Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du 8 février 2017 à 9h45

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • air
  • batterie
  • bus
  • hydrogène
  • électrique

La réunion

Source

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a organisé une table ronde sur « les transports propres et les énergies embarquées », avec la participation de M. Christophe Gurtner, président-directeur général de Forseepower ; de Mme Marie-José Navarre, directrice générale adjointe de LOHR ; de M. Gérard Feldzer, président de Carwatt ; de M. Vincent Mages, directeur adjoint des affaires européennes et internationales d'Air Liquide et de M. Guillaume De Smedt, Hydrogen, Energy, Marketing and Strategy Director d'Air Liquide.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a mené de nombreux travaux sur la transition énergétique et écologique, en particulier dans le secteur des transports. Pour les compléter en cette fin de législature, nous avons pensé qu'il était utile d'organiser une table ronde sur « les transports propres et les énergies embarquées à bord des véhicules ».

Au cours d'une présentation générale, M. Gérard Feldzer, président de Carwatt, pourra évoquer les solutions d'économie circulaire dans les secteurs de l'énergie et des transports. M. Vincent Mages, directeur-adjoint des affaires européennes et internationales d'Air Liquide, accompagné de M. Guillaume De Smedt, traitera du domaine des énergies embarquées et des perspectives de l'hydrogène. Avec M. Christophe Gurtner, président-directeur général de Forseepower, accompagné de Mme Sophie Tricaud, directrice de la communication, nous parlerons des solutions d'énergies embarquées à bord des véhicules, notamment les batteries adaptées. Mme Marie-José Navarre, directrice générale adjointe de l'entreprise Lohr, accompagnée de M. Jean-François Argence, directeur des nouvelles mobilités, nous parlera les solutions d'intégration et d'éco-mobilité mises en oeuvre par la société Lohr.

Permalien
Gérard Feldzer, président de Carwatt

Avant de commencer mon exposé sur les transports, la mobilité, et l'énergie embarquée, aujourd'hui et demain, permettez-moi de me présenter brièvement.

J'ai été pilote chez Air France pendant trente ans. J'ai dirigé le musée de l'air et de l'espace. Élu au Conseil régional d'Île-de-France, j'étais chargé des transports. J'ai assuré la présidence du comité régional du tourisme, et la vice-présidence de Port de Paris. Accessoirement, dans une autre vie, j'ai été directeur de campagne de Coluche, puis de M. Nicolas Hulot.

Les transports reflètent la société. Ils sont aujourd'hui la colonne vertébrale de l'économie et donnent sa température. En France, entre 1800 et 2016, la part de la population urbanisée est passée de 10 % à 85 %. La voiture, qui a été une solution jusque dans les années 1970, est devenue un problème. On comptait un milliard de véhicules dans le monde en 2015 ; ils seront 2 milliards en 2030, ce qui représente 5 milliards de batteries.

Au XXe siècle, grâce à une formidable révolution technologique, on a roulé, on a décollé, on a navigué, on est allé jusque sur la lune. Au XXIe siècle, nous sommes dans l'industrie du numérique, sur internet et les réseaux sociaux. Les transports sont partagés et interconnectés, et l'on évite les déplacements inutiles grâce au télétravail et à la visioconférence. Tout cela est extrêmement rapide : je rappelle que le smartphone a été dévoilé par Steve Jobs en 2007, il y a à peine dix ans.

Au XXIe siècle, les modes de transport « doux » sont privilégiés, en particulier parce que les populations se préoccupent des problèmes de santé. Le chiffre d'affaires du secteur de la bicyclette en France est estimé à 4,5 milliards d'euros. Aujourd'hui, 50 % des déplacements sont effectués sur des distances inférieures à 3 kilomètres, mais seulement 3 % le sont en vélo – si l'on passait à 10 %, l'OMS estime que l'on économiserait des sommes considérables en dépenses de santé. Il faut aussi citer la marche augmentée.

Les véhicules partagés constituent une solution qui se répand dans le monde entier pour consommer moins. La France a été précurseur en ce domaine avec Autolib', Vélib', ou BlaBlaCar. Il existe aussi des solutions de transport urbain multimodal, collectif ou individuel, et autonome. Mme Marie-José Navarre vous parlera de Cristal et du ferroutage.

Quelles solutions pour anticiper le déplacement et la consommation d'énergie des 9 milliards d'habitants de la Terre en 2050 ? La meilleure énergie est celle que l'on n'utilise pas. La décentralisation des sources d'énergie constitue une réponse, car notre modèle trop « colbertiste » organise la distribution à partir d'un point focal. Les élus que vous êtes doivent penser aux lois qui inciteront à la décentralisation de la production d'énergie et qui favoriseront l'économie circulaire – ce modèle est déjà mis en oeuvre dans les pays scandinaves avec, par exemple, le retrofit des voitures ou des appareils ménagers.

À mon niveau, j'ai lancé Carwatt, une petite start-up qui donne une seconde vie à des batteries en les réinstallant dans des véhicules utilitaires, des bennes à ordures, des bus… Je faisais partie du syndicat des transports d'Île-de-France (STIF) lorsqu'il a fallu choisir des bus électriques : chaque véhicule coûte 500 000 euros. La charge rapide en bout de ligne serait comparativement beaucoup moins onéreuse – soit environ 150 000 ou 200 000 euros. La vie de véhicules frappés par l'obsolescence programmée pourrait ainsi être prolongée. Pour prolonger la vie des batteries, on peut ensuite penser à d'autres solutions comme le stationnaire ou l'hybridation. Je rappelle que le recyclage des batteries lithium-ion coûte 4 000 euros par tonne sans permettre d'en récupérer tous les éléments – et je n'évoque même pas les indispensables précautions à prendre.

Nous avons aussi pour objectif d'électrifier des tracteurs avions et de les rendre autonomes. En roulant sur la piste avec leur propre moteur, les avions dépensent en moyenne avant chaque décollage 500 à 1 500 litres de carburant, ce qui représente 300 000 tonnes de CO2 émis à Roissy pour le seul roulage, soit autant que les émissions dues à la circulation sur le périphérique parisien.

En matière de transport aérien, on devrait passer des 3,7 milliards de passagers actuels à plus de 10 milliards en 2050. Il faudra trouver des solutions. L'avion solaire, Solar impulse, vient d'effectuer son premier tour du monde, et nous menons d'autres expériences avec M. Bertrand Piccard, l'un de ses copilotes : un dirigeable équipé de huit moteurs électriques et de panneaux solaires sur une surface de 7 500 mètres carrés devrait être présenté dans peu de temps. Il pourra transporter quatre-vingt-dix passagers. Il existe aussi des projets de transports combinés ou door-to-door. Les universités de Glasgow et de Lausanne travaillent sur l'idée d'un train volant : le passager montera dans un fuselage sur rail qui ira s'accrocher sous un avion porteur.

Les universités et les industriels s'intéressent beaucoup à ces projets, et les Chinois ne sont pas en reste sur tous ces sujets. J'ai moi-même fondé une école d'ingénieur des transports, l'ESTACA : nous voulons des ingénieurs « décarbonés », ils sont appréciés dans le monde de l'industrie. L'ESTACA est allé voir à Shanghai, le bus aérien de 1 000 places.

Il ne faut pas oublier le transport par câbles qui existe déjà à Brest et qui doit être mis en place à Créteil. Nous avons de plus la chance que l'un des leaders mondiaux du secteur soit français : Poma est installé près de Grenoble.

Le train sur pylônes ou enterré permet de ne pas segmenter les territoires. Lorsque j'étais ingénieur chez Aerotrain, il y a quarante ans, nous avions mis au point un engin sur pylônes qui dépassait la vitesse de 500 kilomètres par heure. L'idée a été reprise par M. Elon Musk, le patron de Tesla, qui veut relier San Francisco et Los Angeles grâce à l'Hyperloop qui roulerait à 1 100 kilomètres par heure. Je ne sais pas si ce projet vertueux aboutira ; il y consacre en tout cas beaucoup d'argent. SNCF et Deutsche Bahn investissent également pour voir comment le projet évoluera.

Il faut aussi penser au transport maritime car, aujourd'hui, 95 % des marchandises sont transportées par la mer. Ce mode de transport est responsable de 4 à 5 % des émissions de gaz à effet de serre, mais cette proportion va augmenter. Des solutions sont imaginées, comme le catamaran électrique Energy Observer qui transformera l'eau de mer en hydrogène.

La France propose des solutions extrêmement innovantes dans tous les domaines. Il faut soutenir ces initiatives.

Avec tous les industriels concernés, j'ai créé un think tank, Futura Mobility, au sein duquel nous posons de vraies questions. Quel sera l'état du monde en 2050 ? Cette interrogation doit nous permettre d'anticiper et d'investir – Michelin est très en avance en la matière. Pourquoi et comment se déplacer en 2050 ? Quels seront les véhicules et à quelles ruptures technologiques assisterons-nous ? Quels seront les matériaux utilisés en 2050 ? Quelles seront les sources d'énergie ? Quels rôles joueront le numérique et la robotique : les véhicules seront-ils totalement autonomes ? Quelles seront les infrastructures ? Actuellement, nous travaillons sur le projet Macauto, à Marseille : les voitures électriques sont considérées comme des abeilles et Macauto « réalise les ruches, l'intelligence du système et le miel financier ». Nos questions portent également sur le social et la mobilité. Futura Mobility estime que le secteur de l'automobile perdra, à terme, environ 5 millions d'emplois – ceux des chauffeurs, remplacés par les voitures autonomes, et des garagistes. Nos interrogations concernent enfin les usages en 2050, les futures technologies et l'innovation avec ses sources de financement, en particulier le rapport entre les entreprises et les collectivités.

L'énergie et les transports de demain sont confrontés aux mêmes enjeux : le partage des espaces, la sécurité, les véhicules connectés et partagés, l'environnement avec l'énergie renouvelable, l'éco-conception et la fin des obsolescences programmées. Il faut y ajouter la transformation des transports qui deviennent des lieux de vie, l'importance du triptyque université-entreprises-collectivités en matière de recherche, l'essor du numérique, et la nécessité des choix politiques pour encourager l'innovation.

« Science sans conscience n'est que ruine de l'âme » disait François Rabelais au XVIe siècle. « L'imagination est plus importante que le savoir. Le savoir est limité alors que l'imagination englobe le monde entier, stimule le progrès, suscite l'évolution » reprenait Albert Einstein quelques siècles plus tard. Je conclus avec Saint-Exupéry qui rappelait que si le moteur est le coeur d'un avion, le pilote est son âme. Tout ne peut pas se résoudre par la technologie ; il ne faut jamais oublier l'humain. Peut-être parviendrons-nous un jour par exemple à faire comprendre aux constructeurs automobiles que les PME et les TPE peuvent répondre à une demande immédiate non délocalisable, et que Carwatt, qui cherche à vendre des véhicules « rétrofités » du diesel à l'électrique, ne constitue pas pour eux une menace.

Permalien
Marie-José Navarre, directrice générale adjointe de Lohr

Le groupe Lohr est une entreprise familiale alsacienne. L'une de ces entreprises de taille intermédiaire (ETI), championnes de l'économie, qui ont su rebondir après la crise de 2008, créer de nouveaux produits et embaucher – depuis la crise, nous avons réembauché un peu plus de six cents personnes pour atteindre un total de deux mille salariés.

Environ 80 % de notre production s'effectue en Alsace. Elle est exportée à plus de 80 %. Notre actionnariat familial, toujours soucieux des développements à moyen et à long terme de l'entreprise, n'a pas hésité, malgré les moments difficiles que nous avons traversés, à continuer dans la voie de l'innovation. Lohr investit plus de 10 % de ses profits dans la recherche d'innovation continue ou de rupture. Parmi les innovations de rupture, il faut citer le ferroutage, introduit dans notre groupe il y a une vingtaine d'années, et Cristal.

La France est encore un pays industriel. Notre site de Duppigheim, qui emploie de très nombreux salariés, comporte 70 000 mètres carrés de bâtiments répartis sur 65 hectares. Pour créer des nouveaux objets de transport, nous avons besoin de soudeurs, de chaudronniers et de spécialistes d'une chaîne qui va des métiers de la robotique ou de la mécatronique au digital.

Depuis cinquante ans, nous nous sommes battus pour être présents dans le monde entier, avec notre produit de base : le camion porte-autos. Depuis cette époque nous nous préoccupons donc aussi de performance environnementale puisque nous cherchons toujours à embarquer davantage de voitures sur un véhicule.

Notre idée simple du ferroutage, née dans notre groupe en même temps que chez notre concurrent allemand CargoBeamer, consiste à ne pas demander aux transporteurs routiers de s'adapter. Le semi-remorque n'a plus besoin d'être soulevé et préhensible par pinces : un pont entre deux portions de rail permet de le transporter. Les performances enregistrées sur les trois lignes exploitées depuis quelques années montrent que le fait de faire parcourir 1 000 kilomètres à un camion par le rail évite l'émission d'une tonne de CO2, et permet un gain de 1 000 euros d'externalités négatives. Si la donnée relative aux émissions de CO2 est certifiée par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), il n'y a en revanche pas de consensus sur les externalités négatives qui prennent en compte la pollution sonore, la congestion routière, l'accidentologie… J'appelle votre attention sur le fait que nous sommes extrêmement courtisés par les Chinois qui s'intéressent à cette technologie. Depuis 2013, la Chine a réinventé les trains transeurasiens entre l'Asie et l'Europe, alors que l'on disait la chose impossible. Malheureusement ces trains s'arrêtent en Allemagne et en Pologne avant d'arriver en France. Nous nous battons courageusement pour pouvoir nous déployer et survivre, sachant qu'il est très difficile d'organiser des joint-ventures en Chine.

Permalien
Jean-François Argence, directeur des nouvelles mobilités de Lohr

Avant d'en venir au véhicule électrique Cristal, je veux dire quelques mots des essieux électriques destinés à équiper les bus.

Les collectivités locales sont désireuses de s'équiper de bus électriques, mais elles se heurtent à la réalité des prix, soit environ 500 000 euros par unité pour un bus électrique de technologie européenne. Nous avons inventé l'essieu électrique qui s'insère dans la largeur du pneu. Cette solution propose le meilleur rendement du marché. Elle permet de maximiser l'autonomie sans aucun besoin de maintenance durant la durée de vie de l'essieu. Un modèle est aujourd'hui installé en hybridation sur un bus articulé de la Compagnie des transports strasbourgeois (CTS). Un bus peut aussi être totalement électrifié, soit en première monte, soit si l'on « rétrofite » un modèle sorti, par exemple, il y a cinq à huit ans.

Le Cristal est né de la volonté de répondre à la double problématique du premier et du dernier kilomètre. Pour le dernier kilomètre effectué individuellement, Cristal est un véhicule en libre-service qui peut servir à parcourir 1 à 3 kilomètres en ville. En utilisant le même outil et en attelant les voitures les unes aux autres, on crée une navette urbaine pour répondre à la question du dernier kilomètre en transport collectif.

Cristal peut donc être très partagé. Sa conception est marquée par cette fonction de transport public. Il est très robuste et ne nécessite quasiment pas de maintenance – il s'agit d'une solution 100 % électrique. L'objectif, conforme à l'intérêt économique du projet, consiste à l'utiliser le plus possible : aux heures de pointe, il sera plutôt une navette, et aux heures creuses, plutôt un véhicule individuel. Ainsi, on peut réaliser au quotidien, le « petit équilibre » : les recettes couvrent les dépenses. Une « brique numérique » est indispensable au projet : le digital est essentiel à la fois pour les usagers et l'opérateur, mais aussi pour les équipements du véhicule. Ce dernier pourra être réservé en temps réel sur les smartphones. Une aide à l'exploitation extrêmement sophistiquée est également en place.

Nous imaginons proposer par la suite un véhicule Cristal suiveur, sans poste de conduite. Cela permettra d'adapter la longueur du véhicule en mode transport collectif selon l'affluence. Le cas du bus articulé avec un chauffeur, qui ne transporte, durant les heures très creuses, que deux ou trois passagers est désormais regardé par certains réseaux de transports européens comme une solution hérétique. Le véhicule sans poste de conduite intègre les mécanismes qui lui permettent de s'atteler à un autre Cristal : il préfigure ainsi le véhicule totalement autonome sans chauffeur.

Une première expérimentation sera menée dans les conditions réelles, au coeur de Strasbourg, durant le prochain marché de Noël, au mois de décembre prochain.

Permalien
Christophe Gurtner, président-directeur général de Forseepower

Merci de me donner l'occasion de présenter notre société Forseepower qui, contrairement à ce que pourrait laisser penser son nom, est une entreprise française, et francilienne, basée à Moissy-Cramayel. Notre métier est totalement tourné vers la transition énergétique, sous l'angle de la batterie. Nous sommes concepteurs et réalisateurs de systèmes de batteries pour la mobilité. Fondée il y a six ans, Forseepower compte environ 300 personnes, dont 120 en France, une cinquantaine d'ingénieurs. Nous avons quatre sites de production : à Moissy-Cramayel, à Provins, en Pologne et en Chine. Nous avons investi près de 110 millions dans notre société et disposons de près de quatre-vingts brevets.

Nous sommes un intégrateur de systèmes de batteries. Aujourd'hui, 95 % du marché de l'accumulateur, c'est-à-dire de la cellule de base, est dominé par les acteurs asiatiques : Japonais, Coréens, Chinois. Les filières hors de ces pays sont inexistantes ou extrêmement faibles. Il faut d'ailleurs des milliards pour investir dans un accumulateur. Les véhicules utilisant des batteries, les véhicules électriques, n'ont pas tous besoin du même type d'accumulateur ; différents types d'énergie sont requis pour des véhicules fonctionnant dans différentes géographies, sous différentes températures...

