La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
L’ordre du jour appelle la discussion, en application de l’article 34-1 de la Constitution, des propositions de résolution de M. Jean-Yves Le Déaut, de M. Bernard Accoyer, et de Mme Dominique Orliac et de plusieurs de leurs collègues sur les sciences et le progrès dans la République (nos 4417, 4421, 4422 rectifié).
La conférence des présidents a décidé que les trois textes donneraient lieu à une discussion générale commune.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, mes chers collègues, je me réjouis d’intervenir aujourd’hui, en cette toute fin de législature, dans le cadre d’une démarche unitaire. Presque tous les groupes ont signé ce texte et ceux qui ne l’ont pas fait devraient nous assurer de leur soutien dans un instant.
C’est sans doute un symbole d’être réunis par les valeurs de la République, dans des moments où la société française n’a jamais été aussi divisée.
De quoi est-il question ? De la place de la science, aujourd’hui, dans notre République !
Science et République : les deux mots ont longtemps fonctionné comme deux images du progrès. D’un côté, les progrès des outils, de la médecine et des médicaments, des moyens de transport. De l’autre, ceux de la liberté individuelle, du suffrage universel, de la protection sociale. Ces deux volets du progrès ont cheminé de conserve durant près de deux siècles, depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu’à la fin des Trente Glorieuses.
Certes, le progrès n’a pas été aussi rapide pour tout le monde, les classes privilégiées en profitant souvent avant le plus grand nombre. Il n’était pas universel, le fossé entre les pays du Nord et ceux du Sud se réduisant très lentement, mais il était une promesse collective qui s’inscrivait dans l’imaginaire culturel de chacun.
J’évoquerai deux supports de cet imaginaire culturel : le roman et le musée. Le roman, comme illustration de la science et du progrès, c’est bien sûr Jules Verne, avec ces inventeurs et ingénieurs extraordinaires que sont le capitaine Nemo de Vingt Mille Lieues sous les mers ou Cyrus Smith de L’Île mystérieuse. Le musée viendra un peu plus tard, avec la création en 1937 du Palais de la découverte, sur une initiative de Jean Perrin, prix Nobel de physique en 1926 pour ses travaux sur l’atome. Universcience fête cette année le quatre-vingtième anniversaire du Palais de la découverte, après avoir célébré l’an dernier les trente ans de la Cité des sciences.
Dans les deux cas, le ressort est le même : l’émerveillement. Cet émerveillement a suscité nombre de vocations scientifiques, et chaque chercheur, chaque ingénieur, a son histoire personnelle de cette première rencontre avec la science. Cet émerveillement reste le moteur essentiel de la culture scientifique, technique et industrielle, sur laquelle l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques – l’OPECST – a rendu un rapport, rédigé par Maud Olivier et Jean-Pierre Leleux en 2014.
Pourtant, il faut bien le reconnaître, les temps ont changé pour les sciences, dont la place régresse dans nos sociétés, que ce soit dans les médias ou à l’école, mais aussi au sein même de nos institutions.
On pourrait même parler d’une défiance d’en haut et d’une défiance d’en bas. En haut, c’est, plus que la défiance, le désintérêt qui prévaut chez les décideurs, pour qui la science n’apparaît pas comme une priorité, qui voient le chercheur comme le professeur Tournesol, ce qui se ressent au niveau du budget des sciences et des technologies, souvent à la traîne.
En bas, au niveau du citoyen, la défiance prend sa source dans la confusion de plus en plus marquée entre ce qui relève de la science et de son application, ou encore des savoirs issus d’une démarche scientifique rigoureuse, et des croyances ou de la désinformation. La parole scientifique devient une simple opinion parmi d’autres. Cette dévalorisation fragilise le socle de nos valeurs républicaines et menace notre démocratie.
À la défiance d’en haut, nous pourrions opposer que l’enseignement supérieur et la recherche, si elles constituent une dépense aujourd’hui, représentent un investissement pour demain. Un seul exemple suffit : selon une étude de l’Observatoire français de conjoncture économique, l’OFCE, une augmentation de 1 milliard par an pendant cinq ans des dépenses dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche, ainsi que dans l’innovation, pourrait se traduire, dans trente ans, par une hausse de dix points du PIB, soit un impact de 200 milliards d’euros. Il est intéressant de comparer ce chiffre au déficit actuel du commerce extérieur qui s’élève à 48 milliards d’euros. Député du bassin minier lorrain, j’ai l’intime conviction que les mines du XXIe siècle seront des mines de matière grise.
À la défiance d’en bas, celle du citoyen, nous devons opposer notre mode de vie d’aujourd’hui, héritage d’un investissement de longue date dans le progrès technique. Ne voyons pas dans la science un ennemi de la nature mais au contraire sa meilleure amie : la transition énergétique est un appel à l’innovation pour continuer à bien vivre sur notre planète tout en protégeant l’environnement, la biodiversité et en luttant contre le changement climatique. Une réunion de l’OPECST avant la COP21 a montré que nous ne réaliserons pas nos objectifs sans rupture technologique. Pour ce faire, il faut absolument encourager la recherche et l’innovation.
C’est pourquoi nous avons décidé de porter cette résolution qui nous appelle à avoir foi dans le progrès. Au progrès a longtemps été associé le qualificatif de progressiste. Comment peut-on admettre que la rationalité et l’objectivité, héritages de la société des Lumières, soient placées par certains au même plan que le créationnisme ou la philosophie du relativisme, pour lesquels il n’y aurait que des interprétations ?
Certains conservateurs imposent leurs vues à force d’amalgames, d’anathèmes, voire d’actions violentes comme celle qui a eu lieu à Bure, dans la Meuse, ce week-end. Le progrès doit être maîtrisé, bien sûr, mais il doit aussi être partagé, car l’innovation reste un service offert à la société.
Monsieur le secrétaire d’État, nous avons formulé des propositions communes dans cette résolution pour renforcer l’enseignement scientifique depuis l’école jusqu’au lycée afin que les jeunes générations fassent la distinction entre les savoirs établis et les opinions sans fondement. Nous demandons que le débat public soit organisé, que la culture scientifique, technique et industrielle diffuse, que la décision politique s’appuie sur les savoirs mais aussi sur le dialogue entre l’expert, le scientifique et le citoyen, qu’une évaluation scientifique et technologique soit menée en amont de la législation.
Bertrand Russell, mathématicien, philosophe, prix Nobel de littérature, disait : « La science n’a jamais tout à fait raison, mais elle a rarement tout à fait tort et, en général, elle a plus de chance d’avoir raison que les théories non scientifiques. Il est donc rationnel de l’accepter à titre d’hypothèse. » Par cette résolution au titre de l’article 34-1, nous souhaitons interpeller le Gouvernement, et rétablir la confiance, car, plus que jamais, la République a besoin de savants, de docteurs, de chercheurs et d’ingénieurs.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, du progrès de la science et de nos connaissances, aux fondements mêmes de notre civilisation et de notre histoire républicaine, dépend l’avenir de l’humanité. Telle est la conviction qui sous-tend la proposition de résolution préparée avec Jean-Yves Le Déaut, président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, et plusieurs de nos collègues de sensibilités différentes, que je salue.
Par cette proposition, élaborée avec le concours actif de scientifiques issus de nombreuses disciplines, que je tiens à remercier, nous avons voulu que, à travers la représentation nationale, notre République réaffirme sa foi dans le progrès scientifique, qui a été et reste le principal facteur de progrès économique, sanitaire, social et environnemental. C’est la recherche scientifique qui déterminera l’avenir de la France, comme celui du monde. Et il n’y a pas, pour nous, de plus grande et plus belle aventure que celle des progrès de l’esprit humain.
Mais cette conviction se heurte aujourd’hui à une inquiétude grandissante : les Français semblent de plus en plus rétifs au savoir scientifique. Nous vivons une époque paradoxale. Alors même que le monde a davantage progressé scientifiquement, techniquement, au cours des cinquante dernières années que depuis le début de l’histoire, nous assistons, dans un certain nombre de domaines, à une montée irraisonnée des peurs les plus diverses, dont résulte la tentation grave de l’abstention, de l’immobilisme, de la passivité. « Ne pas », « ne plus » seraient les devises des tenants de ces nouvelles peurs, comme s’il ne s’agissait pas, au contraire, et depuis la nuit des temps, d’écarter la peur, de repousser l’ignorance pour comprendre, construire, et avancer.
L’opinion publique retient des crises sanitaires, voire des scandales, que, loin d’être systématiquement bénéfique, le progrès peut s’avérer dangereux, voire mortel. La science et la technologie perdent de leur crédibilité et de la confiance dont elles bénéficiaient.
Inquiètes, nos sociétés considèrent les bienfaits du progrès comme un dû et n’en supportent plus les risques ou les imperfections. Le statut et l’autorité des scientifiques ont été remis en cause.
Pourtant, grâce aux acquis de la science, l’homme n’a jamais vécu aussi bien et aussi longtemps. L’évidence est là : le progrès scientifique est source d’avancées pour l’ensemble de la société – pour la santé, pour la qualité de vie, pour le développement durable.
C’est bien par le progrès scientifique, technologique et technique que nous préparerons l’avenir de la France, une France innovante, confiante dans ses atouts, qui refuse le repli sur elle-même, une France scientifique dont nous ne saluons pas assez la reconnaissance et les succès internationaux dont elle bénéficie.
Ainsi, treize de nos compatriotes ont été récompensés par le prix Nobel de physique, dont je veux citer les plus récents : Albert Fert en 2007 et Serge Haroche en 2012. Neuf d’entre eux ont été récompensés par le prix Nobel de chimie, dont Yves Chauvin en 2005 et Jean-Pierre Sauvage en 2016. Treize de nos compatriotes ont reçu le prix Nobel de médecine, dont Françoise Barré-Sinoussi, qui était venue dans cet hémicycle, et Luc Montagnier en 2008, ou Jules Hoffmann en 2011, que nous avons également eu l’honneur de recevoir en ces murs. Treize de nos compatriotes ont été récompensés par la médaille Fields, dont Wendelin Werner en 2006, Ngô Bo Châu et Cédric Villani en 2010, et Artur Avila en 2014.
Ces récompenses internationales, qui sont notre fierté, démentent le déclinisme ambiant. Notre pays a besoin de cette culture du savoir pour mener à bien des projets de plus en plus complexes, audacieux et innovants, pour que nos entreprises tiennent le premier rang sur la scène internationale et créent les emplois de demain.
Au-delà, et plus que jamais en ces temps de scepticisme, de relativisme, de défaitisme, nous avons besoin de citoyens pour qui la culture scientifique est aussi indispensable qu’elle l’était à l’ « honnête homme » du XVIIIe siècle. Pasteur, déjà, recevant Napoléon III dans les locaux de la Sorbonne, lançait cet appel d’une grande lucidité : « Prenez intérêt, je vous en conjure, à ces demeures sacrées que l’on désigne du nom expressif de laboratoires. Demandez qu’on les multiplie et qu’on les orne : ce sont les temples de l’avenir, de la richesse, du bien-être. »
Voilà pourquoi nous souhaitons rappeler que la science a été et demeure le vecteur essentiel de l’innovation, la dimension centrale du développement de l’économie et de l’emploi dans les sociétés développées contemporaines.
Elle constitue également un bien commun, ce que souligne l’UNESCO, en ouvrant les perspectives culturelles des citoyens à la recherche d’une meilleure compréhension du monde.
Les scientifiques et les politiques ont en partage le souci du bien commun et de l’intérêt général. Il y a en effet des valeurs communes à la recherche, aux sciences et à la démocratie. Il y a une éthique de la science, principe résumé magistralement par Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »
Ce n’est peut-être pas un hasard si tant de scientifiques et de mathématiciens renommés sont devenus des parlementaires : Condorcet, Lacépède, Daubenton, Chaptal, Raspail, Marcelin Berthelot, Émile Borel, Paul Painlevé ou, plus près de nous, Jean-Michel Dubernard.
Le pouvoir et le savoir ne doivent pas rester étrangers l’un à l’autre. L’un ne peut se passer de l’autre, c’est une exigence stratégique. L’échange entre pouvoir et savoir permet la synthèse de nouveaux enjeux de progrès en tous domaines.
Replacer la science au coeur de la société, au coeur de la décision, favoriser le rapprochement entre les responsables politiques et les scientifiques, placer davantage d’ingénieurs et de scientifiques aux côtés des responsables publics : tout cela me paraît indispensable.
Hommes politiques et hommes de science ont en commun de préparer l’avenir. Ils doivent avoir en partage une vision de long terme. Ils peuvent, ensemble, transformer le monde. Voilà pourquoi nous proposons que les travaux et les recommandations des académies soient davantage suivis, tant dans les domaines de l’enseignement que dans ceux de la décision politique, et que celles-ci devraient avoir pour mission d’émettre des avis sur les propositions du Gouvernement en matière scientifique et technologique.
Poser la question du rôle des sciences dans la société, c’est surtout poser celle de la formation, de la place des enseignements scientifiques dans notre système éducatif. C’est pourquoi mes collègues et moi-même suggérons que l’initiation aux sciences à l’école élémentaire soit considérablement renforcée pour davantage sensibiliser les jeunes élèves à la démarche scientifique ; que le Gouvernement veille à la qualité des enseignements scientifiques dispensés au collège et au lycée, car les évolutions récentes sont inquiétantes ; qu’il encourage une plus grande interaction entre enseignements en sciences technologiques et sciences humaines dès les classes de lycée, ainsi que dans la suite de tous les cursus scientifiques ; qu’il étoffe la partie du programme de philosophie consacrée aux sciences et à l’épistémologie au lycée et dans l’enseignement supérieur scientifique.
Lutter contre l’ignorance, contre la désinformation, faire en sorte que la voix des scientifiques porte davantage au sein de notre société, c’est, à mon sens, une impérieuse nécessité. Dans ce domaine, les gouvernements doivent jouer un rôle fondamental pour favoriser l’accès aux connaissances scientifiques. C’est pourquoi nous suggérons que les chaînes de télévision et les stations de radio du service public renforcent leur offre d’émissions scientifiques, d’ailleurs prévue par leur cahier des charges, en particulier aux heures de plus grande écoute, et s’efforcent d’en faire de véritables espaces de savoir en veillant notamment à y donner la parole aux membres de la communauté scientifique.
Nous invitons également les gouvernements à réfléchir à des techniques pédagogiques fondées sur l’usage raisonné des technologies numériques, en particulier à l’apprentissage du tri de l’information afin de faciliter la distinction entre des savoirs établis et des opinions sans fondement scientifique. Car c’est bien la confusion, voire la priorité de l’opinion sur le savoir, qui constitue le coeur du problème auquel nous sommes confrontés sous la pression du relativisme et du postmodernisme.
Enfin, ce meilleur accès à la science que nous appelons de nos voeux doit engendrer une meilleure acceptabilité des risques raisonnables. Nous souhaitons inviter le Gouvernement à mettre en avant des stratégies de communication et de débat avec les citoyens qui soient adaptés à l’évaluation et à la gestion des risques technologiques.
L’enjeu principal de l’expertise scientifique et technique consiste à fournir une évaluation en amont de la prise de décision politique. Il convient donc de développer des procédures d’examen propres à éclairer les débats sociétaux.
La mise en cause a priori des experts et le « précautionnisme » qui freine la recherche et le développement interdisent les sauts technologiques, qui sont pourtant à l’origine des plus grands progrès.
Quant à nous, parlementaires, sollicitons davantage les académies et l’OPECST, cet outil dont nous disposons et dont les travaux remarquables, cher président Le Déaut, sont, hélas, souvent plus appréciés au-delà des murs de l’Assemblée nationale que dans notre hémicycle et au sein du Gouvernement.
Chers collègues, pour nous qui avons assimilé la foi de Pascal, la méthode de Descartes, la sagesse de Montaigne, l’esprit de Voltaire, sans oublier le positivisme d’Auguste Comte et de Saint-Simon, rien ne serait plus normal que de renouer avec la rationalité. Je pense même que c’est une exigence pour contrer certains mouvements aux relents d’obscurantisme inquisitorial.
Nos compatriotes sont parmi les plus créatifs, les plus inventifs, les plus imaginatifs. Notre pays investit beaucoup dans leur formation initiale, mais ne récolte pas suffisamment les fruits de cet investissement, malheureusement souvent par indifférence à l’égard de nos chercheurs et de nos inventeurs. Certes, des progrès ont été faits, mais beaucoup reste à faire.
La France doit renouer avec sa tradition séculaire de confiance dans les sciences et le progrès. Tel est le sens de la résolution que nous vous proposons d’adopter et que je vous ai présentée avec l’émotion de celui qui croit avant tout à des sciences et à un progrès au service de l’humanité.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui amenés à examiner l’un des derniers textes de la législature. Les propositions de résolution sur lesquelles nous allons nous prononcer dans quelques instants sont l’oeuvre de plusieurs de nos collègues, issus de groupes parlementaires différents.
Cette démarche est louable. De chaque côté de l’hémicycle, on reconnaît ainsi l’impérieuse nécessité de rappeler le rôle et la place essentielle des sciences dans notre société. Elles ont aujourd’hui la capacité de nous aider à relever les défis auxquels le monde est confronté et c’est aux pouvoirs publics d’accompagner la recherche et l’innovation.
Les crises que traversent le monde et la diffusion accrue d’informations scientifiques fausses, incomplètes, tronquées, notamment par le biais d’internet, ont contribué à dégrader l’image de la science dans l’opinion et à faire reculer la démarche et la culture scientifique au sein de l’Hexagone.
Pourtant, c’est la recherche, et avec elle l’ensemble de ces hommes et de ces femmes dévoués à leur mission, qui ont permis aux sociétés d’avancer et d’évoluer au fil des siècles. À quoi ressemblerait notre mode de vie sans les découvertes techniques et scientifiques du XIXe siècle ? Elles ont contribué à faire évoluer nos moyens de production, nos façons de nous déplacer et de nous soigner.
La France a de tout temps occupé une place à part dans la recherche scientifique mondiale. De nombreux progrès sont liés à de grands inventeurs français : Louis Pasteur, Marie Curie et tant d’autres qui ont un jour contribué à faire rayonner la France et à marquer l’histoire du monde à jamais.
Pourtant, depuis plusieurs décennies, la recherche française décroche et est victime d’une image que l’on peut qualifier, je le regrette, de dégradée. En 2014, notre pays se situait certes au huitième rang mondial pour le nombre de chercheurs, mais très loin derrière la Chine, les États-Unis ou le Japon. La question de la fuite des « cerveaux français » vers l’étranger, notamment les États-Unis, est récurrente. Si la portée de ces départs est difficile à mesurer, la faiblesse des moyens matériels et des rémunérations renforcent peut-être ce phénomène.
À bien des égards, pourtant, la recherche française doit être un atout considérable, vecteur d’innovation et de progrès. Il est donc indispensable de réaffirmer sa place dans notre République. Ces propositions de résolution sont un moyen d’alerter le Gouvernement et l’ensemble de la classe politique sur cette question, même si c’est un peu tard dans la mesure où nous arrivons au terme de la législature.
Les propositions de résolution mettent également en lumière l’insuffisance de l’enseignement des sciences dans les programmes scolaires et, plus généralement, le manque de culture scientifique dans notre pays. Elles invitent ainsi le Gouvernement à prendre des mesures dans ce domaine, notamment en étoffant le programme de philosophie consacrée aux sciences, à mieux veiller à la qualité de cet enseignement au collège et au lycée, à augmenter le volume horaire au sein de l’école élémentaire.
Ce renforcement de la démarche scientifique de nos concitoyens passe également par la diffusion de programmes à vocation scientifique, en particulier sur les chaînes du service audiovisuel public, ce qui, comme l’a rappelé avec talent l’orateur précédent, est déjà prévu dans le cahier des charges qui unit ces chaînes à l’État.
Enfin, ces textes visent à engager une meilleure prise en compte de la communauté scientifique par les autorités politiques dans le processus de prise de décision. Notre pays compte un nombre important d’organes scientifiques et nos assemblées travaillent également sur ces sujets depuis 1983 à travers l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, dont il faut ici saluer le travail.
Il convient à l’avenir de mieux associer l’ensemble des parties prenantes dans le suivi des politiques publiques.
