éventuelle entrée en vigueur du CETA. Selon cette étude, d’ici 2023, le CETA causerait la disparition de près de 230 000 emplois cumulés au Canada et dans l’Union européenne, dont un peu plus de 200 000 dans l’Union seule, parmi lesquels 45 000 en France.

Le CETA est en outre susceptible de produire des effets dans de nombreux domaines, au-delà du seul commerce international. Ce traité représente ainsi – entre autres – une menace pour l’agriculture et les producteurs européens. Les quotas des producteurs canadiens seront en effet relevés de manière très importante pour plusieurs produits stratégiques sur le marché européen : le boeuf, le porc, le blé, le maïs. En aggravant les conditions de la concurrence, et donc la course à la compétitivité, le CETA encouragera l’industrialisation de l’agriculture, à l’opposée du modèle agro-écologique qu’il faudrait promouvoir pour lutter contre le réchauffement climatique et garantir les revenus de nos agriculteurs.

Les défenseurs du CETA font valoir que ce traité contraindra le Canada à reconnaître 173 indications géographiques protégées, du fromage aux fruits en passant par les fruits de mer et les confiseries. Mais ces 173 appellations protégées par le traité, dont 42 pour la France, ne représentent que 10 % des quelque 1 500 IGP européennes existantes !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion