Intervention de Marie-José Navarre

Réunion du 8 février 2017 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Marie-José Navarre, directrice générale adjointe de Lohr :

J'ai eu le plaisir et l'honneur de travailler dans une entreprise formidable, la SNCF, où j'ai été la première à conduire le projet d'autoroute ferroviaire à travers les Alpes. On m'a raconté, plus tard, que l'on m'avait installée à Chambéry pour éviter que je n'entende, tous les jours, que ce projet était irréalisable – j'étais un peu l'idiote sur le terrain à laquelle on n'avait rien dit.

Aujourd'hui, je m'aperçois, avec désolation, que l'on a largement renoncé en matière de fret ferroviaire. Or cela déséquilibre notre territoire. La carte dont vous avez parlé était un peu provocatrice. En tant que femme de l'Aquitaine, je désespère de voir qu'il faudra plus de vingt ans pour que se déploient les deux axes d'autoroute ferroviaire atlantique et Perpignan-Bettembourg. Le modèle de DSP était sûrement mauvais. On a du mal à comprendre en effet que l'on « colle » une DSP à un service qui ne doit pas vivre d'aides publiques. Ce choix est assez impartial politiquement, puisqu'il a été fait par un précédent gouvernement et que les autres ont ensuite poursuivi dans cette voie.

En matière de fret, on oublie malheureusement l'aménagement du territoire. L'ensemble des pays européens ont montré l'exemple en octroyant des aides très ciblées sur les aménagements de terminaux. Mais cette politique n'a pas été retenue par la France. Faisant le tour de l'Europe, je fais part régulièrement à la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) de la possibilité d'accorder des aides sur les terminaux et non sur les services, ce qui n'a pas de sens. Le combat est très long.

Plus grave : un train de fret qui se déploie sur 1 000 kilomètres se heurte à un mur de travaux – certes, il est difficile de faire autrement – et aux trains de la vie quotidienne dont le nombre s'est accru ; cela est une bonne chose, mais il n'en demeure pas moins qu'il est compliqué pour le réseau de tracer de grands trains. Pour avoir fait circuler des trains de céréales en tant que responsable de marché, je peux témoigner que ce combat existait déjà il y a vingt ans et que la situation ne s'est guère améliorée. Il faut donc sortir rapidement de cette phase de travaux et révéler la performance de l'infrastructure. On fait des trains longs de plus de 850 mètres et qui pèsent plus de 3 000 tonnes : quand on en met deux trains bout à bout, on utilise en fait le même sillon et cela permet de donner de la performance. Ce raisonnement peut paraître un peu simple et imagé : il reste qu'il faut rouvrir le débat sur la place que l'on veut donner à ce mode de transport. La France est un grand pays de transit, mais si l'on n'y prend pas garde, elle risque de se marginaliser. Elle est en bout d'Europe : telle est la réalité même si elle est dure à entendre. En tant qu'industriels, nous subissons malheureusement cette situation. Pour autant, nous ne sommes pas démoralisés et nous croyons en la vertu de notre produit. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous sommes là pour en parler et que la ligne entre Calais et Perpignan a rouvert cette nuit, après son interruption du fait des problèmes liés à la crise migratoire, très difficiles à vivre sur le plan humain.

Je suis frappée de constater que vos préoccupations soient aussi proches des nôtres. Une ETI est ancrée sur son territoire, elle vit des relations avec les entreprises locales partenaires. De même, la plupart des collaborateurs de Lohr sont venus par le biais de l'alternance à tous les niveaux – nous avons même « fabriqué » des docteurs en motorisation dans notre entreprise. Nous travaillons beaucoup avec Railénium sur l'aérodynamisme de nos trains de fret. Un glissement progressif s'opère : l'ingénieur, qui était auparavant dans la recherche-innovation technologique et qui est maintenant beaucoup plus pluridisciplinaire, a compris que la rupture à venir est une rupture d'usage, et que les futures innovations sont des innovations d'usage, comme on l'a vu avec Cristal. Au fond, le ferroutage est aussi une rupture d'usage. Et lorsque l'on interroge les acteurs économiques, on s'aperçoit que c'est sur l'usage qu'il y a le plus de travail de compréhension à faire.

M. Gérard Feldzer a cité deux hommes brillants. Pour ma part, je rappellerai pour conclure cette phrase de Marie Curie : « Il n'y a rien à craindre, il n'y a qu'à comprendre ». Nous sommes contents de nous exprimer devant vous aujourd'hui, même si cela intervient en fin de législature, parce qu'il y a beaucoup de compréhension mutuelle et qu'une entreprise a besoin de comprendre et de faire partager ses préoccupations.

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