Intervention de Thierry Benoit

Séance en hémicycle du 14 février 2017 à 15h00
Réforme de la prescription en matière pénale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Benoit :

Madame la présidente, monsieur le ministre, garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous débattons pour la troisième fois dans cet hémicycle de la réforme de la prescription en matière pénale, fruit du travail important fourni par la mission d’information conduite par nos collègues Alain Tourret et Georges Fenech.

Comme mes collègues du groupe de l’Union des démocrates et indépendants l’ont indiqué au cours des précédentes lectures, nous approuvons les objectifs de ce texte. Le droit de la prescription est fragilisé non seulement par les progrès de la science, mais aussi et surtout par l’incohérence des règles qui le régissent, lesquelles sont devenues, au fil du temps, en partie inadaptées aux attentes de la société. Il est donc nécessaire, comme le prévoit le présent texte, d’adapter ces règles, de préciser leur rédaction dans le sens d’une plus grande sécurité juridique et d’une meilleure lisibilité du droit.

Au stade de la deuxième lecture, l’Assemblée nationale et le Sénat étaient parvenus à un compromis sur un certain nombre de mesures. Nos deux assemblées se sont accordées sur l’évolution de la durée des délais de prescription comme sur les modalités de computation des délais de prescription de l’action publique et sur les causes générales de suspension des délais. En dehors de ces points de convergence, l’Assemblée a également tenu compte d’un certain nombre d’évolutions apportées par le Sénat. Faute d’accord, elle a ainsi notamment renoncé à étendre l’imprescriptibilité de l’action publique pour les crimes de guerre connexes à un crime contre l’humanité. En entérinant une telle modification, très symbolique, nous aurions pris le risque de banaliser le crime de génocide et les crimes contre l’humanité en rompant le caractère absolument exceptionnel de l’imprescriptibilité. Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants se félicite de ce compromis et approuve l’ensemble des mesures proposées.

Pour autant, nous continuons de penser que des dispositions essentielles manquent à ce texte. Comme l’ont indiqué mes collègues Jean-Christophe Lagarde et Maina Sage en première et deuxième lectures, cette proposition de loi aurait été le véhicule législatif idéal pour faire évoluer les délais de prescription en matière de crimes et d’agressions sexuelles. Je le rappelle, lorsque le groupe de l’Union des démocrates et indépendants a défendu en 2014 une proposition de loi sur le sujet, la garde des sceaux de l’époque l’avait rejetée au nom d’une réforme plus globale des délais de prescription. Nous sommes précisément en train d’examiner une telle réforme. Et si nous approuvons votre texte, monsieur le ministre, notre plus grand regret sera de ne pas avoir saisi une telle opportunité pour répondre à la détresse des victimes d’agressions sexuelles, qui sont privées d’un droit élémentaire et fondamental : celui de se tourner vers la justice.

Vous connaissez les chiffres du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes : 84 000 femmes et 14 000 hommes sont victimes, chaque année, de viol ou de tentative de viol. Or, moins de 10 % de ces actes sont déclarés. En outre, les mineurs représentent près de 60 % des victimes de viol. La proposition de loi, en l’état, va certes faire bénéficier les victimes majeures d’agression sexuelle du doublement des délais de prescription des crimes et des délits, mais les délais dérogatoires au droit commun, notamment ceux qui concernent les crimes et délits sexuels ou violents contre des mineurs, vont demeurer inchangés. Cette réforme va donc créer une situation paradoxale : les délais de prescription des crimes de droit commun, portés de dix à vingt ans, seront identiques à ceux qui s’appliquent aux crimes sexuels commis sur des mineurs, qui sont également de vingt ans. Nous avons du mal à concevoir que l’on puisse traiter de la même manière des crimes sexuels commis sur des adultes et des crimes sexuels commis sur des mineurs.

En outre, les délais actuels, bien que déjà dérogatoires au droit commun, privent encore trop de victimes de la possibilité d’obtenir justice, notamment lorsqu’elles ont été frappées de ce que l’on nomme une amnésie traumatique. Ce phénomène prive la victime de la conscience des faits qu’elle a subis et ne se dissipe parfois que plusieurs décennies après l’agression, trop tard, donc, aux yeux du code de procédure pénale.

À la lumière de ces éléments, nous avons défendu à plusieurs reprises l’allongement à trente ans du délai de prescription de l’action publique des crimes sexuels commis sur des mineurs à compter de la majorité de ceux-ci, ainsi que l’allongement des délais applicables aux délits sexuels et violents contre des mineurs. Malheureusement, les propositions du groupe de l’Union des démocrates et indépendants ont été à chaque fois rejetées, nous donnant le sentiment d’une occasion manquée.

À l’article 3, le Sénat a, en première lecture, allongé la prescription des délits de presse de trois mois à un an lorsque les faits sont commis sur internet. Le bien-fondé de cette mesure se justifie par la différence entre un écrit paru dans un périodique sur un support papier et un message publié sur un réseau social. Dans le second cas, le message peut être publié une première fois sur un réseau social, puis reproduit, des mois plus tard, par une autre personne qui aura une influence plus grande sur ce même réseau. La modification du délai de prescription des abus de la liberté d’expression commis sur internet que le Sénat propose nous semble donc opportune afin que les victimes puissent disposer du temps nécessaire pour constater l’infraction, identifier le responsable et mettre en mouvement l’action publique ou civile.

Mes chers collègues, ce texte aurait été davantage utile à notre société s’il avait permis aux victimes d’agression sexuelle d’obtenir véritablement réparation ; c’est ce que nous aurions souhaité. Néanmoins, nous voterons, comme lors des précédentes lectures, en faveur de cette proposition de loi.

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