Une batterie n'est pas simplement de l'électrochimie, c'est un système complet avec énormément de fonctions : de l'électronique, du logiciel, de la mécanique, de la thermique, de la sécurité, des accumulateurs. Nous apportons, dans les marchés où nous sommes présents, différents types de systèmes aux fabricants de véhicules, de façon qu'ils aient une solution plug and play avec des cycles de développement relativement courts.

Nous sommes présents sur l'essentiel de la chaîne de valeur de la mobilité électrique. Nous travaillons ainsi sur des vélos électriques ou à assistance électrique : nous avons par exemple développé le système d'électrification et la batterie de ce qui pourrait être demain un Vélib électrique. Nous travaillons avec un grand nombre de fabricants de scooters électriques. Paris a décidé de se mettre au scooter électrique en partage comme d'autres villes européennes. Nous travaillons sur la logistique du dernier kilomètre : beaucoup de solutions sont en train d'éclore dans ce domaine.

C'est le bus électrique qui focalise la plus grande partie de notre attention. Beaucoup d'élus s'imaginent qu'il n'est pas encore possible d'avoir des bus électriques aujourd'hui. En réalité, la plupart des grands fabricants de bus dans le monde en offrent. Nous équipons nous-mêmes une bonne partie des plus grands acteurs du bus dans le monde, dont les deux plus grands acteurs nord-américains, New Flyer et Gillig. Nous sommes, en Europe, partenaire du groupe Iveco-Heuliez et d'autres fabricants, et nous nous développons en Inde et en Chine. L'offre est pléthorique, les développements nombreux et les solutions très variées.

C'est la même chose pour le ferroviaire. Il est possible de réduire les sous-stations en plaçant des batteries à bord des trains de façon à récupérer de l'énergie au freinage ou en accélération.

Enfin, dans le domaine maritime, nous équipons en batteries le navire Energy Observer, par exemple, un système multi-technologies associant toute une série d'énergies nouvelles.

Nous ne sommes pas positionnés sur la voiture particulière mais il existe aussi des offres importantes dans ce domaine.

En ce qui concerne le bus électrique, il existe aujourd'hui deux types d'offre. La première propose une très grande autonomie, avec charge au dépôt la nuit. On atteint une autonomie de 250 kilomètres par jour en plaçant deux tonnes et demie ou trois tonnes de batteries sur le bus ou à l'arrière, sans empiéter sur l'espace passagers. La seconde option est la charge en ligne ou le biberonnage, pour lesquels il existe d'autres technologies de batteries, plus petites, avec plus de puissance, moins d'énergie, rechargées au fur et à mesure. Ces batteries sont moins coûteuses mais nécessitent des infrastructures. Les batteries à très haute autonomie durent environ la mi-vie d'un véhicule, soit quelque sept ans, et les technologies de biberonnage ou de charge rapide permettent d'atteindre quinze ans.

Lorsque l'on réalise des systèmes de batteries, il faut se préoccuper de la sécurité. Il est important que se mettent en place au niveau européen des normes et standards qui permettent de normaliser la façon dont les systèmes de batteries sont conçus. Cela va se faire aux États-Unis également. En Asie, c'est un peu inégal. Le second point, c'est la maintenance et le service. En général, pour l'électrique, la maintenance est inférieure à celle d'un moteur à combustion.

Le marché européen du bus électrique compte quelques centaines de bus en 2016, tandis que le marché chinois est de 30 000 bus. Au-delà d'une différence de qualité, la courbe d'expérience en Chine est donc énorme et fait que le coût des véhicules est à la moitié du coût en Europe. Nous savons donc que les coûts vont baisser en Europe de manière intéressante, même s'ils resteront toujours plus élevés que pour un véhicule conventionnel diesel. Ce qui cause le surcoût, c'est la batterie, pour laquelle on est tout de même passé de 1 000 euros par kilowatt-heure il y a trois ans à 400 euros aujourd'hui, et cela continuera de baisser.

Pour permettre aux collectivités, aux exploitants, aux opérateurs de passer à l'électrique sur l'ensemble de la gamme de véhicules, nous considérons que, si une grande partie des obstacles techniques a été surmontée, il faut encore franchir l'obstacle financier. C'est pourquoi nous avons créé, au mois de décembre, en nous entourant d'acteurs aux moyens significatifs tels que la Caisse des dépôts ou encore EDF, un fonds de financement ayant pour objectif de financer la transition énergétique au travers de véhicules. Nous proposons aux collectivités et aux exploitants de financer le véhicule sur sa durée de vie, à savoir soit de financer le véhicule au complet, soit de financer la partie batterie et chaîne de traction, et d'en assurer bien sûr la maintenance.

L'électrique peut ne pas être la seule énergie. Sur Energy Observer, l'électrique est combiné à de la pile à combustible, et le maire de Londres, M. Sadiq Khan, a présenté en décembre un bus à impériale à l'hydrogène qui est en fait un bus hydrogène et batterie.

Il existe tout un éventail de solutions qui sont en train de se roder et de réduire leurs coûts. Je suis dans ce métier depuis vingt-cinq ans. J'ai travaillé chez un autre fabricant de batteries : à l'époque, nous avions monté une usine de batteries nickel-cadmium pour des véhicules du groupe PSA, espérant que le marché allait décoller. Il n'a jamais décollé et nous avons arrêté la production. Vingt-cinq ans après, le marché décolle.

Comme M. Gérard Feldzer l'a mentionné, il y a une deuxième vie pour la batterie, qui peut passer du véhicule à des applications stationnaires. Nous concevons d'ailleurs nos batteries dans cette optique, pour qu'elles puissent être sorties des véhicules et alimenter des bâtiments, par exemple. Il faut le faire car il reste de la valeur dans la batterie. Le véhicule demande de la puissance, le bâtiment de l'énergie : quand il n'y a plus de puissance dans la batterie au bout de quelques années d'usage sur un véhicule, il reste de l'énergie, qu'il convient d'exploiter. La phase de recyclage ne doit intervenir qu'en toute fin de vie. Nous avons donc monté à Moissy-Cramayel, en partenariat avec PSA, EDF et Mitsubishi, une installation pour les systèmes que nous allons vendre dans les mois qui viennent sur le marché du stationnaire.

Permalien
Vincent Mages, directeur adjoint des affaires européennes et internationales d'Air Liquide

Air Liquide est née il y a plus de cent ans et a, depuis sa création, une approche internationale et industrielle intégrée.

Internationale, tout d'abord. Née en 1902, Air Liquide est entrée au Japon en 1907. C'est la plus ancienne entreprise française présente au Japon. Nous sommes aujourd'hui dans quatre-vingts pays. Cela nous apporte une vision globale de ces sujets, qui nous permet de nous frotter aux tendances lourdes de démographie, de santé à domicile, de transformation numérique et de transition énergétique, un sujet mondial, avec des priorités différentes dans chaque pays : CO2, qualité de l'air, sources d'énergie, sécurité énergétique…

Industrielle intégrée, ensuite. Au coeur de l'activité d'Air Liquide, on trouve trois catégories de molécules : l'oxygène et l'azote, c'est-à-dire les principaux composants de l'air, et l'hydrogène. Ces trois molécules se retrouvent dans l'électronique, la métallurgie, la chimie, le raffinage, l'énergie, l'automobile, le verre, les métaux, le traitement de l'eau, l'alimentaire, la santé, la pharmacie, et j'en passe. Elles sont utilisées dans de nombreux métiers et chaînes de valeur.

Le 17 janvier dernier, en marge de la réunion de Davos, a été annoncée la création du Conseil de l'hydrogène. Air Liquide a fortement contribué à cette création. Douze membres y siégeront en plus d'Air Liquide : des constructeurs automobiles, Toyota, Daimler, Hyundai, Honda, BMW, des énergéticiens, Total, Engie, Shell, des équipementiers, Kawasaki, Alstom, ainsi qu'un autre fabricant de gaz industriel, l'Allemand Linde.

Le transport, ce n'est pas seulement la voiture, mais aussi les bus, les vélos, les trains... Il faut une vision de la chaîne de valeur dans son ensemble, une vision internationale car tous ces acteurs opèrent dans différents pays, une vision « innovation » car seule une innovation ouverte, internationale, privée-publique, villes et territoires, sera à la hauteur des enjeux de la transition énergétique. On ne peut pas penser petit ; il faut penser partage de l'information, partage des solutions, et multi-solutions. Aucune solution n'est valable pour tout le monde, il convient de multiplier les solutions et les combiner entre elles.

Je passe la parole à M. Guillaume De Smedt, qui vous parlera de manière plus détaillée de ce que nous mettons sur le marché.

Permalien
Guillaume De Smedt, Air Liquide

Comme l'a indiqué M. Vincent Mages, le transport propre est l'une de nos activités. Cela fait plus de vingt ans que nous rendons les transports plus propres au niveau des raffineries, c'est-à-dire en apportant des solutions hydrogène aux raffineurs pour la désulfuration des carburants. Puis nous avons assuré ces dernières années une descente vers le transport propre.

