Je vous remercie, madame la présidente, pour vos propos encourageants sur l'Institut français, son rôle comme opérateur de l'État chargé de promouvoir la culture française à l'international et sa mission de dialogue entre les cultures. Je puis vous assurer que les équipes de l'Institut français que je vois travailler au long des semaines, le jour mais aussi la nuit, ne ménagent ni leurs efforts ni leur temps pour permettre à la France de rayonner partout où elle le peut sur les deux hémisphères, au travers de notre réseau composé de quelque 160 services d'action culturelle,97 instituts français, 817 alliances françaises et de très nombreux autres partenaires, partenaires étrangers ou français, institutions culturelles ou collectivités territoriales.
Le contrat d'objectifs et de moyens (COM), qui fixe pour les trois années à venir ses axes stratégiques, est pour l'Institut français l'outil indispensable à la conduite de son action à l'étranger. L'Institut a été pensé et construit pour être un opérateur d'influence au service du pays. Les options qui avaient été envisagées lors de son installation – le rattachement du réseau en particulier – ayant été clarifiées, il n'y a pas lieu d'y revenir : l'Institut est aujourd'hui en ordre de marche.
Il a pour mission première, est-il dit dans le COM, « de développer l'influence et l'attractivité de la France par sa culture et sa langue ». « Par sa culture », dans sa diversité créative, avec une inclination particulière pour les formes nouvelles, l'émergence artistique et les nouvelles tendances, avec la volonté de rencontrer de nouveaux publics, de détecter les innovations dans la palette très vaste de nos talents, jeunes ou confirmés. « Par sa langue » parce que le français est une langue de demain et qu'il faut veiller à ce qu'elle soit largement parlée à la maison, au travail et sur internet, et qu'elle le soit correctement – ce qui me semble être le grand défi de demain, souligné par le président de la République lors du dernier sommet de la francophonie, qui s'est tenu à Madagascar. « Par la langue » aussi parce que « la pensée se fait dans la bouche » selon les mots de Tristan Tzara : notre façon de concevoir et d'exprimer le monde, notre approche universelle et humaniste restent une référence et, de l'étranger, on attend souvent que nous exprimions notre point de vue, en français, sur les grands problèmes contemporains, philosophiques ou scientifiques. Demain, 26 janvier, se déroulera, sur seize fuseaux horaires, de Tokyo le matin à Los Angeles tard le soir, La Nuit des idées : dans 40 pays, 50 villes, 70 lieux de culture et de savoir en liaison avec notre réseau, et même 100 en tenant compte des partenaires associés via le réseau participatif. Cet événement illustre parfaitement l'approche ambitieuse que le COM nous assigne et que l'Institut français entend suivre.
L'Institut français a pour mission seconde « d'animer le dialogue et de favoriser les échanges avec les cultures étrangères en France, en Europe et dans le monde ». Il ne s'agit pas d'amener le monde à penser comme nous. Il ne s'agit pas non plus de soft power comme je l'entends souvent dire, concept forgé pour exprimer l'épuisement des ressources du hard power – des termes que j'énonce tout exprès en anglais. Il s'agit de mettre en relief l'apport pour la culture française du frottement avec l'étranger, et de reconnaître que le dialogue avec l'autre est une source d'inspiration, de développement, de sérénité et donc de paix autant que de découverte.
L'Institut français a promu de nombreuses « Saisons culturelles » ; elles constituent l'un des principaux vecteurs de cette philosophie. La saison France-Corée, au cours de laquelle quelque 500 événements croisés se sont déroulés en un an, a été close le 15 décembre dernier et, le lendemain, l'année France-Colombie a été lancée par une fête des lumières organisée par la Ville de Lyon ; selon la municipalité de Bogota, elle a réuni 900 000 personnes en huit jours. En 2017, la France sera l'invitée d'honneur de la Foire du livre de Francfort, la plus grande foire mondiale de ce type. Ce choix résulte du constat fait par nos autorités que les jeunes générations, en Allemagne et en France, se connaissent moins bien et échangent moins que ne le faisaient les générations précédentes. Pour faire se rapprocher la jeunesse franco-allemande, il a paru utile d'utiliser le vecteur du livre. En favorisant les contacts entre éditeurs allemands et français, nous escomptons créer de nouveaux ponts entre nos deux pays au moment où, sur fond de « Brexit » et d'incertitudes américaines, la dynamique du couple franco-allemand revêt une importance particulière. Le pavillon français sera ouvert aux éditeurs du Sud et une nette dimension francophone caractérisera notre présence à la Foire de Francfort.
