Intervention de Ericka Bareigts

Séance en hémicycle du 9 février 2017 à 9h30
Égalité réelle outre-mer — Présentation

Ericka Bareigts, ministre des outre-mer :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la délégation aux outre-mer, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, « Ce que nous vous demandons, c’est de faire que l’expression "France d’outre-mer" ne soit pas une vaine figure de rhétorique » s’exclama ici même, à l’Assemblée nationale, le 12 mars 1946, votre prédécesseur, le député de la Martinique Aimé Césaire.

Et pourtant, plus de soixante-dix ans après ce discours, le constat qui demeure est celui d’écarts et de retards par rapport à l’hexagone : l’expression « France d’outre-mer » relève trop souvent de la figure rhétorique. Alors que les outre-mer font partie intégrante et constitutive de la France, le taux de décrochage scolaire y est deux fois plus élevé que dans l’hexagone. De même, le taux de mortalité infantile est actuellement dans les DOM celui qui était observé dans l’hexagone il y a vingt-trois ans.

Est-il normal, dans cette République que nous chérissons toutes et tous, que nos compatriotes ultramarins souffrent de pareilles inégalités ? Il nous faut garantir à tous nos concitoyens l’égalité réelle. Cette notion n’implique pas l’assimilation. L’égalité réelle constitue, en réalité, l’application effective des droits formels. Si l’on ne prend pas les mesures nécessaires pour compenser les inégalités, l’égalité juridique n’est qu’inégalité dans les faits.

L’histoire nous confirme cette analyse avec force : la loi de départementalisation du 19 mars 1946, qui décrète l’égalité formelle entre les outre-mer et l’hexagone, n’a pas suffi à créer l’égalité réelle. Pour la réaliser, il nous faut traiter de manière différente des situations différentes. C’est la conclusion du prix Nobel d’économie Amartya Sen dans Repenser l’inégalité. Déployer les mêmes stratégies dans l’hexagone et les outre-mer sans tenir compte de leurs spécificités n’est qu’une injustice. Nous devons donc profondément revoir nos politiques, pour parvenir à la convergence entre les outre-mer et l’hexagone. Il s’agit là d’une condition absolue.

Il n’y a pas, avant tout, de convergence sans égalité sociale. Cette longue marche vers le respect et la dignité est déjà largement entamée. L’action des présidents François Mitterrand et Jacques Chirac fut déterminante pour aligner les allocations familiales et le SMIC aux niveaux de l’hexagone. Les deux anciens chefs de l’État partageaient, vous le savez, une certaine idée de la France, ouverte sur le monde et rayonnant sur les trois grands océans de cette planète. Le combat de justice et de progrès qu’ils menaient, nous en entamons une nouvelle étape avec vous. Ce projet de loi vise ainsi à parachever l’égalité sociale dans les départements d’outre-mer, et à l’accélérer pour Mayotte.

Les outre-mer ne quémandent rien. Il ne s’agit pas de charité. Ces territoires n’exigent que l’égalité, qui est promise par notre Constitution comme par nos principes. Grâce au soutien déterminé du Président de la République, François Hollande, qui s’est engagé à mettre en oeuvre le projet de loi dès 2017, et à celui des Premiers ministres Manuel Valls puis Bernard Cazeneuve, les montants de nombreuses prestations sociales vont être harmonisés, à terme, sur ceux de l’hexagone. Il s’agit là de mesures essentielles pour lutter contre la pauvreté qui frappe encore sévèrement les familles ultramarines.

Dès avril 2017, les plafonds de ressources du complément familial seront augmentés : 2 400 familles modestes supplémentaires pourront ainsi bénéficier du complément familial. L’alignement progressif de l’assurance vieillesse pour les parents au foyer va garantir, pour la première fois, à 5 000 personnes supplémentaires une continuité dans leurs droits à la retraite. Les travailleurs ultramarins, contrairement à leurs homologues de l’hexagone, devaient attester du paiement des cotisations sociales pour que leurs familles puissent bénéficier des prestations sociales : cette exigence discriminatoire, nous y mettons fin et nous pouvons être fiers de promouvoir ensemble ce progrès. Merci à toi, madame la députée Louis-Carabin !

Enfin, nous avons décuplé nos efforts en faveur de Mayotte, département le plus pauvre de France, qui a grandement besoin de bénéficier de la solidarité nationale. Le rythme de convergence des allocations familiales sera significativement accru et de nouvelles prestations sociales, comme le complément familial, seront déployées. C’est l’honneur de ce gouvernement d’accélérer l’égalité sociale dans ce département.

