L'audition commence à 14 h 40.
Nous clôturons avec vous, monsieur le ministre de l'intérieur, notre cycle d'auditions sur le Brexit.
Au terme de ces auditions, si des incertitudes subsistent dans de nombreux domaines, nous savons en revanche qu'il est de notre devoir de veiller à ce que les négociations avec le Royaume-Uni ne se fassent pas au détriment des citoyens. Cela passe notamment par la garantie de leur sécurité, alors que des menaces graves pèsent sur notre continent.
Nous avons évoqué, il y a deux semaines, lors de l'audition de Jean-Yves Le Drian, l'impact du Brexit en matière de défense ; mais le Royaume-Uni est également un partenaire privilégié de l'Union européenne et de la France dans le maintien de notre sécurité intérieure.
La coopération policière est l'un des exemples les plus éclatants de l'attitude ambiguë – qu'on peut résumer par la formule : « Un pied dedans, un pied dehors » – du Royaume-Uni vis-à-vis de la construction européenne. Quel sera selon vous l'impact de sa sortie sur la dynamique globale de la coopération policière européenne, notamment en matière de renseignement ?
Malgré la dérogation dont ils disposent dans ce domaine, les Britanniques occupent aujourd'hui une place parfois importante au sein des instruments auxquels ils ont décidé de participer – je pense notamment à Europol, le Royaume-Uni étant le deuxième contributeur de la base de données de l'agence.
Il nous importe donc d'analyser les conséquences précises du Brexit sur les différents pans de cette coopération. Une fois le Royaume-Uni sorti de l'Union, dans quelle mesure pourra-t-il être associé à ces instruments européens ? De quel statut pourrait-il bénéficier grâce à un accord avec Europol ? Pourrait-il participer au système d'information Schengen, au PNR (Passenger Name Record) européen ou aux mécanismes du traité de Prüm de coopération policière transfrontalière ?
Par ricochet, la sortie du Royaume-Uni de ces instruments pourrait également affecter notre coopération bilatérale. Quel bilan faites-vous de cette dernière et comment envisagez-vous son évolution, notamment en matière de lutte contre le terrorisme ?
Les questions d'immigration et la situation de Calais ont été évoquées à de multiples reprises au moment du référendum britannique. Quelles pourraient être les conséquences du Brexit sur la gestion de la frontière franco-britannique, et sur notre coopération en matière de lutte contre l'immigration illégale ? Comment évoluent les discussions avec le gouvernement britannique sur ce sujet ? Enfin, qu'en sera-t-il des accords du Touquet ?
Je vous remercie, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, de m'avoir invité. Je suis en train de vivre deux journées particulières puisque j'étais hier dans l'hémicycle pour représenter le Gouvernement à l'occasion de la discussion de deux propositions de loi dont je suis le premier signataire, et que je clos aujourd'hui avec vous le cycle des auditions sur les conséquences du Brexit, cycle que j'avais inauguré parmi vous il y a plusieurs mois. Je suis heureux de partager ce moment avec vous tant le sujet dont nous allons traiter est important. Je serai exhaustif afin d'apporter à vos questions des réponses très précises qui pourront nourrir votre rapport.
Je me dois au préalable de vous préciser les limites inhérentes à l'exercice : vous le savez, nous attendons le déclenchement des négociations par l'activation par le Royaume Uni de l'article 50 du traité de l'Union européenne. À la suite de l'arrêt de la Cour suprême britannique, le gouvernement de Theresa May a déposé au parlement un projet de loi par lequel il demande l'autorisation d'activer l'article 50. Les débats à la Chambre des communes ont débuté le 31 janvier et abouti à un premier vote permettant l'application du dispositif. L'objectif affiché est celui d'un calendrier resserré permettant une activation début mars, avant le Conseil européen des 8 et 9 mars.
Nous n'en sommes donc encore qu'aux prémices et même si la Première ministre Theresa May a annoncé les grandes lignes de son action dans son discours du 17 janvier, la position de négociation britannique n'est pas encore « sur la table » – nous devons par conséquent nous montrer particulièrement prudents. C'est au vu de ces éléments que l'Union européenne devra à son tour se positionner pour entamer la négociation de l'accord de retrait. Si la décision de retrait revêt un caractère unilatéral, l'accord est en revanche conclu par le Conseil au nom de l'Union, statuant à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen. Les traités européens cesseront d'être applicables à l'égard du Royaume-Uni à partir de la date d'entrée en vigueur de cet accord. À défaut d'un accord, et sauf décision conjointe d'étendre la période de négociation, le retrait deviendra effectif automatiquement deux ans après la notification. Pour l'heure, je vais rester très factuel concernant les effets, étant entendu qu'aucun des éléments que je vais évoquer ne relève d'une quelconque négociation – qui serait prématurée étant donné la manière dont les Britanniques envisagent le Brexit.