Les résidences – à la Cité internationale des arts, à la Villa Kujoyama au Japon et hors les murs, c'est à dire partout dans le monde –, que l'Institut français cherche à mettre en valeur, ont la faveur des artistes. C'est un autre exemple de l'importance que nous attachons au dialogue des cultures.
Comme le souligne le COM, nous faisons d'autre part bénéficier de notre expertise les pays du Sud, l'Afrique et les Caraïbes en particulier, en concevant in situ des événements structurants pour les jeunes créateurs qui leur permettent de se mettre en rapport avec des réseaux professionnels. C'est le cas pour la danse à Ouagadougou : la dixième édition du festival Danse l'Afrique danse ! qui a eu lieu en novembre dernier a rassemblé 43 compagnies de 13 pays africains et permis la signature de quinze contrats par ces compagnies en une semaine. C'est le cas aussi pour la Biennale de la photographie à Bamako, et encore pour le cinéma, au Burkina Faso et à Madagascar, et pour nos programmes « Cinéma du monde » et « La Fabrique du cinéma » : 70 % de nos lauréats étrangers trouvent à Cannes un partenaire pour poursuivre leur aventure.
Il va de soi que ces réunions professionnelles profitent aussi à nos artistes. Par ce vecteur, nous réussissons à promouvoir nos créateurs, dans toutes les disciplines, sur les scènes internationales ou dans les lieux prescripteurs.
Dans le cadre de ce dialogue permanent avec les autres cultures, nous sommes en mesure, grâce à des instruments éprouvés tels les « labs » d'identifier et d'animer des réseaux d'influence intergénérationnels qui constitueront nos relais de demain dans des pays en mutation importants pour notre diplomatie, notamment au Moyen Orient. Les programmes de mobilité avec la rive Sud de la Méditerranée sont particulièrement utiles. Nous en avons mis trois au point : « Safir Lab », avec les pays arabes, connaît un énorme succès ; « Culture Lab » couvre le monde entier ; « Afrique Lab », monté avec l'Allemagne pour identifier les entrepreneurs de demain, se déroulera bientôt au Cameroun, au Ghana, en Côte d'Ivoire, au Sénégal, au Nigéria et, bien sûr, à Berlin et à Paris. La réaffirmation de cet objectif dans le COM est donc très pertinente.
L'Institut français continuera évidemment – c'est le troisième objectif qu'il lui est demandé de satisfaire – d'appuyer le réseau par des formations destinées à toutes les catégories de personnels, et de mettre à sa disposition les outils numériques existants et ceux que nous finalisons pour l'année qui s'ouvre.
Le COM qui vous est soumis diffère du précédent par deux aspects. Le premier est la recherche plus systématique de transversalité. Il s'agit, à l'ère du numérique, de tenir compte d'une tendance profonde de la création, tous domaines confondus, vers l'interdisciplinarité et l'hybridation. Pour autant, il ne s'agit pas de recenser, de montrer ou d'exporter n'importe quoi, et de nombreux experts du ministère de la culture sont là pour nous aider. Le secrétaire général du ministère le rappelait lors de notre dernier conseil d'administration : il s'agit de promouvoir la culture mais assurément une « bonne » culture, dans laquelle le public se retrouve, se projette et se construit.
Le second point concerne la « géographisation ». En annexe du COM figure la cartographie des priorités de l'Institut français. Trois catégories sont déterminées. Le premier cercle comprend les 39 pays et territoires désignés prioritaires qui concentreront à l'avenir la majorité de nos actions culturelles, lesquelles seront contractualisées sur un triennat afin de donner la lisibilité nécessaire à notre stratégie commune ; nous avons commencé l'élaboration de ces documents avec une dizaine de ces pays. Le deuxième cercle comprend onze zones de mutualisation couvrant 63 pays où notre intervention sera conditionnée par le partage des coûts et la mise en oeuvre de synergies. Le troisième cercle regroupe les autres pays, qui continueront de bénéficier de l'ensemble des outils mis à la disposition du réseau et des actions de formation.