Nous avons développé nos activités dans deux grandes directions. La première est un ajout dans le groupe Air Liquide, le biogaz naturel, devenu l'une de nos offres en particulier en Europe et en France. Nous fournissons en biogaz un certain nombre de transporteurs pour leurs opérations de logistique. Le gaz naturel véhicule n'a pas de sens pour un groupe comme Air Liquide si l'on regarde seulement au niveau de la station de gaz naturel, mais cela en a si l'on considère qu'Air Liquide investit en amont dans des systèmes d'épuration de biogaz pour réinjecter dans l'économie et le transport des molécules issues de déchets agricoles. Nous avons fortement développé, ces dernières années, l'intégration de la chaîne biogaz, depuis la production de biogaz jusqu'à l'application finale sous forme de gaz comprimé ou de gaz liquéfié pour les véhicules utilitaires et les camions.

La seconde molécule de transport propre, c'est l'hydrogène, qui permet de rendre le véhicule non-émetteur au niveau du point d'utilisation. Cela répond au problème des effets sur la santé publique des émissions de particules NOx. Dans la vision d'une transition énergétique, une étude que nous avons conduite en 2010 a conclu qu'il existait deux « carburants » permettant de décarboner totalement les transports : l'électricité et l'hydrogène. Chacun a ses avantages et ses inconvénients et tout l'enjeu est de parvenir à les positionner correctement l'un et l'autre, dans une logique d'hybridation dans certains cas, selon les spécifications que l'on souhaite obtenir des véhicules.

On est passé en phase d'industrialisation et de commercialisation, les technologies sont sorties des laboratoires, les modèles de véhicule sont disponibles. Il n'y a pas aujourd'hui de véhicule à pile à combustible totalement français mais il existe des véhicules japonais et coréens, et les constructeurs allemands vont sortir de tels véhicules dès l'an prochain. Ce sont des plateformes communes électrique-hydrogène avec des mix allant du « tout batterie » au « tout hydrogène » en fonction du segment visé par le véhicule.

Nous accompagnons le développement de ce marché principalement en investissant dans les infrastructures de recharge. Il existe des partenariats public-privé ou des soutiens publics dans les grands pays où ces déploiements sont en cours. Les principaux déploiements, pour le groupe Air Liquide, vont avoir lieu au Japon, qui a une vision « hydrogène » au niveau de la société, en Allemagne, où Air Liquide est associé à cinq groupes industriels et déploie, en partenariat avec le Gouvernement allemand, une infrastructure de plusieurs centaines de stations de recharge d'hydrogène sur les grands axes et dans les grandes villes, en Californie, où est de nouveau conduite une politique cohérente visant à accompagner le déploiement de l'infrastructure de recharge et la mise en service de véhicules, enfin en France, où ont lieu les premières expérimentations commerciales : le cas que nous connaissons le mieux est celui de la station de recharge d'hydrogène que nous avons installée à Paris pour accompagner une petite start-up de taxis propres, la société STEP. Le nom de cette entreprise, Société du taxi électrique parisien, comporte le mot « électrique » car leurs véhicules ont évidemment des batteries, mais ils ont également des piles à combustible.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci, monsieur le président, d'avoir initié cette table ronde. Je trouve très intéressant de vous entendre, madame et messieurs, sur ce qui est déjà notre présent et nous interroge tous.

Le secteur des transports est le premier émetteur de gaz à effet de serre, avec 28 % des émissions totales en 2013, et représentait presque 33 % de la consommation énergétique française en 2014. Le récent pic de pollution a démontré que la pollution est l'affaire de tous, y compris dans les zones rurales. Même en Bretagne, où j'habite, nous en ressentons les effets.

Le développement des transports propres est l'un des grands axes de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Cette loi précise l'implication des différents secteurs, dont les transports, pour atteindre les objectifs fixés, à savoir, notamment, le développement de la mobilité propre.

Le titre III de cette loi tourne autour de quatre axes : l'optimisation des systèmes de transport, l'amélioration des performances énergétiques et le souci de l'excellence environnementale, l'adaptation des infrastructures existantes, et la réalisation des infrastructures nouvelles.

L'article 36 fixe des objectifs pour favoriser le report modal. Pour le transport des marchandises, l'État accorde, en matière d'infrastructures, une priorité aux investissements de développement du ferroviaire, des voies d'eau et des infrastructures portuaires. L'enjeu du report modal est primordial et, malgré la loi, la route du port du Havre et de son hinterland, par exemple, n'est pas encore tracée. Le transport ferroviaire reste à la traîne. Or c'est un enjeu environnemental mais aussi un enjeu économique, et nous avons certainement un avantage géographique par rapport à nos concurrents.

En ce qui concerne le site du Havre, un rapport d'activité s'est récemment félicité de la circulation de huit trains par jour, alors que, dans les ports du nord de l'Europe, la circulation est trois, voire quatre fois plus importante. Le retard me semble très important. Comment démontrer qu'il y aura à terme plus de trains de fret qui pourront circuler ? Cela ne s'est pas traduit par de nouveaux investissements pour l'instant. Par ailleurs, les aides pour le développement du ferroutage sont-elles bien adaptées ? Comment les rendre plus efficaces ?

La loi promeut aussi le développement des transports propres par l'exemplarité et l'obligation faite à certains acteurs, l'État, les établissements publics, les collectivités, les entreprises nationales, d'assurer le renouvellement de leur flotte par des véhicules à faible émission. Cela devrait se traduire par l'augmentation de la proportion des véhicules propres dans le parc automobile. Cette mesure a-t-elle vraiment marqué une augmentation de la commande publique pour ce type de véhicules ? Vers quels types de solutions se tournent en priorité l'État et les collectivités ? Dans quelle mesure le transport auto partagé pourrait-il s'implanter aussi dans les zones rurales ?

Où en est-on de la définition d'une stratégie pour le développement de la mobilité propre ? Cette stratégie doit déterminer le cadre d'action national pour le développement du marché relatif aux carburants alternatifs. Le développement des transports propres implique la possibilité de pouvoir accéder facilement aux infrastructures de rechargement. Celles-ci sont-elles bien réparties sur le territoire ? La loi prévoit sept millions de points de recharge sur le territoire national. Comment cela va-t-il se passer ? Je pense toujours aux territoires un peu éloignés des pôles. Dans mon département, le syndicat départemental de l'énergie a décidé d'installer 130 bornes d'ici à la fin de l'année. Où en est-on, à la fois dans l'Hexagone et les outre-mer ?

On n'a pas beaucoup parlé de la biomasse. Ce n'est sans doute pas la solution la plus efficiente et j'émets un bémol à son endroit, eu égard à l'utilisation des terres agricoles.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Au nom du groupe Les Républicains, je souhaite, madame et messieurs, vous remercier pour votre présence et vos interventions, et saluer ce que vous représentez, des entreprises françaises à la pointe de la technologie, innovantes, qui ont pris des risques et sont devenues des références dans le monde entier, et remercier à travers vous les dizaines de milliers de techniciens et d'ingénieurs qui font que la France est à la hauteur de l'idée que nous nous en faisons.

M. Gérard Feldzer a souligné qu'il y avait en France de nombreuses entreprises capables de faire des choses très innovantes mais qu'il faudrait les aider. C'est là que la puissance publique se doit d'intervenir, en amont, pour mieux coordonner et déployer les biens publics. Or, chers collègues de la majorité, un rapport de la Cour des comptes vient d'être rendu public ce matin et atteste que c'est tout le contraire qui a été fait sous cette législature. On ne peut taxer le président de la Cour des comptes de partialité. Le rapport dresse un constat d'échec cinglant : le gâchis d'un milliard avec la suppression de l'écotaxe. L'écotaxe avait été une décision unanime, courageuse, qui visait à financer ce sur quoi nous débattons ce matin, des modes de transport alternatifs, respectueux de l'environnement, tenant compte des enjeux de la France d'aujourd'hui et de demain. Non seulement vous avez gaspillé un milliard d'euros et fait perdre cinq ans à ce pays, mais pire, vous vous êtes retournés dans l'urgence sur la fiscalité des carburants, en stigmatisant les particuliers, avec une augmentation plus que conséquente du prix des carburants. J'aimerais d'ailleurs, monsieur le président, que le ministre du budget vienne nous expliquer combien a rapporté l'augmentation des taxes sur le carburant depuis trois ans et combien a été affecté aux transports respectueux de l'environnement, à l'innovation et à la recherche.

Je ne reviens pas sur le fiasco de la réforme ferroviaire, que des députés de la majorité ont dénoncé avec plus de force encore que ceux de l'opposition. Cela n'a pas été faute, pourtant, d'insister sur la nécessité de transférer le transport des marchandises de la route vers le rail. Mes collègues du Sud de la France, où circulent les poids lourds du Nord au Sud de l'Europe, ceux de la Maurienne et moi-même, député de la vallée de l'Arve, où se trouve le tunnel du Mont-Blanc, ne pouvons que regretter ce double fiasco de l'écotaxe et de la réforme ferroviaire.