Pour ce qui concerne plus précisément le ministère de l'intérieur, le retrait du Royaume-Uni aura des conséquences touchant essentiellement à la libre circulation des personnes et à l'espace de liberté, de sécurité et de justice, qui comprend quatre domaines : le contrôle aux frontières, l'asile et l'immigration ; la coopération judiciaire en matière civile ; la coopération judiciaire en matière pénale ; enfin la coopération policière. Elles concernent également le code électoral et la sécurité civile.
Il faut rappeler que les politiques européennes relatives à la circulation des personnes et à la coopération judiciaire et policière en matière pénale sont fortement marquées par le régime spécifique accordé au Royaume-Uni, qui a choisi de participer – « opt in » – à certaines dispositions, y compris à l'acquis Schengen – Europol, Eurojust, équipes communes d'enquête, mandat d'arrêt européen, Système d'information Schengen II... – mais notifié des « opt out », notamment dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale.
Tout d'abord, pour ce qui est de la circulation, du séjour et de l'asile et, en premier lieu, de l'acquis Schengen, le Royaume-Uni applique les dispositions relatives à la coopération policière et judiciaire, à la lutte contre la drogue et à certains aspects de la lutte contre l'immigration illégale. Il n'est pas concerné par le reste de l'acquis Schengen, notamment par l'absence de contrôles aux frontières intérieures. Il ne relève pas du code communautaire des visas et ne participe pas au système d'information sur les visas (VIS).
En second lieu, concernant le Système d'information Schengen (SIS II), le Royaume-Uni a accès au SIS, à l'exception des données relatives aux étrangers signalés aux fins de non-admission dans la zone Schengen. Dès lors qu'il ne sera plus membre de l'Union européenne et qu'il ne sera pas dans l'espace Schengen, la déconnexion du SIS ralentira les possibilités de détection, au Royaume-Uni sur signalements européens, ou dans l'Union européenne sur signalements britanniques. L'adhésion de pays tiers n'est pas prévue, et les données traitées par le SIS ne sont pas transférables à des pays tiers. Le Royaume-Uni contribue peu à l'alimentation du système – il se situe au septième rang –, mais il le consulte régulièrement – se hissant ici à la quatrième place.
Troisièmement, le Royaume-Uni n'est pas membre de Frontex, mais il est prévu que l'agence facilite la coopération opérationnelle entre ce dernier et les États membres. De fait, les Britanniques ont participé à une quinzaine d'opérations depuis 2015. L'association de pays tiers est possible au regard de la politique de l'Union en matière de relations extérieures.
Ensuite, pour ce qui est de la circulation et du séjour, la question du contrôle de l'immigration, point dur du discours de Mme May, constituera un thème important de la négociation. Le Royaume-Uni a fait le choix de ne pas appliquer les directives sur le séjour, l'éloignement et la réadmission. La seule directive applicable, car sans dérogation possible, concerne la circulation et le séjour des citoyens communautaires et de leur famille. En cas d'impossibilité de trouver un compromis dans le temps imparti – deux ans –, le droit commun s'appliquera – avec obligation de visas et de titres de séjour. Cette question est à apprécier dans le cadre plus vaste de la négociation d'ensemble entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Le principe fondamental posé dès le départ par l'Union européenne est le caractère indivisible des quatre libertés.
Enfin, en matière d'asile, le Royaume-Uni a opté pour l'application de la convention de Dublin sur la détermination de l'État membre responsable de l'examen de la demande d'asile et du règlement Eurodac. Il ne sera donc plus contraint par les règles de cette convention sur la réadmission des demandeurs d'asile. L'accès à Eurodac est ouvert aux quatre États de l'Association européenne de libre-échange, car ils sont associés au système de Dublin. Il est toutefois peu probable que le Royaume-Uni adhère à cette association.
Autre grand domaine, la coopération policière se caractérise par le fait que, si les outils communautaires sont des outils de référence, l'accès à l'information et aux échanges de données est souvent ouvert aux États tiers ; par ailleurs, de nombreux autres textes –conventions multilatérales et accords bilatéraux – régissent les coopérations en la matière.
