Je vous remercie, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, de m'avoir invité. Je suis en train de vivre deux journées particulières puisque j'étais hier dans l'hémicycle pour représenter le Gouvernement à l'occasion de la discussion de deux propositions de loi dont je suis le premier signataire, et que je clos aujourd'hui avec vous le cycle des auditions sur les conséquences du Brexit, cycle que j'avais inauguré parmi vous il y a plusieurs mois. Je suis heureux de partager ce moment avec vous tant le sujet dont nous allons traiter est important. Je serai exhaustif afin d'apporter à vos questions des réponses très précises qui pourront nourrir votre rapport.
Je me dois au préalable de vous préciser les limites inhérentes à l'exercice : vous le savez, nous attendons le déclenchement des négociations par l'activation par le Royaume Uni de l'article 50 du traité de l'Union européenne. À la suite de l'arrêt de la Cour suprême britannique, le gouvernement de Theresa May a déposé au parlement un projet de loi par lequel il demande l'autorisation d'activer l'article 50. Les débats à la Chambre des communes ont débuté le 31 janvier et abouti à un premier vote permettant l'application du dispositif. L'objectif affiché est celui d'un calendrier resserré permettant une activation début mars, avant le Conseil européen des 8 et 9 mars.
Nous n'en sommes donc encore qu'aux prémices et même si la Première ministre Theresa May a annoncé les grandes lignes de son action dans son discours du 17 janvier, la position de négociation britannique n'est pas encore « sur la table » – nous devons par conséquent nous montrer particulièrement prudents. C'est au vu de ces éléments que l'Union européenne devra à son tour se positionner pour entamer la négociation de l'accord de retrait. Si la décision de retrait revêt un caractère unilatéral, l'accord est en revanche conclu par le Conseil au nom de l'Union, statuant à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen. Les traités européens cesseront d'être applicables à l'égard du Royaume-Uni à partir de la date d'entrée en vigueur de cet accord. À défaut d'un accord, et sauf décision conjointe d'étendre la période de négociation, le retrait deviendra effectif automatiquement deux ans après la notification. Pour l'heure, je vais rester très factuel concernant les effets, étant entendu qu'aucun des éléments que je vais évoquer ne relève d'une quelconque négociation – qui serait prématurée étant donné la manière dont les Britanniques envisagent le Brexit.
Pour ce qui concerne plus précisément le ministère de l'intérieur, le retrait du Royaume-Uni aura des conséquences touchant essentiellement à la libre circulation des personnes et à l'espace de liberté, de sécurité et de justice, qui comprend quatre domaines : le contrôle aux frontières, l'asile et l'immigration ; la coopération judiciaire en matière civile ; la coopération judiciaire en matière pénale ; enfin la coopération policière. Elles concernent également le code électoral et la sécurité civile.
Il faut rappeler que les politiques européennes relatives à la circulation des personnes et à la coopération judiciaire et policière en matière pénale sont fortement marquées par le régime spécifique accordé au Royaume-Uni, qui a choisi de participer – « opt in » – à certaines dispositions, y compris à l'acquis Schengen – Europol, Eurojust, équipes communes d'enquête, mandat d'arrêt européen, Système d'information Schengen II... – mais notifié des « opt out », notamment dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale.
Tout d'abord, pour ce qui est de la circulation, du séjour et de l'asile et, en premier lieu, de l'acquis Schengen, le Royaume-Uni applique les dispositions relatives à la coopération policière et judiciaire, à la lutte contre la drogue et à certains aspects de la lutte contre l'immigration illégale. Il n'est pas concerné par le reste de l'acquis Schengen, notamment par l'absence de contrôles aux frontières intérieures. Il ne relève pas du code communautaire des visas et ne participe pas au système d'information sur les visas (VIS).
En second lieu, concernant le Système d'information Schengen (SIS II), le Royaume-Uni a accès au SIS, à l'exception des données relatives aux étrangers signalés aux fins de non-admission dans la zone Schengen. Dès lors qu'il ne sera plus membre de l'Union européenne et qu'il ne sera pas dans l'espace Schengen, la déconnexion du SIS ralentira les possibilités de détection, au Royaume-Uni sur signalements européens, ou dans l'Union européenne sur signalements britanniques. L'adhésion de pays tiers n'est pas prévue, et les données traitées par le SIS ne sont pas transférables à des pays tiers. Le Royaume-Uni contribue peu à l'alimentation du système – il se situe au septième rang –, mais il le consulte régulièrement – se hissant ici à la quatrième place.