Essentielles pour comprendre l’univers dans lequel nous vivons et pour améliorer nos conditions de vie, les sciences sont un instrument primordial pour le développement économique d’un pays. Bien que la stabilisation au cours du quinquennat des crédits destinés à la recherche et à l’innovation constitue un signal incontestablement positif, la France connaît un retard grandissant par rapport à ses partenaires étrangers et nous attendions plus d’ambition de la part du Gouvernement. Il conviendra, durant le prochain quinquennat, de hisser la recherche scientifique au rang de priorité nationale.
Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants est conscient du rôle essentiel des sciences au sein de notre République. Nous sommes particulièrement inquiets de constater qu’une défiance envers les informations et les institutions scientifiques s’installe dans notre pays. Elles sont pourtant un bien commun qui mérite d’avoir toute sa place dans notre société.
Ainsi, ces propositions de résolution visent à interpeller le Gouvernement sur la nécessité de renforcer l’enseignement des sciences au sein de nos écoles, d’améliorer le dialogue entre instances scientifiques et politiques, et de réaffirmer le rôle essentiel de la science pour l’innovation.
Cette démarche transpartisane est très révélatrice de l’urgence qu’il y a à réagir et à agir : le groupe de l’Union des démocrates et indépendants s’y associera en votant ces trois propositions de résolution.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, nous étudions aujourd’hui des propositions de résolution sur la place des sciences et du progrès dans notre République. Elles ont été déposées par trois groupes parlementaires : le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, le groupe socialiste, écologiste et républicain, et le groupe Les Républicains. Autant dire que le sujet semble faire consensus sur les bancs de l’Assemblée nationale.
La proposition de résolution, que j’ai déposée avec plusieurs de mes collègues du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, vise à redonner à la science toute la place qu’elle est censée occuper au sein de notre République. Effectivement, on constate aujourd’hui un climat de défiance croissant vis-à-vis des institutions scientifiques et des savants.
On l’a vu tout au long de la législature lors des débats qui ont animé de grands sujets de société ou soulevé des questions de bioéthique : la procréation médicalement assistée, la gestation pour autrui, la fin de vie dans la dignité, le clonage ou la recherche sur les cellules-souches embryonnaires, pour ne citer que quelques thèmes. Force est de constater que les opposants à l’interruption volontaire de grossesse auraient aimé imposer un statut à l’embryon, interdisant ainsi le recours à l’IVG, au mépris des règles et définitions acquises par la communauté scientifique.
Il n’y a pas lieu d’ouvrir ici et maintenant un débat sur ces sujets de société, mais souvent l’émotionnel prend le pas sur le rationnel. C’est dans le sens du rationnel, du scientifique, qu’allait la proposition de loi que le groupe des radicaux de gauche et apparentés avait portée en début de cette XIVe législature, et qui visait à autoriser la recherche sur les embryons et les cellules-souches embryonnaires.
Il s’agissait aussi de lever l’hypocrisie d’un régime qui, en pratique, autorisait la recherche, tout en la stigmatisant. En 2010 déjà, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques avait fait valoir qu’il n’était pas pertinent de prôner un interdit tout en organisant les conditions de sa transgression. Désormais, l’Agence de la biomédecine octroie les autorisations de recherche au cas par cas.
Alors qu’on nous prédisait la fin du monde, force est aussi de constater que les scientifiques ont désormais les mains et poings moins liés, qu’ils peuvent mener à bien leurs recherches et que la médecine peut progresser dans ce domaine. La proposition de résolution vient ancrer encore un peu plus l’importance du champ scientifique dans nos institutions.
C’est un signal d’autant plus fort que, outre Atlantique, l’invocation au plus haut niveau de l’État de « faits alternatifs », tant au sujet du maquillage d’événements d’actualité que de recherches scientifiques, fait désormais son chemin.
La question de l’utilité des vaccins ou de l’impact des ondes wifi sur l’organisme mettent en lumière des interrogations, certes légitimes, de nos concitoyens. Plus récemment encore, la mise en service du nouveau compteur d’électricité d’Enedis Linky a soulevé nombre d’interrogations chez les futurs usagers. Mais le rôle d’évaluation de son impact sur la santé revient bel et bien aux scientifiques.
Certes, il faut prendre en compte les nouvelles technologies. Dans notre monde du XXIe siècle, elles permettent de changer la donne pour relever pratiquement tous les défis mondiaux les plus urgents. Dès lors, pour chaque nouveau moyen utilisé, il faut veiller à ce que les scientifiques puissent prendre toute leur place dans l’élaboration de recommandations dont le législateur pourrait s’inspirer.
La proposition de résolution vient confirmer et renforcer la place que les scientifiques et les savants doivent occuper réellement au sein de nos institutions.
Pour ce faire, nous proposons de rappeler que la science est un vecteur essentiel de l’innovation. La discussion des divers projets de loi de financement de la sécurité sociale de la législature m’a permis d’évoquer régulièrement l’innovation scientifique en pharmacologie, mais en tant que présidente du groupe d’étude « Maladies rares », j’ai été confrontée, tout au long des auditions menées pendant cinq ans, au manque de moyens financiers dont souffre la recherche scientifique dans ce domaine thérapeutique.
Nous proposons également de donner une place importante à l’initiation aux sciences, et ce à tous les niveaux et échelons de la formation scolaire. Ainsi, nous estimons plus qu’utile que les plus jeunes élèves soient sensibilisés à la démarche scientifique pour qu’ils puissent acquérir des outils qui leur permettront de se forger une opinion non sur l’émotionnel, mais bel et bien sur le rationnel.
Je tiens aussi à mentionner le rôle des associations. J’en citerai une : dans ma circonscription, Carrefour des sciences et des arts met la culture scientifique à la portée de chacun, enfant ou adulte.
La proposition de résolution tend également à donner une place plus large à l’enseignement scientifique tant au collège qu’au lycée en renforçant la qualité de l’enseignement des matières scientifiques. Mais, si les sciences doivent prendre une place importante dans les cursus scolaires, nous n’oublions pas non plus la philosophie consacrée aux sciences et à l’épistémologie dans les classes de lycée ainsi que dans l’enseignement supérieur.
Au sujet des institutions scientifiques, nous proposons que l’Académie des sciences, l’Académie des technologies et l’Académie des sciences morales et politiques prennent toute leur place dans les cursus scientifiques comprenant les enseignements en sciences technologiques et en sciences humaines dispensés dans les lycées. Inversement, il est souhaitable que les étudiants puissent mieux interagir avec ces académies scientifiques.
En outre, il nous semble plus qu’important d’associer les citoyens aux travaux scientifiques. En effet, de plus en plus de sujets sont remis en cause à travers de nouveaux canaux de communication, notamment les réseaux sociaux. Loin de moi l’idée de jeter la pierre à ces réseaux, qui font désormais partie de la vie de tous les jours pour nombre de nos concitoyens et sont un vecteur de propagation de l’information qui n’est pas négligeable. Mais il faut constater que toutes les informations qu’ils véhiculent ne sont pas toujours réelles, justes ni vérifiées. Récemment, la société Facebook ne s’y est pas trompée : il sera bientôt possible de vérifier si une information transmise est réelle ou s’il s’agit d’une simple rumeur.
Souvent, les réseaux sociaux s’appuient également sur les médias. Ces derniers ont un rôle essentiel dans la communication et la transmission de l’information. Il existe des chaînes thématiques scientifiques. Sur l’ADSL partout en France et sur le Canal 31 de la Télévision numérique terrestre en Île-de-France, la chaîne Cinaps TV diffuse un programme fondé sur la connaissance et le savoir, qui donne notamment la parole aux scientifiques, philosophes, artistes, universitaires ou politiques. La chaîne de télévision Sciences et Vie TV, d’AB Groupe, diffuse également un programme thématique uniquement fondé sur les sciences, en collaboration avec le journal Sciences et Vie.
Cependant, la parole scientifique n’occupe pas la place qui devrait être la sienne sur les chaînes de télévision et les stations de radio du service public. La proposition de résolution veille donc à encourager la diffusion d’émissions scientifiques aux heures de grande écoute sur le service radiophonique ou télévisuel du service public, notamment en donnant la parole aux membres de la communauté scientifique.
Enfin, il nous semble utile de redonner une place plus importante aux rapports et études de l’OPECST dans l’élaboration et le suivi des politiques qui impliquent la science ou ses applications.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à voter les propositions de résolution, afin de permettre à la science de retrouver toute sa place au sein de nos institutions républicaines, et de faire en sorte que science et progrès soient au service de l’humanité.
Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, nous sommes aujourd’hui conviés à l’examen de propositions de résolution déposées par des parlementaires issus de plusieurs groupes. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine n’a cependant pas souhaité s’y associer, et je crois utile d’éclairer notre assemblée sur les raisons pour lesquelles ce texte a fait débat au sein de notre groupe.
Nous partageons bien entendu nombre de ses constats. Il est vrai que la science est de plus en plus contestée et que l’opinion publique est de plus en plus perméable aux discours irrationnels entraînant un déficit d’image publique de la recherche scientifique. La distinction entre science et opinion s’efface au profit d’une forme de scepticisme généralisé.
Il est vrai que, avec internet et les réseaux sociaux, nos concitoyens se trouvent désormais soumis à un flux ininterrompu d’informations diffusées en vrac, dans la plus grande confusion. Cela ne facilite certes pas le travail de discernement ni le tri des informations pertinentes.
La parole scientifique n’est pas seule à en faire les frais. Toute parole est aujourd’hui dévaluée. Nous pourrions dire avec le philosophe Jacques Ellul, que « nous vivons dans un déluge de nouvelles, dans une explosion verbale ininterrompue. Tout parle tout le temps à tout le monde, et rien ne se dit. Dans ce flot sonore qui nous assaille et qui est fait de répétitions indéfinies, de curiosités vaines, de vide intérieur et intellectuel, aucune parole ne peut plus être vraiment parole. »
Dans ce contexte, il est effectivement indispensable et urgent d’apprendre, notamment aux plus jeunes, à écouter plutôt qu’à entendre, à raisonner, à argumenter et à exercer leur esprit critique. Il faut également les doter d’outils propres à leur permettre de distinguer et de hiérarchiser les savoirs, pour se prémunir contre toute forme d’endoctrinement et de sujétion idéologique.
À cette fin, il est évidemment crucial que tout un chacun puisse avoir accès à l’éventail le plus large possible de connaissances afin de disposer d’un cadre de compréhension du monde, d’être capable de peser la validité d’un raisonnement et de former son jugement. C’est une condition essentielle à l’exercice de la démocratie.
Il n’est pas douteux que l’enseignement des sciences a une place importante à jouer dans la formation du citoyen, ne serait-ce que parce que la science est porteuse de valeurs liées notamment à la connaissance elle-même, aux règles que les scientifiques se sont données : la non-contradiction, l’économie de pensée, l’adéquation de la théorie et de l’expérience.
Outre la diffusion des résultats et des méthodes scientifiques, il est indispensable de développer la recherche scientifique. Nous partageons là aussi le constat énoncé dans les considérants du texte. Les gouvernements successifs n’ont pas su consacrer les moyens budgétaires nécessaires à la recherche et à la diffusion des connaissances scientifiques.
Nous avons nous-mêmes appelé tout au long de cette législature à desserrer l’étau de l’austérité qui pénalise nos établissements universitaires et les organismes publics de recherche : précarité tous azimuts, emploi scientifique en berne, budgets des établissements universitaires en déficit, étudiants aux prises avec des difficultés économiques. Nous pourrions évoquer encore le temps perdu par tant de chercheurs à rechercher des financements.
Cette mise en déshérence du système public de recherche et d’enseignement supérieur place de fait notre pays dans une situation dangereuse pour l’avenir. Nous sommes encore trop loin des 3,5 milliards d’euros de budget, dont la communauté universitaire estime qu’ils permettraient de faire face aux défis de la connaissance et de la recherche. Et le secteur continue de détenir le triste record du taux le plus élevé de précarité dans la fonction publique.
En dépit de ces constats partagés, nous avons néanmoins le sentiment – je le dis au risque de vous choquer, chers collègues – que le texte que vous nous proposez est marqué par un excès de scientisme. Certes, vous vous en défendez en soulignant qu’il ne s’agit pas de verser dans un scientisme béat ou dans une croyance aveugle à l’innocuité des technologies. Les références appuyées à la philosophie des Lumières, dont vous souhaitez retrouver l’optimisme, et au développement de la modernité industrielle du XIXe siècle, font l’impasse sur le XXe siècle.
Or il n’est pas possible d’occulter les douloureuses expériences du XXe siècle, qui nourrissent encore aujourd’hui la suspicion quant aux vertus du progrès scientifique et technologique – même si chacun peut, bien évidemment, en mesurer aussi les bienfaits.
Les difficultés et contradictions nées des usages de la science et du développement technologique ont été habilement résumées par l’écrivain britannique Chesterton : « Quand nous prétendons vivre à l’âge de la machine, quand nous disons que la paix profonde dont nous jouissons, que le progrès universel, que ce bonheur infini, sans nuages, est dû à ce que nous sommes devenus les serviteurs de la machine, il semble que nous oublions quelque peu la douce présence de la timide mitrailleuse. »
Nous pourrions, sur un ton plus grave, citer encore les propos inoubliables de Camus dans l’éditorial de Combat, au lendemain d’Hiroshima : « Que dans un monde livré à tous les déchirements de la violence, incapable d’aucun contrôle, indifférent à la justice et au simple bonheur des hommes, la science se consacre au meurtre organisé, personne sans doute, à moins d’idéalisme impénitent, ne songera à s’en étonner. »
Nous avons appris du XXe siècle que les découvertes scientifiques peuvent être mises au service d’une soif de destruction, de projets insensés menaçant directement l’avenir de l’humanité. « Il va falloir choisir, disait Camus, toujours le 8 août 1945, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques. »
Voilà qui nous mène au constat que sciences et progrès ne marchent pas nécessairement du même pas.
Ce n’est pas la connaissance scientifique que nos concitoyens contestent aujourd’hui le plus, ni les progrès objectifs que la science permet, mais plutôt ses utilisations techniques litigieuses, fruit de décisions politiques, industrielles et économiques.
Si nos concitoyens regardent parfois avec défiance l’expertise scientifique, c’est que celle-ci peut être un instrument bureaucratique au service d’intérêts étrangers à la recherche du bien commun.
En outre, la science n’est pas neutre et les querelles scientifiques n’échappent pas non plus à l’instrumentalisation : que l’on songe aux intérêts que servent les scientifiques qui continuent d’alimenter de vaines polémiques sur la réalité du réchauffement climatique.
La dévaluation des savoirs scientifiques dans l’opinion publique procède de ce type de compromissions.
Si l’utilisation des organismes génétiquement modifiés, des nanotechnologies ou de l’énergie atomique sont jugées sévèrement par certains de nos concitoyens, c’est avant tout parce que ceux-ci pensent que leur utilisation ne répond pas toujours au légitime souci d’améliorer le sort ou les conditions de vie de chacun. « Quand on me présente quelque chose comme un progrès, disait George Orwell, je me demande avant tout s’il nous rend plus humains ou moins humains. »
L’attitude d’Orwell est légitime et partagée par beaucoup, qui se méfient moins de la science et des techniques que de la démesure et de l’irresponsabilité assumée des détenteurs du pouvoir économique.
Il faut nous en convaincre : la science n’est pas seulement une quête désintéressée de la connaissance. Le savoir scientifique et le progrès technologique sont étroitement dépendants de pouvoirs économiques et politiques. Ce sont ces pouvoirs qui font aujourd’hui l’objet d’une défiance croissante.
Pour bien faire, il faudrait que la controverse scientifique soit protégée des influences politico-financières, puis exposée honnêtement et clairement aux citoyens. Cela nous prémunirait de certaines dérives préoccupantes. Je pense à la contestation de l’utilité de la vaccination ou à la destruction de parcelles d’OGM plantées par des chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique dans le cadre de leurs travaux de recherche, pour ne prendre que ces exemples.
Sans expertise publique, sans données de la recherche, on ne peut en effet pas débattre, on ne peut pas faire vivre la démocratie scientifique.
Nous devons donc encourager l’information et la participation citoyenne, l’appropriation collective des connaissances scientifiques. La communauté des citoyens fournit au chercheur les moyens matériels de sa recherche pour faire progresser la connaissance. Le scientifique doit accepter de faire le parcours inverse et de participer lui-même très directement au processus de dissémination des savoirs.
Permettez-moi de citer ce que disait Édouard Brézin, le 9 janvier 2007, dans son discours de fin de présidence de l’Académie des sciences : « Il nous appartient donc de mettre en oeuvre tout le pouvoir de conviction que nous donnent notre indépendance et nos compétences pour énoncer les mesures qui permettront de favoriser dans notre pays l’épanouissement de la société intellectuellement et matériellement développée dont celui-ci a besoin. Nous devons à nos concitoyens de nous faire entendre quel que soit le sort réservé à nos prises de position. »
Au-delà des convergences que nous avons, qui sont importantes, le texte que vous nous proposez développe une approche que nous ne partageons pas : il donne le sentiment – du moins à plusieurs membres de mon groupe – de vouloir affirmer le rôle de l’expertise bureaucratique pour mieux asseoir les prétentions des pouvoirs politiques et économiques à clore toute polémique.
Si l’expertise doit avoir toute sa part dans le débat démocratique, elle ne peut prétendre s’y substituer. Si les conclusions scientifiques d’une expertise peuvent être justes, elles peuvent aussi être déformées, tronquées ou insuffisantes. Elles traduisent certes un état des connaissances, mais un état des connaissances partiel et transitoire.
La science ne saurait non plus circonscrire les domaines du juste et du souhaitable. Un champ d’éoliennes ou un aéroport peuvent répondre parfaitement à toutes les préconisations techniques, tout en détruisant pourtant un paysage et en détériorant la qualité de vie des habitants.
À nos yeux, c’est aussi la grandeur de la République d’honorer dans le débat démocratique ce qui échappe au règne de l’efficacité et de l’utilité, ou encore à ce que la science peut quantifier.
C’est en raison des ambiguïtés de cette proposition de résolution que nous ne pouvons approuver intégralement son texte.
Cependant, au regard des enjeux qu’elle exprime, nous ne nous y opposerons évidemment pas.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme le disait Condorcet, « il n’y a pas de démocratie du pouvoir sans démocratie du savoir ». La science appartient à tous. Faire connaître et partager les cultures scientifique, technique et industrielle – les CSTI – est le fondement d’une société démocratique. Le partage des savoirs répond ainsi à deux objectifs, la démocratisation de l’accès au savoir et l’impératif d’excellence des systèmes d’éducation et de recherche.
Les CSTI concernent plusieurs publics : les scolaires et les étudiants, les parents, les enseignants, les citoyens, les médias, les acteurs sociaux de quartier, et les décideurs politiques et économiques. Les musées, les associations comme les Petits Débrouillards, Planète Sciences, le Collectif interassociatif pour la réalisation d’activités scientifiques et techniques internationales – CIRASTI – ou le réseau national, l’AMCSTI, qui regroupe plus de 200 acteurs de la culture scientifique, se sont imposés comme des acteurs majeurs des CSTI. Ils contribuent à la cohésion sociale en intervenant dans les quartiers défavorisés, comme c’est le cas de Planète Sciences.
Aujourd’hui, la démocratisation de l’enseignement est un fait incontestable. Grâce à internet, le public n’a jamais disposé d’autant d’informations aussi rapidement. Quant aux MOOC – massive open online courses –, ils touchent plusieurs millions d’étudiants. Avec la révolution numérique, le public a la possibilité et le sentiment de participer à l’élaboration du savoir. Pour autant, les études les plus récentes dressent un constat sévère qui montre, à travers divers exemples, que la démocratisation de l’enseignement n’a que peu entraîné la démocratisation de l’accès au savoir.
La France est l’un des pays de l’OCDE où le milieu social exerce la plus grande influence sur le niveau scolaire des enfants. Certes, on note des orientations positives encourageantes, mais il n’en faut pas moins poursuivre des réformes indispensables à la réussite de la politique de réduction des inégalités. Comment faire en sorte que chacun, quelle que soit son origine sociale, ait la possibilité de choisir son parcours professionnel ? Comment faire en sorte que tous les citoyens, quels que soient leur territoire de vie, leur niveau d’études, puissent comprendre les enjeux scientifiques contemporains qui font débat et puissent eux-mêmes participer au débat ?