Je ne m'attarderai pas non plus sur l'énergie perdue – sans vouloir jouer sur les mots – avec le débat sur le nucléaire. Quand on parle d'énergie décarbonée, qu'il s'agisse de l'hydrogène ou de l'électricité, encore faut-il savoir d'où vient cette dernière. En ce qui concerne les pics de pollution de ces derniers mois, vous savez bien qu'une part significative des émissions de particules fines provenait de la production d'électricité d'origine carbonée.

Nous considérons, à l'instar du représentant d'Air Liquide, que les solutions ne peuvent être qu'internationales. Or stabilité, lisibilité et crédibilité sont nécessaires pour que la France y prenne toute sa part. Les moyens de la puissance publique doivent être concentrés sur l'innovation, la recherche en amont. Je suis persuadé que ce que la majorité actuelle n'a pas été capable de réaliser en cinq ans, la future majorité, elle, le fera. (Exclamations.)

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Par respect pour nos invités, il eût été opportun, cher Martial Saddier, que la tonalité de votre intervention soit quelque peu différente.

Ensuite, je connais bien le sujet de l'écotaxe puisque j'ai présenté un rapport faisant des propositions pour la rendre plus acceptable. J'ai été, ce qui est exceptionnel, à la fois président et rapporteur de la mission d'information sur l'écotaxe poids lourds parce qu'aucun représentant de l'opposition n'avait accepté d'en prendre la présidence. De surcroît, mon rapport n'a été voté par aucun membre de l'opposition, alors qu'il avait pour objectif de permettre la mise en oeuvre de l'écotaxe.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je suis membre de l'opposition et j'ai pour ma part soutenu votre rapport.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je suis impressionné par les évolutions très rapides de nos systèmes de transport, lesquelles soulèvent les mêmes problèmes que les évolutions du secteur énergétique ; d'ailleurs, le fait d'avoir invité des représentants de ces deux domaines ne doit rien au hasard.

Il est nécessaire de construire des modèles d'infrastructures et de normes stables. Or cette question tétanise les quelques parlementaires spécialisés dans le secteur du transport. En effet, quand il s'agit d'investir dans des infrastructures, nous réfléchissons à l'échelle de trente à cinquante ans, si ce n'est davantage ; or les véhicules de demain que vous nous présentez seront en service dans trois à cinq ans et ne seront donc pas conformes aux infrastructures que nous sommes en train de mettre en place.

De quelle manière appréhendez-vous la question ? Il semble en tout cas que les instances politiques européennes et nationales doivent faire preuve d'une grande modestie et changer le modèle de construction des infrastructures en concertation avec vous. L'époque des ingénieurs qui programmaient tout, concernant les infrastructures comme la production énergétique, est en effet révolue. Quels conseils nous donnez-vous afin que nous puissions travailler ensemble – d'autant que les ressources financières sont rares ?

J'en viens aux normes et aux standards. Partout, des fous furieux passent leur temps à vouloir casser l'Europe, casser la gouvernance mondiale, ce qui est de nature à porter préjudice au développement des entreprises. Aussi, selon vous, quelle est la bonne échelle pour agir ?

Enfin, je vois bien que l'innovation est dans les grands centres urbains. Or on doit tenir compte des territoires ruraux. Maire de Bar-le-Duc, je suis en train de lancer un modèle de start-up précisément dans le domaine des transports en milieu rural. Comment réconcilieriez-vous l'urbain et le rural ? Il nous faut en effet garantir une unité nationale quelque peu mise à mal en la matière.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je remercie les intervenants de nous avoir apporté nombre d'éléments de réflexion.

Pour réussir la transition énergétique en matière de transports, la France doit être capable de proposer des formations d'ingénieurs hautement spécialisés. En plus d'être formés aux pratiques managériales d'équipes, ces derniers ont l'obligation de posséder des connaissances de pointe dans des secteurs variés et complémentaires tels que les sciences physiques, humaines et informatiques. Ils doivent ainsi être à même d'anticiper l'avenir, notamment en ce qui concerne les nouveaux besoins de réseaux de transport – liés au développement de véhicules propres, de technologies embarquées –, la mise au point de batteries de stockage électrochimique ou encore pour ce qui est du rechargement.

La France dispose-t-elle d'un nombre suffisant d'écoles spécialisées et performantes pour répondre à la demande actuelle de futurs ingénieurs ? Combien de temps est-il nécessaire pour bien les former ? L'écosystème entrepreneurial français est-il suffisamment attractif pour garder ces ingénieurs une fois formés ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'évoquerai pour ma part le transport des touristes dans Paris. Environ mille autocars circulent chaque jour dans la capitale, acheminant plus de 12 millions de touristes par an, qu'ils soient français ou étrangers. Pour lutter contre la pollution que ce mode de transport engendre, le maire de Paris veut interdire les cars de norme Euro 5 et Euro 6 dans les quatre ans qui viennent, ce que les autocaristes contestent. Quelle pourrait être la solution pour transporter les touristes dans Paris intra-muros ? Ne pourrait-on utiliser des bus électriques ? Quel serait le montant d'un tel investissement et les autocaristes en ont-ils les moyens ?

Ensuite, l'article 37 de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, promeut le développement des transports propres par l'exemplarité et l'obligation faite à certains acteurs comme l'État, les établissements publics, les collectivités territoriales ou encore les entreprises nationales, d'assurer le renouvellement de leur flotte par des véhicules à faibles émissions. Il a cependant fallu un an et demi pour que les décrets soient publiés au Journal officiel – ils ont en effet été signés le 11 janvier dernier par le Premier ministre et la ministre de l'environnement et ont paru le lendemain. Il a par conséquent fallu passer par plusieurs pics de pollution particulièrement sévères avant que des mesures pourtant prévues par la loi fassent enfin l'objet d'un décret d'application.

Au-delà du retard considérable pris dans la protection de l'environnement et la préservation de la qualité de l'air que nous respirons, je souhaite connaître l'avis de nos invités sur ce long temps lié à la prise de décision nationale et son impact sur leur travail et les innovations qu'ils pourraient défendre en matière de transport propre.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'ai déjà eu l'occasion de vous rencontrer, monsieur Gérald Feldzer, pour évoquer avec vous la question des dirigeables. Vous l'avez abordée tout à l'heure et je souhaite que vous alliez un peu plus loin, afin que nous sachions quels freins restent à lever dans la perspective de leur utilisation, en particulier pour le transport de marchandises. Ensuite, quel est le degré d'acceptation de ce mode de transport par les populations ? En effet, chacun connaît l'histoire des dirigeables…

Par ailleurs, l'utilisation de l'électricité pose la difficile question du stockage de l'énergie. La durée de vie des batteries est limitée. Je souhaite savoir où en est l'utilisation des super-condensateurs qui s'ajoutent aux batteries.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je remercie les participants de cette table ronde pour l'optimisme qu'ils nous donnent en cette fin de législature : on constate que vos entreprises, quelle que soit leur taille, leur histoire, apportent des solutions intéressantes en matière de recherche et d'innovation dans le domaine des transports.

J'ai une question pour le président-directeur général de Forseepower. Votre entreprise, monsieur Christophe Gurtner, s'emploie à fournir de quoi stocker l'énergie produite par des éoliennes ou des panneaux solaires afin de l'utiliser quand nécessaire. Cela signifie-t-il que vous avez trouvé la solution qui permet de répondre à la lacune de ces énergies, à savoir leur intermittence ?

Ensuite, dans la Mayenne, sur le campus de Laval, se trouve une école d'ingénieurs, l'ESTACA, que vous avez citée. Quel type de partenariat créez-vous avec le réseau des écoles d'ingénieurs en France ? Il paraît en effet essentiel de développer les liens entre l'école et l'entreprise.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le grand sujet est bien sûr la pollution atmosphérique due aux transports et qui ne cesse d'augmenter. Le développement des véhicules propres est une solution pour préserver l'environnement et la santé publique. Or, malgré une prise de conscience croissante, les pistes proposées ne recueillent pas encore l'unanimité de l'opinion publique. Sont principalement invoquées la rareté des points de rechargement des batteries et l'insuffisante autonomie des véhicules. Sont-ce bien les seuls motifs ? Quelles sont les pistes de communication à même d'accroître l'intérêt de nos concitoyens pour ces nouveaux moyens de transport ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je remercie nos invités d'avoir élevé le niveau du débat, nous permettant d'aller au-delà des seuls problèmes du moment. Nous avons le sentiment que les individus préféreront toujours la liberté au collectif, même si le transport collectif a fini par bien s'organiser. Il convient par conséquent de trouver des solutions pour chacun puisque tout le monde ne prend pas la ligne 14 du métro parisien, qui propose en fait une solution individuelle collective puisqu'un train passe toutes les deux minutes. En zone rurale, de délégation de service public en délégation de service public avec les différents opérateurs de transport, nous avons construit un système qui ne répond pas aux attentes du public puisque les réseaux de transport collectif sont pour le moins sous-utilisés.

