Intervention de Gérard Feldzer

Réunion du 8 février 2017 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Gérard Feldzer, président de Carwatt :

Avant de commencer mon exposé sur les transports, la mobilité, et l'énergie embarquée, aujourd'hui et demain, permettez-moi de me présenter brièvement.

J'ai été pilote chez Air France pendant trente ans. J'ai dirigé le musée de l'air et de l'espace. Élu au Conseil régional d'Île-de-France, j'étais chargé des transports. J'ai assuré la présidence du comité régional du tourisme, et la vice-présidence de Port de Paris. Accessoirement, dans une autre vie, j'ai été directeur de campagne de Coluche, puis de M. Nicolas Hulot.

Les transports reflètent la société. Ils sont aujourd'hui la colonne vertébrale de l'économie et donnent sa température. En France, entre 1800 et 2016, la part de la population urbanisée est passée de 10 % à 85 %. La voiture, qui a été une solution jusque dans les années 1970, est devenue un problème. On comptait un milliard de véhicules dans le monde en 2015 ; ils seront 2 milliards en 2030, ce qui représente 5 milliards de batteries.

Au XXe siècle, grâce à une formidable révolution technologique, on a roulé, on a décollé, on a navigué, on est allé jusque sur la lune. Au XXIe siècle, nous sommes dans l'industrie du numérique, sur internet et les réseaux sociaux. Les transports sont partagés et interconnectés, et l'on évite les déplacements inutiles grâce au télétravail et à la visioconférence. Tout cela est extrêmement rapide : je rappelle que le smartphone a été dévoilé par Steve Jobs en 2007, il y a à peine dix ans.

Au XXIe siècle, les modes de transport « doux » sont privilégiés, en particulier parce que les populations se préoccupent des problèmes de santé. Le chiffre d'affaires du secteur de la bicyclette en France est estimé à 4,5 milliards d'euros. Aujourd'hui, 50 % des déplacements sont effectués sur des distances inférieures à 3 kilomètres, mais seulement 3 % le sont en vélo – si l'on passait à 10 %, l'OMS estime que l'on économiserait des sommes considérables en dépenses de santé. Il faut aussi citer la marche augmentée.

Les véhicules partagés constituent une solution qui se répand dans le monde entier pour consommer moins. La France a été précurseur en ce domaine avec Autolib', Vélib', ou BlaBlaCar. Il existe aussi des solutions de transport urbain multimodal, collectif ou individuel, et autonome. Mme Marie-José Navarre vous parlera de Cristal et du ferroutage.

Quelles solutions pour anticiper le déplacement et la consommation d'énergie des 9 milliards d'habitants de la Terre en 2050 ? La meilleure énergie est celle que l'on n'utilise pas. La décentralisation des sources d'énergie constitue une réponse, car notre modèle trop « colbertiste » organise la distribution à partir d'un point focal. Les élus que vous êtes doivent penser aux lois qui inciteront à la décentralisation de la production d'énergie et qui favoriseront l'économie circulaire – ce modèle est déjà mis en oeuvre dans les pays scandinaves avec, par exemple, le retrofit des voitures ou des appareils ménagers.

À mon niveau, j'ai lancé Carwatt, une petite start-up qui donne une seconde vie à des batteries en les réinstallant dans des véhicules utilitaires, des bennes à ordures, des bus… Je faisais partie du syndicat des transports d'Île-de-France (STIF) lorsqu'il a fallu choisir des bus électriques : chaque véhicule coûte 500 000 euros. La charge rapide en bout de ligne serait comparativement beaucoup moins onéreuse – soit environ 150 000 ou 200 000 euros. La vie de véhicules frappés par l'obsolescence programmée pourrait ainsi être prolongée. Pour prolonger la vie des batteries, on peut ensuite penser à d'autres solutions comme le stationnaire ou l'hybridation. Je rappelle que le recyclage des batteries lithium-ion coûte 4 000 euros par tonne sans permettre d'en récupérer tous les éléments – et je n'évoque même pas les indispensables précautions à prendre.

Nous avons aussi pour objectif d'électrifier des tracteurs avions et de les rendre autonomes. En roulant sur la piste avec leur propre moteur, les avions dépensent en moyenne avant chaque décollage 500 à 1 500 litres de carburant, ce qui représente 300 000 tonnes de CO2 émis à Roissy pour le seul roulage, soit autant que les émissions dues à la circulation sur le périphérique parisien.