Et comment remédier à la sous-représentation des femmes dans les études et les carrières scientifiques ? Une éducation et une société qui assignent des rôles à chaque sexe destinent les filles et les garçons à des avenirs différents. L’égalité entre les filles et les garçons doit être vue comme un objectif prioritaire des CSTI, car c’est aussi une question de performance économique, avec un effet positif sur la santé des entreprises et la croissance.
Un objectif majeur que se fixent les CSTI est celui de l’efficacité du système éducatif et de recherche, en luttant contre l’échec scolaire et universitaire et en promouvant la formation tout au long de la vie. À travers l’introduction de l’expérimentation dans l’enseignement des sciences, dont La main à la pâte a été l’exemple emblématique, l’éducation nationale s’est ouverte davantage sur l’extérieur. Mais des mesures complémentaires s’imposent. Que ce soit dans la formation initiale et continue des enseignants ou à tous les niveaux d’enseignement, il faut inscrire une pédagogie des CSTI.
Par ailleurs, on déplore que soit appelée scientifique une filière de baccalauréat qui ne l’est pas vraiment. Elle n’est que celle de la sélection des meilleurs élèves, puisque seuls 44 % des bacheliers S poursuivent une formation scientifique. Une telle situation est contreproductive en termes de diffusion des CSTI.
Une autre voie visant à la démocratisation du savoir est l’instauration d’un dialogue durable et confiant entre la science et la société. Le programme-cadre européen, Horizon 2020, propose d’ailleurs un programme intitulé « Science avec et pour la société ». Les chercheurs y ont bien sûr un rôle majeur à jouer, en développant des actions de médiation qui doivent être valorisées dans leur carrière. Il faut donc non seulement informer nos concitoyens, mais les consulter, les impliquer. C’est la clé de la réussite du partage des savoirs.
Concernant les médias, on ne peut que regretter que la science et la technologie en soient les parents pauvres, en particulier à la télévision. « La culture scientifique est un antidote contre un empoisonnement lent et insidieux de notre société que sont les croyances », écrivait Jean-Claude Pecker. La propension des médias au sensationnalisme n’est pas de nature à inciter le public à une approche rationnelle. Parce que la science est considérée comme un sujet complexe comprise par les seuls scientifiques, ils pensent que seul l’événement spectaculaire est susceptible de retenir l’attention du public, ce qui amène parfois une communication trompeuse autour des résultats.
Il faut aussi mieux former les décideurs, qu’ils soient économiques, cadres de l’administration ou responsables politiques. Ainsi, par exemple, il faudrait sensibiliser davantage les parlementaires aux enjeux scientifiques, éthiques et juridiques de la recherche. L’OPECST s’y emploie.
En termes de gouvernance, ce sont désormais les régions qui coordonnent les initiatives territoriales. Mais les acteurs de terrain, tout en approuvant leur rôle croissant dans les centres de culture scientifique, technique et industrielle, les CCSTI, souhaiteraient qu’il y ait un État stratège. Par ailleurs, il est important d’impliquer les collectivités locales au travers des nouvelles activités périscolaires, les NAP, liées aux CSTI, ou dans l’administration des maisons des sciences.
Le Conseil national de la culture scientifique et technique, dont je suis membre, va remettre très prochainement aux ministres de la culture et de l’enseignement supérieur et de la recherche une proposition de stratégie nationale des CSTI, partie intégrante de la stratégie nationale de recherche.
« Le vrai pouvoir, c’est la connaissance », disait Francis Bacon. La connaissance est toujours en mouvement, toujours en recherche de progrès, et la science n’est rien sans le partage avec les autres. Faire connaître et faire partager les cultures scientifique, technique et industrielle constitue donc un objectif politique majeur de cohésion sociale.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, consubstantielles à la vie sont les notions d’évolution et de progrès. Les espèces vivantes ont naturellement tendance à explorer de nouveaux espaces et de nouveaux cheminements. Lorsque des avancées bénéfiques en résultent, elles sont sélectionnées positivement par la nature.
L’avènement du cerveau humain s’est traduit par une accélération du progrès, une intention et une réflexion fondée sur des raisonnements scientifiques.
Au cours des trois derniers siècles, les avancées ont été considérables dans des domaines multiples. Récemment, l’homme a décidé d’ajouter une dimension supplémentaire à la recherche scientifique : la préservation et l’amélioration de l’environnement et de l’écosystème présent sur la Terre. Je dis bien qu’il s’agit d’une recherche supplémentaire, qui ne se substitue pas à d’autres domaines de la science.
Nul ne peut douter que la capacité d’un pays à sortir d’une crise, à relever des défis nouveaux et à acquérir dans le futur une place prééminente dans le concert des nations dépend en partie de son engagement dans les sciences, dans la recherche et dans l’innovation. Louis Pasteur disait que « la science n’a pas de patrie », mais il est non moins vrai qu’une patrie ne peut prétendre à un avenir positif que si elle développe des activités scientifiques.
Or, en France comme dans plusieurs autres pays, cet objectif se heurte à une relative désaffection du progrès et des carrières scientifiques.
Les causes de ce désintérêt sont multiples. Premièrement, certains scientistes de la fin du XlXe siècle prétendaient que la science apporterait une solution à tous les problèmes et le bonheur de l’humanité, ce qui n’a pu que nourrir des déceptions et des réactions exagérément antagonistes.
Deuxièmement, la confusion très regrettable entre, d’une part, savoir ou connaissances et, d’autre part, croyances ou opinions n’a jamais été suffisamment dissipée.
Troisièmement, un amalgame coupable a été entretenu entre la science et ses applications : parce que l’introduction de certaines innovations s’est révélée néfaste, la connaissance d’amont elle-même a été remise en question. Rappelons, avec Henri Poincaré, qu’il ne peut pas y avoir de science immorale ; mais ajoutons aussitôt que certaines applications de cette science peuvent, elles, s’avérer immorales ou maléfiques.
Quatrièmement enfin, trop peu de responsables ont eu à coeur de maintenir un intérêt, une connaissance et un appétit pour les sciences, dans tous les secteurs de notre société et à tous les âges.
Sans réaction de notre part, la France stagnerait gravement et durablement, tandis que de nombreux pays nous doubleraient dans maints domaines. Il est temps de prendre des mesures efficaces et vigoureuses, du type de celles décrites dans ces excellentes propositions de résolution.
Les plus brillants de nos étudiants et étudiantes peuvent retrouver le chemin des formations scientifiques s’ils ont été motivés dès l’école. Le bonheur de la découverte et la noblesse d’une contribution au progrès de l’humanité sont des sentiments susceptibles d’être transmis à l’école, au collège, dans les familles, les associations. Le compagnonnage fait toucher du doigt ces épanouissements quand un lycéen effectue un stage dans un laboratoire de recherche. Qu’attendons-nous pour délivrer à nos jeunes des messages gratifiants sur la place et l’importance du chercheur dans notre société ? Quel meilleur sens donner à sa vie quand on a dix-sept ans que d’embrasser une profession consacrée à l’amélioration des connaissances et des modes de vie ?
Bien sûr, ce discours renouvelé n’atteindra ses objectifs que si nous parvenons à revaloriser les carrières des chercheurs, en conformité avec ce qui prévaut dans les pays comparables au nôtre. Une évaluation, année après année, de l’attractivité des carrières scientifiques et de l’amélioration de leur déroulement est naturellement indispensable. De plus, le rôle des médias et des réseaux sociaux dans cette opération de « reconquête » ne doit pas être négligé.
Enfin, rien ne se fera dans la durée si les plus hauts responsables de l’administration n’ont pas eux-mêmes eu, au moins très transitoirement, une formation par la recherche. Je suggère ainsi que l’ensemble des grandes écoles – dont l’ENA – et des grandes universités, intègrent dans leur programme, quel que soit le cursus, quelques éléments sur la démarche scientifique, le processus de l’innovation, la réflexion scientifique.
Cette formation ne peut qu’accroître la rigueur et la rationalité de la réflexion de chacun. Surtout, cela apportera à tous les futurs responsables un éclairage utile sur le fonctionnement des recherches fondamentales et appliquées, sur la part de liberté nécessaire, sur le dialogue présidant à certains choix d’orientation, sur l’éthique à respecter dans les moyens de la recherche et dans ses applications.
Pour toutes ces raisons, j’émets un avis très favorable aux propositions de résolution sur les sciences et le progrès dans la République, et j’espère que nos institutions auront de plus en plus souvent recours aux compétences de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques pour éclairer les décisions dans ce domaine.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les avancées scientifiques ou technologiques fascinent. Une véritable gourmandise scientifique et technologique s’est emparée de nos contemporains. En même temps, ces progrès rapides suscitent des craintes, des angoisses, voire des rejets.
S’il y eut dans le passé, notamment au début du XXe siècle, une grande confiance dans la science apprivoisant la nature et la transformant au bénéfice de l’humanité, l’accélération des avancées scientifiques et technologiques a engendré dans la société une forte ambivalence. Le savoir scientifique est admiré, mais les progrès qu’il permet courent le risque de provoquer la méfiance, parfois même de susciter les peurs en cristallisant des angoisses diverses, car la science et ses avancées font débat et sont contestées par de nouvelles formes d’obscurantisme fondées sur le rejet du progrès, mais aussi – et c’est plus récent – sur celui de toutes les valeurs du siècle des Lumières.
Nous vivons une période paradoxale et inquiétante, car jamais la diffusion de l’information, qu’elle soit vraie ou fausse, n’a été aussi rapide. Toute catastrophe naturelle, toute épidémie est connue dans l’instant de toute la planète, mais, dans le même temps, leurs causes ou leurs conséquences objectives peuvent être ignorées, voire niées de manière péremptoire, sans débats, par des idéologues peu soucieux de vérité scientifique.
Les scientifiques ne peuvent pas travailler dans leur laboratoire en oubliant ce qui se passe à l’extérieur. Ils sont dans le monde et dans l’époque. On leur demande d’expliquer leur démarche, d’exposer les résultats de leurs recherches, de combattre les préjugés, de tenir compte de l’éthique comme de la déontologie, d’éviter de susciter de vains espoirs. Le moindre faux pas, la moindre controverse suscitent une grande méfiance, voire une défiance largement amplifiée par internet.
Il est vrai que certains scandales sanitaires et environnementaux ont ravivé la défiance de nos contemporains, ce qui montre la nécessité d’un dialogue ouvert entre les institutions scientifiques et les citoyens. Il ne s’agit nullement de défendre, dans une démarche scientiste, les excès ou les graves erreurs et mensonges de chercheurs ou d’entreprises dévoyés.
L’utilisation des OGM, des nanotechnologies, le recours à la biologie de synthèse, le séquençage génétique à haut débit, le stockage des données, la convergence des technologies, le stockage des déchets nucléaires, l’implantation d’antennes relais, mais aussi les politiques vaccinales, les politiques de lutte contre les polluants, la réalité du changement climatique suscitent d’âpres discussions, révélatrices d’un débat plus général et plus ample sur les relations entre la science et les citoyens.
À l’heure où notre société est structurée, façonnée par les apports de la science, nous devons lutter contre une méfiance irraisonnée envers le progrès scientifique. Or l’accélération de la mondialisation entraîne deux phénomènes : une demande et une attente d’innovations. Les avancées scientifiques apparaissent de plus en plus vite, elles sont très vite médiatisées, ce qui raccourcit le temps consacré à la réflexion pour définir le sens du progrès réalisé et, surtout, ses conséquences. Tout va trop vite : la technique est mise en oeuvre avant même que l’on ait pu réfléchir à son impact, ce qui nourrit cette défiance qu’il convient de combattre en informant vite et mieux.
« Nous vivons dans un temps où les moyens sont d’une grande perfection, les buts d’une grande confusion », expliquait déjà Einstein. Ce constat prémonitoire reste d’une grande actualité. Savoir qui décide de quoi, comment se fait l’articulation entre les citoyens, les scientifiques et les politiques devient un enjeu primordial.
C’est pourquoi il est urgent de renforcer la cohérence des politiques scientifiques, de défendre la culture scientifique, de permettre à chacun d’être mieux formé et informé, d’animer des débats citoyens: il y va des fondements de notre démocratie, d’une lutte commune contre l’obscurantisme et le sectarisme. Mettre en place et surtout renforcer en amont les structures appropriées pour assurer la diffusion de la culture scientifique et des innovations, en permettre l’accès équitable, comme le proposent ces résolutions, est plus qu’une nécessité : c’est un devoir.
Ces résolutions déposées et présentées par presque tous les groupes politiques, dans une unanimité trop rare en ce moment pour qu’on ne la souligne pas, montre notre intérêt soutenu pour la diffusion de la défense de la démarche scientifique, et de son corollaire, l’accès à l’éducation. Dans une période minée par des régressions obscurantistes, il nous faut pérenniser et renforcer les structures existantes qui sont des lieux de débat et de réflexion pluridisciplinaires, car la science se nourrit d’échange.
Il est urgent de souligner l’importance du rôle des académies et des médias dans la diffusion du savoir comme dans les débats portant sur les innovations scientifiques et technologiques. Défendre la recherche fondamentale contre des préjugés sur son inutilité reste une façon d’affirmer notre confiance dans la qualité du progrès et dans les espoirs qu’il suscite. Ainsi, il est important de pérenniser et d’accroître les liens tissés au fil de plus de trente années d’existence entre l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et le monde scientifique, d’assurer la diffusion de ses rapports qui sont prospectifs et nous renseignent sur l’état des recherches et de leur application.
Les débats et le vote de cette résolution en fin de législature sont à l’honneur de notre assemblée : ils montrent que nous sommes unanimes à défendre les avancées de la science et les structures qui en débattent, les diffusent et en assurent la promotion dans le respect d’une éthique exigeante.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, jadis, quelques années d’études suffisaient pour comprendre un monde paraissant immuable. Il fallait des semaines pour qu’une nouvelle traverse un continent. Nous sommes la première génération à vivre un univers instantané. Peu importe le lieu et l’heure : tout est su ou vu dans l’instant, sur la terre entière, sans l’ombre d’un filtre. Le seul filtre dont nous disposons s’appelle l’éducation, l’apprentissage d’un savoir de base et, surtout, l’apprentissage de l’apprentissage permanent, pour que chacun puisse suivre la très rapide évolution du monde.
La science n’échappe pas à cette évolution : elle en est même le coeur. Cela rend plus indispensable que jamais une éducation à la science, aux sciences, qui nous permette d’en comprendre les fonctionnements, les évolutions, d’en peser les chances et les risques.
L’honnête homme d’hier pouvait savoir à peu près tout sur tout. Aujourd’hui, l’honnête homme sait qu’il ne sait plus grand-chose, mais qu’il doit avoir jusqu’à son dernier souffle l’esprit ouvert, la soif d’apprendre pour comprendre où l’on va.
Dans cette montagne d’informations qui nous arrive tous les jours, la science occupe sa part. Mais la formidable évolution scientifique que nous vivons est aussi au coeur des inquiétudes de la population, au coeur des manipulations potentielles où l’obscurantisme sait jouer avec des peurs ancestrales. Nous sommes désormais dans une société qui demande aux scientifiques non seulement de savoir, mais de faire savoir, voire de savoir combattre la contre-information ou l’opinion assénée avec certitude qui tend à se substituer à la démarche scientifique.
La compréhension de la science et du monde technique dans lequel nous vivons est indispensable à tous. Cette compréhension doit commencer très tôt. La place de la science doit être renforcée à l’école, dès le plus jeune âge, depuis l’école élémentaire jusqu’aux études supérieures. Transmettre une science ludique, « expérimentable », est primordial pour les enfants. En manipulant, en construisant, ils apprennent à démystifier un univers technique qui n’est pas magique, mais simplement scientifique, explicable, maîtrisable.
Cette pédagogie active fonctionne très bien dans les CCSTI, les centres de culture scientifique, technique et industrielle. Hélas, seules quelques dizaines de collectivités locales ont fait l’effort d’ouvrir de tels centres sur leur territoire. Il faut en effet des moyens financiers, mais aussi des partenariats avec le monde universitaire, avec l’éducation nationale ou des industriels pour donner à comprendre une part de notre technologie, une part de notre progrès technique.
Vulgariser, montrer, faire comprendre est indispensable à une saine appropriation de l’univers scientifique. Nous devons faire cet effort pour conserver un regard positif sur la science, alors même que l’avalanche d’informations qui s’abat à chaque instant sur les épaules de nos concitoyens fait qu’ils n’en voient bien souvent que les aspects les plus négatifs. Il est toujours plus simple d’effrayer que d’expliquer, de rejeter brutalement que de juger sereinement et objectivement, avec discernement.
Je remercie Jean-Yves Le Déaut et mes collègues de m’avoir laissée m’exprimer sur ce sujet pour témoigner de la difficulté des collectivités qui s’engagent. Ce choix, politique au bon sens du terme, n’est pas toujours partagé par toutes les collectivités qui devraient se sentir concernées. Pourtant, existe-t-il plus bel enjeu ?
Je me souviens de ce mois de mars 2011 où a eu lieu l’accident de Fukushima. Le hasard a voulu que se tienne alors à la galerie Eurêka de Chambéry une exposition sur le nucléaire : les visiteurs de tous âges ont pu trouver dans notre CCSTI les réponses aux graves questions qu’ils se posaient face aux nouvelles venues du Japon, face aux peurs légitimes que cet accident suscitait. Il est primordial que nous puissions disposer d’outils pédagogiques réellement scientifiques et de médiateurs formés.
Mais je me souviens aussi de la violence de certaines attaques contre un CCSTI d’une ville voisine, qui avait organisé une exposition sur les nanotechnologies.
Chacun reconnaît la valeur de la culture scientifique, mais il faudrait aussi que l’on reconnaisse qu’elle a un coût, et que, par exemple, l’État puisse s’investir davantage dans le financement des CCSTI au travers des contrats de plans État régions, mais aussi dans leur fonctionnement, les collectivités impliquées ne pouvant assumer seules cette mission si importante pour la cohésion sociale. Il faut que ces CCSTI soient décentralisés : c’est un enjeu d’égalité entre nos territoires et nos concitoyens.
Vulgariser, montrer, faire comprendre, c’est aussi donner envie de choisir un métier, une passion et, pourquoi pas, redonner goût à la science. N’hésitons pas à investir dans l’éducation, dès le plus jeune âge, pour que chacun comprenne bien le monde dans lequel il vit, mais aussi pour susciter des vocations. C’est notre responsabilité, c’est un investissement pour l’avenir, une chance pour notre pays et le monde.
Je me réjouis que ces propositions de résolution nous permettent de réaffirmer notre foi dans le progrès et la science, et notre volonté que la République se saisisse pleinement de cet enjeu.
Puissent les semaines à venir nous permettre de constater que nous avons été entendus et que le débat a permis de faire progresser la cause qui nous rassemble.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier les différents signataires de ces propositions de résolution d’avoir permis que se tienne un débat important sur la place de la science dans notre société.
La massification de l’éducation est une chance, mais elle est aussi un défi pour toutes les institutions et toutes les autorités. Associé à l’explosion des technologies de communication, le défi est redoublé. La science ne sera plus jamais une religion, ni les savants des prêtres, mais il faut reconstruire l’autorité de la science et une véritable culture scientifique pour les citoyens. Cela concerne l’éducation et l’enseignement supérieur, ainsi que, bien évidemment, la presse et les médias.
Dans son Éloge du carburateur, ouvrage de réhabilitation de la culture technique et du travail manuel, le philosophe Matthew Crawford raconte un épisode intéressant de sa vie professionnelle. Diplômé de philosophie, il cherche un emploi « intellectuel » à San Francisco, qui est selon lui l’un des coeurs de la nouvelle civilisation, et se trouve chargé de transformer des articles scientifiques en fiches pour les vendre à des bibliothèques. Son diplôme n’est qu’un prétexte, car il travaille au rythme de quinze articles par jour dans des domaines scientifiques que, d’après son propre récit, il ne maîtrise aucunement. L’auteur a cette phrase très juste : « La science ne peut pas résister à sa transformation en information » – une information qui vaut toutes les autres et qui n’aurait pas d’autre autorité que des clics ou des « like » : la science ne serait qu’un discours parmi d’autres discours concurrents.
