Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, mes chers collègues, je me réjouis d’intervenir aujourd’hui, en cette toute fin de législature, dans le cadre d’une démarche unitaire. Presque tous les groupes ont signé ce texte et ceux qui ne l’ont pas fait devraient nous assurer de leur soutien dans un instant.
C’est sans doute un symbole d’être réunis par les valeurs de la République, dans des moments où la société française n’a jamais été aussi divisée.
De quoi est-il question ? De la place de la science, aujourd’hui, dans notre République !
Science et République : les deux mots ont longtemps fonctionné comme deux images du progrès. D’un côté, les progrès des outils, de la médecine et des médicaments, des moyens de transport. De l’autre, ceux de la liberté individuelle, du suffrage universel, de la protection sociale. Ces deux volets du progrès ont cheminé de conserve durant près de deux siècles, depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu’à la fin des Trente Glorieuses.
Certes, le progrès n’a pas été aussi rapide pour tout le monde, les classes privilégiées en profitant souvent avant le plus grand nombre. Il n’était pas universel, le fossé entre les pays du Nord et ceux du Sud se réduisant très lentement, mais il était une promesse collective qui s’inscrivait dans l’imaginaire culturel de chacun.
J’évoquerai deux supports de cet imaginaire culturel : le roman et le musée. Le roman, comme illustration de la science et du progrès, c’est bien sûr Jules Verne, avec ces inventeurs et ingénieurs extraordinaires que sont le capitaine Nemo de Vingt Mille Lieues sous les mers ou Cyrus Smith de L’Île mystérieuse. Le musée viendra un peu plus tard, avec la création en 1937 du Palais de la découverte, sur une initiative de Jean Perrin, prix Nobel de physique en 1926 pour ses travaux sur l’atome. Universcience fête cette année le quatre-vingtième anniversaire du Palais de la découverte, après avoir célébré l’an dernier les trente ans de la Cité des sciences.
Dans les deux cas, le ressort est le même : l’émerveillement. Cet émerveillement a suscité nombre de vocations scientifiques, et chaque chercheur, chaque ingénieur, a son histoire personnelle de cette première rencontre avec la science. Cet émerveillement reste le moteur essentiel de la culture scientifique, technique et industrielle, sur laquelle l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques – l’OPECST – a rendu un rapport, rédigé par Maud Olivier et Jean-Pierre Leleux en 2014.
Pourtant, il faut bien le reconnaître, les temps ont changé pour les sciences, dont la place régresse dans nos sociétés, que ce soit dans les médias ou à l’école, mais aussi au sein même de nos institutions.
On pourrait même parler d’une défiance d’en haut et d’une défiance d’en bas. En haut, c’est, plus que la défiance, le désintérêt qui prévaut chez les décideurs, pour qui la science n’apparaît pas comme une priorité, qui voient le chercheur comme le professeur Tournesol, ce qui se ressent au niveau du budget des sciences et des technologies, souvent à la traîne.
En bas, au niveau du citoyen, la défiance prend sa source dans la confusion de plus en plus marquée entre ce qui relève de la science et de son application, ou encore des savoirs issus d’une démarche scientifique rigoureuse, et des croyances ou de la désinformation. La parole scientifique devient une simple opinion parmi d’autres. Cette dévalorisation fragilise le socle de nos valeurs républicaines et menace notre démocratie.
À la défiance d’en haut, nous pourrions opposer que l’enseignement supérieur et la recherche, si elles constituent une dépense aujourd’hui, représentent un investissement pour demain. Un seul exemple suffit : selon une étude de l’Observatoire français de conjoncture économique, l’OFCE, une augmentation de 1 milliard par an pendant cinq ans des dépenses dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche, ainsi que dans l’innovation, pourrait se traduire, dans trente ans, par une hausse de dix points du PIB, soit un impact de 200 milliards d’euros. Il est intéressant de comparer ce chiffre au déficit actuel du commerce extérieur qui s’élève à 48 milliards d’euros. Député du bassin minier lorrain, j’ai l’intime conviction que les mines du XXIe siècle seront des mines de matière grise.