La solution consiste en effet à changer de paradigme, et j'apprécie ce qui a été dit sur les nouvelles technologies. Pour les mettre en place, la seule solution est de conjuguer la qualité des entreprises que vous représentez ainsi que celle des entreprises novatrices dans ces domaines, avec la volonté politique des collectivités. Si nous voulons être à même de définir le transport de demain et pour cela nous montrer innovants, expérimentateurs, il convient de promouvoir les partenariats entre secteur public et secteur privé, en particulier les sociétés d'économie mixte (SEM), les sociétés publiques locales (SPL) et les sociétés d'économie mixte à opération unique (SEMOP).

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Gérard Feldzer, vous avez présenté les modes de transport avec des véhicules à énergie propre tels que les véhicules électriques – voitures, bus, Vélib'. Ils fonctionnent relativement bien dans les territoires urbains car les distances à parcourir sont courtes et, en général, avec de faibles dénivelés. Or cette configuration n'est pas tout à fait la même dans les territoires ruraux ou en montagne. En effet, le dénivelé peut s'y révéler important et les distances quotidiennes à parcourir, plus grandes. Aussi, dans ce cas, utilise-t-on des moyens de transport classiques. Tout comme notre collègue Bertrand Pancher, je considère, concernant les véhicules à énergie propre, qu'il ne faut pas creuser un fossé entre les villes et les campagnes. Par conséquent, comment envisagez-vous l'évolution des déplacements dans les territoires ruraux ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

On compte 600 véhicules pour 1 000 habitants en Europe contre 80 en Asie et 40 en Afrique. Une très forte croissance dans ce secteur est par conséquent à prévoir au cours des prochaines années dans les pays émergents. Or, d'ici à 2030, malgré toutes les énergies alternatives et les nouvelles chaînes de traction qui se développent au sein des laboratoires et des entreprises en France et dans le monde, la part de la combustion thermique restera importante dans le transport terrestre, et en particulier pour l'automobile.

J'ai la désagréable impression que parfois la France tend à rater ses rendez-vous avec l'histoire. Vous avez évoqué le véhicule électrique, à propos duquel nous avons perdu vingt-cinq ans. J'ai le sentiment que nous nous trouvons précisément à une étape cruciale et que nous ne saisissons pas notre chance, alors que nous avons la possibilité de créer en France une vraie filière industrielle autour du véhicule propre.

Travaillez-vous avec certaines structures comme l'Institut français de stockage de l'énergie d'Amiens, créé en 1969 par le professeur Jean-Marie Tarascon – personnalité renommée qui travaille sur la performance des batteries –, ou avec le Laboratoire de réactivité et chimie des solides (LRCS) ?

Travaillez-vous également avec les pôles de compétitivité ? Notre collègue Martial Saddier a alerté hier le Gouvernement, en séance publique, sur la nécessité pour l'État de les soutenir. Je pense à Mov'eo, iD4CAR et Véhicule du futur pour le secteur automobile, mais aussi à Lyon Urban Truck & Bus (LUTB), dans la région Rhône-Alpes-Auvergne, pour le transport urbain, ou encore à I-Trans pour le secteur ferroviaire.

Quel est votre point de vue sur les nouvelles chaînes de traction développées par des constructeurs français ? On songe à Hybrid Air, développé par le groupe PSA.

Pour ce qui est de la route de l'hydrogène, des projets sont ébauchés ici ou là dans des régions de France mais rien à l'échelle nationale.

Enfin, madame Marie-José Navarre, vous nous avez présenté le fret ferroviaire, mais le transport propre de demain et le stockage de l'énergie de demain concernent aussi le ferroviaire voyageurs – des travaux d'envergure restent à mener sur le contact entre le pantographe et la caténaire puisqu'on constate d'énormes pertes en ligne ; plusieurs structures y travaillent comme l'institut de recherche technologique Railenium, dans la région Hauts-de-France, et je pense également au projet Cademce (Caractérisation dynamique et environnementale de moyens de captages électriques), en Picardie. Travaillez-vous avec ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma question s'adresse à Gérard Feldzer, spécialiste des questions aéronautiques. J'ai eu la chance d'assister au lancement par Air France de son premier Boeing 787 Dreamliner, dont le développement a pris, certes, beaucoup de temps mais qui reste une belle référence dans le monde aéronautique puisqu'il s'agit d'un avion tout carbone consommant entre 25 et 30 % de moins de kérosène – et qui donc pollue moins. Quels sont les progrès attendus au cours les vingt prochaines années dans le secteur aérien, toujours grand émetteur de dioxyde de carbone ?

Permalien
Gérard Feldzer, président de Carwatt

Je vous remercie de l'intérêt que vous portez tous à nos préoccupations.

Je commencerai par l'aéronautique. En effet, le Boeing 787 arrive sur le marché mais il ne faut pas oublier l'Airbus 350, qui est une grande réussite de l'Europe – et je suis assez inquiet qu'on attaque l'Europe de partout alors que l'exemple d'Airbus mériterait d'être suivi – ainsi j'aurais souhaité qu'on imagine l'Airbus du ferroviaire plutôt que d'assister à une lutte sans merci entre Siemens et Alstom.

La dernière rupture technologique dans le domaine de l'aviation, ce fut Concorde. On a mis onze ans pour le construire. On cherchait alors à obtenir la plus grande vitesse possible mais c'était insoutenable : dix tonnes de carburant par heure pour cent passagers ! J'avais d'ailleurs suggéré à M. Jean-Marc Janaillac, président-directeur général du groupe Air France-KLM, d'utiliser l'Airbus 380 en low cost, c'est-à-dire de le remplir avec 840 passagers ; on serait ainsi passé à deux litres de carburant pour cent kilomètres par passager. Avec le Boeing 787, le rapport est de moins de trois litres. Les progrès en la matière sont considérables.

La rupture technologique de l'avenir concernera probablement les ailes – de la même manière que la chauve-souris adapte la surface portante de ses ailes en fonction de sa vitesse, un avion déploie les volets des siennes au décollage avant de les rétracter en vol. Si l'on a accompli des progrès considérables en matière de motorisation – on en viendra bientôt à l'hydrogène –, on ne saurait parler ici de rupture technologique. Hydrogène que l'on utilise d'ailleurs déjà beaucoup : pour la propulsion mais aussi pour tous les services à bord, très consommateurs d'énergie, qui seront bientôt alimentés par des piles à combustible installées dans les soutes pour soulager les moteurs. Pensez, entre autres, à l'énergie dépensée par 800 écrans… Outre l'aérodynamique, la motorisation et l'énergie, il conviendra de réaliser des progrès quant au roulage, vous l'avez évoqué.

Reste qu'une vraie rupture technologique nécessite des programmes de taille internationale, sachant qu'on peut à la fois se concurrencer et collaborer : c'est le cas avec General Electric et Safran qui ont réalisé le turboréacteur CFM 56, un formidable succès mondial. Il faut donc poursuivre ce genre de pratique, car la France seule n'aura pas les moyens de développer l'aviation du futur.

J'en viens aux dirigeables. Le marché n'est pas considérable. Un appareil de ce type est en voie d'achèvement en France : le consortium Flying Whales – Baleines volantes – a signé un contrat avec l'Office national des forêts (ONF) pour débarder les forêts et éviter ainsi la construction de routes. Nous sommes en outre en négociation avec Airbus pour les pièces détachées des avions : actuellement on emmène les ailes sur une barge qui va jusqu'à Bordeaux, puis on remonte la Garonne avant qu'elles ne soient acheminées par des camions spéciaux qui doivent circuler la nuit… mode opératoire bien compliqué alors qu'on peut transporter les charges lourdes par dirigeables, les hélicoptères ni les avions ne pouvant le faire.

Le marché est donc réduit mais il existe. Il pourra s'élargir avec le tourisme : se balader en silence au-dessus des paysages sans polluer et sans faire de bruit, ce n'est pas mal. J'ai moi-même traversé l'Atlantique en ballon à pédales avec M. Nicolas Hulot ; nous nous sommes crashés au milieu de l'océan mais c'était tout de même un joli vol. (Sourires.) Les technologies actuelles nous permettent, grâce à l'hélium, un peu trop cher tout de même, me semble-t-il, de progresser dans cette voie. En tout cas, en France, nombreux sont ceux qui s'intéressent à ce secteur. Nous avons été les pionniers de l'aviation, les pionniers du « plus léger que l'air », eh bien, nous pouvons continuer.