Je voterai avec plaisir ces propositions de résolution, mais je voulais tout de même souligner cette difficulté. Il existe un obscurantisme technologique très contemporain : si l’on ne brise pas le paradigme de l’information qui domine aujourd’hui, il sera très difficile de bâtir une véritable culture scientifique et de lui donner l’autorité et l’aura dont elle a besoin.
L’enjeu fondamental se trouve à l’école, dans cette école qui abandonne toute forme de verticalité et de clôture. Il est temps, mes chers collègues, de réagir. L’alinéa 22 de la proposition de résolution le dit bien, mais en termes diplomatiques : l’Assemblée nationale « invite le Gouvernement à veiller à la qualité des enseignements scientifiques dispensés au collège et au lycée. De fait, les évolutions récentes apparaissent alarmantes. »
Il nous faut en effet réagir, et c’est là l’un des objets de ces propositions de résolution. Il existe certes, à côté de l’école, des associations et des initiatives qui interviennent pour contribuer à la culture scientifique. Je connais ainsi, dans ma circonscription, les efforts déployés par l’Exploradôme, soutenu par l’État, qui permet l’accès à la culture scientifique et accompagne l’éducation nationale.
Il est essentiel de construire cette culture scientifique pour permettre l’émancipation dans une civilisation de haute technologie. Avant de réfléchir à la capacité contributive des robots, il importe que les humains gardent une longueur d’avance face aux machines qui nous entourent.
Défendre la science ? – Vaste programme ! si je puis paraphraser le général de Gaulle. Mais en tant que parlementaires, commençons par balayer devant notre porte : nous disposons de trois académies, qui sont sous-utilisées et dont on craint trop souvent la liberté. Les deux assemblées doivent mieux utiliser les travaux de l’OPECST, qui mérite mieux que cette demi-confidentialité. Si nous voulons donner, dans l’avenir, plus de consistance aux semaines de contrôle, l’OPECST a les moyens de fournir de la matière à tous les députés. C’est un chemin que nous devons ouvrir pour la prochaine législature. Nous devons encourager cette prise de conscience qui me semble nécessaire et qui sera salvatrice pour mettre en oeuvre l’esprit qui nous rassemble autour de ces propositions de résolution.
Applaudissements sur tous les bancs.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « on résout les problèmes qu’on se pose, et non les problèmes qui se posent » – cela paraît banal…
Sourires.
Voilà donc pour le numéro un.
Numéro deux : « C’est avec la logique que l’on prouve et avec l’intuition que l’on trouve. » Ce n’est pas mal !
Numéro trois : « L’esprit n’use de sa faculté créatrice que lorsque l’expérience lui en impose la nécessité. »
L’auteur de ces phrases s’appelait Henri Poincaré, gigantesque mathématicien du XIXe siècle, philosophe, homme de science et de culture, qui avait le courage et l’envie de l’avenir.
Je trouve ces trois phrases merveilleuses. C’est un jour, en cours de géologie, en classe de quatrième, qu’une enseignante m’a donné la première de ces phrases : « On résout les problèmes qu’on se pose, et non pas les problèmes qui se posent », ce qui trace tout de même une voie pour le XXIe siècle, car, à force d’avoir peur, on finit par ne plus se poser de problèmes et on ne résout donc plus rien.
Nous sommes en effet confrontés à des milliers de problèmes qui se posent – de la couleur de la moquette et de la manière dont elle a été traitée et fabriquée à toute la pollution qu’elle a générée lors de sa fabrication, de son recyclage ou de son non-recyclage – autant de question essentielles et importante qui, à un moment donné, rencontreront des questions technologiques et techniques, voire scientifiques, car vient un moment où la science rencontre la technique – on dit aujourd’hui : « technologie », c’est plus chic !
Cependant, si la science permet de fabriquer des objets, elle ne les fabrique pas elle-même. Il convient d’abolir cette confusion du sens. L’injonction d’innover adressée aux chercheurs et aux scientifiques est terrifiante : « Mesdames et messieurs les scientifiques, veuillez non seulement trouver, mais aussi produire des objets qui fabriqueront de l’innovation et enrichiront nos sociétés. » Or ce ne sont pas les mêmes personnes ! Un scientifique n’est pas là pour innover, mais pour faire en sorte que certains de ses étudiants innovent parce qu’ils auront appris de bonnes choses avec lui et qu’ils auront un esprit inventif, parce qu’on leur aura insufflé l’esprit d’invention, qui pousse à trouver. Certains iront faire de la science et d’autres iront dans l’économie : c’est la vie.
Un scientifique fabrique du savoir et le transmet, à des étudiants aussi bien qu’à des entreprises, et il peut même créer sa propre entreprise. Il faut donner aux scientifiques cette liberté de choisir leur destin. Ils doivent tout de même cotiser pendant quarante ans et l’injonction de trouver, de développer, d’innover, de produire du savoir et de fabriquer des brevets représente beaucoup de choses à faire en quarante ans ! Au long d’une vie, sur quarante ans, ils peuvent faire des allers-retours, et certains font même tout cela en même temps, mais il est important de comprendre que l’injonction d’innover est compliquée.
De la même manière, une société qui mise tout sur cette injonction d’innovation risque de se trouver en difficulté, car vient nécessairement un moment où il faut tout de même se mettre à fabriquer, ici ou ailleurs. Les Allemands ont ainsi un système qui permet d’accompagner à la fois la production et l’invention – c’est un peu général dans le monde occidental.
Je pose donc une question de fond afin de déculpabiliser les scientifiques face à l’injonction d’innovation : non, ce n’est pas un métier qu’on vous assigne – mais, si vous voulez le faire, c’est bien et vous en serez récompensés. Le Pr Claude Allègre, lorsqu’il était ministre, avait du reste pris une mesure en ce sens en créant le concours de l’innovation – il déclarait alors que les scientifiques avaient plusieurs métiers.
Dans nos métiers de scientifiques et de politiques, l’injonction d’innover pose également la question de la propriété intellectuelle. Je rappelle à cet égard que ce concept a été créé en 1790 aux États-Unis d’Amérique, puis en 1830, soit quarante ans plus tard, dans les pays européens et qu’un accord international a été conclu en 1883 : on voit bien que ce processus est long. Pendant ce temps, le foisonnement du XIXe siècle avait montré que les scientifiques inventaient et fleurissaient, que certains créaient des entreprises et d’autres non, que certains continuaient à faire de la recherche dans les laboratoires et à enseigner, tandis que d’autres partaient dans l’industrie pour gagner de l’argent.
Nous en sommes là aujourd’hui. On compte encore en Europe vingt-neuf politiques de propriété intellectuelle différentes. Le monde agricole est le seul à être parvenu à trouver une solution européenne, avec le certificat d’obtention végétale – COV. Il lui a fallu cinq ans pour régler le problème dans toute l’Europe et la bataille est actuellement en cours entre les brevets américains et les COV européens. Voilà une vraie conquête !
La science invente des concepts et le monde économique doit pouvoir s’en saisir pour fabriquer de l’économie, de la valeur et de l’avenir. Pour ce faire, il y aura les étudiants qu’elle aura formés et auxquels elle aura donné le goût de tout – car la science donne, tout simplement, le goût de tout. Il ne faut pas confondre. Il existe une Académie des sciences morales et politiques – ce qui m’a toujours étonnée, car je ne vois pas en quoi la morale et la politique pourraient être des sciences –, mais nous avons inventé cela !
Revenons aux fondamentaux : la science est une réalité en laquelle nous devons avoir confiance, et il faut pour cela que les bienfaits du progrès et de la science ne soient pas remis en cause en permanence. La science s’incarne en effet dans des objets, des services et des actions du quotidien. Nous ne nous rendons même plus compte que nos petits appareils, les vêtements que nous portons, la santé et les médicaments sont de la science incarnée. Tout est science incarnée, parce que des innovateurs s’en sont saisis et ont fabriqué à partir de la science des objets et des concepts. C’est là quelque chose d’essentiel et c’est la raison pour laquelle il faut avoir confiance dans la science.
En effet, s’il est vrai que, comme le dit Rabelais, qui a déjà été cité, « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », j’irai plus loin en affirmant que conscience sans science n’est que ruine des peuples. On rencontre en effet des obscurantistes qui ont une telle conscience de leur valeur et de leur pensée qu’ils en viennent à éteindre la pensée des autres : attention aux flammes qui vont trop loin.
Nous sommes placés face à un grand enjeu. Dans les années 1990, Hubert Curien, grand scientifique, minéralogiste, avait inventé « Science en fête », devenue ensuite « Fête de la science ». Je préfère, pour ma part, la première expression, car elle explose, innove et fait des étincelles, tandis que « Fête de la science » est une injonction, ce qui ne marche jamais.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Monsieur le président, je m’efforcerai d’être aussi bref que possible, car on pourrait certes être tenté de s’exprimer longuement sur ce sujet. Après l’intervention liminaire du président de l’OPECST, j’observe que rien n’est plus symbolique que votre décision de consacrer la dernière séance de nuit de la législature qui s’achève à ces propositions de résolution sur la place des sciences dans notre République – c’est-à-dire à l’interaction très profonde qui existe, depuis les premières heures de celle-ci, entre les sciences et les institutions fondées à l’époque.
Ce débat se déroule dans un contexte particulier pour la vie scientifique du pays. Il y a quelques jours, en effet, nous a été remis un livre blanc sur la stratégie à moyen terme que le pays pourrait suivre en matière de recherche et d’enseignement supérieur pour conserver, sinon pour regagner sa place au niveau international. Ce document, adopté ce matin par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche – CNESER –, vous sera adressé de demain. Dans quelques jours, une sénatrice membre de l’OPECST, Mme Dominique Gillot, nous remettra le document définissant la stratégie nationale de la culture scientifique, technologique et industrielle.
Enfin, vos trois propositions de résolution rassemblent largement les groupes de cette assemblée – en tout cas bon nombre d’entre eux. Elles adressent un voeu au Gouvernement, mais on sait bien qu’un voeu adressé au Gouvernement le dernier jour d’une législature s’adresse en réalité aux gouvernements, au pluriel : tel me semble bien être, en effet, le sens de vos interventions que d’interpeller le gouvernement d’aujourd’hui et tous ceux qui le suivront.
Il s’agit, surtout, d’une profession de foi, qui proclame que la science est l’humus de notre République, que la recherche est la colonne vertébrale de notre pays. Si notre pays est grand au niveau international, c’est principalement parce qu’il a depuis très longtemps su être à la pointe des progrès scientifiques et technologiques. Cela lui a donné de l’énergie, des forces pour se défendre, pour créer et pour développer des savoir-faire industriels et économiques majeurs.
Dans ces temps où le pessimisme peut gagner les plus vigilants, les plus courageux d’entre nous, la démarche scientifique et la recherche sont une aventure possible pour tous. Dans notre société qui manque de passion et d’occasions de s’engager, la recherche offre à chacun la possibilité de découvrir, de rêver, d’imaginer, et finalement, au prix d’un long travail, de donner un sens à sa vie.
Mais, à ce moment de la législature et à quelques semaines d’échéances électorales, nous ne pouvons nous contenter d’affirmations de principe. Nous sommes obligés de plonger celles-ci dans le réel, lequel m’amène à vous dire, à vous qui êtes tous ici des amis des sciences : préparez-vous au combat !
Nous l’avons constaté ces derniers mois : dans certains pays que l’on croyait absolument protégés des attaques contre la science – je pense aux États-Unis, grande puissance scientifique, où les plus grands savants de toutes disciplines travaillent dans des conditions dont ils se réjouissent –, des hasards électoraux qui ne doivent rien au hasard, des forces auxquelles on n’a pas prêté attention depuis des années, comme le créationnisme, ont remis en cause des théories scientifiques établies depuis des décennies, emportant toute une société et mettant par terre, du jour au lendemain, des convictions, des croyances qui existaient depuis très longtemps.
Cet univers de menaces est devant nous – pas seulement outre-Atlantique, mais ici, à nos portes. Une profession de foi sur la science dans cet hémicycle est utile : c’est bien de le faire, mais il faut partager cette démarche avec les profondeurs de notre société. Les menaces sont quotidiennes sur la science, sur la recherche, sur la vérité, sur l’argumentation rationnelle. Les contestations aujourd’hui ne se cachent plus, mais il existe des contestations plus sourdes – il y en a au moins trois –, qu’il faut combattre parce qu’elles sapent, sans qu’on y prête attention, les soubassements sur lesquels se construit une démarche scientifique.
Première menace : l’idée que la science signifie l’utilité à tout prix et qu’il n’y aurait de science qu’utile. Or la démarche scientifique, celle à laquelle vous rendez hommage aujourd’hui, ne se préoccupe pas d’utilité. Elle se préoccupe d’élever le niveau des connaissances, de le développer, de le repousser toujours plus loin. Bien sûr – et heureusement ! –, un certain nombre de ces découvertes se transformeront en innovations, en produits, en services, en possibilité de répondre aux défis que doivent relever les hommes et les femmes. Mais la science, c’est d’abord la frontière des connaissances repoussée toujours plus loin.
La deuxième menace, plus sourde, tient à la réduction de plus en plus fréquente, presque malgré nous, de la science à la technologie ; à l’illusion que la science n’est que technique, technologie et projets de sciences « dures » ; à l’idée que la pensée, la connaissance philosophique et l’ensemble des sciences humaines et sociales sont des sciences de second rang. Il n’en est rien : quand on aime la science comme vous l’aimez, on a autant d’égards pour les sciences dures que pour les sciences humaines et sociales, et on défend les sciences dans leur diversité.
La troisième menace tient à l’idée que l’on bride, d’une manière ou d’une autre, la liberté des scientifiques. Quand on aime la science, on laisse les scientifiques chercher, définir les voies et moyens pour étendre les connaissances. La France est parvenue de ce point de vue à un équilibre qu’il ne faut pas dépasser : le financement par projet, c’est-à-dire des orientations suffisamment fortes en direction des scientifiques et le financement via des organismes de politiques scientifiques autonomes décidées par les scientifiques eux-mêmes.
L’exposé des motifs des propositions de résolution s’achève sur ces mots : « Plus que jamais, la République a besoin de savants. » Cela est vrai, je n’en disconviens pas – bien au contraire. Mais il faut, pour aujourd’hui et pour demain, tirer les conclusions de cette proposition.
En France, comme partout dans le monde, la science dépend de l’engagement dans la durée de la puissance publique et donc des financements. Comme nous l’indiquons dans le Livre blanc, le mouvement amorcé tardivement cette année dans le budget de la recherche doit être poursuivi de manière très forte dans les années qui viennent.
De ce point de vue, permettez-moi d’exprimer devant vous quelques regrets : alors que la campagne présidentielle a débuté il y a quelques mois, les candidats sont objectivement, sur les questions scientifiques et de recherche, d’une discrétion et d’une pudeur que l’on ne peut que regretter. Il m’est arrivé de dire que la recherche et la science n’étaient pas des gros mots : chacun peut inviter ses candidats à en faire plus grand usage.
Par ailleurs, on parle bien souvent d’économies – et après tout pourquoi pas : les contraintes de gestion existent dans les pays. Très souvent, ces économies portent sur des budgets ou sur des fonctionnaires. Parfois, il advient que l’on propose d’épargner certaines catégories de fonctionnaires ou de dépenses ; bien souvent, on cite la sécurité, la justice, la police, la défense, mais absolument jamais la recherche.
Or j’ai la conviction absolue – mon propos est d’ordre général : je ne vise personne en particulier – que le tout premier secteur à protéger des économies est la recherche. En effet, et nous l’avons démontré « scientifiquement », dans l’étude du Livre blanc à laquelle faisait référence tout à l’heure Jean-Yves Le Déaut, la recherche est, pour le pays, un investissement extrêmement rentable, qui fait de la France une nation forte.
La deuxième remarque porte sur la question, présente en filigrane de l’ensemble de votre raisonnement, du renouvellement des compétences et du vivier de ceux qui feront la science de demain, à travers l’éducation, la valorisation dans les médias de la démarche scientifique, ainsi que des politiques spécifiques qu’il faut renforcer en direction des jeunes chercheurs.
La troisième déclinaison de votre précepte mérite que l’on s’y arrête quelques secondes : la science, c’est l’échange entre les pays. Quelqu’un parlait de la fuite des cerveaux, crainte d’ailleurs peu démontrée, mais la vérité de la science, c’est que les parcours des scientifiques de tous niveaux sont aujourd’hui globalisés : les meilleurs scientifiques français ont passé plusieurs années à l’étranger, puis sont revenus. De nombreux scientifiques étrangers travaillent aujourd’hui en France : il n’est pas possible d’imaginer que, par méfiance à l’égard de l’étranger, comme cela se passe aujourd’hui aux États-Unis, des scientifiques seraient empêchés de voyager, de s’installer pour des durées plus ou moins longues dans d’autres pays. C’est l’ensemble de la science et du progrès scientifique qui en pâtiraient.
Quatrième et dernier élément, que je livre à votre réflexion : si nous voulons vraiment développer la démarche scientifique, encourager les investissements de recherche tant dans le secteur public que dans le secteur privé, nous devons parvenir à sortir d’une forme de schizophrénie. Alors qu’aujourd’hui, dans nos discours et parfois dans nos actions, nous privilégions, pour notre économie, une démarche de compétitivité par la baisse des coûts – nous trouverons toujours plus forts que nous dans ce sport-là : cet effort me semble donc épuisant et assez vain –, nous devrions valoriser beaucoup plus le vrai positionnement qui doit être celui de la France : la qualité, la qualité partout, la qualité de nos produits, de nos services, de notre travail, de nos formations. La France demeurera ou, à certains égards, redeviendra un grand pays quand elle aura la qualité comme marque de fabrique. Or, au coeur de la qualité, de cette élévation permanente de la qualité, il y a la démarche scientifique.
Vous dites qu’il nous faut des savants, mais j’appelle votre attention sur cette notion de savant, qui a beaucoup évolué ces deniers temps. D’une certaine manière, les savants sont partout, d’une part avec l’essor fantastique des sciences participatives, ces savoirs citoyens et, d’autre part, avec des citoyens de plus en plus éduqués – 47 % d’une classe d’âge diplômés de l’enseignement supérieur aujourd’hui, contre 20 % il y a deux générations, soit la progression la plus forte au niveau mondial. Bien fragile serait un système de soutien de la recherche et de la science qui reposerait sur la promotion d’une catégorie de gens particulièrement brillants, quand toute une société ne demande qu’à participer au mouvement d’essor des sciences, selon des process à bâtir avec rigueur et une méthodologie précise.
En ce qui concerne les rapports entre la science et la société, je partage pleinement ce que vous avez dit sur l’éducation, la culture scientifique, technique et industrielle. Je ne reviendrai pas sur ce sujet, et insisterai simplement sur deux points.
Premier point : c’est par la pratique qu’on découvre la science et non par les contenus enseignés à l’école primaire ou à l’école secondaire. Bien sûr, ceux-ci sont importants, vous avez raison de le souligner dans votre résolution : les mathématiques, certains enseignements sur l’informatique – cela bouge depuis 2014 –, tout cela est très important. Mais il faut d’abord encourager les acteurs qui font pratiquer la science dès le plus jeune âge, tels que La main à la pâte, Universcience ou Planète Sciences. Tous ces acteurs dédramatisent l’acte scientifique pour que, dès le plus jeune âge, nos enfants, garçons et filles, pratiquent la science avant de l’apprendre. C’est vraiment le coeur d’une politique efficace.
Deuxième point : si nous souhaitons vraiment que la science trouve sa place dans la société, nous, politiques, devons mieux traiter la science dans nos prises de décisions. Cela a été dit par M. Accoyer tout à l’heure, avec raison. Dans cette assemblée même, la façon dont nous pratiquons le vote de la loi n’est pas satisfaisante de ce point de vue : nous votons à l’aveugle des textes préparés par les gouvernements, quels qu’ils soient, celui d’aujourd’hui comme ceux d’hier et probablement comme le prochain, sur la base d’études d’impact indigentes, écrites nuitamment par deux hauts fonctionnaires, sans aucune démarche scientifique. Nous demandons à une assemblée, à des parlementaires qui travaillent comme ils peuvent avec les outils dont ils disposent, de valider des textes sans qu’une démarche d’irrigation par l’apport des sciences en amont ait été effectuée.