Il n’y a pas de convergence sans un véritable changement de méthode et de vision pour les outre-mer. C’est toute l’ambition de ce projet de loi : les politiques publiques seront désormais adaptées aux réalités et aux atouts de chaque territoire. Grâce à un outil particulier, les plans de convergence, nous adopterons une logique nouvelle pour les outre-mer. Ces plans seront déterminés dans le cadre d’un partenariat entre l’État et les territoires, afin de définir des stratégies de développement au plus près du terrain.

Car les priorités de Saint-Pierre-et-Miquelon, de la Polynésie française ou de la Guadeloupe ne sont pas les mêmes. Les stratégies différenciées qui seront mises en place projetteront ces territoires vers l’émancipation économique, culturelle et éducative, dans le cadre de la République. C’est une grande avancée que nous défendons ensemble ! C’est pourquoi le projet de loi qui vous est proposé, s’il devait être adopté, guidera et inspirera les lois futures, quel que soit leur domaine d’application : économie, éducation, culture ou agriculture. Il trace un chemin pour l’avenir.

Il n’y a pas de convergence sans un ancrage des outre-mer au sein de leur bassin océanique. Pendant trop longtemps, les outre-mer sont restés relativement distants de leurs voisins régionaux. Ces territoires français s’inscrivent pourtant dans l’environnement de grands pays comme l’Afrique du Sud, le Brésil, le Canada ou l’Australie. Il nous faut en tirer pleinement avantage, intégrer les outre-mer au sein de leur bassin régional et développer leurs relations économiques, culturelles ou éducatives avec leurs voisins.

La réallocation du Fonds d’échanges à but éducatif, culturel et sportif participe à ce mouvement : elle permettra d’étendre la mobilité des jeunes à leur environnement régional. En initiant des échanges éducatifs dès le lycée ou le collège, nous voulons élargir les horizons d’une nouvelle génération d’Ultramarins. Autre disposition importante de ce projet de loi, l’aide au fret sera réformée pour amplifier les échanges économiques entre les territoires ultramarins et leurs voisins, tout comme les échanges inter-DOM.

Il n’y a pas de convergence sans un réel soutien au tissu économique ultramarin. Ce projet de loi comporte une avancée essentielle pour les TPE et PME, qui font au quotidien l’emploi et le développement de nos territoires. Cette avancée, c’est la « stratégie du bon achat ». Grâce à ce dispositif, les acheteurs publics ultramarins pourront réserver jusqu’à un tiers de leurs commandes aux TPE et PME locales. Le projet de loi impose en outre un plan de sous-traitance pour les contrats de plus de 500 000 euros. Il s’agit là d’un appui essentiel, de la part des pouvoirs publics, au développement du tissu économique ultramarin.

Il n’y a pas de convergence sans une lutte résolue contre le mal-logement, qui attente à la dignité de nos concitoyens. Pour conforter la construction de logements neufs, nous avons introduit des dispositions visant à simplifier les modalités de financement des opérations. En matière d’amélioration du bâti ancien, l’attractivité du dispositif de rénovation des logements sociaux a été considérablement renforcée. Concernant l’accès au logement, le projet de loi prévoit désormais une habilitation du Gouvernement pour mettre en oeuvre les allocations logement à Saint-Pierre-et-Miquelon. C’est un impératif absolu que de permettre à chacun de vivre dans un logement salubre : nous nous devions d’y répondre.

Il n’y a pas de convergence sans un renouveau de notre politique de mobilité en faveur des Ultramarins. Comme vous le savez, les outre-mer sont confrontés à des défis démographiques importants : le vieillissement de la population est une réalité qui impose un renouveau de nos politiques. La création de dispositifs de mobilité retour pour les jeunes formés dans l’hexagone est une véritable avancée. Elle permettra d’innerver le tissu économique ultramarin de forces vives et d’insuffler un renouveau permanent au sein de nos territoires. Ce sont là des avancées concrètes au service de nos compatriotes ultramarins.

Il n’y a pas de convergence, enfin, sans un rapport assumé et apaisé à l’histoire. La Polynésie française – et je voudrais saluer la présence parmi nous de son président, Édouard Fritch – fut, comme chacun sait, le théâtre d’essais nucléaires au cours du XXe siècle. Si ces opérations permirent à la France de se doter de l’arme atomique, elles n’en furent pas moins nocives pour la santé de nombreux hommes et femmes.

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