Numéro trois : « L’esprit n’use de sa faculté créatrice que lorsque l’expérience lui en impose la nécessité. »
L’auteur de ces phrases s’appelait Henri Poincaré, gigantesque mathématicien du XIXe siècle, philosophe, homme de science et de culture, qui avait le courage et l’envie de l’avenir.
Je trouve ces trois phrases merveilleuses. C’est un jour, en cours de géologie, en classe de quatrième, qu’une enseignante m’a donné la première de ces phrases : « On résout les problèmes qu’on se pose, et non pas les problèmes qui se posent », ce qui trace tout de même une voie pour le XXIe siècle, car, à force d’avoir peur, on finit par ne plus se poser de problèmes et on ne résout donc plus rien.
Nous sommes en effet confrontés à des milliers de problèmes qui se posent – de la couleur de la moquette et de la manière dont elle a été traitée et fabriquée à toute la pollution qu’elle a générée lors de sa fabrication, de son recyclage ou de son non-recyclage – autant de question essentielles et importante qui, à un moment donné, rencontreront des questions technologiques et techniques, voire scientifiques, car vient un moment où la science rencontre la technique – on dit aujourd’hui : « technologie », c’est plus chic !
Cependant, si la science permet de fabriquer des objets, elle ne les fabrique pas elle-même. Il convient d’abolir cette confusion du sens. L’injonction d’innover adressée aux chercheurs et aux scientifiques est terrifiante : « Mesdames et messieurs les scientifiques, veuillez non seulement trouver, mais aussi produire des objets qui fabriqueront de l’innovation et enrichiront nos sociétés. » Or ce ne sont pas les mêmes personnes ! Un scientifique n’est pas là pour innover, mais pour faire en sorte que certains de ses étudiants innovent parce qu’ils auront appris de bonnes choses avec lui et qu’ils auront un esprit inventif, parce qu’on leur aura insufflé l’esprit d’invention, qui pousse à trouver. Certains iront faire de la science et d’autres iront dans l’économie : c’est la vie.
Un scientifique fabrique du savoir et le transmet, à des étudiants aussi bien qu’à des entreprises, et il peut même créer sa propre entreprise. Il faut donner aux scientifiques cette liberté de choisir leur destin. Ils doivent tout de même cotiser pendant quarante ans et l’injonction de trouver, de développer, d’innover, de produire du savoir et de fabriquer des brevets représente beaucoup de choses à faire en quarante ans ! Au long d’une vie, sur quarante ans, ils peuvent faire des allers-retours, et certains font même tout cela en même temps, mais il est important de comprendre que l’injonction d’innover est compliquée.
De la même manière, une société qui mise tout sur cette injonction d’innovation risque de se trouver en difficulté, car vient nécessairement un moment où il faut tout de même se mettre à fabriquer, ici ou ailleurs. Les Allemands ont ainsi un système qui permet d’accompagner à la fois la production et l’invention – c’est un peu général dans le monde occidental.
Je pose donc une question de fond afin de déculpabiliser les scientifiques face à l’injonction d’innovation : non, ce n’est pas un métier qu’on vous assigne – mais, si vous voulez le faire, c’est bien et vous en serez récompensés. Le Pr Claude Allègre, lorsqu’il était ministre, avait du reste pris une mesure en ce sens en créant le concours de l’innovation – il déclarait alors que les scientifiques avaient plusieurs métiers.
Dans nos métiers de scientifiques et de politiques, l’injonction d’innover pose également la question de la propriété intellectuelle. Je rappelle à cet égard que ce concept a été créé en 1790 aux États-Unis d’Amérique, puis en 1830, soit quarante ans plus tard, dans les pays européens et qu’un accord international a été conclu en 1883 : on voit bien que ce processus est long. Pendant ce temps, le foisonnement du XIXe siècle avait montré que les scientifiques inventaient et fleurissaient, que certains créaient des entreprises et d’autres non, que certains continuaient à faire de la recherche dans les laboratoires et à enseigner, tandis que d’autres partaient dans l’industrie pour gagner de l’argent.
Nous en sommes là aujourd’hui. On compte encore en Europe vingt-neuf politiques de propriété intellectuelle différentes. Le monde agricole est le seul à être parvenu à trouver une solution européenne, avec le certificat d’obtention végétale – COV. Il lui a fallu cinq ans pour régler le problème dans toute l’Europe et la bataille est actuellement en cours entre les brevets américains et les COV européens. Voilà une vraie conquête !
La science invente des concepts et le monde économique doit pouvoir s’en saisir pour fabriquer de l’économie, de la valeur et de l’avenir. Pour ce faire, il y aura les étudiants qu’elle aura formés et auxquels elle aura donné le goût de tout – car la science donne, tout simplement, le goût de tout. Il ne faut pas confondre. Il existe une Académie des sciences morales et politiques – ce qui m’a toujours étonnée, car je ne vois pas en quoi la morale et la politique pourraient être des sciences –, mais nous avons inventé cela !
Revenons aux fondamentaux : la science est une réalité en laquelle nous devons avoir confiance, et il faut pour cela que les bienfaits du progrès et de la science ne soient pas remis en cause en permanence. La science s’incarne en effet dans des objets, des services et des actions du quotidien. Nous ne nous rendons même plus compte que nos petits appareils, les vêtements que nous portons, la santé et les médicaments sont de la science incarnée. Tout est science incarnée, parce que des innovateurs s’en sont saisis et ont fabriqué à partir de la science des objets et des concepts. C’est là quelque chose d’essentiel et c’est la raison pour laquelle il faut avoir confiance dans la science.
En effet, s’il est vrai que, comme le dit Rabelais, qui a déjà été cité, « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », j’irai plus loin en affirmant que conscience sans science n’est que ruine des peuples. On rencontre en effet des obscurantistes qui ont une telle conscience de leur valeur et de leur pensée qu’ils en viennent à éteindre la pensée des autres : attention aux flammes qui vont trop loin.
Nous sommes placés face à un grand enjeu. Dans les années 1990, Hubert Curien, grand scientifique, minéralogiste, avait inventé « Science en fête », devenue ensuite « Fête de la science ». Je préfère, pour ma part, la première expression, car elle explose, innove et fait des étincelles, tandis que « Fête de la science » est une injonction, ce qui ne marche jamais.
Le 23/02/2017 à 14:33, Laïc1 a dit :
"On rencontre en effet des obscurantistes qui ont une telle conscience de leur valeur et de leur pensée qu’ils en viennent à éteindre la pensée des autres : attention aux flammes qui vont trop loin."
Très très bien, Mme est apte à lutter contre les philosophes qui veulent obscurcir l'horizon de la pensée et de la logique par leur propre discours obscurantiste et insensé, et qui ne peuvent supporter la moindre critique, la moindre remise en cause de leurs systèmes philosophiques dogmatiques nébuleux, contradictoires et aberrants, appuyés sur des "grands" philosophes-prophètes, qui sont le plus souvent Grecs anciens ou Allemands (mais on y trouve aussi malheureusement quelques Français, genre Sartre ou Merleau Ponty) auxquels il n'est possible en aucun cas de toucher sous peine d'excommunication intellectuelle.
L'ère de la philosophie doit prendre fin, c'est à cette prise de conscience que j'invite les députés à accéder : on ne peut plus faire comme si de rien n'était, la page de l'obscurantisme intellectuel de la philosophie doit être définitivement tournée, car c'est cet obscurantisme philosophique qui discrédite la science et qui empêche le vrai progrès de la pensée humaine.
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