De la même façon, nous refusons ou, du moins, nous hésitons à solliciter en aval des textes, quelque temps après leur vote, des démarches d’évaluation indépendantes, qui pourraient tout à fait être confiées à des universités – celles-ci seraient ravies de faire ce travail. Nous privilégions les corps d’inspection qui sont fort compétents et intéressants, mais dont l’indépendance est, par définition, relative. Si, dans notre fabrique de décision politique, nous donnions plus souvent l’occasion aux sciences d’apporter en amont et d’évaluer en aval, je suis persuadé que l’effort de pédagogie que nous devons faire en direction de la société en serait facilité.
Un dernier mot, en conclusion, concernant le dernier point de votre résolution, qui porte sur la reconnaissance du travail fait à l’OPECST. Étant moi-même en responsabilité de ce secteur depuis assez peu de temps – un peu plus de un an –, je dois vous dire, sans chercher à vous faire plaisir, combien il m’a été agréable de participer, à six ou sept occasions, à vos débats. Je crois en effet que l’OPECST apporte beaucoup au débat politique, au débat démocratique autour des sciences.
Ses travaux, connus de vous tous, méritent d’être divulgués à l’extérieur de l’Assemblée. Ils méritent peut-être d’être plus souvent intégrés à nos propres réflexions, et je bats ma coulpe si, ici ou là, j’ai pu manquer à ce travail. Il n’est de science que de débat démocratique, que de débat public autour de la science, que de confrontation avec tous les enjeux que soulève inévitablement la démarche scientifique, toutes les polémiques, toutes les divergences qui peuvent exister. Mais, finalement, la meilleure des démarches est celle qui place la science au coeur de nos débats politiques, celle aussi qui permet de redéfinir les termes du débat politique.
Je saisis cette occasion pour remercier les parlementaires de l’OPECST et l’ensemble de ceux qui s’intéressent à la science pour la foi et le soutien qu’ils n’ont pas manqué de manifester, au-delà de leurs convictions, et chaque fois que cela était possible, en faveur de la place vitale pour notre pays occupée par sa recherche, et surtout par les hommes et les femmes – outre les institutions et les organismes, dont on parle beaucoup – qui, au quotidien, font la science.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur quelques bancs du groupe Les Républicains.
Les propositions de résolution sont adoptées.
La séance, suspendue à vingt-trois heures quinze, est reprise à vingt-trois heures vingt.
L’ordre du jour appelle la discussion, en lecture définitive, du projet de loi ratifiant les ordonnances no 2016-1561 du 21 novembre 2016 complétant et précisant les règles budgétaires, financières, fiscales et comptables applicables à la collectivité de Corse, no 2016-1562 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures institutionnelles relatives à la collectivité de Corse et no 2016-1563 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures électorales applicables en Corse (nos 4478, 4519).
La parole est à M. le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur – cher François Pupponi –, mesdames et messieurs les députés, je tiens à souligner, en préambule, que nous vivons un moment historique et rare, tant pour la vie parlementaire que pour la Corse.
Sourires
Rare, pour la vie parlementaire, parce que nous discutons des derniers projets de la législature et du quinquennat. Dans quarante-huit heures, en effet, la quatorzième législature sera close et cela donne naturellement à cette séance un goût particulier. Moments exceptionnels, pour des sujets qui ne le sont pas moins…
Historique, étant donné la portée et les conséquences des deux lois dont nous allons débattre pour la Corse et la vie quotidienne des Corses. En effet, la création de la collectivité de Corse, dont nous allons discuter maintenant, donnera aux Corses et à leurs élus, par la fusion des trois collectivités existantes, la pleine maîtrise de leur destin au sein de la nouvelle institution qu’ils devront construire et faire avancer.
La proposition de loi du député Rocca Serra, que nous aborderons par la suite, permettra quant à elle aux familles corses – elles auront dix ans pour le faire – de résorber l’immense désordre de propriété qui contribue à la dégradation du foncier et qui rend difficile la rénovation des biens et tout particulièrement des maisons de village.
Nous voilà donc parvenus, mesdames et messieurs les députés, messieurs les présidents du conseil exécutif et de l’Assemblée de Corse, qui êtes dans les tribunes avec vos amis et que je salue, à « l’heure de vérité » selon l’expression qui fait florès depuis ce matin dans les médias et les réseaux sociaux corses.
En tout cas, et je le fais avec solennité, je souhaite que nous soyons collectivement dignes de l’espoir immense qui s’exprime et que nous parvenions – mais je n’en doute pas – à répondre de manière positive aux attentes du peuple corse.
Mesdames et messieurs les députés, nous allons donc aborder la lecture définitive du projet de loi de ratification des trois ordonnances du 21 novembre 2016 relatives à la future collectivité de Corse, prises sur le fondement de l’article 30 de la loi no 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, la loi NOTRe.
Je rappelle, en préalable, que conformément à la Constitution il est indispensable de ratifier ces ordonnances – qui ont été publiées, je le souligne, dans les délais légaux – afin qu’elles ne disparaissent pas de l’ordre juridique, ce qui aurait pour conséquence de fragiliser la future collectivité de Corse.
Ainsi, le projet de loi ratifie dans son article 1er l’ordonnance no 2016-1561 du 21 novembre 2016 complétant et précisant les règles budgétaires, financières et comptables applicables à la collectivité de Corse ; dans son article 2, l’ordonnance no 2016-1562 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures institutionnelles relatives à la collectivité de Corse ; dans son article 3, l’ordonnance no 2016-1563 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures électorales applicables en Corse ; enfin, il corrige, dans son article 4, une malfaçon, disons, de la loi de finances pour 2017 en réintroduisant la possibilité de financer des actions de désenclavement de la montagne par les éventuels reliquats de dotation de continuité territoriale.
Quelques mots, mesdames et messieurs les députés, relatant les étapes précédentes car il me semble qu’elles méritent vraiment d’être rappelées.
Le 26 janvier 2017, en première lecture, une majorité de sénateurs – sans parvenir, hélas, et je le regrette, à se départir d’une posture politicienne – a rejeté ce projet de loi…
…tout en déclarant son soutien au principe d’une collectivité unique. Le 9 février, mesdames et messieurs les députés, vous avez adopté ce projet en première lecture. Le 13 février, la commission mixte paritaire n’a pu que constater le désaccord entre les deux chambres. L’Assemblée nationale a quant à elle confirmé son vote en nouvelle lecture, la semaine dernière, le 15 février.
Le lendemain, le 16 février, dans une séance qui restera sans doute comme l’une des plus curieuses de la législature, le Sénat adoptait successivement, par un vote à main levée, chacun des quatre articles du projet de loi, avant de rejeter étonnamment, quelques minutes plus tard, l’ensemble du projet, par scrutin public et à une courte majorité de quinze voix.
Je dois à la vérité de dire que ce scrutin public s’est déroulé dans une grande confusion. En effet, dans la mesure où les articles avaient été précédemment adoptés, la position alors exprimée sur l’ensemble du texte démontre, s’il en était encore besoin, la logique de destruction des opposants à la collectivité unique. Tout cela n’est pas très honorable et, sans commenter davantage l’attitude de la majorité sénatoriale, à laquelle a adhéré en l’espèce le groupe communiste, je m’en tiendrai à ma position initiale qui a consisté, pendant plus d’un an, à travailler à l’élaboration de ces ordonnances dans un exercice de co-construction exemplaire entre le Gouvernement et les élus corses – que je tiens à saluer ici, dans cet hémicycle.
Nous avons en effet travaillé ensemble à l’élaboration de ces ordonnances. Aujourd’hui, si, comme je l’espère, et comme je vous le demande, mesdames et messieurs les députés, vous ratifiez ces ordonnances, ma mission sera achevée, et la collectivité de Corse sera bel et bien une réalité au 1er janvier prochain.
Mesdames et messieurs les députés, permettez-moi de dire encore quelques mots sur cette future collectivité. La collectivité de Corse, collectivité à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution, se substituera, à compter du 1er janvier 2018, à la collectivité territoriale de Corse et aux deux départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud. Parce que nous en avons déjà beaucoup parlé, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, je ne reviendrai pas sur la patiente élaboration des ordonnances destinées à en régler les détails. J’insisterai seulement sur deux éléments : la création de cette collectivité et son avenir.
Cette collectivité résulte – il faut le souligner – de la seule volonté des élus corses, qui en ont voté le principe à l’Assemblée de Corse en 2014, à une large majorité, toutes tendances confondues. Mais elle résulte aussi d’une demande des Corses eux-mêmes, qui voient, à l’évidence, l’intérêt de concentrer, sur un territoire de 300 000 habitants, une gouvernance qui améliorera, à moindre coût, leurs services publics et qui simplifiera leurs démarches. En effet, la future collectivité, dotée de la clause de compétence générale, exercera, avec une assemblée et un conseil exécutif à l’effectif légèrement augmenté, les compétences qui sont aujourd’hui celles des départements et de l’actuelle collectivité territoriale de Corse.
J’ai décidé, par ailleurs, de répondre favorablement à une forte demande des élus concernant l’institution d’une chambre des territoires. Elle sera installée à Bastia et permettra de mieux coordonner l’action publique et la solidarité financière entre la collectivité de Corse, les communes et leurs intercommunalités. J’ai bien entendu la critique des sénateurs, et même de certains députés, selon laquelle il s’agirait d’une coquille vide.
Et ils le confirment ! Je souhaite répondre à nouveau sur ce point, car cela n’est pas vrai. C’est une entité nouvelle, en effet, et elle sera, mesdames et messieurs les députés, ce que les élus en feront. En ce qui me concerne, parce que je commence à bien les connaître, je leur fais confiance, pleinement confiance – et je m’étonne que le Sénat n’ait pas fait de même – pour construire un véritable outil de gouvernance. La collectivité de Corse disposera donc de l’ensemble des règles qui lui permettront de se constituer et de construire son avenir.
Elle n’est pas livrée « clé en main » – autre formule qui a fait florès ce matin dans la presse corse ! Aux élus de Corse de la mettre en oeuvre dans l’intérêt des Corses et de la Corse, mais aussi dans celui des personnels ! Et je sais que les élus concernés, dans leur diversité, y attachent beaucoup d’importance. Récemment, ils l’ont d’ailleurs rappelé publiquement, tous ensemble.
Tel est, mesdames et messieurs les députés, l’important projet de loi de ratification que je vous demande, au nom du Gouvernement, d’adopter définitivement. Ce texte, comme celui portant sur la résorption du désordre foncier, que je vous présenterai dans un moment, donnera toutes les chances à la Corse, à ses élus et à son peuple…
…de rationaliser et de moderniser la gestion publique, tout en maintenant les orientations qu’ils souhaiteront donner à l’avenir de leur île et au respect de ses traditions.
La collectivité de Corse est désormais sur les rails. Le processus est irréversible et j’ai l’intime conviction que nous avons tous oeuvré, à Paris comme en Corse, pour donner à l’île l’institution la plus prometteuse depuis la loi du 13 mai 1991 portant statut de collectivité territoriale de Corse. Il appartiendra à nos successeurs, main dans la main avec les élus corses, comme nous avons su le faire aujourd’hui, au-delà de nos différences et de nos divergences, d’écrire la suite de cette belle histoire.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à M. François Pupponi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, comme M. le ministre vient de le dire, nous sommes à un moment particulier de l’histoire de cette législature, de l’histoire de cette assemblée, et de l’histoire de l’île de Corse. Ce soir, en cette fin de législature, nous allons débattre de deux textes importants.
Celui qui nous occupe ici est un projet de loi portant ratification d’ordonnances relatives à la collectivité de Corse. En tant que rapporteur de la commission des lois, je confirme que ces ordonnances correspondent parfaitement à la loi d’habilitation votée par cette assemblée, et que toutes les mesures indispensables à la création de cette collectivité unique, qui verra le jour au 1er janvier 2018, y sont réunies.
Je songe d’abord aux problématiques d’ordre budgétaire, fiscal et comptable, qui permettront à la collectivité de fonctionner. Je pense également à la question du personnel de cette nouvelle collectivité, avec le transfert des personnels de la collectivité actuelle et des deux conseils départementaux de Haute-Corse et de Corse du Sud – trois collectivités qui vont disparaître pour laisser la place à la collectivité unique. Je songe, enfin, aux questions institutionnelles, législatives et électorales : le bon déroulement des élections sera garanti, la modification du corps électoral pour les élections sénatoriales sera prise en compte et – vous l’avez dit, monsieur le ministre – la création de la chambre des territoires permettra aux élus territoriaux d’aborder les problèmes qui se posent dans les différents territoires de l’île.
La commission des lois de cette assemblée n’a pas relevé de problème particulier s’agissant de ce texte. Vous avez souhaité, lors de la précédente lecture, ajouter un amendement relatif à la dotation de continuité territoriale. Cet amendement, dont il avait déjà été question en loi de finances, a été adopté en commission, puis en séance. Le texte que vous nous proposez aujourd’hui correspond donc parfaitement à la loi d’habilitation, ainsi qu’à l’amendement voté par notre commission. La commission ne relève aucun problème législatif particulier, et j’invite bien entendu mes collègues à voter ce projet de loi afin d’achever enfin ce long marathon.
Vous avez rappelé, monsieur le ministre, les soubresauts qui sont survenus au Sénat, dans des conditions un peu particulières – pour ne pas dire ubuesques. Il faudrait faire une petite recherche pour voir si un cas similaire s’est déjà produit dans notre illustre assemblée, s’il est déjà arrivé que l’on vote tous les articles d’un texte, mais pas le texte lui-même. Cela n’a pas dû se produire souvent, et l’on peut s’étonner d’une péripétie parlementaire qui fera sans doute couler un peu d’encre.
Mais tout cela ne restera, au fond, qu’un épiphénomène. En effet, je suis convaincu que ce projet de loi sera définitivement adopté ce soir, qu’au 1er janvier 2018 la collectivité unique verra le jour, et que tout se passera bien. Il s’agit d’une réforme importante et, en saluant les élus de Corse ici présents, notamment les deux présidents, Jean-Guy Talamoni et Gilles Simeoni, je veux rappeler que cette collectivité unique est attendue, à la fois par les élus et par les habitants de l’île. Cette réforme institutionnelle était indispensable. En effet, comment comprendre qu’une île de 360 000 habitants compte autant de strates : les communes les intercommunalités, les départements, la collectivité territoriale ? Il fallait rationaliser tout cela et donner à la Corse un outil institutionnel qui lui permette de faire face aux défis et aux problématiques qui sont les siens aujourd’hui. Il fallait permettre aux Corses de prendre enfin leur destin en main, grâce à un cadre institutionnel rénové, ambitieux et novateur.
Vous l’avez dit, monsieur le ministre, vous avez fait tout ce qu’il fallait pour que nous puissions respecter les délais courts qui nous étaient impartis. Permettez-moi de saluer votre action et la manière dont vous avez mené les débats et les négociations au cours des derniers mois, jusqu’à cet ultime rendez-vous. Le temps était contraint, mais vous êtes parvenu à faire aboutir ce projet, et c’est tout à votre honneur. Permettez-moi d’associer à mes félicitations Marylise Lebranchu, ici présente, qui avait initié le processus.
Nous sommes réunis aujourd’hui pour terminer ce long marathon, qui a parfois été difficile. Je sais que certaines personnes s’opposent à ce texte, et elles s’exprimeront après moi. Elles ne s’opposent pas forcément à la collectivité unique, mais à la méthode employée par le Gouvernement et le Parlement. Pour ma part, j’approuve la manière dont les choses se sont passées et j’incite nos collègues à voter ce texte important pour l’avenir de l’île.
Par ailleurs, même si certains laissent penser qu’on pourra revenir sur ce texte après les élections présidentielles et législatives, j’ai la conviction que nous ne pourrons pas inverser le mouvement, pour des raisons à la fois juridiques et politiques. En effet, comme je l’ai déjà dit dans ce même hémicycle, lors de ma précédente intervention sur ce texte, celui-ci s’appliquera dès le 1er juillet, puisque le processus électoral, notamment pour des élections partielles, ne pourra plus avoir lieu après cette date. Le mode de scrutin des sénateurs va également changer, et je suis convaincu que le texte que nous allons voter ce soir rendra irréversible cette grande et belle création de la collectivité unique de Corse. De nombreux Corses l’attendent, de nombreux Corses sont venus ici ce soir pour saluer la réussite de ce processus, et je crois que nous sommes, tous ensemble, en train de réussir quelque chose de grand. C’est tout à l’honneur de cette assemblée.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis heureux d’être parmi vous ce soir, pour l’une de mes dernières interventions dans cet hémicycle.
Je parle de cette législature, cher collègue !
Je suis heureux d’être parmi vous, disais-je, pour m’exprimer sur la question de l’organisation territoriale. J’appelle ce texte de mes voeux et je le voterai. À mes yeux, c’est la France de demain, celle du XXIe siècle, que nous allons contribuer à enrichir. Ce n’est pas la première fois que les Corses nous montrent l’exemple. En 1755, déjà, ils avaient voté une constitution qui séparait les pouvoirs, qui donnait le droit de vote à tous les propriétaires, hommes ou femmes, et qui comprenait une déclaration des droits de l’homme.
En dignes élèves des Lumières qu’ils étaient, les Corses nous avaient montré la voie. Pasquale Paoli, dont on lit le nom partout en Corse, fut l’un des rédacteurs de cette constitution. Malheureusement, la jeune République corse fut détruite en 1769 par la France, laquelle, par la suite, n’a pas toujours été très sensible au particularisme de l’île – ni à d’autres particularismes, d’ailleurs. Aujourd’hui, nous entendons la Corse. Aujourd’hui, nous finissons le travail qui a été commencé par la loi NOTRe. Pour ma part, j’ai évidemment soutenu la création de cette nouvelle collectivité unique de Corse. J’avais d’ailleurs moi-même déposé un amendement visant à créer une collectivité unique en Bretagne, par la fusion des départements, dont celui de la Loire-Atlantique, et de la région. Celui-ci a été rejeté, mais je ne désespère pas que, petit à petit, les mentalités évoluant, la Bretagne emprunte le même chemin.
Certains diront que les Corses ont été consultés par référendum en 2003 et qu’ils ont rejeté cette proposition. C’est vrai, mais l’opinion évolue, et les majorités successives élues par le peuple corse à la collectivité ont soutenu la fusion, jusqu’à l’exécutif actuel, dont je salue la présence dans cet hémicycle ce soir. D’ailleurs, pour les élections régionales de 2015, les candidats de la droite et de la gauche de gouvernement comme les nationalistes ont fait campagne pour une collectivité unique. À mon avis, le référendum, il était là !
Avec la redistribution des compétences en cours, la région doit relever dès aujourd’hui le nouveau défi consistant à imaginer et à expérimenter une simplification du paysage institutionnel décentralisé. Il faut alléger le mille-feuille territorial, là où c’est possible et là où les élus le demandent. Cet allégement s’articulera au mieux avec la volonté ébauchée d’affirmer la région comme collectivité « stratège », motrice du développement économique, social et environnemental, d’une part, et avec le besoin d’une gestion adaptée à la diversité de ses territoires et à un souci de proximité, d’autre part.
Cette initiative de réorganisation territoriale ravivera le potentiel de coopération de toutes les forces vives.
Certains, à la droite de nos bancs, craignent une recentralisation régionale, à la faveur de la disparition des deux départements. Je conteste vigoureusement cette vision, alors que les intercommunalités prennent une dimension jamais vue. D’ailleurs, je m’étonne que ceux qui en viennent à utiliser cet argument ne remettent pas en cause la centralisation qui caractérise la France elle-même : Paris et sa région concentrent 20 % de la population du pays, les principales fonctions de commandement politiques et économiques, ainsi que les médias et le tertiaire supérieur. La véritable centralisation est là, et l’on peut comparer cette situation avec l’organisation urbaine en Allemagne ou en Italie, par exemple.
L’organisation territoriale du futur est donc en train de se construire sous nos yeux en Corse, sur la base du quadriptyque : intercommunalité, région, État, et Europe. Quant aux départements, en Corse ou en Bretagne, ils n’ont, à mon avis, plus de raison d’être.
Sourires.
Je regrette qu’en dehors de certaines métropoles, il n’ait rien été proposé dans la loi NOTRe pour reconnaître le principe de différenciation et permettre la création de collectivités locales à statut particulier, susceptibles d’exercer des compétences spécifiques, de façon pérenne. Il faut souvent bricoler, comme au Pays basque, où est créée une communauté urbaine englobant l’ensemble du territoire – y compris la Soule, pourtant bien éloignée de l’agglomération Biarritz, Anglet, Bayonne. En définitive, on progresse, mais comme cela est difficile !