À la défiance d’en bas, celle du citoyen, nous devons opposer notre mode de vie d’aujourd’hui, héritage d’un investissement de longue date dans le progrès technique. Ne voyons pas dans la science un ennemi de la nature mais au contraire sa meilleure amie : la transition énergétique est un appel à l’innovation pour continuer à bien vivre sur notre planète tout en protégeant l’environnement, la biodiversité et en luttant contre le changement climatique. Une réunion de l’OPECST avant la COP21 a montré que nous ne réaliserons pas nos objectifs sans rupture technologique. Pour ce faire, il faut absolument encourager la recherche et l’innovation.
C’est pourquoi nous avons décidé de porter cette résolution qui nous appelle à avoir foi dans le progrès. Au progrès a longtemps été associé le qualificatif de progressiste. Comment peut-on admettre que la rationalité et l’objectivité, héritages de la société des Lumières, soient placées par certains au même plan que le créationnisme ou la philosophie du relativisme, pour lesquels il n’y aurait que des interprétations ?
Certains conservateurs imposent leurs vues à force d’amalgames, d’anathèmes, voire d’actions violentes comme celle qui a eu lieu à Bure, dans la Meuse, ce week-end. Le progrès doit être maîtrisé, bien sûr, mais il doit aussi être partagé, car l’innovation reste un service offert à la société.
Monsieur le secrétaire d’État, nous avons formulé des propositions communes dans cette résolution pour renforcer l’enseignement scientifique depuis l’école jusqu’au lycée afin que les jeunes générations fassent la distinction entre les savoirs établis et les opinions sans fondement. Nous demandons que le débat public soit organisé, que la culture scientifique, technique et industrielle diffuse, que la décision politique s’appuie sur les savoirs mais aussi sur le dialogue entre l’expert, le scientifique et le citoyen, qu’une évaluation scientifique et technologique soit menée en amont de la législation.
Bertrand Russell, mathématicien, philosophe, prix Nobel de littérature, disait : « La science n’a jamais tout à fait raison, mais elle a rarement tout à fait tort et, en général, elle a plus de chance d’avoir raison que les théories non scientifiques. Il est donc rationnel de l’accepter à titre d’hypothèse. » Par cette résolution au titre de l’article 34-1, nous souhaitons interpeller le Gouvernement, et rétablir la confiance, car, plus que jamais, la République a besoin de savants, de docteurs, de chercheurs et d’ingénieurs.
Le 22/02/2017 à 21:20, Laïc1 a dit :
"La parole scientifique devient une simple opinion parmi d’autres. "
Et après M. va citer Russell, qui dit que la science doit être admise comme une hypothèse comme une autre, autrement dit une opinion, bonjour la cohérence. Pas très scientifique tout ça.
Le 22/02/2017 à 21:06, Laïc1 a dit :
"Pourtant, il faut bien le reconnaître, les temps ont changé pour les sciences, dont la place régresse dans nos sociétés, que ce soit dans les médias ou à l’école, mais aussi au sein même de nos institutions."
Je ne sais pas dans quelle société vit M. Le Déaut, mais on peut au contraire constater que la science n'a jamais été autant présente : les technologies sont partout, tout le monde à son smartphone, produit hautement scientifique, jusque sur les bancs de l'assemblée nationale, où l'on voit les députés et les ministres s'acharner sur leur téléphone portable tandis que leurs collègues s'expriment; les ordinateurs portables et la wifi sont partout, tout est "scientifisé" à l'extrême, et l'on se plaint que la science est en régression ? De qui ou de quoi se moque-t-on ?
A l'école, pour réussir, il faut être le premier en maths et physiques, les seuls bons en lettre sont relégués comme étant des demi-cancres, la réussite est scientifique, et exclusivement scientifique, alors prétendre que la science régresse relève d'un sérieux manque de réalisme.
Il est possible que certains religieux remettent en cause certaines avancées de la science au nom de leurs saintes croyances, mais ne faisons pas de quelques cas particuliers une généralité, et isolons le mal "scientifiquement" plutôt que d'accuser à tout va et de dénoncer un déclin généralisé de la science.
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