Pour ce qui est des échanges d'informations, le droit de l'Union européenne prévoit que les transferts de données à destination d'un pays tiers sont en principe soumis à une décision de la Commission, attestant que cet État offre des garanties suffisantes sur la protection des données à caractère personnel. En l'absence de décision d'adéquation, il appartiendra aux États membres d'évaluer, avant tout transfert, si l'État tiers offre de telles garanties. Le règlement de cette question est donc un préalable.
Membre depuis l'origine d'Europol, le Royaume-Uni avait choisi de ne pas participer au nouveau règlement applicable au 1er mai 2017. En novembre 2016, le Gouvernement a toutefois lancé un processus interne en vue d'une participation au nouveau règlement, volonté concrétisée par une notification adressée au Conseil fin décembre 2016. Si l'accès est réservé aux États membres, la coopération – opérationnelle, technique, stratégique – avec les États tiers est possible, la liste étant arrêtée par le Conseil.
Le cadre Prüm, lui, régit l'échange de données ADN, empreintes digitales et immatriculation des véhicules. Il prévoit également la transmission d'informations aux fins de prévention des infractions pénales, dont le terrorisme, et du maintien de l'ordre lors de manifestations majeures à dimension transfrontalière. Le Royaume-Uni a déposé une demande de participation en mai 2016. Le système permet des accords spécifiques avec des États tiers.
Le PNR européen, dont l'échéance de transposition est mai 2018, cessera de s'appliquer au Royaume-Uni. La directive laisse toutefois la possibilité de transférer des données à des autorités de pays tiers, au cas par cas et pour des besoins opérationnels.
J'ajoute que les échanges d'informations resteront naturellement possibles dans le cadre d'Interpol.
Troisième domaine, en matière de coopération judiciaire, la grande majorité des instruments repose sur le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice, inhérent à l'Union européenne.
En ce qui concerne l'extradition et le mandat d'arrêt européen, ce dernier est l'outil le plus emblématique et le plus efficace de coopération en matière pénale. Le Royaume-Uni étant signataire d'une convention d'extradition du Conseil de l'Europe, le Brexit conduira donc au retour de cette procédure, ancienne forme de coopération, longue et lourde administrativement, qui permet à une partie de refuser l'extradition de ses ressortissants.
En outre, la souplesse des équipes communes d'enquête – investigations conjointes et coordination des poursuites – sera remise en cause. Toutefois, Europol et Eurojust pourraient en théorie continuer à subventionner des équipes communes franco-britanniques.
Pour ce qui est d'Eurojust, précisément, la coordination assurée en matière d'échanges d'informations, de définition de stratégies communes et d'opérations, notamment dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme, prendra fin, mais pourra être en partie palliée par la nomination de magistrats de liaison britanniques au sein d'Eurojust. Ce dispositif prévoit par ailleurs des accords de coopération avec des États tiers.
Il en va de même avec l'interconnexion des casiers judiciaires : le système ECRIS (European Criminal Records Information System) n'est en effet pas ouvert à la participation d'États tiers.
Enfin, le quatrième domaine couvre la sécurité intérieure. Les activités de renseignement échappent au domaine de compétence de l'Union et ne seront donc pas touchées par le Brexit. La sécurité nationale reste de la responsabilité de chaque État membre.
En matière de coopération bilatérale, aucune modification n'est à anticiper sur ce point. S'agissant de la coopération multilatérale, la seule enceinte multilatérale de coopération et d'échanges opérationnels est le Groupe antiterroriste (GAT), groupe informel qui réunit les chefs des services de sécurité de l'ensemble des États membres. L'Union européenne en tant que telle n'y participe pas. Le Royaume-Uni peut en rester membre après le Brexit, au même titre que d'autres États tiers.
J'en viens à quelques domaines spécifiques.
Le mécanisme européen dans le domaine de la protection civile vise à renforcer la coopération et la coordination, mais les États gardent l'ensemble de leurs compétences dans ce domaine. Le Royaume-Uni pourrait, en tant qu'État tiers, demander à s'y maintenir.
Pour ce qui concerne la circulation et la sécurité routières, en particulier les infractions routières, le Royaume-Uni est actuellement inclus dans le dispositif européen permettant de poursuivre les contrevenants d'un État membre qui commettent des infractions dans un autre État. Il devait transposer la directive au plus tard en mai 2017. Le Brexit entraînera une sortie de ce dispositif, posant problème au regard des volumes concernés – 150 000 flashs de véhicules britanniques par an en France. Dans le même ordre d'idées, devenant État tiers, le Royaume Uni perdra le bénéfice de la reconnaissance mutuelle du permis de conduire et se verra appliquer le droit commun des échanges.
