Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, cher Alain, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui afin d’examiner à nouveau la proposition de loi de notre collègue Alain Tourret, portant réforme de la prescription en matière pénale. Après l’échec de la commission mixte paritaire hier et l’adoption du texte en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale puis, je l’espère, demain au Sénat, il nous reviendra d’adopter en lecture définitive – enfin ! – ce texte fondamental, comme l’a exposé brillamment Alain Tourret. Nous remercions le Gouvernement d’avoir proposé l’examen de cette proposition de loi lors d’une semaine réservée à l’ordre du jour gouvernemental.
Il me plaît de rappeler que ce texte résulte d’un travail collectif, mené par le rapporteur, Alain Tourret, en lien avec notre collègue Georges Fenech. Monsieur le garde des sceaux, qui étiez alors président de la commission des lois de notre Assemblée, vous avez appuyé cette démarche transpartisane et soutenu cette volonté de mener une réforme d’ampleur de la prescription en matière pénale. Oui à la proposition que vous venez d’avancer d’une procédure plus souple pour la prochaine législature !
Si aujourd’hui nous nous accordons sur la nécessité de cette réforme, il a fallu lever de nombreuses oppositions à l’excellent travail de nos collègues Alain Tourret et Georges Fenech.
Ainsi, depuis le début de l’examen de ce texte en mars 2016, le Sénat a souhaité en repousser la discussion parlementaire. Pourtant, le rapporteur avait fait preuve de dialogue, de recherche du consensus, en supprimant la définition des incriminations d’infractions occultes et dissimulées initialement introduites dans la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin 2. Cette disposition a été supprimée au profit d’une réforme d’ampleur que nous examinons aujourd’hui. Ainsi, l’article 9-2 du code de procédure pénale prévoit le report du point de départ de la prescription de l’action publique pour les infractions occultes ou dissimulées. Le Sénat a précisé que ce délai de prescription ne pouvait toutefois excéder, à compter du jour où l’infraction a été commise, douze années révolues pour les délits et trente années révolues pour les crimes. Un report existe dans le cadre des infractions économiques et financières, en cas d’abus de confiance ou d’abus de bien social, afin que ces infractions, par nature clandestines, complexes et difficiles à démontrer, et aux enjeux financiers importants, puissent être poursuivies dans des délais plus longs.
Par ailleurs, alors que ce texte aurait pu être adopté dès le mois de janvier dernier, l’adoption en a été repoussée, en raison de l’introduction, par nos collègues sénateurs, d’un allongement de la prescription en matière de presse, Alain Tourret vient de l’évoquer. Ainsi, pour les infractions de presse commises sur internet, en raison des contraintes liées à la mise en ligne sur support numérique de ces informations, la prescription serait d’une année, contre trois mois pour les mêmes infractions commises sur un support papier. Reste à savoir si le Conseil constitutionnel validera deux prescriptions différentes selon le support du média.
Au-delà de cet aspect, mes chers collègues, vous me permettrez de regretter que la procédure parlementaire l’emporte trop souvent sur le débat et la recherche de consensus bienvenus et nécessaires. Je pense à l’histoire d’Edmond Dantès, personnage né sous la plume d’Alexandre Dumas, à Villers-Cotterêts, dans ma circonscription. Emprisonné injustement pendant quatorze ans, il revient avec un esprit de vengeance, sous les traits du Comte de Monte-Cristo ; pour ses ennemis, c’est une histoire ancienne, c’est du passé. C’est là la question même de la prescription. Et lorsqu’à la fin du roman, le comte offre une île à un jeune couple, il accompagne son cadeau d’un bref message qui tient en deux verbes : « attendre et espérer ». Attendre et espérer que la justice passe en dépit du temps écoulé. C’est le sens de ce texte sur la prescription pénale.
Nous avons déjà pu le voir, l’action de la justice en matière pénale se voit grevée par deux formes de prescription. Pour l’action publique, le point de départ du délai de prescription est fixé au jour de l’infraction, tandis que pour la peine, il est fixé à la date de la décision de condamnation définitive.
Si cette loi nous apparaît majeure, elle est votée, reconnaissons-le, dans une certaine indifférence. Je formule néanmoins le souhait qu’elle le soit à l’unanimité. Reconnaissons que la pression de l’opinion et des associations de victimes ont contribué à la remise en question de la prescription. Les règles de procédure permettant de suspendre ou d’interrompre ce compte à rebours sont extrêmement complexes. Certes, la tendance à l’allongement des délais de prescription n’est pas l’apanage de la France, qui, de ce point de vue, apparaissait en retard. Aux Pays-Bas, les délais de prescription de l’action publique ont été allongés il y a une quinzaine d’années. En Espagne, les délits terroristes ayant provoqué la mort d’une personne sont exclus de la « loi de l’oubli ». En Allemagne, le temps judiciaire ne dépend pas de la nature de l’infraction, mais de la durée de la peine encourue : la prescription est de trente ans pour les faits punis de la prison à perpétuité, de vingt ans si la peine encourue est supérieure à dix ans et de dix ans pour les peines comprises entre cinq et dix ans L’imprescriptibilité est même le principe retenu par le Canada pour tous les crimes.
Les tentations existent en France, comme l’a montré le débat relancé par l’affaire Flavie Flament sur les crimes sexuels. Ces crimes bénéficient déjà d’une exception, puisque le délai de prescription est de vingt ans à partir de la majorité de la victime. Comme pour les crimes de guerre, nous aurions pu aller plus loin dans ce domaine. Mais il fallait trouver un consensus. L’article 1er dispose que l’action publique se prescrit par vingt ans pour les crimes, par six ans pour les délits et par un an pour les contraventions. Des exceptions restent prévues, comme en matière de terrorisme où la prescription sera de trente ans. Face à la complexité et à la gravité des nouvelles menaces pesant sur notre pays, il se justifie pleinement d’allonger le délai de prescription par rapport au délai de droit commun.
Finalement, seuls les crimes contre l’humanité demeurent imprescriptibles. Certains le regrettent, mais à un moment où le besoin de punir est important, il fallait tenir sur les principes, comme vous le rappeliez, cher Alain Tourret. Faire croire à la victime qu’elle ne pourra faire son deuil qu’en saisissant la justice est une profonde erreur.
Reste la question de l’engorgement des tribunaux : doubler les délais de prescription augmente le nombre d’affaires portées devant la justice. La charge de travail induite nécessiterait des moyens supplémentaires importants : la loi de finances pour 2017 les prévoit-elle, monsieur le ministre ? L’application des peines est souvent jugée trop lente par les victimes, comme par les accusés, et je pense à Jean de la Fontaine, natif de Château-Thierry qui, dans sa fable Conseil tenu par les rats, soulignait ce sentiment que la justice souvent se dérobe.
Je ne m’étendrai pas sur la prescription des peines définie aux articles 2 et 3. L’article 4, quant à lui, précise que cette loi ne s’appliquera qu’aux infractions découvertes après sa promulgation.
Ce texte est bienvenu car l’enchevêtrement des conditions et des règles dérogatoires en matière de prescription était, de l’avis de nombreux experts, de nature à affecter la sécurité juridique, en même temps qu’il contrevenait à la double exigence d’accessibilité du droit et de confiance légitime, constitutionnellement ou conventionnellement protégées.
Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera ce texte que nous examinons aujourd’hui dans la version adoptée par notre Assemblée le 12 janvier dernier.