Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, la fin du cycle d’une législature est toujours le moment le plus indiqué pour faire le point. Je considère ce texte comme l’un des plus importants que nous ayons eu à adopter en matière de justice, et j’inclus dans la durée prise en compte les précédentes législatures.
Il s’est en effet attaqué à la question la plus complexe, la plus difficile. Je ne saurais insister suffisamment sur la gratitude, un sentiment que je crois partagé, à l’égard des deux auteurs de ce texte, qui ont travaillé au sein de la commission, d’abord dans le cadre d’une mission d’information puis dans celui de l’examen de cette loi. Il était important de le faire, car le législateur devait se pencher sur le socle, le fondement du droit de la prescription dans notre pays.
Depuis trop longtemps, en effet, par nécessité, la chambre criminelle de la Cour de cassation construisait cette approche. Elle était d’ailleurs pertinente, puisqu’on s’en est largement inspiré. Il appartenait cependant au législateur de s’emparer de ce sujet, car il rejoint l’une des deux plus importantes questions de nos démocraties qui s’appuient sur les principes de l’État de droit. Ce sont deux impressions, deux empreintes : le refus de la loi du talion, et l’intégration de la donnée du temps qui passe.
S’agissant du refus de la loi du talion, nous l’avons encore évoqué voilà quelques jours au cours de nos débats : nous étions nombreux à considérer par exemple que l’accès à l’appel criminel pour la partie civile était contraire aux principes de l’État de droit en ce qu’il donnerait immédiatement un sens totalement différent à la sanction pénale. Dans une démocratie, le corps social règle les situations qui ne correspondent pas à ses besoins et à ses nécessités selon des conceptions qui préservent tout autant les membres de ce corps social que son devenir.
Quant à la notion du temps qui passe, elle est bien plus complexe, évidemment : c’est en quelque sorte l’autre manière de traduire notre humanité dans la façon de rendre justice, une dimension sans laquelle celle-ci perdrait tout sens. C’est pour cela que se pose notamment le problème des peines irréversibles ; nous l’avons abordé lors des grands débats sur la peine de mort. Cela pose cependant une autre difficulté : le temps qui passe frappe les victimes, et on a vu combien ce problème était au coeur des enjeux de la prescription. Il a d’ailleurs, d’une certaine manière, faussé le débat sur le sujet, car on a trop voulu examiner cette question par le seul prisme de la protection et du respect des droits des victimes au détriment de ce que représente la sanction pénale, c’est-à-dire la réponse du corps social à ceux qui en ont enfreint les règles.
Il importe que la justice tienne compte du temps qui passe, faute de quoi on privera inévitablement notre société de la protection de ses membres et de la préservation de ses promesses d’avenir. Par leur nature même, les deux fondamentaux que sont le refus de la loi du talion et l’intégration du temps qui passe traduisent le caractère profondément humain de notre justice. Toutes les civilisations qui l’ont oublié ont aussitôt vu leur justice devenir injuste, donc insupportable.
Le travail de nos rapporteurs, qui a bénéficié de toute leur intelligence et toute leur compétence, ainsi que de nos apports à leur réflexion, appuie, consacre, imprime, érige en socle ces deux exigences, sans lesquelles notre République et notre démocratie ne seraient plus au rendez-vous de la justice. Je suis heureux de partager cette satisfaction avec vous, chers collègues !