En matière de transport aérien, on devrait passer des 3,7 milliards de passagers actuels à plus de 10 milliards en 2050. Il faudra trouver des solutions. L'avion solaire, Solar impulse, vient d'effectuer son premier tour du monde, et nous menons d'autres expériences avec M. Bertrand Piccard, l'un de ses copilotes : un dirigeable équipé de huit moteurs électriques et de panneaux solaires sur une surface de 7 500 mètres carrés devrait être présenté dans peu de temps. Il pourra transporter quatre-vingt-dix passagers. Il existe aussi des projets de transports combinés ou door-to-door. Les universités de Glasgow et de Lausanne travaillent sur l'idée d'un train volant : le passager montera dans un fuselage sur rail qui ira s'accrocher sous un avion porteur.

Les universités et les industriels s'intéressent beaucoup à ces projets, et les Chinois ne sont pas en reste sur tous ces sujets. J'ai moi-même fondé une école d'ingénieur des transports, l'ESTACA : nous voulons des ingénieurs « décarbonés », ils sont appréciés dans le monde de l'industrie. L'ESTACA est allé voir à Shanghai, le bus aérien de 1 000 places.

Il ne faut pas oublier le transport par câbles qui existe déjà à Brest et qui doit être mis en place à Créteil. Nous avons de plus la chance que l'un des leaders mondiaux du secteur soit français : Poma est installé près de Grenoble.

Le train sur pylônes ou enterré permet de ne pas segmenter les territoires. Lorsque j'étais ingénieur chez Aerotrain, il y a quarante ans, nous avions mis au point un engin sur pylônes qui dépassait la vitesse de 500 kilomètres par heure. L'idée a été reprise par M. Elon Musk, le patron de Tesla, qui veut relier San Francisco et Los Angeles grâce à l'Hyperloop qui roulerait à 1 100 kilomètres par heure. Je ne sais pas si ce projet vertueux aboutira ; il y consacre en tout cas beaucoup d'argent. SNCF et Deutsche Bahn investissent également pour voir comment le projet évoluera.

Il faut aussi penser au transport maritime car, aujourd'hui, 95 % des marchandises sont transportées par la mer. Ce mode de transport est responsable de 4 à 5 % des émissions de gaz à effet de serre, mais cette proportion va augmenter. Des solutions sont imaginées, comme le catamaran électrique Energy Observer qui transformera l'eau de mer en hydrogène.

La France propose des solutions extrêmement innovantes dans tous les domaines. Il faut soutenir ces initiatives.

Avec tous les industriels concernés, j'ai créé un think tank, Futura Mobility, au sein duquel nous posons de vraies questions. Quel sera l'état du monde en 2050 ? Cette interrogation doit nous permettre d'anticiper et d'investir – Michelin est très en avance en la matière. Pourquoi et comment se déplacer en 2050 ? Quels seront les véhicules et à quelles ruptures technologiques assisterons-nous ? Quels seront les matériaux utilisés en 2050 ? Quelles seront les sources d'énergie ? Quels rôles joueront le numérique et la robotique : les véhicules seront-ils totalement autonomes ? Quelles seront les infrastructures ? Actuellement, nous travaillons sur le projet Macauto, à Marseille : les voitures électriques sont considérées comme des abeilles et Macauto « réalise les ruches, l'intelligence du système et le miel financier ». Nos questions portent également sur le social et la mobilité. Futura Mobility estime que le secteur de l'automobile perdra, à terme, environ 5 millions d'emplois – ceux des chauffeurs, remplacés par les voitures autonomes, et des garagistes. Nos interrogations concernent enfin les usages en 2050, les futures technologies et l'innovation avec ses sources de financement, en particulier le rapport entre les entreprises et les collectivités.

L'énergie et les transports de demain sont confrontés aux mêmes enjeux : le partage des espaces, la sécurité, les véhicules connectés et partagés, l'environnement avec l'énergie renouvelable, l'éco-conception et la fin des obsolescences programmées. Il faut y ajouter la transformation des transports qui deviennent des lieux de vie, l'importance du triptyque université-entreprises-collectivités en matière de recherche, l'essor du numérique, et la nécessité des choix politiques pour encourager l'innovation.

« Science sans conscience n'est que ruine de l'âme » disait François Rabelais au XVIe siècle. « L'imagination est plus importante que le savoir. Le savoir est limité alors que l'imagination englobe le monde entier, stimule le progrès, suscite l'évolution » reprenait Albert Einstein quelques siècles plus tard. Je conclus avec Saint-Exupéry qui rappelait que si le moteur est le coeur d'un avion, le pilote est son âme. Tout ne peut pas se résoudre par la technologie ; il ne faut jamais oublier l'humain. Peut-être parviendrons-nous un jour par exemple à faire comprendre aux constructeurs automobiles que les PME et les TPE peuvent répondre à une demande immédiate non délocalisable, et que Carwatt, qui cherche à vendre des véhicules « rétrofités » du diesel à l'électrique, ne constitue pas pour eux une menace.

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