Troisièmement, le Royaume-Uni n'est pas membre de Frontex, mais il est prévu que l'agence facilite la coopération opérationnelle entre ce dernier et les États membres. De fait, les Britanniques ont participé à une quinzaine d'opérations depuis 2015. L'association de pays tiers est possible au regard de la politique de l'Union en matière de relations extérieures.
Ensuite, pour ce qui est de la circulation et du séjour, la question du contrôle de l'immigration, point dur du discours de Mme May, constituera un thème important de la négociation. Le Royaume-Uni a fait le choix de ne pas appliquer les directives sur le séjour, l'éloignement et la réadmission. La seule directive applicable, car sans dérogation possible, concerne la circulation et le séjour des citoyens communautaires et de leur famille. En cas d'impossibilité de trouver un compromis dans le temps imparti – deux ans –, le droit commun s'appliquera – avec obligation de visas et de titres de séjour. Cette question est à apprécier dans le cadre plus vaste de la négociation d'ensemble entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Le principe fondamental posé dès le départ par l'Union européenne est le caractère indivisible des quatre libertés.
Enfin, en matière d'asile, le Royaume-Uni a opté pour l'application de la convention de Dublin sur la détermination de l'État membre responsable de l'examen de la demande d'asile et du règlement Eurodac. Il ne sera donc plus contraint par les règles de cette convention sur la réadmission des demandeurs d'asile. L'accès à Eurodac est ouvert aux quatre États de l'Association européenne de libre-échange, car ils sont associés au système de Dublin. Il est toutefois peu probable que le Royaume-Uni adhère à cette association.
Autre grand domaine, la coopération policière se caractérise par le fait que, si les outils communautaires sont des outils de référence, l'accès à l'information et aux échanges de données est souvent ouvert aux États tiers ; par ailleurs, de nombreux autres textes –conventions multilatérales et accords bilatéraux – régissent les coopérations en la matière.
Pour ce qui est des échanges d'informations, le droit de l'Union européenne prévoit que les transferts de données à destination d'un pays tiers sont en principe soumis à une décision de la Commission, attestant que cet État offre des garanties suffisantes sur la protection des données à caractère personnel. En l'absence de décision d'adéquation, il appartiendra aux États membres d'évaluer, avant tout transfert, si l'État tiers offre de telles garanties. Le règlement de cette question est donc un préalable.
Membre depuis l'origine d'Europol, le Royaume-Uni avait choisi de ne pas participer au nouveau règlement applicable au 1er mai 2017. En novembre 2016, le Gouvernement a toutefois lancé un processus interne en vue d'une participation au nouveau règlement, volonté concrétisée par une notification adressée au Conseil fin décembre 2016. Si l'accès est réservé aux États membres, la coopération – opérationnelle, technique, stratégique – avec les États tiers est possible, la liste étant arrêtée par le Conseil.
Le cadre Prüm, lui, régit l'échange de données ADN, empreintes digitales et immatriculation des véhicules. Il prévoit également la transmission d'informations aux fins de prévention des infractions pénales, dont le terrorisme, et du maintien de l'ordre lors de manifestations majeures à dimension transfrontalière. Le Royaume-Uni a déposé une demande de participation en mai 2016. Le système permet des accords spécifiques avec des États tiers.
Le PNR européen, dont l'échéance de transposition est mai 2018, cessera de s'appliquer au Royaume-Uni. La directive laisse toutefois la possibilité de transférer des données à des autorités de pays tiers, au cas par cas et pour des besoins opérationnels.
J'ajoute que les échanges d'informations resteront naturellement possibles dans le cadre d'Interpol.
Troisième domaine, en matière de coopération judiciaire, la grande majorité des instruments repose sur le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice, inhérent à l'Union européenne.
En ce qui concerne l'extradition et le mandat d'arrêt européen, ce dernier est l'outil le plus emblématique et le plus efficace de coopération en matière pénale. Le Royaume-Uni étant signataire d'une convention d'extradition du Conseil de l'Europe, le Brexit conduira donc au retour de cette procédure, ancienne forme de coopération, longue et lourde administrativement, qui permet à une partie de refuser l'extradition de ses ressortissants.