J’en reviens à ce projet de loi, qui porte ratification de trois ordonnances parachevant la collectivité unique de Corse. Ces ordonnances étaient destinées, selon le Gouvernement, à « tirer l’ensemble des conséquences électorales, juridiques, budgétaires, financières et comptables de la création de la collectivité de Corse, ainsi que les règles relatives aux concours financiers de l’État et aux fonds nationaux de péréquation des recettes fiscales applicables à la collectivité de Corse ».
Le texte a donné lieu à une large concertation en amont. Les ordonnances ont en effet été co-construites avec les élus de Corse, notamment avec l’exécutif actuel. Le Sénat les a pourtant rejetées par posture politicienne – le fait que des élections doivent se tenir en Corse en décembre 2017 n’ y est peut-être pas étranger.
La Corse joue, une fois encore, le rôle de précurseur sur la question des institutions politiques et administratives, et elle grignote peu à peu le dogme de l’État unitaire, qui fait fi de la nécessité d’une gestion différenciée des territoires et de leurs habitants, pour répondre le mieux possible à leurs aspirations. Elle a un statut spécial, certes loin du fédéralisme qui caractérise celui de la Nouvelle-Calédonie, mais qui correspond à l’évolution que j’appelle de mes voeux pour la France entière. Je souhaite, en définitive, témoigner toute mon amitié au peuple corse. Au total, quatre députés corses sont présents ici ce soir, cinq avec François Pupponi, et cinq et demi avec moi !
Sourires.
Je souhaite bon vent à ce nouveau développement de la Corse ! Bona furtuna a a Corsica !
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur – mon cher François –, je pourrais dire trois fois : « hélas ! », mais, ne voulant pas plagier le fondateur de la Ve République, je me contenterai d’une seule.
Sourires.
Et M. Molac vient de donner la raison de cet « hélas ! » : évoquant les ordonnances, il a oublié de préciser qu’elles ont été prises sur le fondement de la loi NOTRe. Or, mes chers collègues, cette loi n’a pas prévu de renforcer les intercommunalités.
Tout le problème est là. Monsieur le ministre, nous aurions pu construire un autre projet, mais vous êtes contraint, depuis le début, par la loi NOTRe. Vous l’avez dit vous-même lors de notre première rencontre : vous n’aviez pas d’autre mandat que de la soutenir, alors même que, comme moi, vous ne l’avez pas votée, même si c’est pour des raisons différentes : vous souhaitez maintenir les départements, quand je suis pour une collectivité nouvelle, unique, et pour la fusion des départements avec la collectivité de Corse, tout en préservant un équilibre des pouvoirs, des compétences et des moyens financiers.
Il convient, en effet, de marcher sur deux jambes : d’une part, une collectivité renforcée, qui pourrait même bénéficier d’un surcroît de décentralisation en se voyant transférer davantage de compétences par l’État ; d’autre part, le déplacement vers de grandes intercommunalités des pouvoirs, des moyens financiers et des compétences fiscales des conseils départementaux. Tel était l’équilibre auquel il aurait fallu parvenir et qui nous aurait permis d’avancer ensemble. Mais un tel consensus n’était possible qu’en adoptant une loi spécifique pour la Corse ou, du moins, une loi concomitante aux ordonnances permettant de sortir du cadre de la loi NOTRe.
Je le répète, c’est pour moi un regret. Ne dites pas que je m’oppose à ces ordonnances pour des raisons politiciennes. Ce qui s’est passé au Sénat est d’une autre nature. Hugues Portelli lui-même m’a dit que nous avions parcouru la moitié du chemin et que la fameuse chambre des territoires n’était qu’une coquille vide. Il a raison. Qu’aurait été, en effet, une coquille pleine ? Un établissement public disposant de la personnalité morale, de compétences réelles, de moyens financiers et d’une fiscalité propre. Or qu’avons-nous là ? En gros, un conseil de coordination des politiques publiques, organisme qui a déjà existé mais qui n’a jamais fonctionné. Cela ne marchera pas mieux cette fois-ci ! La grande nouveauté est que cette chambre siégera à Bastia. Très bien ! On peut ainsi prétendre vouloir maintenir un équilibre entre les différentes collectivités. Afin d’éviter un centralisme régionalisé à Ajaccio, capitale régionale, on fait croire que certains pouvoirs seront transférés ailleurs. Ce n’est pas le cas !
Sans créer une collectivité nouvelle et sans recourir à des artifices, nous aurions pu concevoir une organisation territoriale fondée sur un véritable partage des compétences. L’outil stratégique est l’outil de proximité, qui passe par un territoire organisé sur la base du regroupement des intercommunalités. Tels étaient le grand projet et la grande ambition ! Nous n’y parviendrons pas, et je le regrette. Il faudra donc poursuivre nos efforts.
Il existait aussi un projet de statut fiscal, qui aurait permis de doter la collectivité de Corse d’une fiscalité propre, renforcée, plus dynamique, et de développer l’économie en soutenant nos entreprises. C’est un rendez-vous raté. Je ne vous en veux pas, monsieur le ministre, même s’il faudra, sur ce point encore, poursuivre le travail. Mais pendant combien de temps allons-nous débattre de la Corse dans cet hémicycle ? J’aurais été d’accord pour le faire avec vous, monsieur le ministre, ou avec Mme Lebranchu, d’autant que vous connaissez ma constance : cela fait deux ans et demi que je dis la même chose. Continuons donc à travailler sur ces matières que nous avons laissées de côté. C’est du reste pour cela que nous ne sommes pas d’accord. Quant à la chambre des territoires, elle n’est qu’un ersatz.
Monsieur le ministre, vous parlez de la dotation de continuité territoriale et de reliquats potentiels. Je le dis aux représentants de l’exécutif de Corse présents dans la tribune : des politiques nouvelles seront certes engagées pour leur faire plaisir, mais avec des ressources qui ne sont ni pérennes, ni garanties. En effet, la dotation de continuité doit être prioritairement utilisée pour résoudre le problème du coût des transports, qu’il s’agisse du fret ou du transport de passagers. Si nous souhaitons innover en proposant, par exemple, un nouveau tarif pour les retraités dans le domaine du transport aérien, les entreprises du secteur nous expliquent que le reliquat, qu’elles qualifient plutôt d’excédent d’exploitation, résulte de deux phénomènes : l’amélioration de leurs pratiques et l’évolution du prix du carburant. Or, ce dernier va augmenter. Les ressources ne sont donc pas pérennes. Nous devons nous attendre à des déséquilibres qui risquent de peser sur les choix stratégiques, l’essentiel étant négligé au profit du subalterne. Des ressources propres seraient pourtant utiles au développement de l’intérieur de la Corse, des zones de montagnes.
Monsieur le ministre, telles sont les raisons de notre désaccord avec vous, que je regrette profondément. J’ai voté en faveur de la collectivité unique en 2003. Je n’ai pas peur d’un référendum. Je pense qu’il aurait été gagné, s’il avait été organisé sur un vrai projet.
Aujourd’hui, j’ai une pensée pour l’ensemble des personnels, car je sais qu’ils sont inquiets. Si la collectivité nouvelle est créée, nous ferons tout pour les rassurer. Qu’ils soient agents départementaux ou territoriaux, ils ont travaillé pour la Corse et continueront à le faire. Nous serons là pour les défendre, parce que demain, quelle que soit l’organisation de la Corse, il faudra continuer à construire son avenir.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je salue également les représentants de l’exécutif corse, présents aujourd’hui pour assister à la délibération de notre assemblée sur un texte important qui, on l’a vu encore récemment, soulève quelques passions. En cette fin de législature, deux des derniers textes que nous examinons concernent la Corse – doit-on y voir un signe ? En ce qui me concerne, ces textes ont une résonance particulière, car ils définissent un statut particulier pour une collectivité insulaire ayant entretenu avec la France des relations elles aussi particulières.
Si celui qui sera débattu tout à l’heure, relatif à l’assainissement cadastral et à la résorption du désordre de la propriété, a fait l’objet d’un relatif consensus, il en est autrement du présent texte, adopté à deux reprises par notre assemblée, rejeté autant de fois par le Sénat, et sur lequel la commission mixte paritaire n’a pu parvenir à un accord. Rappelons que ce désaccord ne concerne pas la création d’une collectivité unique de Corse, collectivité à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution, mais que ce sont bien ses modalités pratiques, tant sur le plan électoral et institutionnel que financier, qui sont en cause.
La question de la création d’une collectivité unique de Corse a été débattue pendant près de quinze ans – est-ce un délai suffisant pour parvenir à un consensus ? –, jusqu’à être votée à une large majorité par l’Assemblée de Corse le 12 décembre 2014. C’est à l’occasion de l’examen de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe », qu’un amendement gouvernemental prévoyant la création de cette collectivité unique a été adopté.
On ne peut que comprendre les réticences de certains élus corses, qui ont vu la création d’une collectivité unique de Corse se décider à l’occasion d’un amendement – par raccroc, en quelque sorte – sur un texte pour une large part déjà examiné par l’Assemblée.
Il est évident qu’un acte aussi important – et dont on parle depuis aussi longtemps – dans la vie démocratique d’un territoire, dont l’histoire est aussi singulière que celle de la Corse, aurait pu faire l’objet d’un texte législatif dédié, comme cela fut le cas en 1982, en 1991 ou encore en 2001, à chaque fois que des évolutions statutaires ont été décidées pour la Corse.
Aussi, nous en convenons, les conditions d’examen de ce texte auraient pu être meilleures. Pour autant, adopter définitivement ce projet de loi de ratification, même dans des conditions imparfaites, c’est parachever enfin la création de cette collectivité, en précisant les modalités qui l’encadrent. C’est permettre, à compter du 1er janvier 2018, la substitution de la « collectivité de Corse » à la collectivité territoriale de Corse et aux deux départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud.
Mes chers collègues, ce projet de loi est l’un des derniers prolongements législatifs propres à la mise en oeuvre des dispositions de la loi NOTRe. Il prévoit la ratification de trois ordonnances, prises sur le fondement de l’article 30 de cette loi, qui déterminent les modalités pratiques de la création de la collectivité unique de Corse.
La première ordonnance complète et précise les règles budgétaires, financières, fiscales et comptables applicables à la collectivité de Corse. La deuxième, institutionnelle, prévoit les adaptations nécessaires au fonctionnement de la collectivité de Corse, à l’exercice de ses différentes compétences et prérogatives et à la composition des différents organismes dans lesquels elle est appelée à être représentée. Enfin, la troisième comporte diverses mesures électorales applicables en Corse, notamment celles qui sont nécessaires à l’élection des membres de l’Assemblée de Corse en décembre 2017.
À l’heure des grandes intercommunalités et du redécoupage régional, l’instauration d’une collectivité unique demeure la formule institutionnelle la mieux adaptée à certains territoires, notamment au fait insulaire. N’interrompons pas ce processus législatif, au risque de créer de l’insécurité juridique et de porter préjudice aux fonctionnaires et agents, pour lesquels la ratification de ces ordonnances sera déterminante.
En fonction de ces considérations, le groupe UDI votera donc, comme en première et en nouvelle lecture, en faveur de ce projet de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Dans les explications de vote, la parole est à Mme Marylise Lebranchu, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.
C’est ma dernière prise de parole de ma vie parlementaire et ministérielle :…
…je trouve extraordinaire qu’elle porte sur un texte qui a été difficile à conduire. J’entends bien les remarques qui ont été faites sur l’amendement à la loi NOTRe : Camille de Rocca Serra a affirmé qu’il aurait été possible de présenter un texte spécifique. Je tiens à le répéter ce soir : si nous avions fait un tel choix, il n’est pas certain qu’il aurait été possible d’aller au bout de celui-ci dans les quarante-huit heures qui nous restent. Comme le dit l’adage : un tiens vaut mieux que tu l’auras.
Ce qui nous a poussés à utiliser tous les recours de droit offerts par le Parlement pour réussir à aller au bout de la naissance de la collectivité unique – je remercie M. Baylet d’avoir conduit, avec ses équipes, le travail titanesque représenté par ces ordonnances – est un élément fort : le fait que nous y croyons. Nous avons largement partagé la confiance des élus. C’est la raison pour laquelle, aujourd’hui, cette séance, bien que quasi symbolique, est déterminante et que la naissance de cette collectivité ne suscite en nous aucun état d’âme, d’autant que ce sont les élus corses eux-mêmes qui ont préparé le travail. Peu d’élus ont pris, avec des spécialistes qui sont également dans les tribunes ce soir, autant de temps pour réussir à formuler des propositions suffisamment précises et éclairées pour qu’un amendement suffise à les porter. Je tiens à remercier tous ceux qui ont participé à ce travail.
Monsieur le président, je ne reviendrai jamais en ce lieu, sauf, peut-être, demain après-midi, s’il y a besoin de votants : je tiens donc à souligner combien le vote de ce soir me touche. J’ai l’impression que, de bretonne que j’étais en arrivant au ministère que vous occupez aujourd’hui, monsieur Baylet, je suis ressortie un peu corse. C’est une avancée importante. Cet attachement n’est pas né d’un paysage magnifique ou de gens qui parlent une langue extraordinaire ou partagent encore totalement leur culture : non, il est né de la détermination, de l’enthousiasme et de la pugnacité de ces élus à se remettre en question.
Je salue d’autant plus ces élus qui nous ont conduits au vote de ce soir, qu’ils l’ont fait en prenant de grands risques devant les électeurs. Choisir l’intérêt général au détriment d’une forme de confort, c’est sans doute ce qu’il y a de plus précieux dans une démocratie. Or les élus de Corse ont choisi l’intérêt général au détriment de leur propre confort. Il convient de saluer ce geste, dont je les remercie.
Je remercie également le rapporteur quasi-corse, François Pupponi. Comme c’est la dernière fois que je m’exprime, je peux me permettre également de remercier vos équipes, monsieur le ministre, et les miennes, parce que, je le répète, conduire ce texte était difficile et complexe. Je remercie aussi les équipes qui ont tenu, en Corse, à travailler avec nous jusqu’au bout. Il aurait été assurément magnifique de présenter un grand texte, mais la chose était impossible. Il aurait été également magnifique d’organiser un référendum mais nous n’aurions pas eu le temps de le préparer. Cette législature était précieuse : il fallait l’utiliser pour créer cette collectivité unique. Je suis très fière, ce soir, d’être un parlementaire français sur le point de voter la création de l’assemblée unique de Corse.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Notre collègue Gomes a expliqué pourquoi nous soutenons ce texte. Il existe une raison supplémentaire que, volontairement, il n’a pas évoquée : nos collègues alsaciens ont essayé de réaliser la même chose, mais par la voie référendaire, et ils ont échoué de peu. Pourquoi ? À cause de l’existence de trois verrous. Or il est pratiquement impossible de réussir à lever ces trois verrous. Si la voie référendaire avait été choisie pour la Corse, mes chers collègues, aurait-on réussi à lever les trois verrous ? J’en doute beaucoup.
Cela doit nous servir de leçon. D’autres régions veulent aller, elles aussi, au bout de l’articulation entre la région et les départements, en les fusionnant.
Et en fusionnant non pas quatre mais cinq départements, de façon à réunifier la Bretagne !
Et ce souhait est assez bien partagé entre les différentes sensibilités politiques : des élus de droite, du centre et de gauche sont pour, d’autres sont contre. La solution adoptée ce soir est la seule possible si nous voulons rationaliser : le tout est de partir de la base et de ne plus imposer d’en haut, comme ce fut trop souvent le cas, des systèmes qui aboutissent parfois à des catastrophes.
Telle est donc l’une des raisons supplémentaires pour lesquelles nous soutenons le texte. Toutes les personnes de bonne volonté, appartenant à toutes les sensibilités politiques, devraient se demander s’il n’est pas possible de présenter d’autres textes spécifiques en fonction des demandes du terrain. Il ne faut pas préparer un grand texte national. Si les Bretons le souhaitent, eh bien, faisons une loi spécifique à la Bretagne. Il en est de même notamment pour les Alsaciens. La méthode utilisée pour ce texte le permet.
L’autre méthode, au contraire, aboutira au même résultat que la réorganisation des régions : un pataquès incroyable, une élaboration dépourvue de toute cohérence. Telle est la raison, mes chers collègues, pour laquelle il faut soutenir ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
La parole est à M. Laurent Marcangeli, pour le groupe Les Républicains.
Les dés sont jetés. Nous avons déjà eu l’occasion de débattre à plusieurs reprises de ce projet, que ce soit lors de l’examen de la loi NOTRe ou lors de nos discussions sur les ordonnances, dont le projet de ratification arrive aujourd’hui en dernière lecture.
Il n’est pas besoin de consulter une boule de cristal pour affirmer, après Camille de Rocca Serra, que le texte sera adopté dans quelques minutes. Il n’en demeure pas moins qu’il sera très important, dans les semaines et les mois à venir, de s’occuper de la fusion de ces trois collectivités, s’agissant notamment de leurs agents. Mon collègue l’a souligné dans sa conclusion : je tiens à le marteler à mon tour.
En effet, des milliers d’hommes et de femmes travaillent dans ces trois collectivités, en Corse, en Haute-Corse et en Corse-du-Sud. Cette fusion devra s’effectuer dans les meilleures conditions afin que l’efficacité des services publics prodigués sur l’ensemble des territoires soit garantie de manière continue. Si nous y attachons une grande importance, c’est que pour de nombreux territoires, notamment les plus reculés, la proximité des services publics revêt, au quotidien, une réelle importance.
Pour conclure, je recourrai à une forme de pirouette : il s’avère parfois que, lors des débats parlementaires, les contraires s’attirent – c’est le cas ce soir. Je viens d’entendre mon collègue s’exprimer au nom du groupe UDI : or certains de ceux qui siègent dans l’Assemblée de Corse et appartiennent à la majorité actuelle en font parfois le contre-exemple des politiques à mener. Il vient de déclarer qu’il est favorable à la collectivité unique. Je suis élu de Corse sans être favorable à cette collectivité unique et à ces ordonnances. C’est la joie de la politique. Tout n’est pas blanc ou noir : ce soir, de nouveau, nous pouvons faire le constat que les contraires peuvent s’attirer.
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi dans le texte voté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Le projet de loi est adopté.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Je tiens à remercier le Parlement, dans sa diversité politique, d’avoir adopté ce texte. Mes remerciements vont, naturellement, tout d’abord à la majorité gouvernementale qui a voté pour, ensuite au groupe centriste, qui nous a rejoints sur ce texte, comme quoi il est possible parfois de se retrouver sur des majorités d’idées. Je tiens également à remercier les parlementaires du groupe Les Républicains qui, même s’ils ne nous ont pas suivis – ils en ont expliqué les raisons –, ont été, durant le débat, respectueux, courtois et, finalement, positifs parce qu’ils sont globalement d’accord sur la nécessité de créer cette collectivité de Corse, qui a vu le jour à l’instant.
C’est un moment historique. Je suis certain qu’on ne reviendra jamais en arrière. C’est l’intérêt de la Corse et des Corses. Nous avons bien oeuvré avec l’ensemble des responsables corses qui sont dans les tribunes et que je remercie dans leur diversité. Je remercie également leurs collaborateurs ainsi que les miens. La collectivité de Corse est désormais une réalité : elle sera en place le 1er janvier 2018 et je suis sûr, je le répète, qu’on ne reviendra jamais en arrière parce que c’est l’intérêt de la Corse et le sens de l’histoire.
Madame Lebranchu, nous partageons une même communauté de destin : vous allez quitter le Parlement et moi le Gouvernement et, vous comme moi, nous nous retrouvons sur ce texte. Vous êtes entrée bretonne et vous êtes ressortie corse. Je suis entré un peu corse et je suis ressorti totalement corse. Nous avons oeuvré ensemble dans l’intérêt de la Corse et pouvons ensemble en être fiers.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi, modifiée par le Sénat, visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de la propriété (nos 4460 et 4480).
La parole est à M. le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le 8 novembre 2016, vous votiez à l’unanimité en première lecture la proposition de loi relative à la résorption du désordre foncier, déposée par les députés Camille de Rocca Serra, que je salue doublement, puisqu’il en est le rapporteur, Sauveur Gandolfi-Sheit, Paul Giacobbi, Laurent Marcangeli et François Pupponi. Le simple rappel des signataires est éloquent et montre l’importance de cette proposition de loi pour la Corse et les Corses.
