Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, chères et chers collègues, nous arrivons au terme d’un travail parlementaire de très grande qualité, que l’on peut qualifier d’exemplaire.
Aujourd’hui, nous allons faire taire les mauvaises langues qui prétendaient que nous ne réussirions pas à adopter définitivement ce texte. À la suite du rapporteur, je tiens à féliciter le Gouvernement, et particulièrement M. le garde des sceaux, qui a été, avec les parlementaires, le véritable artisan de ce texte en permettant son retour devant notre Assemblée après les différents déboires qu’il a connus. Vous avez été, monsieur le garde des sceaux, animé par l’intérêt général qui commandait que ce texte soit définitivement adopté.
Le droit de la prescription français, immuable depuis Napoléon Ier, va enfin se rapprocher de celui des grands pays européens. Oui, le rapport au temps a changé en France ; il est difficile d’évoquer aujourd’hui le droit à l’oubli, car cette notion n’est plus acceptée : les victimes ne la comprennent pas. Oui, le rapport au temps a changé pour les auteurs présumés de délits et de crimes, qui pensent pouvoir s’abriter derrière de courts délais de prescription. Oui, le rapport au temps a changé avec les progrès de la science, notamment grâce aux recherches de l’ADN et à toutes celles susceptibles aujourd’hui d’aider au dévoilement de la vérité judiciaire.
L’allongement des délais de prescription de l’action publique de droit commun constitue l’apport le plus important de ce texte. Passer de trois à six ans pour les délits et de dix à vingt ans pour les crimes est considérable en soi. Il s’agit de la mesure principale du texte, mais non la seule.
Celui-ci clarifie en effet, et ce n’est pas rien de le faire, les modalités de computation des délais, toujours source de nombreuses difficultés. Le texte harmonise également les délais de prescription de l’action publique et des peines, ce qui est une disposition importante. Dans un souci de cohérence, il ne pouvait être question d’aller au-delà d’une prescription exceptionnelle en matière de délits et de crimes sexuels lorsque les victimes sont mineures. Un adulte peut jusqu’à ses trente-huit ans dénoncer un crime ou un délit sexuel commis sur lui alors qu’il était mineur : il ne pouvait être question d’aller au-delà.
Il est vrai que nous connaissions une situation d’insécurité juridique, qui n’était plus acceptable. Elle était liée à des évolutions législatives et jurisprudentielles, parfois incohérentes, qui ont rendu les règles applicables de moins en moins lisibles pour les professionnels. Nous avons tous en mémoire les acrobaties juridiques, pour ne pas dire procédurales, auxquelles les magistrats du parquet ont eu recours pour pouvoir engager des poursuites dans des affaires criminelles célèbres, dans lesquelles il aurait été incompréhensible que l’auteur des faits ne puisse pas être poursuivi.
C’est bien au législateur qu’il revient d’intervenir, car le justiciable, qu’il soit victime ou prévenu, a le droit de savoir selon quelles règles l’action publique sera engagée et, s’il est condamné, pendant combien de temps la peine pourra être exécutée. Tous les justiciables ont droit à la sécurité juridique, surtout en matière pénale.
Nous n’avons pas pu nous mettre d’accord avec le Sénat, je le regrette vivement ; je n’ai pas compris l’étrange disposition introduite par les sénateurs, distinguant entre la presse écrite et la presse en ligne. Pourquoi prévoir un délai différent de prescription de l’action publique en matière d’infractions à la loi sur la presse lorsque celles-ci « auront été commises par l’intermédiaire d’un service de communication du public en ligne », selon la lettre de l’amendement sénatorial ? Comment opérer cette distinction sans toucher aux sacro-saints principes de l’égalité devant la loi ? Avec la mesure sénatoriale, il aurait suffi de diffuser sur internet un article de presse papier pour que le délai de prescription s’allonge. Cette disposition se révélait dangereuse pour la sécurité juridique et apparaissait très discutable sur le plan constitutionnel.
Toutes les personnes qui se trouvent dans des conditions semblables et qui sont poursuivies pour les mêmes infractions ont le droit d’être jugées selon les mêmes règles. La loi de 1881 sur la presse fonctionne depuis cette date et n’a pas si mal vieilli : on ne peut pas la modifier sous le seul angle de la prescription ! Si on y touche dans une prochaine législature, ce sera peut-être pour dépénaliser les délits d’outrage et d’injure, lesquels sont, dans les faits, rarement poursuivis et en général assez peu condamnés.
Pour conclure, la loi sur la presse garantit la liberté d’expression, liberté fondamentale qui, rappelons-le ici, est un pilier de notre démocratie. Le groupe socialiste, écologiste et républicain soutient donc fermement cette proposition de loi, qui est attendue des praticiens et qui renforce la sécurité juridique – nous sommes là véritablement au coeur de notre mission.
Je remercie enfin le Gouvernement pour son engagement sans faille : par la voix du garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas, il a manifesté son profond respect pour le travail du Parlement.