Autre domaine, les électeurs et élus britanniques : le traité de Maastricht accorde aux ressortissants d'un État de l'Union européenne le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales et européennes dans l'État membre où ils résident. Les électeurs britanniques, au nombre d'environ 41 000, ne rempliront plus les conditions d'inscription et d'éligibilité. En revanche, le critère d'éligibilité s'appréciant à la date de l'élection et le droit actuel n'autorisant pas à les démettre pour perte de la qualité de ressortissant européen, les citoyens britanniques devraient, si le traité de retrait ne prévoit rien, conserver leur mandat jusqu'à son terme.
J'ajoute à tout cela qu'en dehors des mécanismes européens, le Royaume-Uni est membre de plusieurs conventions internationales, qui peuvent, après le Brexit, lui offrir des cadres de coopération avec l'Union européenne : conventions de l'Organisation des Nations unies (ONU) contre le terrorisme, la criminalité organisée, les trafics illicites de stupéfiants, la traite des êtres humains ; conventions du Conseil de l'Europe, notamment en matière d'entraide judiciaire et pénale.
Il reste naturellement les instruments bilatéraux grâce auxquels nous continuerons d'être liés au Royaume-Uni : traité du Touquet, accord de Sangatte, autres accords de coopération à la frontière – avec notamment le centre conjoint d'information et de coordination de Calais, qui a contribué au démantèlement de 15 filières d'immigration illégale depuis début 2016 –, protocole de 1989 relatif à la lutte contre le terrorisme, le crime organisé, le trafic de drogue et l'immigration clandestine.
Le Brexit aura donc des conséquences mais il ne signifie pas la fin de nos coopérations, en raison de la possibilité offerte par plusieurs mécanismes européens de maintenir des liens avec les pays tiers, si de part et d'autre il y en avait la volonté, mais aussi en raison des coopérations permises par d'autres instruments internationaux, enfin en raison, je l'ai évoqué, de nos accords bilatéraux.
Merci beaucoup, monsieur ministre, pour la précision de vos propos : elle nous sera précieuse.
En matière de coopération judiciaire, on a fait au Royaume-Uni un statut ad hoc, si bien que, dans leur cas, on peut vraiment parler d'Europe à la carte.
Ce sont surtout les Britanniques qui vont pâtir de leur renoncement au mandat d'arrêt européen – débat qui fait rage, outre-Manche, depuis de nombreuses années. Sauf erreur de ma part, ils nous en envoient davantage que nous ne leur en envoyons. Disposons-nous de données exactes en la matière ? Je me souviens avoir entamé les discussions avec mon homologue Jack Straw pour obtenir l'extradition de Rachid Ramda et qu'il a fallu dix ans pour aboutir alors que nous n'avons eu besoin d'attendre que cinq ou six semaines l'extradition de Salah Abdeslam – progrès considérable obtenu grâce au fait que nous n'avons plus eu à suivre une procédure juridique très complexe, très lourde et très lente. Le Royaume-Uni va-t-il renoncer définitivement au mandat d'arrêt européen ? Un accord bilatéral ou un accord avec l'Union européenne est-il possible pour maintenir ce mandat pour peu que les Britanniques le demandent – car il n'est pas exclu qu'ils y aient intérêt ?
Plus généralement, pouvez-vous nous indiquer les domaines dans lesquels le Brexit aura nécessairement un impact ? On ne pourra en effet pas systématiquement éviter des conséquences négatives en passant avec eux des accords bilatéraux ou des accords ad hoc…
Enfin, les accords du Touquet sont très contestés en France par une partie des responsables politiques. À quelles conditions croyez-vous possible de résister à la pression qui va s'accroître à mesure que nous allons nous approcher des élections, afin que soit déplacée la frontière depuis Calais jusqu'à Douvres ? Je considère pour ma part, et c'est la position du Gouvernement – donc la vôtre –, que ce serait une folie puisque ce déplacement ne ferait qu'attirer davantage de migrants à Calais. Qu'avons-nous d'ores et déjà obtenu des Britanniques ? L'ambassadeur du Royaume-Uni en France nous a indiqué que son pays avait accepté d'envoyer 750 mineurs isolés outre-Manche mais on sait qu'ils sont beaucoup plus nombreux. En outre, les Britanniques ont déjà participé massivement aux investissements destinés à protéger la zone de transit et ses abords ; que devons-nous leur demander de plus pour que les accords du Touquet « tiennent », si j'ose dire ?