Le 8 février dernier, alors que le Sénat n’avait pu trouver le temps nécessaire à son examen dans l’ordre du jour réservé au groupe Les Républicains, le Gouvernement, sur mon initiative, l’a inscrite dans le temps dont il disposait encore.
Ce jour-là, le Sénat, plus pondéré que sur le texte précédant – il faut le souligner –, a adopté ce texte avec quelques modifications.
Aujourd’hui, 21 février, à deux jours de la fin de la législature et après l’adoption à l’instant du projet de loi de ratification des ordonnances relatives à la collectivité de Corse, me voici devant vous pour conclure et, je l’espère, faire voter cette proposition de loi. Si vous l’adoptez, mesdames et messieurs les députés, dans les mêmes termes que le Sénat le 8 février dernier, nous aurons encore une fois franchi ensemble une nouvelle étape en faveur du développement de la Corse et de l’intérêt des familles corses.
Mesdames et messieurs les députés, je connais tout particulièrement l’importance de ce sujet et je souhaite vous en dire à nouveau quelques mots. Chacun en Corse sait la nécessité, désormais inéluctable, du retour au droit commun en matière de droits de succession. Mais la Corse n’est malheureusement pas encore parvenue à résorber intégralement le grand désordre foncier dans lequel elle se trouve depuis le 21 Prairial An IX, ou le 10 juin 1801, selon que l’on choisit de faire référence au calendrier révolutionnaire ou au calendrier grégorien – je vous laisse le choix, en fonction de vos convictions et de vos préférences.
J’imagine en effet que vous préférez le grégorien, monsieur de Courson,…
…et j’en comprends aisément les raisons !
Sourires.
À cette date devenue emblématique entre toutes, André-François Miot, alors administrateur général de la Corse nommé par le Premier Consul, décide d’abroger sur l’île les pénalités encourues pour défaut de déclaration d’une succession dans le délai légal de six mois.
Contrairement à ce que l’on croit généralement, il ne s’agissait pas d’un cadeau fiscal. Bien au contraire, le nouvel administrateur articule avec pragmatisme cette suppression du délai avec la détermination d’une méthode de taxation forfaitaire. Cela lui permet de tenir compte de la situation économique et géographique de l’île – les villages sont pauvres et souvent difficiles d’accès, les routes et les chemins peuvent être difficiles à emprunter – et de l’absence de marché foncier sans perdre de vue son objectif, c’est-à-dire en récupérant au mieux l’impôt. Mais les conséquences furent rudes et il en est résulté une absence généralisée et massive de titres de propriété, faute de déclarations patrimoniales, notamment dans les zones rurales et montagneuses. Cette situation a installé dans l’île un énorme désordre foncier et largement participé à la dégradation des biens.
Les différents groupes de travail ainsi que les notaires qui se sont succédé depuis une trentaine d’années ont unanimement partagé ce constat et la nécessité d’y remédier en rétablissant les titres de propriété. Le retour au droit commun a donc été décidé, selon un calendrier échelonné prévu par la loi du 22 janvier 2002. Un dispositif transitoire en deux temps, avec une exonération totale des droits de succession jusqu’au 31 décembre 2012 puis une exonération de moitié jusqu’au 31 décembre 2017, a été établi. Écoutez-moi bien, monsieur de Courson !
De même, l’abattement de 30 % sur les mutations à titre gratuit consécutives au premier titrement, initié en 2014, doit prendre fin le 31 décembre prochain.
Conscient qu’avant de taxer, il est nécessaire de déterminer la matière imposable, le législateur, en 2007, a accompagné le retour au droit commun de la création d’un groupement d’intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété en Corse, le GIRTEC, associant des magistrats, des notaires et des fiscalistes.
Ce qui paraît anodin a soulevé, dans la pratique, des difficultés d’ampleur inattendue. Sans entrer dans des détails que j’ai déjà eu l’occasion de développer, dans cet hémicycle comme au Sénat, 35 % des parcelles doivent encore être titrées. Il faut rechercher les multiples propriétaires, eux-mêmes issus des derniers propriétaires dont la trace peut être retrouvée, le cas échéant, trace qui s’arrête en général au début du XXe siècle : il s’agit des « propriétaires apparents ».
Face à une telle situation et en vue de parvenir à un retour au droit commun dans les meilleures conditions, il est nécessaire de laisser le GIRTEC achever son travail. Le Gouvernement en est convaincu, monsieur le rapporteur. D’ailleurs, l’ancien premier ministre Manuel Valls s’est exprimé à ce sujet devant l’assemblée de Corse le 4 juillet, indiquant que le Gouvernement étudierait les propositions parlementaires sur ce sujet. Ainsi fut fait et vous avez élaboré, monsieur le député de Rocca Serra, la proposition de loi que nous examinons pour la dernière fois aujourd’hui et que l’Assemblée nationale s’apprête, je l’espère, à adopter.
Cette proposition de loi poursuit, depuis le départ, deux objectifs principaux au service du retour au droit commun. Il s’agit, d’une part, de la sécurisation de la prescription acquisitive – articles 1er et 2 –, et d’autre part, de la prolongation de l’actuel régime fiscal dérogatoire – articles 3, 4 et 5.
Je ne reviendrai que très brièvement sur ce dernier aspect, dès lors que les articles concernés ont été votés conformes par les deux assemblées. Il s’agit là, mesdames et messieurs les députés, du coeur même de la proposition de loi, qui proroge les dispositifs d’exonération partielle des droits de succession et de partage pour une période supplémentaire de dix ans, le temps pour le GIRTEC d’achever le titrement des parcelles restantes.
En ce qui concerne la prescription acquisitive, il s’agit de consacrer au niveau législatif l’acte notarié de notoriété acquisitive et d’assouplir les règles de majorité propres à certains actes dans le cadre des indivisions, afin de permettre l’accélération des règlements successoraux.
Le Sénat a modifié la rédaction initiale des articles 1er et 2. Il n’en a pas changé l’objectif mais en a limité la portée au seul territoire corse ainsi que la durée, adossée sur celle des exonérations fiscales, c’est-à-dire jusqu’en 2027. Lors du débat au Sénat, le Gouvernement ne s’est pas opposé à ces modifications, qui lui semblaient d’ailleurs préférables. Votre commission, en accord avec votre rapporteur, a également maintenu la rédaction adoptée par le Sénat. C’est une sage décision, monsieur le rapporteur, et je m’en félicite car cela rend désormais possible l’adoption conforme de cette proposition de loi qui, vous le savez, ne peut aboutir que si elle est votée ce soir dans des termes identiques à ceux du Sénat.
Enfin, je mentionnerai le nouvel article 7 adopté par le Sénat, qui vise à permettre la pleine application de la prescription acquisitive dans les départements d’Alsace-Moselle, où cette règle était interdite par la loi du 31 mars 1884. C’est bien sûr une bonne mesure, à laquelle le Gouvernement et votre commission ont souscrit.
Voilà ce que je souhaitais évoquer, mesdames et messieurs les députés, au sujet de cette proposition de loi.
Je n’ai aucun doute sur l’issue du vote. J’en suis sûr, votre assemblée adoptera ce texte dans quelques instants afin qu’il puisse devenir, dès sa publication, une loi de la République, la dernière de ce quinquennat. Si les choses se passent ainsi, j’en serai fier et heureux parce que je sais combien le peuple corse attache de l’importance à ce sujet.
Eh oui, monsieur de Courson, il y a un peuple corse,…
…un peuple breton, un peuple occitan, un peuple alsacien qui forment la République dans sa diversité.
Le droit commun sera atteint dans de bonnes conditions dès lors que le désordre foncier sera résorbé et la propriété assainie.
Parler de « peuple corse » est inacceptable ! Vous êtes ministre de la République, tout de même !
Il faut évoluer, monsieur de Courson. Nous ne sommes plus sous l’Ancien régime.
Cette cause valait bien le combat que nous avons mené ensemble. Le chemin pour parvenir à la réussite était semé d’embûches mais nous avons su les surmonter. Notre union a été notre force, au service de la Corse et des Corses. De cela, nous pouvons être fiers.
Ne devriez-vous pas agir « au service de la France et des Français » ? C’est extraordinaire !
En tout cas, c’est une journée importante pour la Corse, qui occupe à elle seule l’hémicycle du palais Bourbon en cette fin de législature. Après l’adoption du projet de loi de ratification des ordonnances il y a un instant, je vous fais confiance pour adopter la présente proposition de loi. Par avance, je vous en remercie.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à M. Camille de Rocca Serra, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi d’abord d’adresser un message de sympathie à Mme Marylise Lebranchu. Je ne sais pas qui se retrouvera dans cet hémicycle dans quelques mois.
En tout cas, je tiens à vous saluer, madame Lebranchu. Même si nous n’étions pas d’accord sur tout, j’ai apprécié le travail que nous avons effectué ensemble.
Je connais votre attachement et votre engagement pour la Corse.
Nous devons aujourd’hui mettre un point final au processus législatif engagé il y a moins d’un an sur la question du désordre foncier et de la fiscalité du patrimoine, principalement dans un territoire qui m’est cher, la Corse, laquelle connaît depuis trop longtemps les désagréments liés à une situation cadastrale unique en France et exige l’adoption de mesures dérogatoires pour permettre une normalisation.
C’est ce qui m’a conduit à déposer une première proposition de loi, le 29 mars 2016, avec mes collègues des Républicains Sauveur Gandolfi-Scheit et Laurent Marcangeli, puis une seconde, en octobre dernier, dépassant tout clivage politique, avec Paul Giacobbi et François Pupponi.
La suite des opérations, vous la connaissez tous. Le groupe Les Républicains a inscrit la proposition de loi à l’ordre du jour de sa journée d’initiative parlementaire du 8 décembre, date hautement symbolique – tous les Corses le comprendront – à laquelle l’Assemblée nationale l’a adoptée à l’unanimité. Au Sénat, le Gouvernement l’a inscrite sur son temps dans l’ordre du jour : je m’en suis réjoui et je renouvelle mes remerciements au ministre d’avoir trouvé cet espace pour poursuivre l’examen de ce texte qui fait consensus. In fine, le Sénat a examiné le texte le 8 février dernier en y apportant quelques modifications que je vais vous exposer. Dans son immense majorité, la Haute Assemblée a validé la proposition de loi. Croyez-moi, ce ne fut pas simple ! Il a fallu que j’explique chaque article, son bien-fondé, sa viabilité juridique, mais mes efforts se sont avérés payants.
Je ne reviendrai pas, comme en première lecture, sur la situation de désordre dont souffre la Corse et qui justifie les mesures que nous vous soumettons aujourd’hui. Je tiens seulement à vous faire remarquer que cette initiative parlementaire s’inscrit dans la continuité des lois de 2002 et 2006, ainsi que de la loi de finances rectificative pour 2008 qui avait, à ma demande, prorogé l’exonération des droits de succession sur les biens sis en Corse en raison du non-commencement des activités du GIRTEC.
De même, la présente proposition de loi s’inscrit dans la continuité de la décision du Conseil Constitutionnel du 29 décembre 2013 qui a sanctionné la prorogation à 100 % mais n’a pas remis en cause l’exonération partielle à 50 %. Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel exprimée dans sa décision du 7 juillet 2005, « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».
Ce texte global constitue une vraie réponse au désordre de la propriété.
Les dispositions fiscales faisant l’objet des articles 3, 4 et 5, ont été adoptées dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat en première lecture. L’article 3, de portée nationale, et les articles 4 et 5, propres à la Corse, sont de nature à accompagner et encourager les usagers du droit à organiser leur patrimoine pendant la période décennale qui s’ouvre, en cohérence avec les dispositions civiles des articles 1er et 2, sur lesquels je vais m’attarder davantage puisqu’ils ont été modifiés par le Sénat, nécessitant de fait cette nouvelle lecture.
Le premier porte sur la sécurisation de la procédure de titrement, qui est simplement, à ce jour, une pratique notariale. Le décret prévu par cet article permettra d’expliciter la procédure. Cette disposition aura également pour effet de réduire le délai de l’action en revendication sur les titres constitués par cette pratique, en le faisant passer de trente à cinq ans.
Le deuxième article porte sur l’abaissement des règles de majorité dans la gestion de l’indivision pour favoriser les règlements successoraux, une fois les actes créés. Cette opportunité est réservée aux seuls cas où l’indivision est constatée simultanément à la création d’un titre, pour que le partage puisse se faire à la majorité qualifiée des deux tiers, en lieu et place de l’unanimité, qui engendre des situations de blocage et favorise les coindivisaires taisants. La majorité requise en l’espèce est calquée sur celle établie pour les actes de conservation et d’administration dans la loi de 2006. De fait, en l’absence de dispositions dérogatoires, la création de titres, favorisée par l’article 1er, serait peu efficace ; le partage risquerait d’être irréalisable.
Les amendements des sénateurs ont eu pour conséquence de limiter le champ d’application de ces deux articles à la Corse. Or, je le rappelle, ces mesures sont aussi limitées dans le temps, puisqu’elles ne s’appliqueront qu’aux actes dressés jusqu’au 31 décembre 2027. Cette limitation territoriale se justifie par le fait qu’entre-temps les territoires ultramarins, également touchés par le désordre foncier, ont pu bénéficier de mesures adaptées en vertu de l’article 34 de la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer, qui sera promulguée dans les jours qui viennent. J’ai pris acte, en commission des lois, de ces modifications, dont j’approuve le principe. J’en profite pour confirmer à notre collègue Marie-Françoise Bechtel l’interprétation à donner du dernier alinéa de l’article 2, que nous avons validé en commission des lois.
Enfin, un troisième amendement de la commission des lois du Sénat a eu pour objet d’insérer un nouvel article, que nous acceptons tout autant, relatif à l’application de la prescription acquisitive en Alsace-Moselle, toujours dans le droit fil de la jurisprudence constitutionnelle précitée. La Corse, qui connaît l’intérêt de disposer d’adaptations en raison de ses spécificités et des difficultés qui lui sont propres, accueille avec bienveillance les départements alsaciens et mosellan dans ce texte qui constitue pour eux le véhicule législatif adéquat.
Au terme de cette navette, en dernière lecture, nous nous trouvons devant un texte abouti, constitué des mêmes articles clés, qui doivent permettre à la Corse d’emprunter la voie de la normalisation foncière. C’est le fruit d’un long travail qu’il vous est aujourd’hui proposé de valider. Après que l’Assemblée nationale et le Sénat eurent massivement dit oui, cette lecture définitive permettra, je n’en doute pas, de conclure l’examen de cette proposition de loi et, en qualité de rapporteur, mais aussi de premier cosignataire de ce texte, je vous demande de l’adopter dans les mêmes termes que ceux qui ont été votés par le Sénat il y a deux semaines.
Mes chers collègues, je sais qu’il n’est pas aisé de prendre toute la mesure du problème que cette loi entend régler. J’espère qu’au fil de la navette, mes explications vous ont donné une idée de l’enjeu, de l’ampleur de la situation à traiter, principalement, en Corse, mais aussi dans d’autres territoires. De fait, l’application du principe d’équité justifie que la représentation nationale prenne à bras-le-corps cette question et y réponde pleinement, dans ses aspects civil comme fiscal, pour que le droit constitutionnel de la propriété s’applique partout sur le territoire de la République.
En cette fin de processus législatif, je tiens à adresser ma reconnaissance aux professionnels du notariat, qui ont accompagné notre démarche et doivent, chaque jour, assumer les réalités quotidiennes de cette situation foncière. Je rends hommage en particulier à Maître Pieri, notaire à Aleria, qui m’a apporté sa précieuse contribution et sa vision de praticienne dans l’élaboration de la proposition de loi, et ce, avec l’implication et l’humilité qu’on lui connaît. Je veux adresser ma reconnaissance à ces hommes de l’art et leur passer, en quelque sorte, le relais. Le chemin fut long et sinueux. La loi doit à présent être promulguée. Par la suite, il faudra veiller à ce que l’intégrité du texte soit préservée par le Parlement.
Cela étant, une loi n’est rien si elle n’est pas appliquée. Le temps politique arrive à son terme. Le témoin est donc désormais transmis aux professionnels du notariat, qui auront à mettre en oeuvre le texte, à conseiller au mieux les usagers pour parvenir, dans les faits, à la résorption du désordre foncier.
Au-delà, c’est aux Corses que je veux m’adresser, à quelques minutes de ce vote fondamental. Dix années, c’est la période qui nous est octroyée pour nous organiser, pour engager la reconstitution des titres de propriété et les règlements successoraux. Que chacun, chaque famille en prenne la mesure pour faire le nécessaire. Il existe désormais des solutions adaptées à la plupart des cas. Notre rapport à la terre est fort ; il renvoie à nos racines, à nos ancêtres. Dans une Corse qui a évolué au cours de ces dernières décennies, la maison de village, souvent indivise et dépourvue de titre, reste encore, pour bien des familles, notre ancrage, un ancrage que nous n’avons plus le droit de laisser à l’abandon. Ne regrettons pas notre passé ; faisons en sorte que les dispositions de cette loi deviennent notre présent et, surtout, garantissent l’avenir de nos enfants.
Voilà, monsieur le ministre, ce que je tenais à dire devant notre hémicycle. Je veux vous remercier personnellement, ainsi que vos équipes. Je veux également remercier le Parlement pour sa compréhension et sa bienveillance. Cela montre que la République sait être à l’écoute des territoires qui la constituent lorsqu’ils ont besoin d’elle pour avancer. Au nom de la Corse, merci !
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, que vous dire si ce n’est que je suis particulièrement heureux de vous retrouver aujourd’hui afin, je l’espère, d’adopter de manière définitive la proposition de loi visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de la propriété. Je me réjouis car, comme cela a été rappelé par M. le rapporteur, ce texte est l’aboutissement d’un long parcours, au Parlement comme en Corse. Il est le fruit d’un travail collectif, qui dépasse les clivages partisans et va même au-delà de nos responsabilités politiques ; il s’est en effet principalement appuyé sur l’expertise des professionnels. Ce texte est soutenu par l’ensemble des députés corses, qu’ils soient élus de Corse ou qu’ils en soient originaires – il est particulièrement important de le rappeler.
Je voudrais aussi saluer le travail effectué par le Gouvernement. Monsieur le ministre, vous avez été un interlocuteur particulièrement attentif : je tiens à vous en rendre grâce. Cela a été un plaisir de travailler avec vous sur ce dossier, car vous avez saisi, avec vos équipes, la portée, la teneur des enjeux, pour la Corse et pour ses habitants, notamment concernant le sujet très particulier du désordre de la propriété. Je voudrais aussi remercier, après notre collègue Camille de Rocca Serra, celles et ceux qui, extérieurs à cet hémicycle et aux fonctions politiques, ont participé à ce travail.
Nous pouvons nous réjouir car, grâce à ce dispositif, nous allons apporter une réponse concrète, le genre de réponse que la politique a bien besoin d’apporter aux difficultés qui empoisonnent la vie de nos concitoyens. Le processus législatif a été exemplaire. Nous avons réussi à surmonter les obstacles, à nous montrer à la hauteur. Après les nombreuses initiatives d’ordre exclusivement fiscal qui ont été prises, faire application du code civil nous paraît à toutes et à tous une bonne manière de préparer l’indispensable normalisation de la situation que notre collègue Camille de Rocca Serra appelait de ses voeux tout à l’heure.
Je ne reviendrai pas sur le contenu technique du texte, déjà brillamment présenté. Je voudrais simplement insister sur le caractère pragmatique de la réponse apportée. C’est important, car c’est tout le contraire de ce qui a été fait dans le passé. Nous sommes aujourd’hui confrontés à la nécessité de placer le principe d’égalité au centre du jeu. Il est nécessaire de voter cette loi en gardant cela à l’esprit. Je vous demande donc, au nom du groupe que j’ai l’honneur de représenter, de bien vouloir voter ce texte. J’associe à cette demande mon collègue Sauveur Gandolfi-Scheit, qui est à nos côtés, ainsi que l’ensemble de mes collègues du groupe Les Républicains, que je remercie de leur présence.