La géographisation ainsi conçue, qui résulte aussi de la contraction de nos moyens, nous permettra de mieux cibler nos actions. Il va de soi qu'il ne s'agit pas d'un instrument absolument rigide : cette carte sera adaptée en tant que de besoin si de nouvelles priorités politiques apparaissaient, et nous veillerons à ne pas nous faire surprendre – le moment viendra, par exemple, de réinvestir la Syrie et la Lybie. Nous avons déjà entrepris, en liaison avec la Direction générale de la mondialisation, de confronter nos priorités géographiques avec celles des directions politiques du ministère des affaires étrangères pour recueillir leur point de vue et préciser les instruments spécialisés que nous entendons mettre en oeuvre selon les régions. De même, j'entreprendrai plusieurs missions dans les pays « de la ligne du front », Pologne et Ukraine par exemple, et sans doute aussi en Asie centrale, pour me mettre à l'écoute de pays dont la position nous dicte de rester attentifs à leurs évolutions politiques ou économiques, et où la culture peut jouer un rôle plus important.
La géographisation n'est pas une nouveauté complète puisque le dernier conseil d'orientation stratégique, en 2012, avait dressé la liste de 78 pays prioritaires. Elle doit s'accompagner d'une mobilisation adaptée du réseau par la meilleure information des ambassadeurs sur leur positionnement et ce qu'ils peuvent en retirer et par la sensibilisation des conseillers de coopération et d'action culturelle à la nécessaire connaissance et coordination des programmations dans une région donnée. En résumé, la géographisation doit être comprise comme un principe d'action et non comme la gestion vaille que vaille d'un budget qui rétrécit comme une peau de chagrin.
Il va de soi que, pour faire face à l'ensemble de ses missions, dont le périmètre n'évolue pas en substance, l'Institut français cherchera à consolider ses capacités de pilotage. C'est le quatrième objectif qui lui est dicté.
Pour ce qui est des dépenses, beaucoup a été fait déjà. L'Institut français a su préserver l'ensemble de ses missions et actions en dépit de la réduction de 24 % de son budget depuis sa création, et de 34 % de ses crédits d'intervention. Cette année encore, la baisse de 3 % que nous avons subie s'est traduite par une réduction homothétique de 8 % de notre capacité d'action ; tous nos programmes ont été touchés.
Hors Foire de Francfort, le budget consacré au livre – qui est la première industrie culturelle française et la première industrie culturelle française à l'exportation – est aujourd'hui inférieur à 1 million d'euros. La majeure partie de ces ressources, soit 450 000 euros, est consacrée au soutien à la traduction et à l'aide à la cession de droits étrangers et audiovisuels ; 120 000 euros vont à la formation de traducteurs et 280 000 euros à la modernisation des médiathèques des établissements français à l'étranger.
Pour le cinéma et plus particulièrement le cinéma étranger, la baisse du budget sur six ans a été de moitié. Le budget alloué au cinéma étranger au travers de l'aide aux cinémas du monde – 208 projets soutenus en provenance de 72 pays –, de la fabrique du cinéma –124 réalisateurs et producteurs accueillis depuis 2009 – et des autres actions que nous menons en faveur de la cinémathèque Afrique ou des résidences d'écriture, est maintenant légèrement inférieur à un million d'euros. C'est dommage, car sur ces programmes uniques en leur genre, conduits avec le Centre national du cinéma, notre visibilité est excellente et les résultats obtenus sont remarquables : ainsi, douze des films sélectionnés à Cannes en 2016 avaient bénéficié de l'aide aux cinémas du monde.
L'ambition qui sous-tend le COM 2017-2019 demande que ces moyens soient au minimum reconduits pour les trois années à venir, faute de quoi l'écrémage rendra inopérante la mise en oeuvre d'une partie de la stratégie qui nous est assignée.
Pour ce qui est des recettes, l'Institut français est très dépendant des subventions qu'il reçoit de ses ministères de tutelle. Nous avons mentionné à plusieurs reprises à notre nouvelle cotutelle, le ministère de la culture et de la communication, que nous espérions de sa part un engagement plus marqué à l'avenir. Il reste que la diversification des ressources est une préoccupation constante de notre établissement. Toutes les pistes qui nous ont été offertes sont exploitées : mécénat, financements européens, partenariats avec les collectivités territoriales, cours de français en ligne… D'autres – les offsets des contrats obtenus à l'étranger pour intégrer une offre culturelle, ou les nouveaux partenariats institutionnels – sont à l'étude, sans résultats encore.
Soyez certains que les missions que vous nous assignez nous tiennent à coeur. Les enjeux pour l'influence de la France nous paraissent essentiels. Les équipes de l'Institut français sont fières de participer à notre diplomatie et au rayonnement de notre pays à l'étranger par ce qui le définit sans doute le mieux pour le plus grand nombre : la culture, l'échange et le dialogue, notre langue, l'esprit français et celui de ses créateurs. C'est un capital qu'il nous faut absolument préserver pour les générations présentes et à venir.