La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies regroupe l'ensemble des autorités organisatrices de la distribution d'énergie, qui agissent en vertu d'une habilitation législative. C'est le Parlement qui, par l'adoption de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dont l'article 57 a été repris à l'article L. 2224-37 du code général des collectivités territoriales, fonde la compétence communale – qui reste relative puisque, selon l'article précité, c'est « sous réserve d'une offre inexistante, insuffisante ou inadéquate sur leur territoire » que les communes peuvent créer et entretenir des infrastructures de charge nécessaires à l'usage de véhicules électriques.
Les communes ont, dans l'immense majorité des cas en France, transféré cette compétence à des syndicats départementaux, qui se sont emparés du financement proposé par l'ADEME en 2014 pour déployer des réseaux – sur environ 75 % du territoire à ce jour, comme l'a dit M. Jean-Luc Moullet. Le financement a souvent précédé les décisions, ce qui peut expliquer qu'il faille au moins dix-huit à vingt-quatre mois pour qu'une incitation financière se traduise par la pose d'une première borne : entre-temps, il faut réaliser un schéma directeur, établir les transferts de compétences, positionner les bornes, se concerter et enfin effectuer les travaux.
C'est sur le constat de ce délai que les syndicats d'énergie se sont mobilisés et que la loi de 2014 sur les opérateurs nationaux a été adoptée. Quand l'opérateur Bolloré est venu au contact des syndicats d'énergie, il a découvert un paysage qui avait énormément évolué par rapport au début du mouvement : il y avait désormais des bornes, de nombreux schémas avaient été adoptés, et les déploiements en cours étaient appelés à se poursuivre. Le déploiement de l'opérateur Bolloré aurait fort bien pu trouver sa place au sein de ceux opérés par les syndicats d'énergie, mais cela n'a visiblement pas été le cas. Après un moment d'attente, les syndicats ont repris leur déploiement, comme s'il n'y avait pas d'autre opérateur annoncé : ce ne sont donc ni Sodetrel, ni la CNR qui auraient, par leur propre déploiement, perturbé celui de Bolloré ou d'autres opérateurs, dont la finalité était différente.
Aujourd'hui, l'initiative se poursuit, mais on peut constater une certaine fracture territoriale, puisque 25 % du territoire restent non couverts par le réseau. À mon sens, pour que le mouvement se poursuive, nous devrions porter notre attention sur quatre points.
Premièrement, il faut mettre en oeuvre l'interopérabilité, car la communauté des propriétaires de véhicules électriques réclame de pouvoir circuler sans contrainte, ce que l'autonomie des nouveaux véhicules mis sur le marché permet désormais.
Deuxièmement, il faut aboutir à une certaine convergence tarifaire : sans vouloir fixer un tarif unique, nous devons faire en sorte que les tarifs pratiqués ne soient pas trop disparates.
Troisièmement, il convient de soutenir et de prolonger les mesures incitatives au déploiement, de façon à résorber les fractures territoriales qui subsistent – car, en dehors d'un financement en voie d'épuisement, je ne vois pas ce qui pourrait réduire la fracture territoriale. Nous devons cependant également veiller à ce que la logique de guichet mise en oeuvre par l'ADEME ne se traduise pas par une dépense excessive en investissements et dépenses de fonctionnement. Un bon réseau est adapté à l'état du marché d'aujourd'hui et de demain : il n'est pas question de surinvestir, ce qui se ferait au détriment de la perception positive que les usagers et les non-usagers peuvent avoir du réseau.
Quatrièmement, enfin, nous devons nous projeter vers l'avenir. S'il a beaucoup de vertus, le Livre vert du sénateur Louis Nègre sur les infrastructures de recharge, qui a largement sous-tendu la politique nationale, date de 2011, et les choses ont considérablement changé entre-temps : il est, selon moi, grand temps de rédiger un autre rapport sur le même thème, afin de nous préparer à deux facteurs essentiels découlant de l'autonomie accrue des batteries de véhicules électriques : d'une part, l'itinérance ; d'autre part, le marché de masse résultant de la multiplication des véhicules.
Même dans le département de la Vendée où le parc de véhicules électriques relève essentiellement de propriétaires – on sait qu'il est particulièrement avantageux d'être propriétaire d'un véhicule électrique en habitat individuel –, il y a encore 34 % d'usagers qui n'ont pas accès à une recharge et n'y auront pas davantage accès demain, qu'ils soient propriétaires individuels ou copropriétaires, et sont donc dépendants des recharges sur la voie publique. Il est intéressant d'observer l'expérience actuellement menée à La Roche-sur-Yon avec le système « City Charge », qui consiste à greffer des bornes de recharge sur le réseau d'éclairage public pour une recharge nocturne de longue durée. Quand on sait que les syndicats d'énergie gèrent des dizaines de millions de points d'éclairage public, on se dit qu'il y a là une piste intéressante.
Pour conclure, nous devons également être attentifs à deux autres sujets, à commencer par l'impact qu'aura le développement du marché de masse sur le réseau de distribution. Si, comme cela a été dit, un réseau électrique intelligent, dit smart grid, apporte de nombreuses solutions, les pics extrêmes de consommation restent potentiellement problématiques. Par ailleurs, le véhicule électrique n'est jamais si vertueux que lorsqu'il se recharge en électricité verte ; la production massive d'électricité verte, au plus près de l'usage qui en est fait, est ce qui permet au véhicule électrique de constituer un cercle intégralement vertueux.