Pour conclure, permettez-moi un mot un peu plus personnel, car c’est, pour moi aussi, une dernière. Je suis, certes, un jeune parlementaire, mais j’ai décidé de ne pas me représenter. C’est donc avec beaucoup d’émotion que je m’exprime aujourd’hui, d’autant que, je le sais, ce texte va recueillir le consensus. J’ai salué l’action du Gouvernement, tout en ayant été membre de l’opposition pendant cinq ans. Aujourd’hui, je m’exprime en tant que Corse, animé par la volonté de faire avancer les choses, et en qualité de parlementaire ayant le sentiment d’avoir accompli sa tâche avec rigueur, discipline, mais aussi la volonté de servir l’intérêt général. Alors que, comme je le disais, je m’exprime pour la dernière fois dans cet hémicycle, puisque j’ai décidé de ne pas briguer à nouveau le suffrage des électrices et des électeurs en juin prochain, je voudrais souligner que c’est grâce à ce genre de travail que nous réhabilitons tous ensemble l’ouvrage parlementaire, la collaboration entre les parlementaires et le gouvernement et l’action au service de l’intérêt général. Pour toutes ces raisons, je voterai évidemment pour ce texte, comme je l’ai fait en première lecture, et j’invite celles et ceux qui sont présents dans cet hémicycle à faire de même.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Sourires.
Sourires.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le désordre de la propriété dans certaines régions françaises, en particulier en Corse mais aussi dans les territoires d’outre-mer, n’est pas nouveau. S’il est un point sur lequel je m’accorde avec M. le rapporteur, c’est sur la nécessité de résorber cette situation – je cite – « en recourant à des mesures civiles et fiscales efficaces ». Ces situations de désordre s’expliquent notamment par l’absence de titres de propriété, pour des raisons historiques ou géographiques, ce qui engendre évidemment une insécurité juridique importante au détriment des propriétaires fonciers. C’est pourquoi le premier article, qui vise à reconstituer les titres de propriété, va dans le bon sens. Je rappelle toutefois, monsieur le ministre, qu’en droit civil, la prescription trentenaire est de droit commun : ainsi, quelqu’un qui se comporte en propriétaire, sans interruption pendant trente ans, est considéré comme tel. Les mesures proposées n’ont donc rien de nouveau par rapport au code civil français.
En revanche, sur les articles 3 à 5, qui visent à accorder ou à prolonger des exonérations de droit de succession – même si elles s’élèvent à 50 % et non à 100 % et ce, pour dix ans – le groupe UDI – qui, je vous le rappelle, monsieur le ministre, n’avait pas pris part au vote lors de la lecture précédente – émet plusieurs réserves, tandis que, pour ce qui me concerne, j’y suis fondamentalement opposé. Outre le fait qu’il serait judicieux que le législateur s’astreigne enfin à limiter les propositions fiscales aux lois de finances – c’est un vieux débat –, le groupe UDI rappelle que, lorsque le législateur se prononce sur des mesures qui relèvent de la fiscalité, le grand principe qu’il doit toujours avoir en mémoire, sous peine de se le faire rappeler par le Conseil constitutionnel, est celui de l’égalité de tous les citoyens devant l’impôt. Ce principe figure à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – partie intégrante du bloc constitutionnel –, aux termes duquel « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »
S’il est bien entendu possible d’adapter les règles générales, il faut toujours qu’il y ait une contrepartie d’intérêt général : telle est la position constante du Conseil constitutionnel. Pour certaines des exceptions corses, créées il y a souvent plus d’un siècle – en 1801, pour être précis –, ce n’est pas le cas. La Cour des comptes avait d’ailleurs souligné, dans son référé du 21 juin dernier, plusieurs points, dans le cadre d’autres dispositifs fiscaux, qui étaient obsolètes ou incohérents.
Or, que proposent, notamment, les articles 4 et 5 ? Ils ont pour objet de prolonger, encore une fois, le statut fiscal dérogatoire corse issu du fameux arrêté Miot ! La loi de 2002 relative à la Corse prévoyait, comme M. le rapporteur l’a rappelé, un retour au régime de droit commun d’ici le 1er janvier 2016, ce qui laissait tout le temps nécessaire à l’adaptation.
Revenant sur cette loi, le projet de loi de finances pour 2013 prévoyait de proroger l’exonération totale des droits de succession du 31 décembre 2012 au 31 décembre 2017 et l’exonération de 50 % des droits de succession du 1erdécembre 2018 au 31 décembre 2022. Ce dispositif a été censuré par le Conseil constitutionnel. Nouvel essai dans le projet de loi de finances pour 2014, nouvelle censure. Et aujourd’hui que voit-on ? Le retour de cette mesure inconstitutionnelle via cette proposition de loi, par crainte de la censure !
En effet, les exonérations de droits de succession proposées s’appliquent à l’ensemble des immeubles situés en Corse, alors même que les problèmes de droits de propriété ne concernent que certains redevables ; ces exonérations ne sont donc plus justifiées par une différence de situation et violent, de fait, le principe d’égalité de tous les citoyens devant l’impôt. Je rappelle que, dans une décision de décembre 2012, le Conseil constitutionnel avait jugé que « le maintien du régime fiscal dérogatoire applicable aux successions sur des immeubles situés dans les départements de Corse conduit à ce que, sans motif légitime, la transmission de ces immeubles puisse être dispensée du paiement de droits de mutation ; que la nouvelle prorogation de ce régime dérogatoire méconnaît le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques ». Le « considérant » du Conseil constitutionnel est clair.
La proposition de loi, dans ses articles 4 et 5, risque fort d’être, pour la troisième fois, censurée par le Conseil constitutionnel à la première question prioritaire de constitutionnalité qui lui sera posée ; cela fait donc peser un risque juridique important sur les dispositifs proposés. C’est pourquoi, monsieur le ministre, je demande solennellement au Gouvernement de bien vouloir s’engager, en cas d’adoption de cette proposition de loi, à saisir le Conseil constitutionnel sur les articles 4 et 5 du texte. À défaut, on entourerait de nouveau ces questions d’insécurité juridique.
Mes chers collègues, je pense à l’intérêt même de nos concitoyens habitant en Corse et dans d’autres régions – de nombreux continentaux possèdent en effet un bien en Corse – ; d’ailleurs, je me permets, monsieur le ministre, de rappeler à un ministre de la République, membre d’un parti qui s’honore d’être l’héritier des fondateurs de la République – je m’honore également que mes ancêtres aient participé à la fondation de cette République –, qu’il n’y a pas de peuple corse. De même qu’il n’y a pas de peuple breton, n’est-ce pas monsieur le président ?
Il n’y a plus de République si nous acceptons cela ; nous n’aurions plus qu’à la dissoudre et à rétablir, çà et là, des petits royaumes ou des petites républiques !
Mes chers collègues, dans l’intérêt même de nos concitoyens possédant un bien en Corse, je voterai, à titre personnel, contre cette proposition de loi, afin que le régime juridique de ces biens ne soit pas suspendu au résultat d’une très probable question prioritaire de constitutionnalité.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur –mon cher Camille –, mes chers collègues, j’ai un certain plaisir à parler de ce sujet important, qui a fait couler beaucoup d’encre depuis quelques siècles, puisque les arrêtés Miot du début du XIXe siècle sont l’une des bases de discussion de la fiscalité en Corse. Je suis également content de m’exprimer après Charles-Amédée de Courson qui, et on doit lui en rendre hommage, explique depuis 1999 que les Corses devraient payer des impôts comme les autres.
En effet : ceux ayant un bien dans l’île de Corse, qu’ils appartiennent ou non au peuple corse, devraient selon lui payer des impôts comme les autres. Monsieur de Courson, vous avez raison, et les Corses le demandent également.
Mais, vous n’avez jamais voulu entendre, ou peut-être accepter, qu’ils ne pouvaient pas payer des impôts comme les autres, car, depuis 1804, la République n’a pas été capable de leur délivrer des titres de propriété.
L’administration fiscale n’a plus, depuis 1947, la capacité de calculer les impôts fonciers en Corse, faute de base juridique.
Parce que les bases calculées à l’époque ont disparu, et que la République n’a pas été capable de voter une nouvelle loi définissant le cadre de l’acquittement des impôts en Corse. Et les Corses n’y sont pour rien ! Ne laissez pas penser que les Corses ont une telle influence qu’ils peuvent empêcher l’État français de voter des textes les obligeant de payer des impôts dans leur île.
Oui ! Il faut admettre que c’est la République qui a été incapable de voter des lois permettant aux Corses de disposer de titres de propriété et de payer légalement leurs impôts ; la République a été responsable de ce désordre, et faire un peu d’histoire aide à comprendre cette situation. En 1947, les bases de calcul des droits de succession ont disparu en Corse, et la Cour de cassation a constaté ce vide et a estimé que l’administration fiscale calculait, depuis de nombreuses années, les impôts à titre illégal.
Les Corses demandent à être, comme les autres, titulaires des droits qui s’attachent à leurs biens. Aujourd’hui, ce n’est pas possible, et la proposition de loi de notre collègue Camille de Rocca Serra présente l’intérêt de sortir du débat fiscal et d’appréhender la question sous son bon angle, celui du droit civil.
Oui, il faut permettre le titrage des biens en Corse. Une fois ces biens titrés, on pourra lever l’impôt. Comment voulez-vous fiscaliser un bien qui n’est pas titré ? C’est techniquement impossible. L’administration fiscale ne peut pas lever d’impôt sur un bien qui n’appartient à personne. Comme on ne valorise pas le titrage, les Corses ne titrent pas les biens, et l’administration ne peut pas prélever l’impôt. C’est aussi simple que cela ! Les élus de Corse répètent depuis 1999 dans cet hémicycle que la solution est d’abord civile, puis fiscale, mais on ne les écoute pas. Grâce à la proposition de Camille de Rocca Serra, nous quittons le débat fiscal passionnel pour nous pencher sur la question de droit civil que ce sujet pose.
Je voudrais remercier le groupe socialiste, écologiste et républicain, qui m’a autorisé, à titre exceptionnel, à cosigner une proposition de loi déposée par le groupe Les Républicains avec d’autres parlementaires de l’île. C’est un honneur pour moi d’avoir signé ce texte, et je remercie également le Gouvernement de l’avoir inscrit au Sénat et d’avoir fait en sorte que nous puissions l’adopter avant la fin de la session parlementaire, malgré la forte contrainte de calendrier.
L’adoption de ce texte nous ferait entrer dans un cycle vertueux, où le titrage des biens serait favorisé ; ainsi, les personnes deviendraient propriétaires de leurs biens et pourraient payer des impôts. J’ai commencé ma carrière d’inspecteur des impôts en Corse et je peux vous dire que les Corses paient leurs impôts comme les autres – un rapport de la Cour des comptes le démontre d’ailleurs bien : même s’il peut y avoir quelques écarts de pourcentage, il n’y a pas de différence fondamentale entre la Corse et le continent en la matière.
Les Corses veulent être enfin propriétaires de leurs biens, y compris de leur patrimoine économique, pour développer leur activité. Comment voulez-vous qu’un agriculteur développe son activité s’il n’est pas titulaire des terrains sur lesquels il veut travailler ? Comment faire quand le propriétaire ne peut signer de bail car il ne dispose pas du titre de propriété ? Il y a des situations insupportables : de jeunes Corses veulent s’installer et devenir agriculteurs, mais ils ne peuvent pas obtenir de bail, pourtant réclamé par la Mutualité sociale agricole, la MSA, ou par la chambre d’agriculture, car les soi-disant propriétaires n’ont pas de titre de propriété leur permettant de signer un bail. C’est ça aussi la réalité économique de cette île.
Comment voulez-vous développer une activité économique sans être titulaire des biens, des immeubles, des biens meubles et des terrains utiles à cette activité ? Les Corses demandent à avoir des titres, à payer des impôts, à développer leur économie et, surtout, à pouvoir maîtriser l’avenir de leur île.
Pourquoi faut-il une exonération fiscale pendant quelque temps ? Si on fiscalise trop rapidement et trop fortement des biens d’une valeur importante, certains habitants devront les vendre ; par exemple, une personne devenant propriétaire d’un terrain constructible situé à côté de Porto-Vecchio en bord de mer devra peut-être, comme certains habitants de l’île de Ré, acquitter l’impôt sur la fortune, ce qu’il ne pourra pas faire. À qui ces biens seront-ils vendus ? À des spéculateurs qui rachèteront des terrains à vil prix pour les développer et gagner de l’argent. On retomberait alors dans une spirale non vertueuse.
Il faut donc donner des titres aux personnes possédant des biens en Corse, afin qu’elles puissent disposer de leur patrimoine et le faire fructifier en développant une activité économique qui les fera vivre. Voilà ce que les Corses demandent, et c’est ce que propose ce texte. Je salue cette initiative, ainsi que le Gouvernement, qui a soutenu une proposition de loi signée par des députés Les Républicains et qui a demandé au groupe de la majorité de l’approuver. Nous sommes dans un moment historique, puisque, même si les fameux arrêtés Miot ont disparu depuis bien longtemps, nous allons voter une proposition de loi qui donnera une nouvelle chance à la Corse et à son développement économique, et qui permettra surtout aux habitants de l’île de maîtriser leur foncier et leur avenir.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous ne serez pas étonnés de me voir sur la même ligne que MM. François Pupponi et Camille de Rocca Serra. Face à la difficulté et à l’intérêt que représente le titrage des biens, certains dispositifs, qui ont incité à la régularisation, n’ont pas prouvé leur efficacité. Le groupement d’intérêt public chargé de la reconstitution des titres de propriété, le GIRTEC, a été créé en 2007. Il apporte aux notaires et aux héritiers un soutien technique indispensable, qui s’est révélé cependant insuffisant tant la tâche est ardue. Si l’on peut dire aujourd’hui que la situation est en voie d’amélioration, le rythme des régularisations reste en effet peu satisfaisant au regard du nombre de cas encore à traiter.
Dans certaines communes de Corse, le taux de biens non délimités dépasserait les 50 %. D’après le cadastre actuel, sur 378 000 propriétaires privés – hors collectivités et personnes morales –, on a dénombré 95 000 comptes au nom de personnes nées avant 1900, qui représentent 367 000 parcelles et 229 000 hectares. Vous comprenez ainsi le problème qui se pose en Corse. En 2015, on estimait encore à 34 % la proportion des parcelles corses dont le propriétaire était une personne décédée. Il s’agit d’un véritable handicap pour le développement de l’île compte tenu de ses difficultés particulières : l’insularité, le relief – qui rend difficile sa traversée d’est en ouest et du nord au sud, comme je m’en suis rendu compte à plusieurs reprises –, mais également l’émigration, de nombreux Corses étant partis sur le continent, en Europe, en Amérique du Sud ou dans le reste du monde, ce qui entraîne des difficultés pour le droit de propriété.
Ces situations inextricables, où des biens peuvent avoir une centaine de propriétaires, sont très dommageables pour les biens eux-mêmes, puisqu’ils ne sont pas entretenus, mais aussi pour le développement économique. Comment un agriculteur peut-il investir dans un champ de clémentines et y entretenir les arbres si on ne connaît pas le propriétaire ? Il s’agit d’un vrai problème pour le développement de l’île. C’est là que réside l’intérêt général, cher Charles-Amédée de Courson. Nous avons tout intérêt à ce que la Corse se développe : cela servira les Corses et le bien général des Français.
Je suis, pour ma part, un adepte du principe des matriochkas : on peut être à la fois breton, français et européen, cela ne pose pas de problème. On peut avoir plusieurs identités à la fois.
Je sais bien que nous touchons là à l’héritage des Lumières, mais celui-ci remonte à deux siècles. La loi Le Chapelier a tout de même interdit en France les syndicats pendant fort longtemps, et il a fallu une lutte mémorable pour qu’à la fin du XIXe siècle on ouvre le droit à la création des syndicats. Or, vous le savez bien, l’interdiction contenue dans cette loi a été promulguée pour empêcher la formation de corps intermédiaires entre le citoyen et l’État. J’ai l’impression qu’il se produit aujourd’hui la même chose vis-à-vis de nos cultures d’origine. Pour ma part, la diversité ne m’a jamais posé problème.
Précisément : la diversité n’empêche pas l’égalité, et l’égalité n’empêche pas la diversité.
J’en viens à ma conclusion, monsieur le président.
Je ne vois pas de raison de m’opposer à cette proposition de loi transpartisane cosignée par l’ensemble des députés corses, François Pupponi y compris, car elle me paraît tout simplement de bon sens. Je la soutiendrai donc évidemment, comme tout ce qui peut faire avancer la Corse et nos amis corses.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
J’appelle maintenant dans le texte de la commission les articles de la proposition de loi sur lesquels les deux assemblées n’ont pu parvenir à un texte identique.
L’article 1erest adopté.
L’article 2 est adopté.
L’article 7 est adopté.
Monsieur le président ! Je souhaitais prendre la parole sur l’article 7 !
L’article 7 ayant été mis aux voix, monsieur Elkouby, vous ne pouvez prendre la parole qu’au titre des explications de vote, si toutefois vous avez été désigné porte-parole de votre groupe à cette fin.
Vous avez donc la parole, cher collègue, au nom du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Je souhaite simplement faire un point sur l’article 7, notamment l’application de la prescription acquisitive dans les départements d’Alsace et de Moselle et l’abrogation d’une disposition désuète.
Il y a des similitudes parfois amusantes dans le calendrier législatif. C’est en effet en mars 2002 qu’Armand Jung, mon prédécesseur, et la garde des sceaux d’alors, Mme Marylise Lebranchu, ont fait voter la loi portant réforme de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, dans ses dispositions relatives à la publicité foncière, et dont l’objet était l’informatisation du livre foncier d’Alsace-Moselle. L’objet de nos débats est aujourd’hui la modernisation du droit local et la présente proposition de loi consolide la force probante du cadastre en Alsace-Moselle.
Je tiens à remercier le ministre Jean-Michel Baylet d’avoir accepté d’intégrer cet article dans le texte. La modification de la loi de 1884 a été adoptée par la commission du droit local d’Alsace-Moselle, qui est présidée aujourd’hui par le sénateur Jacques Bigot, et qui l’était auparavant par le député Armand Jung. Je voudrais également remercier le conseil régional de l’ordre des géomètres-experts de Strasbourg, l’Institut du droit local alsacien-mosellan et la commission de droit local d’Alsace-Moselle. Mon collègue Philippe Bies, également député de Strasbourg, et moi-même considérons ce texte bienvenu dans le cadre de la modernisation du droit local d’Alsace-Moselle. Les choses peuvent donc évoluer. Je voterai donc bien évidemment ce texte.
La proposition de loi est adoptée.
Applaudissements sur tous les bancs.
Je tiens à remercier l’ensemble des députés – ceux de la majorité, ceux de l’opposition – qui, dans un élan quasiment unanime – M. de Courson se distingue toujours sur la Corse –, ont permis de faire un pas de géant pour régler le problème du droit foncier en Corse.
J’aimerais remercier en particulier les députés corses dans leur diversité. Nous travaillons main dans la main avec nos amis de la collectivité territoriale corse depuis des mois, plus d’une année. Même si nous n’avons pas toujours été d’accord sur tout, nous l’avons été sur l’essentiel, ce qui nous a permis d’aboutir ce soir à l’adoption de ces deux textes : les ordonnances créant la collectivité territoriale unique de Corse et la proposition de Camille de Rocca Serra, que je tiens à saluer et à féliciter tout particulièrement.
Nous avançons ainsi de manière considérable et significative sur la résorption des problèmes fonciers en Corse. Je vous remercie donc toutes et tous. C’est pour moi une fierté, et je pense qu’elle est partagée sur ces bancs, d’avoir ainsi oeuvré dans l’intérêt des Corses. J’espère que la Corse, dotée de nouvelles institutions et de facilités pour résorber le désordre foncier, pourra désormais prospérer dans l’intérêt de l’ensemble du peuple corse. Je vous le répète, monsieur de Courson : si la République est une et indivisible, et il est vrai que les radicaux se sont battus pour qu’il en soit ainsi. On peut cependant, au XXIe siècle, reconnaître sa diversité. Il est tout à notre honneur d’être réalistes, pragmatiques, et de reconnaître la réalité de ce qui compose la nation française.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Discussion de la proposition de loi tendant à renforcer les obligations comptables des partis politiques et des candidats.
La séance est levée.
La séance est levée, le mercredi 22 novembre 2017, à une heure cinq.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly