Intervention de Bruno le Roux

Séance en hémicycle du 7 février 2017 à 21h30
Sécurité publique — Après l'article 4

Bruno le Roux, ministre de l’intérieur :

Pour répondre très précisément à vos remarques, madame la députée, monsieur le député, dans un esprit constructif, en essayant de faire de nouvelles propositions, je distinguerai d’une part, la fiche S, en exposant les raisons pour lesquelles je vous demande de renoncer à ce que les informations qu’elle contient puissent être communiquées aux maires, et, d’autre part, la prévention et la connaissance de la radicalisation.

Certains maires, pas tous, demandent qu’on leur communique le nom des personnes fichées S, mais la fiche S est avant tout un outil de renseignement et, comme pour tous les outils de renseignement, il faut faire attention à l’utilisation qui en est faite. Elle vise à permettre la surveillance très discrète d’un certain nombre d’individus par nos services de renseignement. Les élus locaux, s’ils ont des responsabilités et peuvent faire des remarques ou opérer des signalements, ne sont pas par fonction habilités à traiter les renseignements dont disposent nos services.

Demander la communication des fiches S reviendrait par exemple à demander sur quelles voitures des balises ont été installées. En quoi un élu local pourrait-il être concerné ? Quel mode opératoire pourrait-il définir à partir d’une telle information ? Si les services de renseignement posent des balises, c’est pour lever un doute ou opérer un suivi, en fonction d’informations dont ils disposent et qu’ils ne peuvent bien entendu pas partager. Elles peuvent parfois leur avoir été données par des services avec lesquels ils coopèrent et qui, sans cette étanchéité, ne leur en donneraient peut-être plus.

Un élu ne pourrait d’ailleurs tirer aucune information véritable d’une fiche S, la façon dont elle est constituée ne permettant pas de savoir quoi que ce soit sur la nature de ce qui peut être surveillé, reproché ou faire l’objet d’une attention toute particulière.

On le voit donc bien, le fichier S n’est pas un fichier d’individus dangereux, même si un certain nombre peuvent l’être. Ce n’est pas un fichier d’auteurs d’infractions terroristes, c’est un instrument de travail pour nos services de renseignement.

La fiche S ne contient rien qui permette d’engager une prise en charge ou un suivi au sens des procédures que peuvent développer sur le terrain les élus et l’État, notamment dans la prévention de la radicalisation. C’est une sonnette, pour prévenir qu’il faut surveiller quelqu’un et lui porter la plus grande attention. Ces éléments seront dans la très grande majorité des cas classifiés. Il en va de même pour les autres fichiers relevant du renseignement.

Le travail de renseignement ne peut s’inscrire que dans un impératif de confidentialité, qui conduit à limiter le partage d’informations aux strictes nécessités. L’information du maire, vu les actions qu’il serait amené à mettre en oeuvre, car on n’imagine pas qu’il n’ait pas alors la volonté d’agir, serait de nature à remettre en cause le travail de nos services de renseignement, dans la mesure où les individus pourraient avoir connaissance de leur présence dans ce fichier, ce qui aurait pour effet de réduire considérablement l’intérêt de cet outil pour leur suivi.

Les services étrangers, j’en ai parlé.

Le dispositif proposé prévoit la possibilité pour le maire d’utiliser les informations transmises dans le cadre de ses attributions légales, pour les besoins exclusifs des missions qui lui sont confiées.

Si les maires sont chargés de la police municipale et doivent assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, ils ne disposent d’aucune compétence en matière de renseignement ou de prévention des atteintes graves à la sécurité publique ou à la sûreté de l’État.

J’insiste donc bien, vouloir partager ce qui relève de l’activité de renseignement avec les collectivités territoriales, c’est faire en partie reposer sur elles une mission qui ne leur appartient pas et pour laquelle elles ne sont pas préparées.

Pour autant, je comprends ce qui motive cette demande, à savoir l’inquiétude des maires, qui ont le souci de prendre une part active à la prévention de la radicalisation, à qui on demande beaucoup et qui sont interpellés par leurs administrés sur ce sujet.

S’agissant des enquêtes administratives, je veux indiquer deux choses.

La loi du 22 mars 2016, qui fait l’objet de modifications dans le cadre du présent texte, apporte des éléments de réponse en matière de transports, domaine qui présente une sensibilité spécifique. Ce dispositif concernera bien entendu les transports urbains des communes mais également les transports scolaires.

S’agissant des enquêtes administratives concernant les policiers municipaux, certains maires ont pu s’interroger sur les possibilités de partage d’information s’ils devaient constater qu’un de leurs agents adopte un comportement préoccupant. Je veux dire très clairement sur ce point, pour lever les interrogations légitimes qui ont pu naître, que les dispositions du code de la sécurité intérieure permettent de procéder à ce qu’on appelle un rétro-criblage et, en cas d’inquiétudes, d’avoir un partage de l’information juridiquement solide entre le maire et l’autorité préfectorale. Cette analyse répond, je crois, à une inquiétude qui avait été exprimée par l’Association des maires de France.

Par ailleurs, plusieurs circulaires ont clairement demandé aux préfets d’associer les élus aux dispositifs territoriaux de prévention de la radicalisation. Je vois bien qu’il y a là quelque chose qui ne fonctionne pas comme vous le souhaiteriez, notamment ceux qui ont la charge d’un exécutif local. Ce point figure très clairement dans la circulaire du Premier ministre du 13 mai 2016, et il a été rappelé dans le cadre d’instructions aux préfets en date du 14 septembre 2016.

À la date du 11 janvier 2017, les données disponibles concernant la participation des collectivités territoriales aux dispositifs de prévention de la radicalisation sont les suivantes : dans quatre-vingt-dix-huit départements, le conseil départemental et ses services sont associés au fonctionnement de la cellule de suivi etou aux partenariats aux fins de prise en charge des personnes radicalisées et d’accompagnement des familles ; dans quarante-neuf départements, une ou plusieurs communes ou EPCI sont associées dans les mêmes conditions.

Mon prédécesseur, Bernard Cazeneuve, avait installé à l’automne un groupe de travail sur ce sujet. Les éléments que je viens de vous donner sur le rétro-criblage des policiers municipaux découlent des échanges qui ont eu lieu au sein de ce groupe. Dans le cadre de ce groupe a également été évoquée une meilleure utilisation du cadre des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance dans la prévention de la radicalisation. Un projet de circulaire a été préparé et doit être prochainement partagé avec les associations d’élus.

Je prends deux engagements devant vous : cette circulaire sera finalisée avant la fin du mois dans le cadre d’un partage avec les associations d’élus, et des représentants de ces associations, notamment de l’Association des maires de France, seront conviés lors de la prochaine réunion des préfets à l’occasion de laquelle je présenterai cette circulaire, afin de permettre un échange direct avec les préfets sur la nature des dispositifs et des relations à mettre en oeuvre.

Vu ces explications et ces engagements, le Gouvernement émet un avis défavorable à ces amendements, non sur leur esprit, le partage de l’information sur la radicalisation et les processus de prévention dont je viens de détailler comment nous pourrions les mettre en place plus utilement, mais sur la fiche S en elle-même parce que, s’ils étaient adoptés, ce serait la fin de la fiche S.

Les services chargés de notre sécurité trouveraient forcément d’autres façons de procéder, de surveiller, de regarder au plus près du terrain la façon de partager des renseignements avec les services avec lesquels ils travaillent. Les fiches S nous permettent d’assurer un suivi très précis d’un certain nombre d’individus et ce ne serait plus possible si elles étaient l’objet d’une communication qui rendrait les modalités de leur constitution et leur fonctionnement caducs.

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