Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, les Français s’inquiètent de l’évolution de la justice. Celle-ci ne leur convient pas pour deux raisons : la loi n’est plus intelligible et la place de la victime est insuffisamment reconnue par la procédure juridique. Aussi ce discours n’aura-t-il d’autre parti que qu’analyser si votre texte, chers collègues de la majorité, répond à ces deux aspirations populaires parfaitement légitimes. L’échec de la commission mixte paritaire témoigne du fossé idéologique qui sépare deux France à ce sujet. C’est regrettable ; c’est aussi l’occasion de discuter plus avant de notre rapport à la justice et aux enquêtes tandis que l’instrumentalisation d’une partie du parquet et l’abandon des policiers occupent les débats.
L’exposé des motifs du présent texte relève avec honnêteté les complexités du code pénal en matière de prescription. Si certaines sont compréhensibles, comme la dérogation de prescription à la majorité des enfants victimes de violences sexuelles ou sa prolongation en matière de délinquance financière, d’autres vont à l’encontre de la connaissance publique de la loi, parfaitement assistée d’ailleurs par la proposition sise à l’article 1er consistant à réunir toutes les situations en un seul et unique article du code de procédure pénale.
La nature des articles aboutit à une densification des délais autorisés en matière de prescription : citons l’allongement des délais pour les délits comme pour les crimes, l’ouverture de possibilités nouvelles d’interruption de la prescription au cours de l’enquête et son adaptation en cas d’enquête en matière de terrorisme. Toutes ces dispositions sont excellentes. Je regrette qu’elles aient fait l’objet de telles dissensions. Il faut noter que cette mesure répond à une exaspération populaire face à ce qui est considéré comme le règne du laxisme dans le traitement des individus coupables de violences en France.
À ce titre, on ne peut pas évoquer les attentes populaires en matière de prescription pénale sans citer les causes des tourments du peuple au sujet des criminels en général. Ainsi, l’Institut pour la justice rappelle que « 127 000 peines de prison ferme sont en attente d’exécution, dont 82 000 sans motif juridique ». Tel est le principal enseignement d’un rapport de l’Inspection générale des services judiciaires paru en mars 2009 selon lequel « seule une minorité de [ces] condamnés sont en fuite ou recherchés par la police. La majorité des 82 000 peines non exécutées s’explique par la procédure consistant à faire examiner par un JAP – juge d’application des peines – les dossiers des condamnés à un an de prison et moins, dans le but d’aménager leur peine. La raison d’être de cette procédure sans valeur ajoutée est de contourner le sous-dimensionnement des prisons, cause profonde de l’inexécution des peines ».
Parmi les attentes populaires, figure également une meilleure implication de la victime dans la procédure pénale, qui pourrait aller de pair avec une participation accrue aux interruptions de prescription, ce qui ne serait que justice après qu’une certaine vision de la justice pénale a largement séparé le peuple de la justice, qui devrait au contraire défendre les victimes et harmoniser les relations sociales.
Ainsi, Stéphane Maître, avocat au barreau de Paris, remarquait en 2011 que « la victime reste par ailleurs exclue de la possibilité de faire appel des dispositions pénales des jugements et verdicts, son appel ne pouvant actuellement porter que « sur ses seuls intérêts civils », […] autrement dit sur la question des dommages-intérêts, alors que chacun sait que la victime attend avant tout de la justice pénale qu’elle sanctionne les coupables par une peine. Dans la même logique, la victime est exclue du droit de demander la révision d’une décision pénale définitive en cas de survenance d’un fait nouveau de nature à faire naître un doute sérieux et grave sur le bien-fondé de la décision de justice, droit réservé au condamné […] et au ministre de la justice […] ».
Il serait donc juridiquement opportun et socialement souhaitable d’intégrer davantage les droits de la victime à notre réflexion sur la prescription. Telle sera la matière, à n’en pas douter, de l’un des textes phares de l’alternance, tant notre nation ne peut espérer être forte si l’écart entre la société et l’État se creuse sur ce sujet !
Enfin, l’imprescriptibilité des crimes de guerre me contrarie, même si j’en comprends l’éthique. S’agissant des conflits les plus violents, l’Histoire connaît des évolutions qui dépassent de loin l’entendement des générations. Prenons l’exemple des événements d’Algérie. Faudrait-il que tous les anciens membres du FLN émigrés en France soient jugés ? La demande est ô combien compréhensible, mais le chaos social qui s’en suivrait ne le serait pas moins. Les gouvernants de l’époque avaient pour objectif de refuser leur venue.
Étendre la prescription applicable aux crimes de guerres constituerait une belle avancée, la rendre impossible serait un facteur de désordre susceptible d’être utilisé au service des pires intérêts. Je suivrai donc avec attention nos débats afin de me forger l’opinion la plus libre possible. En effet, le texte traduit de bonnes évolutions mais quelques éclaircissements semblent nécessaires.