Laissez-moi vous raconter une anecdote. Je suis allé vendre notre projet à Dubaï – eux seuls étaient capables de financer 7 500 mètres carrés de panneaux solaires. J'ai fait le tour des bureaux d'études en France qui m'ont répondu que nous devrions nous en sortir avec 250 millions de dollars. Arrivé à Dubaï, j'ai annoncé 400 millions de dollars – on n'est jamais trop prudent – et on m'a dit d'accord. Mais je n'ai trouvé aucun industriel pour signer, arguant que l'A 380 a coûté 7 milliards d'euros en développement contre 3 milliards d'euros prévus. Nous nous adresserons donc peut-être aux Chinois… Reste que la technologie française et les bureaux d'études français sont très présents.

Je terminerai par la formation. Je suis à l'origine de l'installation de l'ESTACA à Laval – je connais donc bien le sujet. Étudiant, j'ai acheté l'école d'ingénieurs du transport, ce qui m'a facilité l'obtention du diplôme (Sourires). Au-delà de la plaisanterie, l'école est gérée aujourd'hui par les élèves et les anciens élèves, ce qui contribue à motiver les uns et les autres. Les professeurs ont la particularité de tous travailler dans l'industrie ; ainsi un lien direct est-il établi entre l'industrie, la recherche et l'enseignement. Ce modèle me semble devoir être généralisé, notamment à l'université. L'École des mines et l'École centrale ont réalisé de nombreux progrès en la matière. Il importe en effet de rester concret pour travailler sur le moyen terme. Dès lors, les ingénieurs seront directement opérationnels. C'est une spécificité française mais qui n'est pas mauvaise.

Permalien
Marie-José Navarre, directrice générale adjointe de Lohr

J'ai eu le plaisir et l'honneur de travailler dans une entreprise formidable, la SNCF, où j'ai été la première à conduire le projet d'autoroute ferroviaire à travers les Alpes. On m'a raconté, plus tard, que l'on m'avait installée à Chambéry pour éviter que je n'entende, tous les jours, que ce projet était irréalisable – j'étais un peu l'idiote sur le terrain à laquelle on n'avait rien dit.

Aujourd'hui, je m'aperçois, avec désolation, que l'on a largement renoncé en matière de fret ferroviaire. Or cela déséquilibre notre territoire. La carte dont vous avez parlé était un peu provocatrice. En tant que femme de l'Aquitaine, je désespère de voir qu'il faudra plus de vingt ans pour que se déploient les deux axes d'autoroute ferroviaire atlantique et Perpignan-Bettembourg. Le modèle de DSP était sûrement mauvais. On a du mal à comprendre en effet que l'on « colle » une DSP à un service qui ne doit pas vivre d'aides publiques. Ce choix est assez impartial politiquement, puisqu'il a été fait par un précédent gouvernement et que les autres ont ensuite poursuivi dans cette voie.

En matière de fret, on oublie malheureusement l'aménagement du territoire. L'ensemble des pays européens ont montré l'exemple en octroyant des aides très ciblées sur les aménagements de terminaux. Mais cette politique n'a pas été retenue par la France. Faisant le tour de l'Europe, je fais part régulièrement à la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) de la possibilité d'accorder des aides sur les terminaux et non sur les services, ce qui n'a pas de sens. Le combat est très long.

Plus grave : un train de fret qui se déploie sur 1 000 kilomètres se heurte à un mur de travaux – certes, il est difficile de faire autrement – et aux trains de la vie quotidienne dont le nombre s'est accru ; cela est une bonne chose, mais il n'en demeure pas moins qu'il est compliqué pour le réseau de tracer de grands trains. Pour avoir fait circuler des trains de céréales en tant que responsable de marché, je peux témoigner que ce combat existait déjà il y a vingt ans et que la situation ne s'est guère améliorée. Il faut donc sortir rapidement de cette phase de travaux et révéler la performance de l'infrastructure. On fait des trains longs de plus de 850 mètres et qui pèsent plus de 3 000 tonnes : quand on en met deux trains bout à bout, on utilise en fait le même sillon et cela permet de donner de la performance. Ce raisonnement peut paraître un peu simple et imagé : il reste qu'il faut rouvrir le débat sur la place que l'on veut donner à ce mode de transport. La France est un grand pays de transit, mais si l'on n'y prend pas garde, elle risque de se marginaliser. Elle est en bout d'Europe : telle est la réalité même si elle est dure à entendre. En tant qu'industriels, nous subissons malheureusement cette situation. Pour autant, nous ne sommes pas démoralisés et nous croyons en la vertu de notre produit. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous sommes là pour en parler et que la ligne entre Calais et Perpignan a rouvert cette nuit, après son interruption du fait des problèmes liés à la crise migratoire, très difficiles à vivre sur le plan humain.

Je suis frappée de constater que vos préoccupations soient aussi proches des nôtres. Une ETI est ancrée sur son territoire, elle vit des relations avec les entreprises locales partenaires. De même, la plupart des collaborateurs de Lohr sont venus par le biais de l'alternance à tous les niveaux – nous avons même « fabriqué » des docteurs en motorisation dans notre entreprise. Nous travaillons beaucoup avec Railénium sur l'aérodynamisme de nos trains de fret. Un glissement progressif s'opère : l'ingénieur, qui était auparavant dans la recherche-innovation technologique et qui est maintenant beaucoup plus pluridisciplinaire, a compris que la rupture à venir est une rupture d'usage, et que les futures innovations sont des innovations d'usage, comme on l'a vu avec Cristal. Au fond, le ferroutage est aussi une rupture d'usage. Et lorsque l'on interroge les acteurs économiques, on s'aperçoit que c'est sur l'usage qu'il y a le plus de travail de compréhension à faire.

M. Gérard Feldzer a cité deux hommes brillants. Pour ma part, je rappellerai pour conclure cette phrase de Marie Curie : « Il n'y a rien à craindre, il n'y a qu'à comprendre ». Nous sommes contents de nous exprimer devant vous aujourd'hui, même si cela intervient en fin de législature, parce qu'il y a beaucoup de compréhension mutuelle et qu'une entreprise a besoin de comprendre et de faire partager ses préoccupations.

Permalien
Jean-François Argence, directeur des nouvelles mobilités de Lohr

Nous nous préoccupons beaucoup des dessertes rurales, et nous pensons que la flexibilité de l'outil peut constituer une réponse pertinente. Il est extrêmement difficile d'organiser des lignes de rabattement dans le temps et l'espace. Là encore, l'outil de base est le bus. Mais, même s'il ne fait que douze mètres de long, il reste souvent disproportionné, donc très déficitaire. Le projet Cristal permet cette flexibilité puisqu'il peut desservir des villes de taille moyenne, organiser des lignes de rabattement vers des pôles de correspondance, comme des gares. Enfin, il est à même de répondre à plusieurs besoins dans une même journée, ce qui n'est pas le cas de l'organisation d'une DSP classique. J'ajoute que notre projet est labellisé par le pôle Véhicule du futur Alsace Franche-Comté et par le LUTB.

Enfin, nous utilisons, sur l'essieu électrique, l'énergie produite par les supercondensateurs qui sont destinés à des usages très courts dans le temps – ils se rechargent avec l'énergie de décélération et de freinage du bus. C'est donc pour nous aujourd'hui une application concrète et opérationnelle.

Permalien
Christophe Gurtner, président-directeur général de Forseepower

Notre problème majeur aujourd'hui, c'est le recrutement puisque nous avons embauché seulement la moitié des ingénieurs dont nous avons besoin. Une quinzaine de postes sont ainsi ouverts depuis six à neuf mois, et nous ne parvenons pas à les pourvoir. En outre, la moitié des personnes que nous avons recrutées ne sont pas de nationalité française. Nous avons pris en effet la décision d'aller chercher les compétences là où elles se trouvent car nous avons besoin d'avancer.

Aujourd'hui, il n'y a donc pas assez de gens formés en France. La filière est assez faible, contrairement à ce qui existe en Allemagne. Nous avons moins de difficultés à trouver des débutants dans des universités ou des écoles d'ingénieurs, mais comme l'Europe a un peu de retard et que nous avons besoin de le rattraper et de franchir un certain nombre de seuils et d'étapes nouvelles, nous recherchons plutôt des personnes ayant déjà au moins cinq ans d'expérience. Nous travaillons avec Advancity et le professeur Jean-Marie Tarascon sans pour le moment être membres de l'IFSE.

S'agissant du financement, pour qui nous concerne, nous nous autofinançons. Depuis notre création, nous n'avons jamais reçu de support public, quelle que soit la législature. Nous le regrettons, mais c'est ainsi. Et cela ne nous empêche pas d'avancer.

Ni la France, ni l'Europe n'ont la taille critique en ce qui concerne le marché. Nous sommes obligés de penser nos produits, nos marchés, notre organisation, notre stratégie au niveau global parce que nos grands concurrents sont asiatiques ou allemands. Si nous étions une start-up financée par des crédits et si nous n'apportions que des solutions technologiques d'avenir, nous vivrions peut-être de financements publics. Mais comme nous avons largement franchi ce cap et que nous travaillons avec les grands acteurs mondiaux, nous devons avoir une dimension mondiale et une capacité à fournir des produits performants avec un coût le plus bas possible. Nous devons accepter cela, même si notre sanctuaire est bien évidemment la France et que nous espérons y obtenir les parts de marché les plus importantes possibles.