On peut envisager des coopérations bilatérales dans de nombreux domaines et notre intérêt est d'aller en ce sens.
Certes le mandat d'arrêt européen relève d'une coopération très particulière mais, là encore, je ne vois pas pourquoi l'Union européenne et le Royaume-Uni ne pourraient pas avoir des échanges et pourquoi on ne pourrait pas prévoir l'extension de ce dispositif à un pays tiers : il est de l'intérêt de tous nos concitoyens que la justice passe.
Vous n'avez pas évoqué, monsieur le ministre, le statut des Britanniques chez nous. Les mettons-nous à la mer, leur donnons-nous un statut particulier – je doute fort qu'on leur refuse un permis de séjour ? Et, parallèlement, quid des Français de l'autre côté de la Manche ?
Merci, monsieur le ministre, de vous être livré à un tour d'horizon aussi complet, d'autant que la situation est assez compliquée. Vous avez rappelé que la Chambre des communes avait émis un premier vote favorable à la poursuite de l'examen du projet de loi sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. En outre, Theresa May a présenté le 17 janvier dernier ses douze priorités. Les éléments solides que vous nous apportez nous sont donc utiles dans un contexte évolutif.
À travers mes contacts avec notre ambassade, en particulier avec l'attaché de défense, il me semble que les coopérations bilatérales en matière de défense et de sécurité intérieure sont anciennes et paraissent résister. Peut-être ces coopérations nécessitent-elles, ici ou là, des ajustements, mais, sans anticiper le Brexit, nous avions développé à travers elles une relation assez forte avec le Royaume-Uni ; c'est pourquoi je ne suis pas vraiment inquiet à leur sujet.
Je m'interroge davantage quant aux conséquences du Brexit pour les Français vivant au Royaume-Uni. Or, si l'on s'en tient aux données du National Health Service (NHS), différentes des statistiques consulaires, on peut évaluer cette population à 300 000 voire 400 000 individus. Depuis plus de huit mois, dans mes permanences, je constate une plus forte inquiétude qu'auparavant – le consulat général de France à Londres m'indiquait que les demandes de naturalisation française, pour le seul mois de juillet, avait crû de 130 %, la nationalité française donnant accès à la citoyenneté européenne. J'ajoute que le cas de la France n'est pas isolé : la pression consulaire est très forte également en Irlande du Nord. Il faut prendre en compte cette inquiétude et il nous faudra peut-être anticiper un mouvement d'impatriation. À cet effet, notre collègue sénatrice Helen Conway-Mouret a remis en juillet 2015 un rapport proposant de simplifier les possibilités de retour en France. Je connais le cas de gens établis depuis vingt ou trente ans et qui ne comprennent plus tellement le pays où ils vivent. Ils doivent désormais remplir le formulaire P 185 de résident permanent, formulaire considérablement complexifié quelques mois avant le vote du 23 juin, au point qu'il compte quatre-vingt-cinq pages à remplir – d'où certaines crispations.
Sans doute, par ailleurs, y a-t-il eu des échanges avec Philip Hamond sur les transferts des fonds de pension, des capitaux – vous avez évoqué la liberté de circulation. La loi n'est pas la même selon l'organisme de gestion des fonds de pension concerné, certes, mais on peut observer des phénomènes de décaissement – or le rapatriement de capitaux est taxé. Avez-vous anticipé ce phénomène, même s'il déborde votre périmètre de compétences ? J'ai eu l'occasion d'en discuter avec des députés britanniques, travaillistes en l'occurrence, et ils apprécient la clarté de la position du Gouvernement français.
Je vous remercie, Monsieur le ministre, pour votre présentation détaillée qui nous permet de mieux appréhender les conséquences du Brexit sur la libre circulation et sur nos coopérations avec les Britanniques. Vous avez par ailleurs rappelé le calendrier de Theresa May, qui semble lié, dans l'opinion publique, avec l'élection de M. Trump aux États-Unis.
Ma première question, qui rejoint l'une de celles posées par la présidente Élisabeth Guigou, a trait à la situation à Calais et au traité du Touquet : où en sommes-nous – je pense en particulier aux mineurs ?
