L'objet de la mission d'information et, notamment, du déplacement au Mali, était d'apprécier sur le terrain les progrès dans la reconstruction de l'armée et des forces de sécurité intérieure maliennes et, en particulier s'agissant de la première, son autonomie opérationnelle qui, pour une large part, conditionnerait le retrait de la force Barkhane, c'est-à-dire les 4 000 soldats français positionnés au Sahel depuis 2014 (dont 1 500 au Mali).
Le premier constat, c'est que cette mission a désormais atteint son rythme de croisière. L'impression générale produite par la visite de son centre d'entraînement à Koulikoro est celle d'une mission qui fonctionne bien et a su s'organiser afin de satisfaire aux objectifs de son mandat et, en particulier, la formation de l'armée malienne.
Huit GTIA ont été formés, soit près de 8 000 hommes, au cours des deux premiers mandats. Si le chiffre peut sembler faible, il représente la moitié des effectifs de l'armée malienne dont les GTIA forment désormais, selon les mots d'un officier français, « le coeur opérationnel ». À cette formation générale se sont ajoutées des formations techniques spécialisées, par exemple dans la recherche et la destruction des engins explosifs improvisés. Enfin, le troisième mandat a entraîné une réorientation du contenu de la formation vers le renforcement des capacités de commandement, et surtout, vers la formation des formateurs afin que les militaires maliens deviennent leur propre formateur et assurent la transmission des savoirs. L'objectif est ainsi clairement affiché d'un transfert de l'activité de formation aux Maliens eux-mêmes, cohérent avec la réorientation d'EUTM Mali, laquelle inclut également le renforcement de l'activité de conseil stratégique auprès du ministère malien de la Défense.
La seule difficulté de fonctionnement, souvent mentionnée, est celle de la langue. La langue utilisée tant pour la formation que pour le conseil est le français. Or, les instructeurs envoyés par les États-membres ne sont pas toujours francophones. Ils sont ainsi obligés de recourir à des traducteurs, avec tous les inconvénients de ceux-ci, notamment le risque de malentendus.
Si EUTM fonctionne relativement bien, encore faut-il que ses résultats puissent être évalués à l'aune du seul critère qui fait sens : l'autonomie opérationnelle. Or, malgré les progrès enregistrés et l'investissement constant des personnels d'EUTM depuis quatre ans, l'ensemble des personnalités rencontrées ont insisté sur le fait que l'armée malienne n'est pas encore capable d'assurer seule la défense du pays et qu'elle ne le serait pas avant des années.
Il est malheureusement aisé, dans un pays en guerre comme le Mali, d'évaluer les capacités d'une armée. Il suffit d'observer son comportement au combat, les difficultés qu'elle rencontre et les succès qu'elle obtient (ou non). À noter que ce sont les militaires français de l'opération Barkhane qui font le retour d'expérience puisque les formateurs d'EUTM ne sont pas autorisés à suivre leurs recrues sur le terrain.
Or, le premier engagement d'un GTIA au Nord, à Kidal, le 21 mai 2014, a été un désastre. Nous avons rencontré des officiers maliens à Bamako qui nous ont permis de mieux comprendre pourquoi. S'ils sont globalement satisfaits de la formation qu'ils ont reçue avec EUTM Mali, ils insistent néanmoins sur le fait qu'à elle seule, en l'espace de seulement trois mois, elle ne peut transformer de jeunes recrues en véritables soldats. Ils pointent en particulier le manque d'aguerrissement au combat.
L'erreur est ainsi de croire que la formation de l'armée malienne peut reposer entièrement sur EUTM Mali, laquelle reste éloignée du terrain. Celle-ci fait au mieux mais une fois les soldats formés, ils retournent dans une structure largement inefficace. À titre d'exemple, lors de notre rencontre avec le ministre de la Défense malien, nous avons ainsi appris que, sur les huit GTIA formés par EUTM, cinq sont opérationnels à 80 % mais trois ne le sont qu'à 40 %, à cause d'un manque d'équipement et d'effectifs.
En outre, à supposer même que les militaires maliens soient correctement formés, ils resteraient totalement dépendants de la France car l'armée malienne souffre d'un sous-équipement chronique, notamment en termes de moyens de transport et de moyens de transmission. Les durées évoquées pour la reconstruction de l'armée malienne, il ne faut pas se faire d'illusion, se comptent en années.
Quant à la mission EUCAP, il est prématuré d'en faire le bilan deux ans seulement après son lancement. Toutefois, nous attirons dans notre rapport l'attention sur deux difficultés qu'elle devra surmonter. La première est le risque de dispersion liée au changement et à la multiplication des objectifs. En effet, en 2016, de nouveaux objectifs ont été assignés à la mission dont les activités de conseil doivent désormais viser au contrôle des migrations et à la lutte contre le terrorisme. Le défi d'EUCAP Sahel Mali sera donc de satisfaire à ces nouveaux objectifs tout en poursuivant les activités débutées en 2015, recruter et intégrer les spécialistes nécessaires.
Le deuxième problème, dont sont d'ailleurs pleinement conscients les responsables de la mission, est la difficulté de suivre les membres des forces de sécurité intérieure une fois ceux-ci formés et d'évaluer sur le terrain les effets de la formation. Parce que la gestion des ressources humaines est défaillante au niveau central, il est impossible aux membres d'EUCAP de savoir qui est où et, surtout s'ils sont en province, d'aller les trouver.
Dans ces conditions, nos soldats risquent fort de rester encore des années au Mali puisque, de l'avis général, incluant les autorités maliennes, la force Barkhane apporte une contribution essentielle à la sécurité et à la stabilité du Mali qui, sans elle, s'effondrerait très probablement. Le moins que puisse attendre la France – qui paie seule le prix du sang – de ses partenaires européens, c'est qu'ils contribuent à une force Barkhane qui est essentielle à la stabilité de la région du Sahel et, par conséquent, à la sécurité de l'Union européenne.