Vous nous demandez s'il est possible de basculer vers le bus électrique à l'horizon de quatre ans : ce délai est un peu court. Les cycles industriels des fabricants de véhicules sont supérieurs à cette échéance. En Europe, on n'a probablement pas cru à temps au basculement vers l'électrique, contrairement à certains pays asiatiques. Les Allemands y ont cru encore moins que nous – ils ont plutôt cru au diesel, à l'hybride. Il paraît donc difficile de basculer en quatre ans vers l'électrique, car cela reviendrait à demander aux Asiatiques d'apporter les solutions que nous essayons de mettre en place nous-mêmes en Europe. Ce type de basculement pourra donc intervenir plutôt à l'horizon de dix ans.

Aujourd'hui, il est clair que s'il est possible de parcourir de grandes distances avec un véhicule entièrement électrique, le coût reste très élevé. Il convient donc de réfléchir à des solutions hybrides – batterie et moteur à combustion ou piles à combustible. L'hybridation est une vraie solution. En revanche, il est dorénavant possible de relier deux villes distantes de deux cents à trois cents kilomètres en utilisant un véhicule entièrement électrique.

Enfin, nous avons des systèmes de supercondensateurs, le condensateur lithium, évolution plus récente du supercondensateur – il a les mêmes caractéristiques que le condensateur mais apporte plus d'énergie. En effet, le supercondensateur, c'est de la puissance, pas de l'énergie. En fait, ce qu'il faut aujourd'hui, c'est un ensemble de briques technologiques qui vont de la puissance vers l'énergie. Par exemple, pour faire marcher un tramway qui traverse le centre historique d'une ville sur cinq cents mètres, on peut utiliser un condensateur lithium, qui apportera la puissance nécessaire sur une courte distance. Pour parcourir cinq kilomètres, il faudrait une batterie au lithium.

Permalien
Vincent Mages, directeur adjoint des affaires européennes et internationales d'Air Liquide

Les véhicules hybrides ou à hydrogène, c'est déjà la réalité : les taxis Hype qui circulent dans Paris ont une autonomie de cinq cents kilomètres et n'émettent pas de particules.

Il faut penser à construire des modèles aussi bien pour 2030 ou 2050 – c'est le modèle ultime – que pour demain – c'est le modèle de transition. Ne penser qu'au modèle de 2050, ce fameux modèle d'un monde décarboné, comme certains le proclament trop souvent, nous laisse un peu pantois pour demain matin. Il existe aujourd'hui des modèles de mobilité propre acceptables par rapport aux enjeux de pollution actuels, mais qui ne sont pas forcément décarbonés. Il faut préparer dès aujourd'hui la seconde étape mais accepter de ne la mettre en place qu'après-demain parce qu'elle n'est pas encore prête économiquement.

Il faut aussi penser à l'aménagement du territoire. Il est évident que les villes se transforment – on le voit avec Paris. De même, le rapport entre le territoire urbain et le monde rural doit évoluer. Aujourd'hui, lorsque l'on parle économie, on pense à la sidérurgie, à telle autre industrie « classique ». Mais on peut penser aussi à la filière énergies propres où l'on transforme l'énergie électrique des éoliennes en gaz hydrogène que l'on peut ensuite transporter par pipeline, jusqu'à des stations. Cela fait intervenir différents acteurs : des énergéticiens, des industriels qui feront des électrolyseurs, des transformateurs, etc. Puisque les modèles évoluent, il faut que les pouvoirs publics et les entreprises changent de paradigme. Ce n'est pas si compliqué : cela implique une lecture différente du sujet et d'accepter de travailler ensemble, de manière collective et parfois concurrentielle, sur cette filière. Dans ce contexte, la bonne échelle n'est certainement pas l'échelle française, mais plutôt a minima l'échelle européenne, et bien évidemment internationale. Et dans cette logique, il ne faut pas être naïf : il y aura une course de concurrence entre les différentes régions du monde. Il faut donc que l'Europe soit solidaire et forte sur ces sujets pour défendre des standards correspondant à son innovation, contre des solutions poussées par d'autres régions du monde. L'enjeu est majeur : celui qui définit le standard ou la norme définit ensuite beaucoup de choses.

Bien évidemment il faut encourager la relation public-privé. Ce n'est pas seulement une question d'argent. L'innovation ne s'arrête pas à la recherche-développement : il faut déployer de manière intelligente et différente ce que l'on sait faire aujourd'hui.

Permalien
Guillaume De Smedt, Air Liquide

Vous nous demandez pourquoi rien n'est fait à l'échelle nationale sur l'hydrogène : parce qu'on n'y a pas cru. La France a fait le choix d'un modèle de déploiement autour de flottes captives plus localisées, et non celui d'une infrastructure hydrogène en accompagnement d'une infrastructure transport propre pour le gaz naturel pour véhicules (GNV), pour l'électrique, à grande échelle. L'absence de cadre et d'ambition à ce niveau-là fait que les acteurs ne viennent pas. Nous travaillons quotidiennement avec les constructeurs, mais il est délicat de les faire venir en France, par manque de vision en la matière. La transition suppose aussi de mettre en place des lignes de production, de développer des modèles. Or il n'est pas simple de le faire sans avoir une certaine visibilité. Pour les constructeurs, il n'est pas facile de faire le choix des motorisations, des chaînes de traction, de l'énergie embarquée. Le paysage de la mobilité de 2030-2050 sera très différent de celui que l'on connaît aujourd'hui.

Permalien
Gérard Feldzer, président de Carwatt

Des études réalisées lorsque j'étais président du comité régional du tourisme d'Île-de-France ont en effet montré que des véhicules aux normes Euro 3, Euro 4 ou Euro 5 en provenance de Pologne ou d'ailleurs circulaient à Paris. Pour remédier à ce problème, il convient peut-être de commencer par des véhicules hybrides. Passer directement aux bus électriques est hors de portée pour eux puisqu'ils parcourent de grandes distances. Nous réfléchissons aussi à une solution qui consisterait à parquer les autocars puis à transporter les touristes dans des bus électriques. C'est aux collectivités d'investir ou de les aider à le faire parce que le petit artisan n'a pas les moyens de se payer un bus à 500 000 euros.

Par ailleurs, le stockage de l'énergie est un vrai problème. On a vu que l'on pouvait stocker de l'énergie avec l'hydrogène et que l'on pouvait fabriquer de l'hydrogène à partir d'énergies renouvelables, comme le font beaucoup les Allemands.

La fin de vie des batteries constitue un drame parce qu'il ne faut pas considérer, comme le font certains constructeurs, l'Afrique comme une poubelle, les batteries finissant là-bas dans les bidonvilles ou au fond de l'eau. Je suis en négociation pour un projet de lignes de bus électriques en Afrique du Nord ; il faut se soucier de la fin de vie de ces batteries. J'ajoute que la solution ne consiste pas à mettre quatre tonnes de batterie sur le toit car cela revient alors à transporter plus de batteries que de passagers. Mais je sais que d'énormes progrès sont accomplis en la matière puisque la densité sur les batteries double tous les dix ans.

Enfin, nous « rétrofitons » actuellement des véhicules utilitaires de la Ville de Paris. Or il n'est pas prévu que l'on puisse bénéficier d'une prime aux véhicules propres, comme cela se fait pour les véhicules neufs, parce que l'on veut faire du neuf et que l'on ne joue pas sur l'obsolescence programmée ni sur l'économie circulaire. En outre, les constructeurs qui financent l'Union technique de l'automobile, du motocycle et du cycle (UTAC), qui délivre les autorisations, freinent des deux pieds. C'est dommage. Prenons l'exemple des petits véhicules pour personnes handicapées qui coûtent très cher car ils nécessitent des aménagements spécifiques : il serait plus vertueux de changer la motorisation plutôt que le véhicule. Le Parlement pourrait favoriser ce type de solution.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame, messieurs, je vous remercie pour la qualité de ces échanges.

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 8 février 2017 à 9 h 45

Présents. - Mme Laurence Abeille, Mme Sylviane Alaux, M. Yves Albarello, Mme Chantal Berthelot, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, Mme Marine Brenier, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. Stéphane Demilly, M. Julien Dive, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Marc Fournel, Mme Geneviève Gaillard, M. Alain Gest, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, Mme Valérie Lacroute, M. François-Michel Lambert, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, M. Arnaud Leroy, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Franck Marlin, M. Gérard Menuel, M. Yves Nicolin, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, M. Martial Saddier, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Pascal Thévenot, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - Mme Sabine Buis, Mme Florence Delaunay, M. Christian Jacob, M. Patrick Lebreton, M. Napole Polutélé, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville, M. Thomas Thévenoud, M. Patrick Weiten

Assistait également à la réunion. - M. Arnaud Viala