Certes il existe des coopérations bilatérales qui permettront de poursuivre un certain nombre de politiques mais, selon vous, quelles sont les conséquences les plus risquées du Brexit pour la France en matière de sécurité intérieure, qu'il s'agisse de dispositifs déjà en vigueur ou bien de dispositifs à venir comme le PNR, prévu pour 2018 ? Au-delà des 150 000 automobilistes « flashés » que vous avez mentionnés, sur quels points le Brexit est-il susceptible de présenter un danger pour la sécurité intérieure ?
Quand on rencontre nos compatriotes à Londres, une de leurs réflexions est qu'il nous faut attendre que les Anglais tirent les premiers, à savoir qu'ils déclenchent l'article 50 du traité sur l'Union européenne. On sent néanmoins d'ores et déjà chez eux une préoccupation : à partir de quelle date entrerait en vigueur leur nouveau statut, le jour du référendum ou bien celui de l'activation de l'article 50 ?
Il entrera en vigueur à la date effective du retrait, soit à la date d'entrée en vigueur de l'accord de retrait, soit à défaut d'accord deux ans après l'activation de l'article 50.
Vous comprendrez qu'au moment présent, sur certains sujets, je n'irai pas plus loin que je n'ai été.
La France n'a aucune peur, Madame Fourneyron, de la décision prise par le Royaume-Uni. Si je dois nourrir des craintes, c'est pour le Royaume-Uni lui-même, parce que tout ne va pas pouvoir être réglé par des accords avec des pays tiers. Pour notre part, nous avons l'Europe dans le cadre de laquelle nous allons pouvoir parfaire les dispositifs que j'ai mentionnés. Même si le domaine de la sécurité ne sera pas le plus affecté par le Brexit, on comprend bien que deux pays comme les nôtres, étant donné leur proximité géographique, malgré la Manche, ont un intérêt commun à assurer leur sécurité. Certaines démarches seront certes un peu plus lourdes qu'auparavant mais certainement pas de nature, j'y insiste, à nous faire peur. Je suppose que c'est davantage mon homologue britannique que moi qui doit se poser des questions sur les conséquences du Brexit. La France est mieux protégée que si elle était seule.
En ce qui concerne Calais, je vous confirme, Madame Guigou, que ma position est bien celle que vous m'avez attribuée. Pour l'heure, ma responsabilité est de faire en sorte que les Britanniques respectent leurs engagements. Or, leur réalisation n'est pas toujours complète, notamment en ce qui concerne les mineurs : qui ont le sentiment que les critères fixés par le Parlement ne sont pas toujours respectés – comme ceux de parentalité et de vulnérabilité – par ceux chez qui ils souhaitent se rendre. Des recours ont été intentés. Le dialogue est donc très fréquent avec mon homologue britannique.
En outre, ma préoccupation est que ne se reforment pas des campements sauvages dans la zone de Calais. Là encore, je suis en liaison permanente avec nos amis britanniques afin qu'ils y veillent avec nous. Comme ce fut le cas à l'occasion de l'évacuation du campement, il s'agit de conjuguer le respect de l'ordre public et celui d'une grande humanité en prenant en considération chaque cas individuel aux fins d'une meilleure orientation.
J'en viens au mandat d'arrêt européen : la décision de l'Union ne peut pas s'appliquer aux États tiers. Il faudrait donc engager une négociation pour élaborer une nouvelle convention. Je vous fournirai avant la publication de votre rapport les chiffres dont je ne dispose pas en ce moment même.
Pour ce qui est des résidents britanniques en France, je l'ai dit, nous en reviendrons au droit commun applicable au séjour des ressortissants extracommunautaires. C'est le principe de réciprocité qui prévaudra. Les Britanniques installés en France devraient donc pouvoir bénéficier d'une carte de résident permanent mais on ne pourra pas leur donner un statut plus protecteur que celui accordé aux ressortissants des autres États tiers.
Je vous remercie pour votre invitation, monsieur le président, et je me tiens bien entendu à votre entière disposition, en fonction de ce qui pourra se passer dans les prochains mois, même si les travaux parlementaires seront suspendus.
Nous vous remercions à notre tour, monsieur le ministre, pour les précisions que vous nous avez apportées.
Mes chers collègues, nous devrions nous retrouver le 15 février pour discuter du rapport.
L'audition est levée à 15 heures 25.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations
Présents. - M. Claude Bartolone, Mme Valérie Fourneyron, Mme Élisabeth Guigou, M. Jacques Myard, M. Christophe Premat
Excusés. - M. Guillaume Bachelay, M. Philip Cordery, M. Joël Giraud, Mme Marietta Karamanli, M. Pierre Lequiller, M. Michel Piron