En outre, la souplesse des équipes communes d'enquête – investigations conjointes et coordination des poursuites – sera remise en cause. Toutefois, Europol et Eurojust pourraient en théorie continuer à subventionner des équipes communes franco-britanniques.
Pour ce qui est d'Eurojust, précisément, la coordination assurée en matière d'échanges d'informations, de définition de stratégies communes et d'opérations, notamment dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme, prendra fin, mais pourra être en partie palliée par la nomination de magistrats de liaison britanniques au sein d'Eurojust. Ce dispositif prévoit par ailleurs des accords de coopération avec des États tiers.
Il en va de même avec l'interconnexion des casiers judiciaires : le système ECRIS (European Criminal Records Information System) n'est en effet pas ouvert à la participation d'États tiers.
Enfin, le quatrième domaine couvre la sécurité intérieure. Les activités de renseignement échappent au domaine de compétence de l'Union et ne seront donc pas touchées par le Brexit. La sécurité nationale reste de la responsabilité de chaque État membre.
En matière de coopération bilatérale, aucune modification n'est à anticiper sur ce point. S'agissant de la coopération multilatérale, la seule enceinte multilatérale de coopération et d'échanges opérationnels est le Groupe antiterroriste (GAT), groupe informel qui réunit les chefs des services de sécurité de l'ensemble des États membres. L'Union européenne en tant que telle n'y participe pas. Le Royaume-Uni peut en rester membre après le Brexit, au même titre que d'autres États tiers.
J'en viens à quelques domaines spécifiques.
Le mécanisme européen dans le domaine de la protection civile vise à renforcer la coopération et la coordination, mais les États gardent l'ensemble de leurs compétences dans ce domaine. Le Royaume-Uni pourrait, en tant qu'État tiers, demander à s'y maintenir.
Pour ce qui concerne la circulation et la sécurité routières, en particulier les infractions routières, le Royaume-Uni est actuellement inclus dans le dispositif européen permettant de poursuivre les contrevenants d'un État membre qui commettent des infractions dans un autre État. Il devait transposer la directive au plus tard en mai 2017. Le Brexit entraînera une sortie de ce dispositif, posant problème au regard des volumes concernés – 150 000 flashs de véhicules britanniques par an en France. Dans le même ordre d'idées, devenant État tiers, le Royaume Uni perdra le bénéfice de la reconnaissance mutuelle du permis de conduire et se verra appliquer le droit commun des échanges.
Autre domaine, les électeurs et élus britanniques : le traité de Maastricht accorde aux ressortissants d'un État de l'Union européenne le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales et européennes dans l'État membre où ils résident. Les électeurs britanniques, au nombre d'environ 41 000, ne rempliront plus les conditions d'inscription et d'éligibilité. En revanche, le critère d'éligibilité s'appréciant à la date de l'élection et le droit actuel n'autorisant pas à les démettre pour perte de la qualité de ressortissant européen, les citoyens britanniques devraient, si le traité de retrait ne prévoit rien, conserver leur mandat jusqu'à son terme.
J'ajoute à tout cela qu'en dehors des mécanismes européens, le Royaume-Uni est membre de plusieurs conventions internationales, qui peuvent, après le Brexit, lui offrir des cadres de coopération avec l'Union européenne : conventions de l'Organisation des Nations unies (ONU) contre le terrorisme, la criminalité organisée, les trafics illicites de stupéfiants, la traite des êtres humains ; conventions du Conseil de l'Europe, notamment en matière d'entraide judiciaire et pénale.
Il reste naturellement les instruments bilatéraux grâce auxquels nous continuerons d'être liés au Royaume-Uni : traité du Touquet, accord de Sangatte, autres accords de coopération à la frontière – avec notamment le centre conjoint d'information et de coordination de Calais, qui a contribué au démantèlement de 15 filières d'immigration illégale depuis début 2016 –, protocole de 1989 relatif à la lutte contre le terrorisme, le crime organisé, le trafic de drogue et l'immigration clandestine.
Le Brexit aura donc des conséquences mais il ne signifie pas la fin de nos coopérations, en raison de la possibilité offerte par plusieurs mécanismes européens de maintenir des liens avec les pays tiers, si de part et d'autre il y en avait la volonté, mais aussi en raison des coopérations permises par d'autres instruments internationaux, enfin en raison, je l'ai évoqué, de nos accords bilatéraux.