Intervention de Pouria Amirshahi

Séance en hémicycle du 2 février 2017 à 15h00
Pour un débat démocratique sur l'accord économique et commercial global — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPouria Amirshahi :

Je tiens tout d’abord à remercier le groupe GDR pour l’organisation de ce débat consacré au CETA, qui, enfin, a lieu dans cet hémicycle, devant la représentation nationale.

Comme tout accord de libre-échange, en l’occurrence entre l’Union européenne et le Canada, le CETA repose sur le principe de la suppression des barrières douanières. Avant même d’évoquer le contenu des dispositions du traité, je veux dénoncer ici, avec d’autres, nombreux, le scandale anti-démocratique auquel nous assistons.

Comme pour le TAFTA, le traité de libre-échange avec les États-Unis dont il a été fait état précédemment, les négociations n’ont pas été transparentes. Par un détournement des institutions démocratiques, les négociateurs ont même accepté cette incroyable procédure qui consiste à mettre en oeuvre 90 % des dispositions du traité dès le 1er mars, avant même son éventuelle validation par les parlements nationaux. Non seulement les souveraines et indispensables délibérations sont piétinées, mais la méthode est celle d’apprentis sorciers : car que se passera-t-il si demain un Parlement rejette le traité alors que ses clauses sont déjà actives et qu’elles ont entraîné de nouvelles situations de droit, avec des conséquences parfois irréversibles ?

Notre inquiétude est d’autant plus fondée que le contenu même du CETA est dangereux pour l’environnement, les droits des travailleurs et des consommateurs, les filières agricoles et même la diversité culturelle – je reprends les mots de Nicolas Hulot. Je veux en donner quelques illustrations. Ainsi, 92 % des produits agricoles et alimentaires pourront circuler librement entre les deux parties ; il en sera ainsi pour les viandes bovine et porcine, ou encore pour les produits laitiers, sous réserve de quotas – 140 000 tonnes de viandes canadiennes pourront être vendues en Europe. Hormis pour satisfaire des intérêts commerciaux privés, l’Union européenne, qui produit déjà 7,2 millions de tonnes, n’a absolument pas besoin de ces importations. D’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous citer un éleveur, une organisation interprofessionnelle qui se réjouisse de ces nouveaux contingents bovins octroyés au Canada ?

J’ajoute que l’application du CETA revient à fouler aux pieds l’accord international de Paris sur le climat, qui, à l’inverse, prévoit de réduire les émissions de gaz à effet de serre par les moyens de transport, y compris maritimes. Il ne s’agit pas d’une remise en cause formelle de l’accord de la COP21, mais l’augmentation du volume d’échanges commerciaux non indispensables aggravera la pollution et menacera donc directement notre santé et la biodiversité.

Pour ces seules raisons, monsieur le secrétaire d’État, comment pouvez-vous qualifier le CETA d’accord progressiste ? Ces derniers temps, les avocats du traité n’ont pas ménagé leurs efforts pour tenter de rassurer la société civile – un peu comme le serpent Kaa avec le jeune Mowgli, si vous voyez ce que je veux dire. Mais leurs arguments sont souvent contestables : aucun économiste n’est en mesure de prouver la moindre création d’emplois ni de richesse, et si la Commission européenne prévoit un ridicule accroissement du PIB, de seulement 0,03 %, d’autres études d’impact prédisent la destruction de 200 000 emplois à l’échelle de notre continent, dont 40 000 en France. Rappelons au passage que l’accord de libre-échange nord-américain, l’ALENA, prévoyait la création de 20 millions d’emplois, et qu’il en a, au final, détruit 900 000.

Du point de vue des normes, si des restrictions ont en effet été posées par l’Union européenne à l’importation de boeuf aux hormones, de poulet au chlore, de porc à la ractopamine ou de nouveaux OGM, il n’est nulle part inscrit le principe de précaution, qui est pourtant au fondement du droit européen. Dès lors, tout nouveau risque sanitaire et alimentaire sera étudié au cas par cas, en fonction du seul intérêt des entreprises commerciales et non de l’intérêt général. Ce que prévoit le traité, c’est la possibilité donnée aux investisseurs privés d’attaquer unilatéralement un État, sans que l’inverse soit envisagé. Les multinationales pourront pour cela utiliser le tribunal arbitral institué par le traité, ce qui est jugé inquiétant par beaucoup, comme la Commission nationale consultative des droits de l’homme – CNCDH – ou encore des juristes qui doutent de la compatibilité de ce dispositif de règlement des litiges avec le droit communautaire.

En vérité, le CETA fait courir de graves risques écologiques, sanitaires et démocratiques. Notre rôle est de l’en empêcher.

En vérité, le CETA est l’instrument d’une idéologie absurde, dangereuse et désormais archaïque, celle de la concurrence libre et non faussée qui fait tant de dégâts sociaux et environnementaux.

En vérité, monsieur le secrétaire d’État, le CETA est à contre-courant du grand enjeu moderne que constitue la redéfinition des règles de production et de distribution des marchandises, des biens et des services, à savoir la relocalisation des productions quand cela est possible et le développement des circuits courts. Certains espaces économiques ont d’ailleurs déjà engagé ce processus : la Chine privilégie ainsi son marché intérieur. Vous aurez observé aussi que de grandes entreprises ont adopté des stratégies de démondialisation, parce que les coûts de production et de transport de marchandises ne baissent plus, et aussi parce que chacun constate la stagnation séculaire à l’oeuvre, qui, de fait, remet en cause la culture « croissanciste » qui nous est imposée.

Nous opposons à la vision cynique d’un libre-échange destructeur un autre principe : celui d’un commerce international équitable, écologique et sobre, dont les normes protectrices sont définies par la voie démocratique et non par des puissances hostiles au bien commun et à l’intérêt général. Oui, cette ambition mérite bien un grand débat national, sanctionné par un vote.

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