Intervention de François Loncle

Séance en hémicycle du 2 février 2017 à 15h00
Pour un débat démocratique sur l'accord économique et commercial global — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Loncle :

C’est le cas de l’Accord économique et commercial global conclu entre l’Union européenne et le Canada.

Il ne faut pas confondre : le CETA n’est pas le TAFTA. Alors que le défunt traité transatlantique soulevait de nombreuses objections, l’accord euro-canadien est un bon accord, équilibré, mutuellement bénéfique. Non seulement il offre des garanties et des protections largement suffisantes, mais en outre il améliore très sensiblement le dispositif d’arbitrage. Au cours des sept années de discussions, il a été amendé dans un sens positif. Il intègre les demandes françaises et respecte, me semble-t-il, les intérêts de notre pays.

Je respecte bien évidemment non seulement la personne mais aussi le travail de notre rapporteur, Marc Dolez. Toutefois, je conteste formellement les six principaux arguments avancés par cette proposition de résolution.

Premièrement, l’application provisoire du CETA n’est en aucune façon un coup de force anti-démocratique. Il faut rappeler que si les négociations commerciales sont, certes, du ressort de la Commission européenne, la conclusion d’un accord commercial appartient aux États membres et sa ratification échoit aux parlements. D’ailleurs, l’Assemblée nationale a été constamment informée par le Gouvernement du déroulement des négociations : le secrétaire d’État Matthias Fekl est venu à sept reprises devant la commission des affaires étrangères.

Le CETA est un accord mixte, en ce sens qu’il concerne des domaines relevant de compétences à la fois communautaires et nationales. Par conséquent, son entrée en vigueur exige un vote du Parlement européen et des parlements nationaux. C’est d’ailleurs notre pays qui a souligné l’importance du rôle des parlements nationaux et qui a obtenu en juillet dernier la reconnaissance de cette mixité par la Commission européenne. C’est pourquoi il faut refuser que notre assemblée se dessaisisse de son droit constitutionnel de ratifier un accord international, et c’est pourquoi aussi il n’est pas du tout nécessaire de recourir à la procédure référendaire pour autoriser la ratification de cet accord. Comment imaginer, par ailleurs, soumettre à référendum un texte qui compte 453 pages – et même, avec les annexes, 2 344 pages ?

Deuxièmement, le CETA ne constitue pas une menace pour l’agriculture européenne en général, et française en particulier. Tout au contraire. Il faut savoir qu’actuellement aucun fromage français bénéficiant d’un signe de protection comme une appellation d’origine protégée, une appellation d’origine contrôlée ou une indication géographique protégée n’est réellement protégé au Canada. Le CETA apportera un changement appréciable, puisqu’il entérine la reconnaissance et la protection de 173 indications géographiques européennes, dont 42 françaises, notamment 28 fromages, de l’huile, des pruneaux ou de la charcuterie. Il s’agit d’une proportion importante, d’autant plus que la liste pourra être complétée dans l’avenir.

Le CETA entraînera une large ouverture du marché canadien à nos produits agricoles. Par exemple, il permettra d’exporter un quota annuel de 18 500 tonnes de fromages européens exempts de droits de douane, alors que ceux-ci sont aujourd’hui particulièrement dissuasifs. C’est clairement une chance pour nos productions laitières et fromagères – et c’est un Normand qui parle ! En échange, le Canada pourra progressivement exporter vers l’Europe jusqu’à 45 800 tonnes de viande de boeuf sans hormones. Ce quota n’est pas en mesure de désorganiser le marché bovin, puisqu’il représente seulement 0,6 % de la production européenne de viande bovine.

Troisièmement, le CETA réaffirme que le droit commercial international ne prime pas le droit environnemental. Il confirme ainsi le principe de précaution. Le CETA respecte les objectifs environnementaux et les accords multilatéraux en ce domaine, y compris l’accord de Paris de la COP21, lorsqu’il sera entré en vigueur. Il garantit le droit à réguler des États membres en matière d’environnement, en particulier dans le secteur sanitaire et phytosanitaire.

Quatrièmement, le CETA protège les services publics nationaux et locaux créés par les États et les collectivités, conformément à la position constante affichée par la France. Il s’agit d’une position qui est dépourvue de toute ambiguïté. Les États et les collectivités territoriales conservent le droit d’établir des monopoles publics et de conférer des droits exclusifs.

Cinquièmement, le CETA vise certes à harmoniser les normes, mais sans remettre en cause les exigences sanitaires, sociales, environnementales ou de sécurité. Cette convergence réglementaire ne se traduit donc pas par un abaissement du niveau de protection des personnes et de la nature, d’autant que chaque partie reste libre de prendre les législations internes qu’elle estime appropriées.

Sixième et dernier point, qui me semble le plus important : la cour de justice des investissements est présentée par le groupe GDR comme un mécanisme menaçant la souveraineté des États ; or c’est exactement l’inverse. Au contraire des accords commerciaux existants, dotés d’un système d’arbitrage commercial privé qui tend à privilégier les investisseurs, le CETA préserve et réaffirme clairement les prérogatives étatiques souveraines. Cette innovation résulte d’une initiative commune de la France et de l’Allemagne, qui ont oeuvré à la mise en place d’une cour bilatérale publique permanente, chargée de régler les différends entre investisseurs et États. Cette nouvelle cour de justice constitue une avancée remarquable. Il faut féliciter le Canada, qui est le premier pays à avoir renoncé à l’arbitrage privé. Ce nouveau modèle d’arbitrage européen commence d’ailleurs à être accepté par d’autres parties, par exemple le Vietnam.

En conclusion, mes chers collègues, je voudrais souligner que le CETA revêt aussi une dimension géopolitique essentielle. Cet accord euro-canadien favorisera la diffusion de nos normes et de nos dispositifs réglementaires. C’est particulièrement important alors que nous observons des stratégies de repli et d’agressivité commerciale, notamment de la part de la nouvelle administration américaine et du gouvernement britannique. En ce sens, le CETA est bien plus qu’un simple accord commercial : c’est un modèle de coopération bilatérale entre l’Union européenne et le Canada, un grand pays avec lequel nous partageons non seulement une histoire et une culture, mais aussi et surtout des valeurs communes. Cet accord contribue à renforcer les liens anciens et multiples unissant l’Europe et le Canada. Le Canada est notre partenaire, notre allié, notre ami.

Pour toutes ces raisons, conformément au vote de la commission des affaires étrangères de notre assemblée, qui a respecté toutes les règles démocratiques, je vous recommande vivement de rejeter le projet de proposition de résolution européenne présenté par le groupe GDR.

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