Pour commencer, je vous livrerai deux réflexions.
La première concerne la mondialisation – car c’est bien cette question qui nous est posée ce soir, dans ce débat. Oui, monsieur Carvalho, il faut réguler la mondialisation. Oui, la mondialisation sauvage a un coût économique et social inacceptable. Mais, symétriquement, il faut s’opposer à la tentation du protectionnisme qui se fait très menaçante aux États-Unis et en Europe.
Vous avez cité à juste titre des propos tenus par Joseph Stiglitz à propos des conséquences de la mondialisation. Il a donné une interview au journal Le Monde, dans son édition de ce soir, au cours de laquelle il s’oppose très clairement à la politique protectionniste de Donald Trump, en précisant que les travailleurs américains en seront les premières victimes.
Il me semble que ceux qui, en Europe, contestent les accords dont vous parlez, sont en même temps très sensibles à cette tentation. Or je crois que cela aurait pour l’économie mondiale un coût considérable. Nous le savons à présent, les politiques protectionnistes menées par les États ont été un accélérateur de la crise de 1929. En outre, aujourd’hui, les nouveaux marchés ne se trouvent plus tellement dans les économies développées, mais dans les pays émergents. Le protectionnisme nous couperait de ces marchés nouveaux, à notre détriment – je pense que les États-Unis en feront l’expérience rapidement.
Je tenais à vous dire clairement mon sentiment sur ce point : oui à la régulation de la mondialisation, mais non au protectionnisme.
Deuxième réflexion : un enjeu très important est sous-jacent à ces accords. Pourquoi les accords régionaux se sont-ils multipliés ces dernières années ? Parce que l’OMC est bloquée ! Les accords régionaux qui ont vu le jour récemment ont été pris pour contourner le blocage des négociations à l’OMC – blocage qui est d’ailleurs en partie le fait des États-Unis. Sur ce point, la position de la France a toujours été constante : nous favorisons le multilatéralisme, et voulons que ce type d’accord soit, autant que possible, négocié dans l’enceinte mondiale qu’est l’OMC.
D’autre part, il est clair que si nous laissons se multiplier des accords régionaux dans lesquels l’Europe n’est pas partie prenante, nous risquons de voir, à l’avenir, la négociation mondiale se fonder sur des accords que nous n’aurons pas discutés. Certes, compte tenu de la position nouvelle des États-Unis, ce risque est moins grand, mais en attendant que l’OMC reprenne la main, l’Europe doit impérativement se maintenir dans les négociations en signant des accords bilatéraux, faute de quoi elle risque d’être marginalisée.
Ce danger nous menace notamment en matière de normes et de standards, question que vous avez évoquée, monsieur Carvalho. Nous savons bien, à ce propos, que l’essentiel du CETA ne réside pas dans les droits de douane, mais dans la définition des normes. Or nous devons peser, dans le cadre de ces accords régionaux – il s’agit, aujourd’hui, du Canada, mais nous l’avons fait précédemment avec le Japon – sur la définition des normes, car c’est sur la base de ces normes que les discussions auront lieu par la suite au niveau international. Je persiste donc à penser que l’Europe doit continuer à mener une politique commerciale offensive.
Bien entendu, il faut que ces accords soient bons : il ne s’agit pas de brader nos intérêts sur l’autel du libre-échangisme ou du libéralisme ! Mais je tiens à le dire clairement : le CETA, qui sera soumis au Parlement européen dans quelques jours, et qui est le fruit d’une longue négociation, est à mon avis le meilleur accord que nous pouvions obtenir. Il faut rappeler que la France a obtenu, notamment dans la dernière période, sous la houlette du secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, Matthias Fekl, des avancées notables et reconnues.
Cela a été développé à l’instant par le secrétaire d’État, mais je veux y revenir un instant. Ainsi, je pense à la protection des services publics. Certes, je vous ai entendu, monsieur le rapporteur, regretter qu’elle n’aille pas suffisamment loin, mais elle existe tout de même. Et puis il y aura dorénavant la possibilité d’accéder aux marchés publics canadiens, énorme différence avec le TAFTA, les États-Unis ayant été incapables d’apporter des garanties en ce domaine lors des discussions préparatoires. Je citerai aussi la protection des appellations et l’évolution du mécanisme de règlement des différends. Je veux souligner à ce sujet l’apport de M. Fekl : la France a tapé du poing sur la table en disant qu’elle n’accepterait pas la formule négociée au départ, et qu’il faudrait des juges professionnels, nommés de manière permanente par le Canada et par l’Union européenne. C’est donc à l’initiative de notre pays que cette avancée a été obtenue.
Par ailleurs, je précise, parce que j’entends le contraire et que je vois des pétitions circuler, que l’accord de Paris sur le climat n’est absolument pas remis en cause.