Intervention de Thomas Veyrenc

Réunion du 8 février 2017 à 9h30
Commission des affaires économiques

Thomas Veyrenc, directeur délégué de l'économie du système électrique de Réseau de transport d'électricité, RTE :

Je vais essayer de dresser un tableau des enjeux du système électrique par rapport aux missions de RTE, c'est-à-dire de vous livrer une analyse de l'équilibre entre l'offre et la demande, en évoquant la pointe de consommation, les coûts, les impacts sur les émissions, les moyens d'optimiser le potentiel de stockage, l'impact sur les échanges avec nos voisins et les grands scénarios de transition que l'on peut entrevoir.

Pour ce qui est de la contribution à la pointe, on a entendu citer il y a quelques années, mais aussi plus récemment, des chiffres un peu alarmistes. Il est vrai que si l'on multiplie les 4,5 millions de véhicules électriques qui constituent l'objectif de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) pour 2030 par les puissances de recharge allant de 3 kilowatts à 50 kilowatts, voire davantage selon la vitesse de recharge prévue, on aboutit à des chiffres impressionnants, de l'ordre de plusieurs dizaines de gigawatts.

Cependant, au niveau national, cette charge va foisonner : il n'y a aucune raison pour que toutes les actions de recharge soient synchrones. Ainsi, pour un parc français de 4,5 millions de véhicules, la contribution à la pointe du soir serait plutôt de l'ordre de 5 gigawatts. Certes, ce chiffre est important, puisqu'il équivaut, par exemple, à la totalité de l'éclairage public et résidentiel. Cependant, d'une part, il faut tenir compte d'un contexte énergétique qui pourrait être baissier – on considère ainsi que l'éclairage public va être réduit de moitié d'ici à 2030 –, d'autre part, une contribution de 5 gigawatts représente un ordre de grandeur compatible avec notre système électrique, du moins à l'horizon 2030.

Sans aller jusqu'à dire que ce point ne constitue pas un véritable enjeu, j'estime que nous disposons, au niveau collectif, de leviers suffisants pour gérer cette charge soit en faisant en sorte de réduire encore l'appel de puissance au système, soit – notamment dans l'hypothèse, que nous envisageons, dans certaines estimations, d'un parc de véhicules électriques pouvant atteindre quinze millions d'unités – en partant du principe que la recharge pourra être pilotée, et donc panachée en termes de vitesse de recharge et de type de pilotage – charge naturelle ou asservie à un signal tarifaire comparable au système « heures pleines-heures creuses » utilisé pour le déclenchement des chauffe-eau la nuit. Ces solutions qui existent depuis longtemps ne sont pas celles qui correspondraient au smart grid du XXIe siècle, mais ont fait la preuve de leur grande efficacité et suffisent à repousser une grande partie de l'appel de charge.

On peut aller plus loin en recourant à l'asservissement à un signal de marché, grâce à des batteries intelligentes. Enfin, il est même permis d'imaginer une communication bidirectionnelle entre la batterie et le réseau, le vehicle to grid ou V2G, puisque l'agrégation de différentes batteries est d'ores et déjà une réalité. Grâce à un travail réalisé depuis des années, la France est devenue leader européen dans le domaine de l'agrégation des effacements entre des usagers qui diffèrent par l'importance de leur consommation, le réseau de distribution auquel ils sont raccordés ou encore leur fournisseur. Les solutions auxquelles ce travail de fourmi a permis d'aboutir sont efficaces, et pourraient même être appliquées à la problématique du stockage – des constructeurs se sont déjà rapprochés de nous à cet effet.

En mettant en oeuvre ces solutions, on parvient à des résultats assez différents de ceux de l'hypothèse initiale. Certains instituts ont montré qu'en panachant charge naturelle et charge pilotée dans une proportion de 60-40, on limiterait à 3 gigawatts l'appel de puissance en 2030, ce qui laisse penser qu'en pilotant 100 % de la charge, on pourrait avoir, à dix-neuf heures, une charge inexistante, puisque décalée sur une autre plage horaire.

Sur tous les phénomènes que j'ai décrits, nous disposons de leviers de l'ordre de la normalisation technique ou des signaux économiques. Nous nous sommes livrés à un exercice de quantification consistant à évaluer les gains pour la collectivité du fait de passer de la charge naturelle au pilotage dynamique. Sans entrer dans les détails de l'étude, le simple pilotage tarifaire classique « heures pleines-heures creuses » – très en deçà de ce que permettent les capacités technologiques dont nous disposons actuellement – permet de capter des gains assez importants, de l'ordre de 20 à 100 euros par véhicule en valeur collective, ce qui est très structurant. Si l'on passe à un pilotage tarifaire optimisé du type de celui permis par un compteur communicant, on obtient des gains marginaux supplémentaires. Enfin, grâce au pilotage dynamique, on accède à nouveau à des gains importants, de nature à permettre de résoudre les questions de flexibilité associées à l'intermittence des énergies renouvelables (ENR), donc d'avoir une bonne compensation entre les phénomènes de recharge et les injections d'électricité venant des ENR. L'analyse peut être prolongée en s'intéressant aux émissions, dans le scénario d'une consommation qui stagne ou diminue, avec ou sans prolongation du cycle de vie, etc.

Pour conclure, l'impact sur le réseau national d'une généralisation des véhicules électriques serait indéniable mais, du fait des multiples leviers dont nous disposons, les visions catastrophistes peuvent être écartées et les solutions mises en oeuvre vont permettre de créer de la valeur pour les usagers et pour le système.

Plusieurs étapes vont nous conduire à actualiser un certain nombre de résultats au cours de l'année qui vient. En avril, nous allons publier un deuxième rapport sur la valeur socio-économique des smart grids, pour répondre à la demande des ministres de l'énergie et de l'économie. Le travail que nous pilotons, avec l'ADEME et avec les gestionnaires de réseaux pour ce qui est du volet « distribution », aura vocation à traiter certaines de ces questions. Au second semestre, dans le cadre de la mission réglementaire qui nous est confiée, nous allons réactualiser les scénarios prévisionnels pour 2030-2035, et nous en profiterons pour publier une contribution spécifique sur le véhicule électrique. Je vous invite à nous faire part de vos commentaires afin que nous puissions orienter nos études dans les directions qui vous sembleraient les plus intéressantes.

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